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La palingénésie philosophique/PARTIE I. Idées sur l’état futur des animaux. Hypothèse de l’auteur ; fondement de cette hypothèse

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La palingénésie philosophique : ou Idées sur l'état passé et sur l'état futur des êtres vivans : ouvrage destiné à servir de supplément aux derniers écrits de l'auteur et qui contient principalement le précis de ses recherches sur le christianisme
Geneve : C. Philibert (1p. 169-186).

PREMIERE PARTIE

Idées

sur

l’état futur

des

animaux.

Hypothèse de l’auteur ;

fondemens de cette hypothèse.


Je suppose qu’on se rappelle ce que j’ai exposé sur l’état futur de l’homme dans le Chapitre XXIV de mon essai analytique, §. 726, 754, & dans le chapitre XIII, de la partie IV de ma contemplation. Peut-être sera-t-il mieux encore que mon lecteur prenne la peine de relire les endroits que je viens de citer.

Plus on étudie l’organisation des grands animaux, & plus on est frappé des traits nombreux de ressemblance qu’on découvre entre cette organisation & celle de l’homme. Il n’y a pour s’en convaincre qu’à ouvrir un traité d’anatomie comparée.

Où seroit donc la raison pourquoi la ressemblance se termineroit précisément à ce que nous en connoissons ? Avant qu’on se fût éxercé en anatomie comparée, combien étoit-on ignorant sur les rapports de l’organisation des animaux avec celle de l’homme ! Combien ces rapports se sont-ils multipliés, développés, diversifiés lorsque le scalpel, le microscope & les injections sont venus perfectionner toutes les branches de l’anatomie ! Combien peuvent-elles être perfectionnées encore ! Que sont nos connoissances anatomiques auprès de celles que de nouvelles inventions procureront à nos descendans !

Qu’il me soit donc permis d’insérer de tout ceci, que les animaux peuvent avoir avec l’homme d’autres traits de ressemblance dont nous ne nous doutons pas le moins du monde. Parmi ces traits qui nous demeurent voilés, ne s’en rencontreroit-il point un qui seroit rélatif à un état futur ?

Quelle difficulté y auroit-il à concevoir, que le véritable siége de l’ame des bêtes est à peu près de même nature que celui que la suite de mes méditations m’a porté à attribuer à notre ame ? Je reviens à prier mon lecteur de consulter là-dessus les passages de mes deux ouvrages, que j’ai déjà cités.

Si l’on veut bien admettre cette supposition unique, l’on aura le fondement physique d’un état futur réservé aux animaux. Le petit corps organique & indestructible, vrai siège de l’ame, & logé dès le commencement dans le corps grossier & destructible, conservera l’animal & la personnalité de l’animal.

Ce petit corps organique peut contenir une multitude d’organes, qui ne sont point destinés à se développer dans l’état présent de notre globe, & qui pourront se développer lors qu’il aura subi cette nouvelle révolution à laquelle il paroît appellé. L’auteur de la nature travaille aussi en petit qu’il veut, ou plutôt le grand & le petit ne sont rien par rapport à lui. Connoissons-nous les derniers termes de la division de la matière ? Les matières que nous jugeons les plus subtiles le sont-elles en effet ? L’animalcule vingt-sept millions de fois plus petit qu’un ciron, seroit-il le dernier terme de la division organique ? Combien est-il plus raisonnable de penser qu’il n’est que le dernier terme de la portée actuelle de nos microscopes ! Combien cet instrument pourra-t-il être perfectionné dans la suite ! L’antiquité auroit-elle deviné cet animalcule ? Combien est-il d’animalcules que nous n’avons garde nous-mêmes de déviner, & à l’égard desquels celui-ci est un éléphant ! Cet animalcule, qui nous paroît d’une si effroyable petitesse, a pourtant une multitude d’organes : il a un cerveau, un cœur ou quelque chose qui en tient lieu : il a des nerfs, & des esprits coulent dans ces nerfs : il a des vaisseaux, & des liqueurs circulent dans ces vaisseaux : quelle-est la proportion du cerveau, du cœur au reste du corps ? Quelle-est la proportion de ce cerveau si effroyablement petit à une de ses parties constituantes ? Combien de fois un globule des esprits est-il contenu dans une de ces parties ? Cet animalcule jouït de la vuë : quelles sont les dimensions de l’image que les objets peignent au fond de son œil ? Quelle est la proportion d’un trait de cette image à l’image entière ? La lumière la trace, cette image : quelle est donc la petitesse plus effroyable encore d’un globule de lumière, dont plusieurs millions entrent à la fois, & sans se confondre, dans l’œil de l’animalcule !

Il est assès reconnu par les plus habiles physiciens, que notre globe a été autrefois très différent de ce qu’il est aujourd’hui. Toute la géographie physique dépose en faveur de cette vérité : j’abandonnerois mon sujet, si j’entrois là-dessus dans quelque détail. Infirmeroit-on le texte sacré de la genèse, si l’on avançoit que la création décrite par Moyse, est moins une véritable création, que le recit assès peu circonstancié des degrés successifs d’une grande révolution que notre globe subissoit alors, & qui étoit suivie de la production de cette multitude d’êtres divers qui le peuplent aujourd’hui ? Cette idée ingénieuse d’un sçavant anglois[1] ne suppose point du tout l’éternité du monde : la saine philosophie établit comme la révélation l’éxistence d’une première cause intelligente, qui a tout préordonné avec la plus profonde sagesse. L’idée que j’indique ici tend simplement à reculer à un terme indéfini la naîssance de notre globe. Moyse a pu ne décrire dans l’ouvrage des six jours, que les phénomènes ou les apparences, telles qu’elles se seroient offertes aux yeux d’un spectateur placé alors sur la terre.[2] Peut-être même que cette sorte de gradation dans le travail des six jours, ne contribuoit pas peu à accroître le plaisir des intelligences qui contemploient cette révolution de notre planète : elle mettoit au moins un certain ordre dans les phénomènes, & l’ordre plait toujours à l’intelligence.

Notre globe pouvoit avoir subi bien d’autres révolutions qui ne nous ont pas été révélées. Il tient à tout le systême astronomique, & les liaisons qui unissent ce globe aux autres corps célestes, & en particulier au soleil & aux comètes, peuvent avoir été la source de beaucoup de révolutions, dont il ne reste aucune trace sensible pour nous, & dont les habitans des mondes voisins ont eu peut-être quelque connoissance. Ces mêmes liaisons prépareront, sans doute, de nouvelles révolutions, cachées encore dans l’abîme de l’avenir.

Le grand apôtre des hébreux[3] nous annonce une révolution future, dont le feu sera le principal agent, & qui donnera à notre monde une nouvelle face. Il sera, en quelque sorte, créé de nouveau, & cette nouvelle création y introduira un nouvel ordre de choses, tout différent de celui que nous contemplons à présent.

Rien ne démontre mieux l’éxistence de l’intelligence suprême, que ces rapports si nombreux, si variés, si indissolubles qui lient si étroitement toutes les parties de notre monde, & qui en font, pour ainsi dire, une seule & grande machine : mais, cette machine n’est elle-même aux yeux d’une philosophie sublime, qu’une petite rouë dans l’immense machine de l’univers. J’ai tenté d’esquisser ces rapports dans cette contemplation de la nature que je publiai en 1764 ; combien cette ébauche si foible, si mesquine rend-elle imparfaitement la beauté & la grandeur de l’original !

En vertu de ces rapports qui enchaînent toutes les productions de notre globe les unes aux autres & au globe lui-même, il y a lieu de penser, que le systême organique, auquel tous les autres systêmes particuliers se rapportent comme à leur fin, a été originairement calculé sur ces rapports.

Ainsi, ce petit corps organique, que je suppose être le véritable siège de l’ame des bêtes, peut avoir été préordonné dès le commencement dans un rapport déterminé à la nouvelle révolution que notre globe doit subir.

Un philosophe n’a pas de peine à comprendre, que Dieu a pu créer des machines organiques que le feu ne sçauroit détruire, & si ce philosophe suppose que ces machines sont construites avec les élémens d’une matière éthérée ou de quelqu’autre matière analogue, il aura plus de facilité encore à concevoir la conservation de semblables machines.

Il est donc possible que l’animal se conserve dans ce petit corps indestructible auquel l’ame demeure unie après la mort. Les différentes liaisons qu’il soutenoit avec le corps grossier, & en vertu desquelles il recevoit les impressions du dehors, produisoient dans les fibres qui sont le siège de la mémoire, des déterminations durables, & ces déterminations constituent le fondement physique de la personnalité de l’animal. C’est par elles, que l’état futur conservera plus ou moins de liaisons avec l’état passé, & que l’animal pourra sentir l’accroîssement de son bonheur ou de sa perfection.

Je ne répéterai point ici ce que j’ai exposé très en détail sur la personnalité de l’homme & des animaux dans mon essai analytique chap IX, XXIV, XXV. Je ne reviendrai pas non plus à tout ce que j’ai exposé sur l’admirable méchanique de la mémoire dans le chap XXII : je compte toujours de parler à des lecteurs de cet ouvrage, & à des lecteurs intelligens qui s’en sont appropriés les principes & les conséquences.

Je les leur ai retracé en raccourci dans l’analyse abrégée que j’ai placée à la tête de ces opuscules, & dans mon petit écrit sur le rappel des idées par les mots.

On n’a pas vu sans étonnement dans le chapitre IX du tome I de mes considérations sur les corps organisés, & dans les chap VIII, IX, X, de la partie VII de ma contemplation de la nature, les étranges révolutions que le poulet subit depuis le moment où il commence à devenir visible, jusqu’au moment où il se montre sous sa véritable forme. Je ne retracerai pas ici ces révolutions : il me suffira de rappeller à mon lecteur, que lorsque le poulet commence à devenir visible, il apparoît sous une forme qui se rapproche beaucoup de celle d’un très petit ver. Sa tête est grosse, & à cette tête tient une manière d’appendice extrêmement effilé. C’est pourtant dans cet appendice, si semblable à la queuë d’un petit ver, que sont contenus le tronc & les extrêmités de l’animal. Tout cela est étendu en ligne droite & sans mouvement. Le cœur ne paroît d’abord qu’un point brun, où l’on apperçoit de petits mouvemens très promts, alternatifs & continuels. Le cœur se montre ensuite sous la forme singulière d’un demi-anneau, situé à l’extérieur du corps. Il revêt… mais, j’allois faire sans m’en appercevoir l’histoire du poulet.

Si l’imperfection de notre vuë & de nos instrumens nous permettoient de remonter plus haut dans l’origine du poulet, nous le trouverions, sans doute, bien plus déguisé encore. Les différentes phases sous lesquelles il se montre à nous successivement, peuvent nous faire juger des diverses révolutions que les corps organisés ont à subir pour parvenir à cette dernière forme par laquelle ils nous sont connus. Je dis en général les corps organisés ; car les plantes ont aussi leurs révolutions ou leurs phases & nous en suivons à l’œil quelques-unes.

Tout ceci nous aide à concevoir les nouvelles formes que les animaux revêtiront dans cet état futur, auquel, je conjecture, qu’ils sont appellés. Ce petit corps organique par lequel leur ame tient actuellement au corps grossier, renferme déja, comme dans un infiniment petit, les élémens de toutes les parties qui composeront ce corps nouveau sous lequel l’animal se montrera dans son état futur.

Les causes qui opéreront cette révolution de notre globe dont parle l’apôtre, pourront opérer en même tems, le développement plus ou moins accèléré de tous les animaux concentrés dans ces points organiques, que je pourrois nommer des germes de restitution.

J’ai assès fait sentir dans mon essai analytique combien l’organisation influë sur les opérations de l’ame. On se bornera, si l’on veut, à ne consulter là-dessus que les articles XV, XVI, XVII de l’analyse abrégée. De tout ce que j’ai dit sur ce sujet psychologique, l’on tirera cette conséquence philosophique ; que la perfection de l’animal dépend principalement du nombre & de la portée de ses sens. Il est d’autant plus animal, qu’il a un plus grand nombre de sens, & des sens plus exquis. C’est par les sens, qu’il entre, comme l’homme, en commerce avec la nature : c’est par eux qu’il se conserve, se propage & jouït de la plénitude de l’être.

Plus le nombre des sens est grand, & plus ils manifestent de qualités sensibles à l’animal.

Plus les sens sont exquis, & plus l’impression de ces qualités est vive, complette, durable.

La structure & le nombre des membres, leur aptitude à se prêter aux impressions variées des sens, l’appropriation de leur jeu à ces diverses impressions, la manière dont ils s’appliquent aux différens corps & les tournent au profit de l’animal, sont une autre source féconde de la perfection organique.

Quelle énorme distance sépare l’huitre du singe ! Celle-là semble réduite au sens du toucher, & ne sçait qu’ouvrir & fermer son écaille. Celui-ci a tous les sens de l’homme & parvient à l’imiter.

Si la sagesse adorable qui a présidé à la formation de l’univers a voulu la plus grande perfection de tous les êtres sentans, (et comment douter de cette volonté dans la bonté suprême ! ) elle aura préformé dans ce petit corps indestructible, vrai siège de l’ame des bêtes, de nouveaux sens, des sens plus exquis, & des membres appropriés à ces sens. Elle aura approprié les uns & les autres à l’état futur de notre globe, & cet état, à l’état futur des animaux.

Un philosophe niera-t-il, que l’animal ne soit un être perfectible, & perfectible dans un degré illimité ? Donnès à l’huitre le sens de la vuë dont elle paroît privée, & combien perfectionnerès-vous son être ! Combien ne le perfectionneriès-vous pas davantage en donnant à cet animal si dégradé un plus grand nombre de sens, & des membres rélatifs ! Quelles raisons philosophiques nous imposeroient l’obligation de croire que la mort est le terme de la durée de l’animal ? Pourquoi un être si perfectible seroit-il anéanti pour toujours, tandis qu’il possède un principe de perfectibilité dont nous ne sçaurions assigner les bornes ? Indépendamment de ce petit corps indestructible que je suppose, l’ame, que nous ne pouvons nous empêcher d’accorder aux bêtes, n’est-elle pas par son immatérialité hors de l’atteinte des causes qui opèrent la destruction du corps grossier ? Ne faudroit-il pas une volonté positive du créateur pour qu’elle cessât d’être ? Découvrons-nous des raisons solides pourquoi il l’anéantiroit ? Ne découvrons-nous pas plutôt dans son immense bonté des motifs de la conserver ?

Mais ; si cette ame a besoin d’un corps organisé pour continuer à éxercer ses fonctions, il me semble plus raisonnable de penser que ce corps éxiste déjà en petit dans l’animal, que de supposer que Dieu en créera un nouveau pour les besoins de cette ame. Ceux qui ont un peu étudié mes considérations sur les corps organisés sçavent avec quel art merveilleux toutes les productions organiques de la nature ont été préparées de loin par son divin auteur, & quelles sont les loix par lesquelles sa sagesse amène tous les êtres vivans au degré de perfection qui est propre au monde qu’ils habitent actuellement.

Rappellerai-je ici à mon lecteur l’enveloppement de la petite plante dans sa graîne, l’emboîtement du papillon dans la chenille, & la concentration de toutes les parties du poulet dans un point vivant ? Je dois supposer qu’il a tous ces faits présens à l’esprit. Si cela n’étoit point, je le prierois de relire les chapitres IX & X du tome I de mes corps organisés, ou les parties VII & IX de ma contemplation.

On comprend de reste par tout ce que je viens de crayonner, qu’il ne faudroit pas s’imaginer, que les animaux auront dans leur état futur la même forme, la même structure, les mêmes parties, la même consistence, la même grandeur que nous leur voyons dans leur état actuel. Ils seront alors aussi différens de ce qu’ils sont aujourd’hui, que l’état de notre globe différera de son état présent. S’il nous étoit permis de contempler dès à présent cette ravissante scène de métamorphoses, je me persuade facilement, que nous ne pourrions reconnoître aucune des espèces d’animaux qui nous sont aujourd’hui les plus familières : elles seroient trop travesties à nos yeux. Nous contemplerions un monde tout nouveau, un ensemble de choses dont nous ne sçaurions nous faire actuellement aucune idée. Réüssirions-nous à déviner les habitans de la lune, à nous peindre leurs figures, leurs mouvemens, etc. ? & quand nos télescopes seroient assés perfectionnés pour nous les découvrir, leur trouverions-nous ici-bas des analogues ?

Si nous partons toujours de la supposition de ce petit corps éthéré qui renferme infiniment en petit tous les organes de l’animal futur, nous conjecturerons que le corps des animaux dans leur nouvel état, sera composé d’une matière, dont la rareté & l’organisation le mettront à l’abri des altérations qui surviennent au corps grossier & qui tendent continuellement à le détruire de tant de manières différentes.

Le nouveau corps n’éxigera pas, sans doute, les mêmes réparations que le corps actuel éxige. Il possédera une méchanique bien supérieure à celle que nous admirons dans ce dernier.

Il n’y a pas d’apparence que les animaux propagent dans leur état futur ; mais, si l’imagination se plaisoit à y admettre une sorte de propagation à nous entièrement inconnue, je dirois que les sources de cette propagation éxisteroient déjà dans le petit corps éthéré.

Cependant, si l’on y réfléchit un peu, on trouvera, que des êtres-mixtes appellés à cette sorte d’immortalité, ne paroîssent pas devoir se propager après y être parvenus. Il est au moins bien évident, que les différentes espèces de propagations, que nous connoissons, & qui sont propres à l’état actuel de notre monde, ont pour fin principale de donner aux espèces une immortalité dont les individus ne peuvent jouïr.

Avril 1768.

  1. Whiston. En lisant cette Palingénésie, on reconnoîtra que je ne n’ai pas puisé mes Idées dans cet Auteur, & qu'elles sont nées du développement d’un de mes Principes Psychologiques. Voyez les §. 726, 727, 728, &c. de mon Essai Anat.
  2. Je prie le Lecteur de suspendre son jugement sur cette supposition, jusques-à-ce qu’il ait lu la Partie VI. de cet Ecrit.
  3. Seconde Ep. III. 10, 11, 12.