Correspondance de Lagrange avec d’Alembert/Lettre 125

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Texte établi par Ludovic LalanneGauthier-Villars (Œuvres de Lagrange. Tome XIIIp. 283-285).

125.

LAGRANGE À D’ALEMBERT.

À Berlin, ce 21 mai 1774.

Mon cher et illustre ami, M. le comte de Crillon, qui vous remettra cette Lettre, vous remettra aussi de ma part : 1o le Volume de nos Mémoires pour 1772 ; 2o le troisième et le quatrième Volume des Mémoires de Gœttingue ; 3o un exemplaire séparé de mes Mémoires de 1772 pour M. le marquis de Condorcet, à qui je vous prie de vouloir bien le faire agréer avec mes plus tendres compliments. Je lui ai écrit depuis peu directement pour le remercier de la part qu’il a eue au succès de ma dernière pièce, et je l’ai prié de vous témoigner, ainsi qu’aux autres commissaires, ma vive reconnaissance de l’indulgence que vous avez bien voulu avoir pour un Ouvrage qui la méritait si peu. Je vous en réitère ici mes plus sincères remercîments. À l’égard de l’argent du prix, j’ai prié M. de Condorcet de se concerter avec vous sur la manière de me le faire parvenir je me repose là-dessus entièrement sur votre amitié. La déclaration que M. Le Monnier a fait insérer dans le programme de l’Académie était nécessaire pour ne pas effaroucher les astronomes, qui me paraissent fort attachés à l’équation séculaire. En élevant des doutes sur son existence, je n’ai eu d’autre but que de les engager à nous en donner des preuves convaincantes et incontestables. Le sujet que vous venez de proposer pour 1776[1] est d’autant plus difficile à traiter qu’il s’agit d’ajouter à ce que les premiers géomètres ont déjà fait. Je vous dirai une autre fois si j’ai quelque espérance de pouvoir concourir. Je vous prie de dire à M. de Condorcet que notre Académie a remis le prix de la théorie des comètes, et l’a même renvoyé à l’année 1778 pour qu’il puisse être double. Je suis bien aise qu’on ait pris ce parti plutôt que de faire tort à une pièce qui me paraissait mériter d’être couronnée, mais à laquelle mes confrères étaient portés à en préférer une autre. Je suis enchanté que mon Mémoire sur les Tables des planètes ne vous ait pas déplu. Comme la matière n’est guère sublime, je craignais que vous ne la trouvassiez peu digne de votre attention.

Je suis fort empressé de lire l’Histoire du Volume de 1771, ainsi que l’éloge de M. de la Condamine, dont vous me donnez une si grande idée. M. de Condorcet n’a-t-il pas fait aussi l’éloge de Fontaine[2] ? Il devrait se trouver dans le Volume de 1771, et cela augmente mon impatience de le recevoir.

Si le marquis Caraccioli est encore à Paris, voudriez-vous avoir la bonté de lui renouveler mes hommages ? Je serais fâché qu’il restât à Naples, où je doute fort qu’il pût trouver les agréments et la liberté dont il jouit chez vous. Je n’ai rien de particulier à vous dire sur ce qui me regarde M. de Crillon, qui m’honore quelquefois de sa compagnie, vous dira de mes nouvelles ; je suis fâché qu’il parte sitôt et que ses autres occupations m’empêchent de le voir aussi souvent que je le souhaiterais. Il a beaucoup vu et me paraît avoir bien vu. Il pourra vous donner une idée assez nette du Nord et de la philosophie qui y règne. Adieu, mon cher et illustre ami ayez bien soin de votre santé, et conservez-moi votre amitié et votre affection, que je regarde comme les plus grands avantages que la Géométrie m’ait procurés. Je vous embrasse de tout mon cœur.

À Monsieur d’Alembert, secrétaire de l’Académie française,
de l’Académie royale des Sciences de Paris, etc., etc., à Paris
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  1. « L’Académie propose, pour le sujet des prix de 1776, la théorie des perturbations que les comètes peuvent éprouver par l’action des planètes. Comme elle désire surtout que les savants s’appliquent à perfectionner les solutions analytiques déjà connues de ce problème ou qu’ils en cherchent de nouvelles, elle n’exige pas, du moins en ce moment, l’application de la théorie de ces perturbations à celle d’aucune comète en particulier. » (Mémoires de l’Académie, année 1774 ; Histoire, p. 71.)
  2. Il se trouve aux pages 105-116 de l’Histoire du Volume de 1771.