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Correspondance de Lagrange avec d’Alembert/Lettre 154

La bibliothèque libre.
Texte établi par Ludovic LalanneGauthier-Villars (Œuvres de Lagrange. Tome XIIIp. 342-344).

154.

LAGRANGE À D’ALEMBERT.

À Berlin, ce 12 décembre 1778.

Mon cher et illustre ami, comme cette Lettre ne vous parviendra que vers la fin du mois, je la commencerai par vous présenter tous les vœux que je fais d’avance pour vous dans le renouvellement de l’année ; je vous souhaite les années et la gloire de Newton et de Voltaire[1], mais surtout la philosophie du premier. J’ai rougi en lisant ce que vous dites de moi dans le Mercure de septembre ; je n’ai garde de prendre vos termes au pied de la lettre, mais il m’est permis de les regarder comme l’expression de votre amitié, et je n’en suis que plus pénétré. Je n’ai encore rien reçu de tout ce que vous m’annoncez M. Bitaubé m’a dit que vous allez publier un ou deux Volumes d’Éloges. Je ne puis vous dire combien je suis impatient d’avoir cet Ouvrage. Vous savez assez combien et à combien d’égards tout ce qui vient de vous m’est précieux pour ne pas regarder ce que je vous dis comme un pur compliment. J’attends aussi avec un pareil empressement le septième Volume des Opuscules.

Avez-vous reçu notre Volume de 1775 ? Celui de 1776 est prêt à paraître je vous le ferai parvenir par la première occasion qui se présentera il y a comme de raison quelque chose de moi[2], mais rien qui puisse mériter votre attention, si ce n’est peut-être une démonstration directe et générale de l’impossibilité de l’altération des moyens mouvements en vertu des attractions réciproques, démonstration sur laquelle je désire fort de savoir votre avis. Dites-moi quels sont les Volumes de Göttingue qui vous manquent ; puisque vous avez les premiers, il faut que vous en ayez toute la suite.

Je me promets bien de vous envoyer quelque chose pour le prix des comètes. Dans le programme que j’ai reçu, il est dit que les Ouvrages ne seront reçus que jusqu’au ier septembre 1778 ; mais ce ne peut être qu’une faute d’impression. Dites-moi si je puis envoyer ma pièce directement par la poste et à l’adresse du marquis de Condorcet. Je vous enverrai sûrement quelque chose, ne fût-ce que pour ne pas manquer à ma parole. Voudriez-vous bien avoir la bonté de m’envoyer la dernière liste des cahiers des Arts et Métiers ? Comme je cède les miens à la bibliothèque de l’Académie, pour le même prix auquel ils se vendent à Paris, je suis obligé d’avoir une pièce ostensible où ces prix soient marqués. Il me semble qu’il a vaqué cette année deux places d’associé étranger à l’Académie l’une a été donnée, si je ne me trompe, à Pringle[3], mais à qui a-t-on donné l’autre ? M. Margraff, qui paraissait moribond il y a trois ans, pourrait bien enterrer encore plusieurs de ses confrères. Il est perclus d’une main et d’un pied ; mais, à cela près, il se porte assez bien, et il nous a fait lire depuis peu un Mémoire.

Comme je sais que vous voyez souvent M. de la Place, oserais-je vous prier de lui faire mes compliments et lui demander s’il a reçu ma Lettre du 13 juin ? J’attends avec empressement la suite de ses recherches sur le flux et reflux, ainsi que les autres qu’il m’a annoncées. Je n’ai rien de particulier à vous mander de ce pays. Comme ce que j’en sais moi-même je ne l’apprends que par les gazettes, vous devez en être aussi instruit que moi. Il y a apparence que toute l’Europe sera en feu l’année prochaine. Heureux ceux qui peuvent n’être que spectateurs de cette tragi-comédie, dont le dénoûment le plus sûr sera d’avoir sacrifié quelques centaines de mille hommes à l’ambition de quelques particuliers.

Adieu, mon cher et illustre ami ; je vous embrasse pour cette année et pour celle qui vient, en vous renouvelant les assurances de tous les sentiments de respect, d’estime et d’amitié que je vous ai voués pour la vie.

À Monsieur d’Alembert, secrétaire de l’Académie française,
des Académies des Sciences de Paris, Londres, Berlin, Pétersbourg, etc.,
au vieux Louvre, à Paris
.

  1. Newton mourut dans sa quatre-vingt-cinquième année, et Voltaire (30 mai 1778) dans sa quatre-vingt-quatrième.
  2. Il y a trois Mémoires : 1o Sur l’altération de s moyens mouvements des planètes (p. 199) ; 2o Solution de quelques problèmes d’Astronomie sphérique par le moyen des séries (p. 214) ; 3o Sur l’usage des fractions continues dans le Calcul intégral (p. 236). Voir ces Mémoires dans le Tome IV des Œuvres, p. 255, 275 et 301.
  3. John Pringle, médecin, né le 10 avril 1707, à Stichell-Rouse (comté de Roxburgh), mort à Londres le 18 janvier 1782.