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Correspondance de Lagrange avec d’Alembert/Lettre 118

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Texte établi par Ludovic LalanneGauthier-Villars (Œuvres de Lagrange. Tome XIIIp. 269-271).

118.

LAGRANGE À D’ALEMBERT.

À Berlin, ce 3 août 1773.

Je compte, mon cher et illustre ami, que vous aurez reçu ma réponse aux questions que vous m’avez faites concernant la traduction française du voyage de Banks et Solander. Le libraire qui avait dessein de la publier ici m’a dit depuis peu qu’il avait résolu de s’en désister, pour ne pas se trouver en concurrence avec ceux de Paris qui en ont annoncé une de leur côté ; ainsi je crois que vous n’avez plus rien à désirer sur cet article. Je ne vous demande pas votre avis sur mes additions à l’Algèbre d’Euler, parce que je doute fort que vous preniez jamais la peine de les lire ; mais, comme il n’est pas impossible qu’il y ait à Paris des personnes qui aient du goût pour ces sortes de recherches, vous en entendrez peut-être dire du bien ou du mal, et, en ce cas, je vous prie de me mander ce qui en est. Avez-vous reçu le quatrième Volume de Turin, que j’apprends qui vient de paraître ? Il doit y avoir quelques Mémoires de ma façon[1], sur lesquelsje souhaiteraisfort de savoir votre sentiment, entre autres un sur l’intégration des équations différentielles séparées dont chaque membre n’est pas intégrable en particulier, lequel contient une nouvelle méthode d’intégrationqui me paraît digne d’attention. Vous jugerez de tout cela en dernier ressort. Puisque j’en suis sur l’article de Turin, je dois vous dire qu’il n’y a jusqu’à présent rien de nouveau pour moi ; du moins on ne m’a encore fait aucune proposition ni directe ni indirecte si vous en savez quelque chose, je vous prie de m’en instruire, afin que je puisse mieux prendre mes mesures. J’ai un nouveau Volume de Gœttingue à vous envoyer, mais j’attends une occasion pour vous le faire parvenir sans frais, d’autant qu’il ne contient rien qui puisse le moins du monde vous intéresser ; puisque vous avez les premiers, il faut que vous ayez la suite. J’ai reçu la nouvelle théorie de la Lune[2] de M. Euler ; si vous ne l’avez pas, je tâcherai de vous en procurer un exemplaire. Je ne sais si c’est la pièce même qui a remporté le prix ou cette pièce refondue ; quoi qu’il en soit, il est sûr qu’il y a un travail immense et que l’Ouvrage est conduit avec un ordre admirable ; mais, pour ce qui est de la prétendue découverte, je vous avoue que j’ai eu de la peine à la démêler dans la foule des calculs elle se réduit, ce me semble, à calculer, au lieu du rayon vecteur et de l’angle différence entre le mouvement vrai et le mouvement moyen, les coordonnées et Mais, outre que cela est moins simple et moins naturel, le calcul en est en quelque façon plus long et plus compliqué.

Je m’étais flatté de pouvoir envoyer quelque chose pour le concours, mais différentes circonstances m’en ont empêché. Les chaleurs qu’il a fait ici pendant cet été m’ont extrêmement affecté et m’ont mis un mois durant dans l’impossibilité de travailler, de sorte que je n’ai pu mettre la dernière main aux recherches que j’avais commencées ; d’autres petits incidents ont aussi contribué à me faire abandonner mon travail, à quoi j’ai eu d’autant moins de répugnance que je n’en étais guère content.

Les remarques que je vous ai annoncées sur quelques endroits de vos derniers Opuscules concernent principalement la méthode que vous proposez à la page 27 pour trouver le mouvement de l’apogée cette méthode est très-ingénieuse, mais je crois pouvoir démontrer qu’en la suivant sans restriction on risquerait de tomber dans l’erreur ; j’ai fait beaucoup de calculs et d’essais sur ce sujet, mais cela se trouve dans des paperasses qui ont besoin d’être débrouillées. Je vous en entretiendrai quelque jour si vous le souhaitez ; d’ailleurs je me propose aussi de relire et d’étudier à fond quelques autres endroits du même Ouvrage, où j’ai trouvé des idées neuves et intéressantes ; cela me fournira la matière d’une Lettre entière, que je destinerai uniquement à la Géométrie.

Dieu sait quand mes Mémoires pourront paraître ; le libraire ne me paraît guère empressé à en commencer l’impression ; si c’étaient des romans ou des satires, cela ne souffrirait aucune difficulté.

Adieu, mon cher et illustre ami ; je vous embrasse de tout mon cœur et je vous prie d’embrasser pour moi notre marquis de Condorcet, à qui je me propose d’écrire au premier jour ; mais j’ignore son adresse.

À Monsieur d’Alembert, secrétaire de l’Académie française,
membre de l’Académie des Sciences de Paris, etc., à Paris
.

  1. Il y en a cinq. Voir dans la présente édition t. 1, p. 5, 37, 67, 94.
  2. Theoria motuum Lunæ nova methodo pertractata, incredibili studio atque indeffesso labore trium academicorum, Johannis Alberti Euler, Wolffgangi Ludovici Krafft, Johannis Andreæ Lexell, opus dirigente Leonhardo Eulero. Pétersbourg, 1772 ; in-4o.