Correspondance de Lagrange avec d’Alembert/Lettre 119

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Texte établi par Ludovic LalanneGauthier-Villars (Œuvres de Lagrange. Tome XIIIp. 272-273).

119.

D’ALEMBERT À LAGRANGE.

À Paris, ce 27 septembre 1773.

Mon cher et illustre ami, je dois réponse à deux de vos Lettres, et cette réponse vous sera remise par M. le comte de Crillon[1], jeune homme digne de ses aïeux par ses vertus et son mérite, l’ami de M. de Condorcet et le mien, qui vous dira de nos nouvelles et qui nous apportera des vôtres. Il désire de voir tous les hommes rares de son temps, et, à ce titre, il se flatte d’être bien reçu de vous. Il n’abusera point de vos moments, mais il ne peut se résoudre à quitter Berlin sans avoir eu l’avantage de vous connaître. Je vous demande donc pour lui votre amitié, et je vous assure qu’il en est digne.

J’ai reçu, il y a déjà quelque temps, l’Algèbre de M. Euler ; vous croyez bien que ce que vous y avez ajouté est ce qui m’intéresse davantage, mais la résolution décidée que j’ai prise de me priver quelque temps de toute occupation mathématique ne m’a pas permis encore de vous lire ; quelques-uns de nos confrères qui ont lu vos remarques m’en ont parlé avec éloges, et, pour tout dire, comme d’un Ouvrage digne de vous.

Je vous remercie des avis que vous me donnez sur l’édition qu’on préparait à Berlin des voyages de MM. Banks et Solander ; ces avis mettront à leur aise nos libraires et les traducteurs, qui sont deux hommes estimables[2] auxquels je m’intéresse. Je n’ai point encore reçu le quatrième Volume des Mémoires de Turin ; dès que je pourrai m’occuper de Géométrie, je ne manquerai pas de lire ce que vous y avez mis, et surtout le Mémoire dont vous me parlez. Vous ferez très-bien, au reste, de ne sacrifier Berlin à Turin qu’à bonnes enseignes, et je serai fort aise d’apprendre de vous si on vous fait sur cela des propositions. Vous pourrez m’envoyer par M. de Crillon le Volume de Goettingen dont vous me parlez. Quant à la Théorie de la Lune d’Euler, son fils m’écrit que l’Académie de Pétersbourg me l’enverra. Je vois que vous avez porté de cette théorie exactement le même jugement que moi, et je suis ravi de m’être accordé sur ce point avec vous. Je suis très-fâché que nous n’ayons rien de vous pour le concours. J’espère au moins que nous serons plus heureux dans deux ans, car je crois pouvoir vous dire en confidence que le prix sera remis, à moins qu’on ne juge mieux d’en proposer un autre. Je vous suis très-obligé de la peine que vous voulez bien prendre de parcourir mes dernières rapsodies ; vous me ferez grand plaisir de me communiquer, à votre commodité, vos différentes remarques j’en profiterai avec tout l’empressement que j’ai pour ce qui vient de vous. Vous m’affligez beaucoup en m’apprenant que votre Ouvrage n’est pas commencé d’imprimer ; il me semble pourtant que votre nom doit être un bon garant du débit pour l’imprimeur qui s’en est chargé.

M. de Condorcet est actuellement chez lui à Ribemont, en Picardie, par Saint-Quentin ; mais j’imagine que vous pourriez lui écrire à Paris, rue de Louis-le-Grand, vis-à-vis la rue Neuve-Saint-Augustin, et qu’on lui enverra vos Lettres. Peut-être serait-il plus court de lui écrire directement où il est ; vous en aurez le temps, car il ne reviendra que vers le 10 de novembre. Adieu, mon cher et illustre ami, je vous embrasse tendrement.

À Monsieur de la Grange, de l’Académie royale des Sciences de Prusse
et de celle de France, etc., à Berlin
.
(En note : Répondu le 20 décembre 1773.)

  1. François-Félix-Dorothée, comte puis duc de Crillon, né en 1748, mort le 27 août 1820.
  2. Les traducteurs étaient Suard et Demeunier.