Correspondance de Lagrange avec d’Alembert/Lettre 117

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Texte établi par Ludovic LalanneGauthier-Villars (Œuvres de Lagrange. Tome XIIIp. 267-269).

117.

LAGRANGE À D’ALEMBERT.

À Berlin, ce 29 juin 1773.

Voici, mon cher et illustre ami, ce que j’ai pu apprendre touchant la traduction du voyage de MM. Banks et Solander qui doit paraître dans cette ville. Les libraires Stande et Spener ont entrepris de publier une traduction allemande de cet Ouvrage, laquelle sera prête, à ce qu’on m’a assuré, à Pâques de l’année prochaine. Il y aura trois Volumes in-quarto, avec cinquante-deux Planches, et je crois qu’il y a déjà au moins un Volume d’imprimé. Comme les frais de cette entreprise sont fort considérables, l’article des Planches seul allant au delà de 2000 écus de ce pays, les libraires ont pensé qu’ils feraient bien de donner en même temps une édition française du même Ouvrage, pour laquelle ils pourront se servir des mêmes Planches, à quelques petits changements près. Elle aura aussi trois Volumes in-quarto qui paraîtront ensemble à Pâques de l’année prochaine ; du moins il y en aura sûrement un ou deux de prêts, et le reste paraîtra bientôt après ; cependant, de la manière dont on m’a parlé, j’ai lieu de croire que l’Ouvrage n’est pas encore sous presse. Quant au traducteur, on m’a dit que c’est un Français, demeurant en France, et qui est déjà connu par quelques autres bonnes traductions d’Ouvrages anglais ; je n’ai pas osé insister pour en savoir le nom, de crainte qu’on ne me soupçonnât d’avoir commission de prendre des informations sur ce sujet ; mais, s’il vous importe de le connaître, je tâcherai de le découvrir. À l’égard du prix, on m’a dit qu’il n’irait pas au delà de 15 écus, et l’on m’a assuré qu’on ne comptait pas sur un grand gain, à moins que la grandeur du débit ne compensât en quelque sorte la modicité du prix. Au reste, je ne dois pas vous laisser ignorer que ces libraires m’ont paru un peu inquiets par l’appréhension qu’ils ont que quelque libraire de France ne s’empare de cet Ouvrage, ce qui leur ferait un grand tort, quoique, malgré cela, ils me paraissent bien décidés de ne point se désister de leur entreprise c’était, comme vous voyez bien, une raison pour moi d’user de beaucoup de précautions en les questionnant sur cet article ; quant à l’exécution des Planches, ils m’ont assuré qu’elles ne seraient en rien inférieures à celles de l’édition anglaise, ce que je n’ai pas de peine à croire, parce qu’il y a ici de très-habiles graveurs.

J’ai reçu avec la plus vive reconnaissance et lu avec un très-grand plaisir le reste de votre sixième Volume. J’y ai fait par-ci par-là différentes remarques, comme c’est ma coutume quand je lis des Ouvrages qui m’intéressent beaucoup ; mais, outre que la place me manque pour vous les communiquer à présent, je suis encore empêché de le faire par les embarras du déménagement, ayant tous mes Livres et mes papiers en confusion. M. Bernoulli a présenté de votre part à l’Académie ce sixième Volume, et elle l’a chargé de vous en remercier. Je crois que M. Lambert se sera aussi acquitté de ce devoir pour l’exemplaire qu’il en a reçu. Je vous supplie de faire mes très-humbles remercîments à votre Académie des Ouvrages qu’elle m’a envoyés, et qui ne font qu’augmenter ma reconnaissance envers elle.

Le libraire Bruyset me mande que la traduction de l’Algèbre d’Euler a paru et que son fils s’est chargé de vous en apporter un exemplaire, ainsi qu’au marquis de Condorcet ; il me dit aussi qu’il ne manquera pas d’envoyer bientôt à M. l’abbé Bossut et au marquis Caraccioli ; je vous prie de l’en faire ressouvenir. Adieu, mon cher et illustre ami ; je vous embrasse de tout mon cœur. Il n’y a encore rien de nouveau de Turin.

À Monsieur d’Alembert,
Secrétaire perpétuel de l’Académie française, etc., etc.,
rue Saint-Dominique, vis-à-vis Belle-Chasse, à Paris.