La Saison à Baia/5

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L. Borel (p. 105-134).

V

REVUE AVANT LA BATAILLE

V

REVUE AVANT LA BATAILLE

Déjà le souper était prêt ; on l’avait servi sur la terrasse, et nous attendions l’hôte et sa maîtresse. Statilia se précipita haletante, toute parée et parfumée, craignant d’être en retard. Puis Cadicia parut, sans Scévinus, un peu fière, enflant les narines au plaisir de se sentir belle ; elle semblait avoir dévalisé tous les joailliers de Baia tant elle était couverte d’or, d’émeraudes et de perles. Mais la vieille Juive, sans se laisser émouvoir par cet étalage, l’apostropha d’une voix de cardeuse de laine :

« Tu n’as pas honte de te pavaner ainsi un jour comme ce jourd’hui ?

— Qu’est-ce qu’il a ce jourd’hui, répliqua la jeune femme qui semblait ne pas reconnaître sa Pétronia ; il ne fait pas assez beau pour toi, peut-être ? Vieille chouette ! Tu n’as donc pas vu le soleil ?

— Malheureusement si, je l’ai vu, et j’ai vu aussi ce qu’il a éclairé. C’était du propre ! J’en ai rougi.

— Je ne croyais pas que tu avais des couleurs, comme ça, à ta disposition.

— Impudique, va, je fermerai ton bec.

— Impudique toi-même ! Vieux bassin ébréché !

— Oses-tu bien !… s’écria Pétronia suffoquée.

— Oui, oui, oui ! J’ose ! Et si tu n’en as pas assez, je continue, paillasse pourrie pour les esclaves, torchon crotté de lupanar !

— Vous l’entendez tous, reprit Pétronia en se tournant vers les convives. Une femme de mon âge doit-elle tolérer qu’une morveuse de cette taille me parle avec une telle incontinence ?

— Non, c’est dégoûtant, dit Statilia devenue accusatrice de son amie du matin, ma mère ne m’aurait jamais laissé tenir un pareil langage, et elle eût bien fait.

— Attends, tu vas voir ! » s’écria Pétronia.

Elle s’élança sur Cadicia et la secoua comme un arbre à fruits. Toute la joaillerie de la révoltée en résonna. Puis voyant que Cadicia, encore insoumise, se débattait entre ses bras, prête à mordre, prête à ruer, elle la claqua convenablement sur la joue gauche et sur la joue droite. Du coup, l’arrogance de la mignonne creva, pareille à une outre trop gonflée. Sous l’outrage, elle s’aplatit contre la table, la tête dans les mains et tendant les coudes, devenue une toute petite enfant. Ses bras formaient maintenant les anses de son joli corps, par lesquelles ses voisines, au milieu de grands rires. la secouaient inutilement pour l’apaiser ; mais elles ne faisaient que l’irriter davantage et provoquer de longs gémissements, qui éclataient dans son nez et allaient finir dans les arrière-profondeurs de son aimable personne.

Vatinius se pencha vers Statilia et lui dit :

« Cette vieille sotte vient, sans le savoir, d’incliner la Fortune vers toi. Tiens, regarde la belle. »

Cadicia, à la façon d’une tortue qui sort de sa carapace, allongeait une tête rouge, rechignée, toute luisante. Une grimace lui mettait un pli à la bouche, creusait autour des joues une gerbe de rides. Le fard, mêlé aux larmes et déplacé par les doigts, coulait en rigoles noires et roses, et barbouillait la bouche d’un jus de mûres écrasées. Elle promena un regard effaré sur l’assistance et, vite, recacha sa figure.

« Est-elle jolie ! s’écria Vatinius d’un ton gouailleur.

— Elle n’a jamais été si ridicule, répliqua Statilia. Avec tous ses bijoux, ce n’est qu’une déesse dépeinte.

— Dans quel temple la mettrons-nous ?

— Ah ! je ne sais pas quelle boutique de brocanteur en voudrait. Elle épouvanterait les clients.

— Et elle vous a perdu ces grands airs de princesse qui imposaient à tous. C’est la fin de son règne.

— Tu crois ? demanda Statilia à demi-voix.

— J’en suis sûr, répliqua Vatinius sur le même ton. Elle est laide ; elle va devenir tout à l’heure boudeuse et insupportable. Et puis elle n’osera plus conserver ces manières impérieuses dont Scévinus avait peur. Après la scène qui vient d’avoir lieu, les femmes se moqueraient d’elle. Je te le promets, notre homme va se reconquérir. Je ne serais pas étonné que, dès ce soir, il fît jeter à la porte, par ses esclaves, ma Cadicia en compagnie de sa bonne nourrice de Judée.

— Oh ! tu vas vite en besogne.

— Je connais Scévinus. Toi, ma fille, c’est le moment de montrer toute ton adresse et de jouer serré. Pas de faux mouvement. D’un seul geste vont dépendre peut-être ta puissance sur cet homme, et, ne l’oublie pas, ta richesse.

— Ah ! le pauvre enfant…

— Comme tu témoignes déjà de tendresse à ton futur amoureux !

— Oh ! ce n’est pas à lui que je pense, mais à mon petit gosse.

— Pense donc à lui, si cela te plaît, mais pas trop. À propos, tu as eu déjà des vieillards ?

— Hélas ! oui.

— Tu sais alors comment t’y prendre. Scévinus, je ne te le cache pas, est un vieillard très difficile à conduire. Ne lâche pas le marmot : il tomberait. Et maintenant, mets-toi à la place de Cadicia tout doucement. Il faut que tu sois près de ta proie. Oh ! tu l’auras. Tu es belle ce soir.

— Vraiment ?

— Admirable. Et tu seras plus belle encore quand on allumera les lampes. La lumière du jour convient moins à ta pâleur. Tu ferais même bien de voler un peu de fard à Cadicia. Scévinus aime voir des teints animés autour de lui. Cela lui donne l’idée d’une vie qu’il n’a plus lui-même. »

À ce moment Quirinalis, qui venait d’arriver, frappa sur l’épaule de Vatinius.

« Tu me trahis ? Cette femme…

— Tiens-toi tranquille, répliqua Vatinius en menant à l’écart le jeune homme. Je suis le général. Je dispose mes troupes. Peu importe le soldat qui me donnera la victoire, mais je ne serai pas ingrat au victorieux.

— Tu montres de la générosité. En vérité, je suis plein de reconnaissance. Et si moi, à mon tour, j’étais ingrat, que dirais tu ?

— Je te ferais chasser, très cher.

— Tu parles en vérité comme si tu étais quelque chose ici. Pourtant, si ton crédit ne baissait pas, serais-tu venu nous chercher ? Tu as besoin des œillades de Statilia ou de mes jeux de hanches. Seul, tu es incapable de te maintenir. Qu’as-tu pour toi ?

— Et mon esprit, n’est-ce donc rien ? Seriez-vous capables, si je n’étais là, de vous rendre utiles en quoi que ce soit ? Allez ! vous êtes des corps sans âme, des enfants, et de tout petits encore. Vous êtes bien heureux d’être dirigés par un homme tel que moi. Par exemple, toi, Quirinalis, tu crois qu’il n’y a qu’à se présenter devant notre hôte pour le conquérir ? Tu es assez fat, assez simple pour t’imaginer qu’un vieillard comme Scévinus, tout de suite, au premier coup d’œil, va te trouver beau, désirable ! Mais si le métier n’était pas plus difficile, tout le monde voudrait l’exercer.

— Enfin que faut-il faire ?

— Tu me demandes conseil ? C’est bien heureux. Écoute-moi donc. D’abord tu dois dire à Scévinus que le nom de Quirinalis n’est pas le tien, que tu appartiens à une illustre famille, que la passion, et aussi le malheur t’ont entraîné dans l’infamie.

— Ne m’humilie pas tant.

— Comme tu voudras. Je ne cherche pour le moment qu’à te rendre service. Tu dois te montrer ivre de bonheur que Scévinus t’ait retiré du cloaque où tu barbotais.

— Mais je n’ai jamais été dans un cloaque, et Scévinus ne m’a pas encore, que je sache, rendu le moindre service.

— Attends, n’aie pas d’impatience, et tu verras !… À propos, n’oublie pas certaine caresse… Mais je te dirai tout au moment convenable. C’est très important. Je connais les goûts de notre hôte. Il faut être audacieux.

— Je le serai.

— Et maintenant courage ! Songe que Scévinus est vieux, et que si nous arrivons à le faire tester en notre faveur…

— Mais Statilia ?

— Statilia n’est pas à craindre. Elle n’est ici que pour rehausser ta beauté ! Voici ce qui va se passer : Scévinus regarde Cadicia : elle lui répugne ; il tourne les yeux vers Statilia, qui le dégoûte davantage. Enfin tu te montres. Il reconnaît en toi son secret désir et il te donne la couronne… Mais que nous veut ce bonhomme ? »

Paulus, que l’entrevue de la veille n’avait point rebuté, venait de s’avancer sur la terrasse. Peut-être les esclaves, par cette tiède soirée, avaient-ils délaissé la garde des portes ; peut-être aussi Paulus était-il demeuré caché dans la chambre de la vieille Juive. Il n’avait point, cette fois, de centurion pour l’escorter.

« Salut ! fit-il, mes frères en Christus.

— Oh ! Oh ! s’écria notre parasite. Quelle élégance ! Tu as fait des frais, très cher. Veux-tu être aimé ce soir ? »

Paulus avait taillé sa barbe à l’Alcibiade, et il était enveloppé d’un manteau un peu passé de couleur, mais sans pièces ni souillure. À la main, il tenait une rose dont il semblait assez embarrassé ; sans doute Pétronia lui avait conseillé d’offrir la fleur à son enfant pour obtenir d’un coup les faveurs du maître et de la maîtresse.

« Où est Scévinus ? demanda-t-il, promenant partout les yeux autour de lui.

— On l’attend », lui répondis-je.

Alors il erra comme une ombre infortunée sur la terrasse, cherchant des compagnons. Il tira par la robe la vieille Juive qui, trop occupée de sa récente querelle, ne prit pas garde à la présence du thaumaturge ; puis il s’arrêta devant Cadicia, mais la jeune femme cachait toujours son visage, et n’offrait aux yeux que son dos et sa croupe, spectacle dont Paulus n’avait que faire.

De guerre lasse, il se rabattit sur Statilia, et lui parla dans son mauvais grec de mariniers, que j’étais à peu près le seul à comprendre. Il dit entre autres choses :

« Ma fille, je t’ai sauvé ton enfant. »

Statilia n’entendant pas, je dus encore servir d’interprète.

« Quel toupet ! fit-elle ; mon petit gosse a toujours été en bonne santé ! »

Paulus reprit :

« Je l’ai marqué pour la Résurrection. »

La jeune femme ouvrait de grands yeux. Comme elle ne réussissait pas à rien comprendre, elle haussa les épaules. Mais, se ravisant, elle vint près de moi et me dit :

« Ce vieux barbu-là doit savoir beaucoup de choses. Moi, vois-tu, je ne suis pas ici pour mon plaisir. J’ai mon gosse. Il faut que je l’élève, que je lui fasse donner de l’instruction, qu’il devienne un homme riche, élégant, tout ! Pour ça, il faut de l’argent, beaucoup d’argent, et je n’en ai pas. Alors j’en cherche. Je veux qu’on m’aime. On m’a dit que j’étais jolie, mais ça ne suffit pas. Il y a des charmes pour être aimée. J’ai essayé de plusieurs qui ne m’ont pas réussi. Seulement je n’avais pas confiance dans ceux qui me les donnaient. Ce barbu, au contraire, je ne sais pas pourquoi, je le gobe, ce garçon-là. Demande-lui donc s’il ne connaît pas les moyens véritables de s’attacher un homme. Moi, je ne te le cache pas, je voudrais que Scévinus m’aimât, mais d’un véritable amour, qu’il m’adorât, là ! qu’il fût tout le temps à mes pieds. Ah ! si le barbu me procurait l’amour de Scévinus, vois-tu, je ne sais ce que je ne lui ferais pas ! Il n’est pas joli, il n’est pas jeune, eh bien ! je serais à lui s’il le voulait. Pas la nuit — les nuits sont à mes amis — mais le jour, oui, le jour je n’aurais rien à lui refuser. »

Une telle requête, venant d’une bouche si gracieuse, ne pouvait être dédaignée. Je la transmis au vieux sorcier. Immédiatement, en homme qui peut tout promettre, il me fit répondre à Statilia :

« Oui, ma fille, tu aimeras Scévinus et Scévinus t’aimera. Vous serez heureux en Christus. Car la Grâce de Christus est en toi. Mais Paulus attend que tu implores ton puissant époux en sa faveur et en faveur des disciples de Christus malheureux ! Sois charitable, ma fille. »

Puis il pensa que c’était à cette jeune femme plutôt qu’à Cadicia indifférente qu’il devait donner sa rose, et il la lui offrit. Statilia fut plus heureuse de ce fragile présent que si elle avait reçu un collier d’émeraudes. Elle sourit tendrement au donateur, mit la fleur sur son sein et, de la tige épineuse, se déchira la peau. Des gouttelettes de sang parurent.

« Dis-lui, fit-elle, qu’il me baise là. Le sang attache, on me l’a assuré ! »

Le bonhomme s’étonna bien un peu d’abord de ce caprice, mais le sein était joli ; il songea aussi sans doute que c’était celui de sa protectrice. Sa barbe grise effleura donc un instant les belles chairs, et à son tour elle voulut lui donner ses lèvres.

Cependant la nuit vint, une nuit comme tu n’en connais pas à Rome, très cher ! Les monts s’enveloppent de vapeurs sombres et de vapeurs transparentes, d’azur et de voiles noirs. Comme un semis de pierres brillantes rayonnent du côté de Pouzzoles, des larmes claires tombent de la lune dans les vagues. La lumière est partout : ici resplendissante, là incertaine ; et partout, êtres et choses perdent leurs formes comme pour ne plus nous choquer de leurs contrastes, et se mêler dans une harmonie voluptueuse. Ces nuits-là, très cher, je deviens un sage et, si j’aime, c’est comme Platon. Mais cette fois, l’ombre, au lieu d’abriter de suaves rêveries, et de nous inspirer de beaux systèmes du monde, a couvert quelque farce tragique : écoute plutôt.

Les esclaves venaient d’allumer les lanternes, les fanaux, les torches résineuses ; et l’illumination de notre terrasse répondait à merveille aux fêtes qui avaient lieu sur l’eau. Tout le golfe sillonné de barques n’était qu’un chant et un flamboiement d’étoiles. On dit que César assistait en secret à ces réjouissances, où navires, petits et grands, rivalisaient de splendeur. Pour nous, qui attendions notre souper, nous nous désolions de ne point voir paraître notre hôte, et nous dépêchâmes vers lui le philosophe, inquiets d’un retard aussi prolongé.

Cadicia avait enfin essuyé ses larmes ; et elle écoutait avec quelque attention les remontrances de la Juive, dont n’avait pu l’éloigner qu’un mouvement de colère.

« Vois-tu, mon enfant, disait Pétronia d’un ton radouci, il faut savoir se contenir. Est-ce qu’à table, par exemple, tu dévores tous les fruits qui te semblent bons ? Non ; d’abord parce que cela ferait mal à ton petit ventre ; ensuite parce que tes voisins seraient mécontents et ne manqueraient pas de t’exprimer d’une façon malhonnête leur désagrément. En amour, tu dois te conduire de même. J’ai beau n’avoir plus seize ans, je sais ce que c’est que de se sentir pincée au cœur. Oui ! Ça vous travaille la peau, ça vous cuit comme si toute une ruche d’abeilles s’étaient mises après vous. Tant pis. On résiste. Là est le courage. Enfin, tu as un homme, il faut t’en satisfaire, sans aller chercher des femmes, ce qui est honteux.

— Mais tu sais bien, maman, que Scévinus n’est pas un homme, c’est une bouillie.

— Eh bien, on la mange. Va, si j’étais à ta place, je saurais bien m’en arranger ; mais toi, ce n’est pas pour t’offenser, ma fille : tu n’as jamais eu de cœur à l’ouvrage. De la fantaisie par ci, de la fantaisie par là ! Ah ! oui, là-dessus, tu t’y entends. Mais le devoir, c’est une autre affaire. Sais-tu que tu offenses Christus et que tu commets un péché ?

— Qu’est-ce que c’est que ça, un péché ?

— C’est quelque chose de bien vilain, de bien dégoûtant, ma fille…

Je ne sais pas comment t’expliquer çà, moi. Paulus te le dirait… Un péché, c’est du mal qu’on fait.

— À soi ou aux autres ?

— Aux autres.

— Alors çà m’est égal de commettre des péchés, si ça ne me fait pas de mal à moi.

— Ça te fera aussi du mal à toi, à la longue, tu verras ! D’abord tu ne ressusciteras pas après ta mort, mon pauvre bijou !

— La mort, la mort, c’est loin. Moi, je me porte bien.

— Chère petite fleur de mon cœur, est-ce que quelqu’un peut dire : Je me porte bien ? Tu es bien aujourd’hui, demain tu seras malade. Et puis si on te tuait, hein, qu’est-ce que tu dirais ?

— Me tuer, on ne tue pas les gens comme ça, voyons, maman.

— On ne les tue pas ? Ah ! ma pauvre chevrette aimée, si tu avais vu disparaître autant de petites femmes que moi, tu ne dirais pas ça : on ne les tue pas ? Tiens, tu connais la Groseille rose ?

— Oui.

— Eh bien, sa sœur, sans aller plus loin, a été assassinée par son amant. Elle le trompait à jambes que veux-tu, et sur le ventre et sur le dos ; elle lui en passait sous le nez de toutes les couleurs ; des vieux bouffis d’argent qu’on était obligé de porter — si encore elle n’avait reçu que des gens comme il faut ! — mais il venait chez elle de jeunes greluchons qui n’avaient pour vivre que leur derrière ou celui de leurs amies ; j’ai vu jusqu’à des Africains qui sentaient l’huile, c’en était une honte ! Et, avec tout ça, quand l’amant grondait, elle se mettait à rire. Sais-tu ce qu’il a fait à la fin, ce vilain homme-là ? Il est allé en barque avec elle, une nuit comme celle-ci, et il lui a planté son couteau dans le sein, et puis il l’a jetée à la mer. Ce n’est que bien des jours, bien des jours après, qu’un marin, sur la plage, a retrouvé son cadavre. Mais qu’as-tu, mon âme ?

— Maman ! Maman !

— Quoi ? Quoi ?

— Je vois un homme qui se glisse de mon côté !

— Où ?

— Là !

— Tu es folle !

— Si ! Si ! il va venir m’assassiner. Il a un couteau à la main. Ah ! »

Cadicia poussa un cri de détresse, tandis que la vieille Pétronia l’entourait de ses bras et essayait de la rassurer.

« Oh ! comme tu m’as fait peur. J’ai cru que tu allais t’évanouir.

— Non, seulement j’avais vu un homme.

— Mon cœur, il n’y a rien. C’était l’esclave qui apportait le vin. D’ailleurs, si un homme te tuait, moi, ta bonne nourrice, je trouverais le moyen de te ressusciter.

— Vous me ressusciteriez, bien vrai ?

— Bien vrai ! Je connais une femme qui sait faire revenir les morts. J’irais la chercher.

— Pourquoi donc me faites-vous des peurs comme cela ?

— Parce que je veux que tu veilles à ta fortune. N’as-tu pas vu Statilia ? Elle est ici pour devenir la maîtresse de Scévinus à ta place.

— Oh !

— C’est la vérité ! Autant de femmes, autant de rivales, autant d’ennemies.

— La sale bête, elle va voir !

— Aie l’œil sur elle. Qu’arriverait-il si Scévinus te mettait à la porte, au lieu de te donner cent mille sesterces tous les mois ?

— Dame ! Cela m’ennuierait.

— Alors il ne faut pas le tromper, ni avec un homme, ni avec une femme.

— Je ne le tromperai plus.

— Tu me le promets ?

— Je te le promets.

— Alors, donne-moi ta bouche, mon cœur, que je la baise. »

À ce moment des clameurs, des sanglots, des rugissements d’esclaves et des lamentations de femmes éclatèrent sur la terrasse, du côté des bains. Statilia, Vatinius, Quirinalis se précipitèrent. Cadicia voulut suivre les autres convives, mais la vieille femme l’enlaça d’une étreinte de fer.

« N’y va pas, mon trésor !

— Laisse-moi ! fit Cadicia, féroce de curiosité, en repoussant la Juive. Je veux voir. »