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La Cité de Dieu (Augustin)/Livre IX/Chapitre IX

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La Cité de Dieu
Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 184-185).
CHAPITRE IX.
SI L’INTERCESSION DES DÉMONS PEUT CONCILIER AUX HOMMES LA BIENVEILLANCE DES DIEUX.

Voilà d’étranges médiateurs entre les dieux et les hommes, et de singuliers dispensateurs des faveurs célestes ! La partie la meilleure de l’animal, l’âme, c’est ce qu’il y a de vicieux en eux, comme dans l’homme ; et ce qu’ils ont de meilleur, ce qui est immortel en eux comme chez les dieux, c’est la pire partie de l’animal, le corps. L’animal, en effet, se compose de corps et d’âme, et l’âme est meilleure que le corps ; même faible et vicieuse, elle vaut mieux que le corps le plus vigoureux et le plus sain, parce que l’excellence de sa nature se maintient jusque dans ses vices, de même que l’or, souillé de fange, reste plus précieux que l’argent ou le plomb le plus pur. Or, il arrive que ces médiateurs, chargés d’unir la terre avec le ciel, n’ont de commun avec les dieux qu’un corps éternel, et sont par l’âme aussi vicieux que les hommes ; comme si cette religion, qui rattache les hommes aux dieux par l’entremise des démons, consistait, non dans l’esprit, mais dans le corps. Quel est donc le principe de malignité ou plutôt de justice qui tient ces faux et perfides médiateurs comme suspendus la tête en bas, la partie inférieure de leur être, le corps, engagé avec les natures supérieures, la partie supérieure, l’âme, avec les inférieures, unis aux dieux du ciel par la partie qui obéit, malheureux comme les habitants de la terre par la partie qui commande ? car le corps est un esclave, et, comme dit Salluste : « A l’âme appartient le commandement et au corps l’obéissance[1] ». A quoi il ajoute : « Celle-là nous est commune avec les dieux, et celui-ci avec les brutes ». C’est de l’homme, en effet, que parle ici Salluste, et les hommes ont, comme les brutes, un corps mortel. Or, les démons, dont nos philosophes veulent faire les intercesseurs de l’homme auprès des dieux, pourraient dire de leur âme et de leur corps : « Celle-là nous est commune avec les dieux, et celui-ci avec les hommes ». Qu’importe ? Ils n’en sont pas moins, comme je l’ai dit, suspendus et enchaînés la tête en bas, participant des dieux par le corps et des malheureux humains par l’âme, exaltés dans la partie esclave et inférieure, abaissés dans la partie maîtresse et supérieure. Et, de la sorte, s’il est vrai qu’ils aient l’éternité en partage, ainsi que les dieux, parce que leur âme n’est point sujette, comme celle des animaux terrestres, à se séparer du corps, il ne faut point pour cela regarder leur corps comme le char d’un éternel triomphe, mais plutôt comme la chaîne d’un supplice éternel.

  1. Catil., cap. 1.