Correspondance de Lagrange avec d’Alembert/Lettre 158

La bibliothèque libre.
Texte établi par Ludovic LalanneGauthier-Villars (Œuvres de Lagrange. Tome XIIIp. 350-351).

158.

LAGRANGE À D’ALEMBERT.

À Berlin, ce 25 juin 1779.

Vous recevrez d’ici, mon cher et illustre ami, une pièce sur les comètes, qui doit partir par ce même ordinaire. On a cru devoir profiter pour cet envoi des bontés de M. le marquis de Pons[1], qui a bien voulu se charger de faire parvenir le paquet au marquis de Condorcet par la voie du Bureau des Affaires étrangères. Quelque besoin que cet Ouvrage ait de votre indulgence, l’auteur n’ose l’y recommander, parce qu’il compte vous avoir pour un de ses juges dans le concours. Au reste, il avoue qu’il n’a su ni pu mieux faire, et il est persuadé que, si vous en êtes mécontent, vous ne pourrez jamais l’être autant que lui. J’ai reçu et lu l’Éloge de Milord Maréchal, que M. Bitaubé m’a remis de votre part ; je vous en remercie de tout mon cœur. Indépendamment de l’intérêt que je trouve dans tout ce qui vient de vous, la lecture de cet Éloge m’a beaucoup attaché par les anecdotes curieuses qu’il renferme touchant ce pays, et dont plusieurs m’étaient inconnues. Les amis du feu marquis d’Argens ne doivent pas être trop contents de ce que vous en avez dit[2] ; pour moi, je ne l’ai vu qu’une seule fois, et je crois que le titre de votre ami n’était pas une recommandation auprès de lui.

J’attends avec impatience le second Volume d’Éloges que vous m’annoncez, ainsi que le nouveau Volume d’Opuscules mathématiques. Vous devez avoir reçu notre Volume de 1776 ; celui de 1777 est sous presse et paraîtra dans deux ou trois mois je ne manquerai pas de vous l’envoyer par la première occasion qui se présentera, et j’y joindrai ce qui vous manque des Volumes de Göttingue. La partie mathématique de nos deux derniers Volumes est assez faible, et je ne sais qu’y faire ; il faut espérer que cela ira mieux à l’avenir.

Si vous voyez le marquis Caraccioli, oserais-je vous prier de lui renouveler les assurances de tous les sentiments que je lui ai voués pour la vie ? Il m’invite toujours à venir passer quelque temps chez lui ; je crois, en effet, que ce voyage me ferait beaucoup de bien, car, quoique ma santé soit assez bonne, je m’aperçois néanmoins que mon esprit commence à s’engourdir un peu et qu’il aurait besoin d’être réveillé par quelque distraction ; mais jusqu’ici je ne puis encore rien résoudre, et je vous promets que je ne ferai rien que par votre conseil. Je vous embrasse de tout mon cœur et me recommande toujours à votre amitié.

À Monsieur d’Alembert, secrétaire de L’Académie française,
des Académies des Sciences de Paris, Londres, Berlin, etc., etc.,
au vieux Louvre, à Paris
.

  1. Charles-Armand-Augustin, marquis de Pons.
  2. Lagrange fait sans doute allusion au passage suivant « Il se brouilla avec un homme de lettres qui, vivant comme lui dans la société intime de ce prince (Frédéric II), était le frondeur éternel de toutes ses actions et de toutes ses paroles. « Je ne veux pas, » lui dit Milord Maréchal, « être l’ami d’un homme qui mange tous les jours à la table du Roi et y ramasse du fiel pour le répandre. » (Éloge de Milord Maréchal, Œuvres, t. III p. 703).