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La palingénésie philosophique/PARTIE IV. Application aux plantes

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La palingénésie philosophique : ou Idées sur l'état passé et sur l'état futur des êtres vivans : ouvrage destiné à servir de supplément aux derniers écrits de l'auteur et qui contient principalement le précis de ses recherches sur le christianisme
Geneve : C. Philibert (1p. 211-225).

QUATRIEME PARTIE

Application

aux

plantes


J’ai rassemblé dans la partie X de ma contemplation, les traits si nombreux, si diversifiés, si frappans qui rapprochent les plantes des animaux, & qui semblent ne faire des unes & des autres qu’une seule classe d’êtres organisés. Je me suis attaché à démontrer combien il est difficile d’assigner le caractère qui distingue essentiellement le végétal de l’animal, & combien la logique du naturaliste doit être sévère dans une recherche aussi délicate. Cela m’a conduit à un éxamen assés approfondi du caractère qu’on a coûtume de tirer de la faculté de sentir. J’y ai fait passer en revuë sous les yeux de mon lecteur ces curieuses expériences que j’ai décrites en détail dans mon livre sur l’usage des feuilles dans les plantes, & qui paroîssent indiquer, que les végétaux éxercent des mouvemens spontanés rélatifs à leurs besoins & aux circonstances.

Je n’ai pas entrepris de prouver, que les plantes sont douées de sentiment : j’aurois choqué moi-même cette logique éxacte que j’essayois d’appliquer à mon sujet. J’ai assés insinué,[1] que tous ces mouvemens, si dignes de l’attention de l’observateur, peuvent dépendre d’une méchanique secrette & très simple. Mon imagination n’étoit pas faite pour tout animaliser, comme celle de l’ingénieux auteur du roman de la nature. J’ai donc terminé mon éxamen en ces termes.

« Le lecteur judicieux comprend assés, que je n’ai voulu que faire sentir, par une fiction, combien nos jugemens sur l’insensibilité des plantes sont hazardés. Je n’ai pas prétendu prouver, que les plantes sont sensibles ; mais j’ai voulu montrer qu’il n’est pas prouvé qu’elles ne le sont point. »

Si donc il n’est point prouvé que les plantes ne sont pas sensibles, il est possible qu’elles le soient ; & s’il est possible qu’elles le soient, il l’est encore, que leur sensibilité se développe & se perfectionne d’avantage dans un autre état.

Je le disois dans l’ouvrage que je viens de citer : « Nous voyons le sentiment décroître par degrés de l’homme à l’ortie ou à la moule ; & nous-nous persuadons qu’il s’arrête là, en regardant ces derniers animaux comme les moins parfaits. Mais il y a peut-être encore bien des degrés entre le sentiment de la moule & celui de la plante. Il y en a, peut-être, encore d’avantage entre la plante la plus sensible & celle qui l’est le moins. Les gradations que nous observons par tout, devroient nous persuader cette philosophie : le nouveau degré de beauté qu’elle paroît ajoûter au systême du monde, & le plaisir qu’il y a à multiplier les êtres sentans, devroient encore contribuer à nous le faire admettre. J’avouerois donc volontiers que cette philosophie est fort de mon goût. J’aime à me persuader que ces fleurs qui parent nos campagnes & nos jardins d’un éclat toujours nouveau, ces arbres fruitiers dont les fruits affectent si agréablement nos yeux & notre palais, ces arbres majestueux qui composent ces vastes forêts que les tems semblent avoir respectées, sont autant d’êtres sentans qui goûtent à leur manière les douceurs de l’éxistence. »

J’ajoûtois immédiatement après : « Nous avons vu qu’on ne trouvoit dans la plante aucun organe propre au sentiment : mais si la nature a dû faire servir le même instrument à plusieurs fins ; si elle a dû éviter de multiplier les piéces, c’est assurément dans la construction de machines extrêmement simples, tel que l’est le corps d’une plante. Des vaisseaux que nous croyons destinés uniquement à conduire l’air ou la sève, peuvent être encore dans la plante le siège du sentiment ou de quelqu’autre faculté dont nous n’avons point d’idée. Les nerfs de la plante différent, sans doute, autant de ceux de l’animal, que la structure de celle-là différe de la structure de celui-ci. »

Mon lecteur sera mieux placé encore pour juger de ceci, s’il prend la peine de relire en entier les chapitres XXX & XXXI de cette partie X de l’ouvrage. Si après cette lecture, il demeure convaincu, comme je le suis, que l’insensibilité des plantes n’est point du tout démontrée ; je lui demanderois, si dans la supposition qu’elles sont douées d’une certaine sensibilité, je ne pourrois pas leur appliquer ce que je viens d’exposer sur la restitution future des animaux ? Dans la supposition dont il s’agit, choquerois-je la bonne philosophie, en admettant que la plante est aussi un être très perfectible ?

En effet ; combien est-il facile, que la sensibilité la plus resserrée, la plus imparfaite s’étende, se développe, se perfectionne par le simple accroîssement de perfections des organes, & sur tout par l’intervention de nouveaux organes !

Si la plante est sensible, elle a une ame, qui est le principe du sentiment ; car le sentiment ne sçauroit appartenir à la seule organisation.[2] La plante sera donc un être-mixte. Découvrons-nous quelque raison solide pourquoi l’ame de la plante seroit dépourvue de toute espéce d’activité ? Par tout où nous parvenons à démêler des traits de sensibilité, nous parvenons aussi à y démêler des mouvemens correspondans. Il est naturel qu’un être-mixte susceptible de plaisir & de douleur puisse rechercher l’un & fuir l’autre. Mais ; si sa sensibilité est très foible, ses plaisirs & ses douleurs seront aussi très foibles, & les mouvemens qui correspondront à ces différentes impressions, leur seront proportionels.

Je ne rechercherai point quel est le siège de l’ame dans la plante : je ne connois aucun moyen de parvenir à cette découverte. Les physiciens qui ont le plus étudié la structure des plantes sçavent assés combien leur anatomie est encore imparfaite. Je le faisois remarquer au commencement du chap XXVI de la partie X de ma contemplation. « Il n’est pas aussi facile, disois-je dans cet endroit, de comparer les plantes & les animaux dans leurs formes intérieures ou leur structure, qu’il l’est de les comparer dans leurs formes extérieures. Nous pouvons juger de celles-ci sur un simple coup d’œil ; il faut toujours une certaine attention, & souvent le secours de divers instrumens pour juger de celles-là. Nous pénétrons, ce semble, plus difficilement dans l’intérieur d’une plante, que dans celui d’un animal. Là, tout paroît plus confondu, plus uniforme, plus fin, moins animé. Ici tout paroît se démêler mieux, soit parce que la forme, le tissu, la couleur & la situation des différentes parties y présentent plus de variétés, soit parce que le jeu des principaux viscères y est toujours plus ou moins sensible. Le microscope, le scalpel & les injections qui nous conduisent si loin dans l’anatomie des animaux, refusent souvent de nous servir, ou ne nous servent qu’imparfaitement dans celle des plantes. Il est vrai aussi que cette partie de l’oeconomie organique a été moins étudiée que celle qui a les animaux pour objet. La structure de ces derniers nous intéressoit davantage par ses rapports avec celle de notre propre corps. » Je me bornerai donc à dire, que si la plante a une ame, cette ame a un siège rélatif à la nature particulière de cet être-mixte.

Ce siège, quel qu’il soit, peut renfermer un germe impérissable, qui conservera l’être de la plante & le fera survivre à la destruction de ce corps visible & palpable, qui est l’objet actuel des curieuses recherches du botaniste & du physicien. Arrêterons-nous toujours nos regards sur ce qui frappe nos sens ? La raison du philosophe ne percera-t-elle point au delà ?

Si l’être de la plante, a été attaché à un germe incorruptible, ce germe peut renfermer, comme celui de l’animal, les élémens de nouveaux organes, qui perfectionneront, développeront & ennobliront les facultés de cet être. Je ne puis dire à quel degré il s’élévera dans l’échelle de l’animalité : il me suffit d’appercevoir la possibilité de cette élévation, & par elle un accroîssement de beauté dans le règne organique.

En général ; on a beaucoup de peine à se persuader la possibilité que les plantes soient des êtres sentans. Comme elles ne changent jamais de place, & que leurs formes n’ont rien de commun avec celles des animaux qui nous sont les plus connus, il n’y a pas moyen de croire qu’elles puissent participer un peu à l’animalité. Le moyen, en effet, de soupçonner quelque rapport en ce genre entre une violette & un papillon, entre un poirier & un cheval !

Nous ne jugeons ordinairement des êtres que par des comparaisons assés grossiéres. Nous les comparons de gros en gros dans leur forme & dans leur structure, & si cet éxamen superficiel ne nous offre aucun trait de similitude, nous ne nous avisons guères d’en soupçonner.

Cependant, combien éxiste-t-il d’espèces d’animaux qui, pendant tout le cours de leur vie, ne changent pas plus de place que les plantes ! Combien en est-il dont les mouvemens ne sont ni plus variés ni plus spontanés en apparence, que le sont ceux de quantité de plantes, que j’ai décrits & fait admirer dans mon livre sur l’usage des feuilles ! Enfin ; combien est-il d’espèces d’animaux dont la forme & la structure ne ressemblent pas le moins du monde à ce modèle imaginaire que nous nous formons de ce qu’il nous plaît de nommer un animal !

Si l’on a un peu médité ces considérations philosophiques au sujet des polypes, qui font la matière des trois derniers chapitres de la partie VIII de ma contemplation, l’on comprendra mieux tout ce que je ne fais qu’indiquer ici. Ces chapitres renferment une espèce de logique à l’usage du naturaliste, & qui me paroîssoit lui manquer.

Je passe sous silence les séxes, tantôt réünis, tantôt séparés, & ces admirables reproductions de différens genres, qui rapprochent si fort le végétal de l’animal. J’ai renvoyé mon lecteur sur tout cela & sur bien d’autres traits d’analogie tout aussi frappans, à mon parallèle des plantes & des animaux. Contemp. Part X.

Ôtons à un animal peu connu tous les moyens de nous manifester qu’il est un animal : privons-le de tous ses membres ; réduisons-le aux seuls mouvemens qui se font dans son intérieur ; comment devineroit-on alors sa véritable nature ? Il est une foule d’animaux qui se déguisent autant à nos yeux, & qui ne peuvent être reconnus que par les observateurs les plus attentifs & les plus industrieux. Quel n’est point aussi le déguisement de certaines plantes ! N’a-t-il pas fallu toute la sagacité des botanistes pour s’assurer de la véritable nature des moisissures, des lychens, des champignons, des truffes, etc.

Les plantes ne seroient-elles donc point dans le cas de ces animaux beaucoup trop déguisés pour que nous puissions les reconnoître ? C’est une réfléxion que je faisois dans le chap XXX de la partie X de ma contemplation.

« L’expression du sentiment, disois-je, est rélative aux organes qui le manifestent. Les plantes sont dans une entière impuissance de nous faire connoître leur sentiment, ce sentiment est extrêmement foible, peut-être, sans volonté & sans désir, puisque l’impuissance où elles sont de nous le manifester, provient de leur organisation, & qu’il y a lieu de penser, que le degré de perfection spirituelle répond au degré de perfection corporelle. »

Mais ; ce que nous avions regardé jusqu’ici comme animal est un tout unique. Un singe, un éléphant, un chien sont bien des composés : ces composés sont bien formés de l’assemblage d’une multitude de pièces très différentes entr’elles : mais, ces pièces ne sont pas autant d’animaux : elles concourent seulement par leur réünion & par leurs rapports divers à former ce tout individuel que nous nommons un animal. Ces pièces séparées de leur tout ne le représentent point en petit ; elles ne peuvent point reproduire ce tout.

La plante a été construite sur un tout autre modèle. Un arbre n’est un tout unique que dans un sens métaphysique. Il est réellement composé d’autant d’arbres & d’arbrisseaux, qu’il a de branches & de rameaux. Tous ces arbres & tous ces arbrisseaux, sont, pour ainsi dire, greffés les uns aux autres, sont alimentés les uns par les autres, & tiennent ainsi à l’arbre principal par une infinité de communications. Chaque arbre, secondaire, chaque arbrisseau, chaque sous-arbrisseau a ses organes & sa vie propres : il est lui-même, un petit tout individuel, qui représente plus ou moins en raccourci le grand tout dont il fait partie.

Ceci est plus éxact qu’on ne l’imagineroit d’abord. Chaque branche, chaque rameau, chaque ramuncule, & même chaque feuille sont si bien des arbres en petit, que détachés du grand arbre, & plantés en terre avec certaines précautions, ils peuvent y végéter par eux-mêmes & y faire de nouvelles productions. C’est que les organes essentiels à la vie, sont répandus dans tout le corps de la plante. Les mêmes organes essentiels qu’on découvre dans le tronc d’un arbre, on les retrouve dans les branches, dans les rameaux & même jusques dans les feuilles.

Un arbre est donc une production organique beaucoup plus singulière qu’on ne le pense communément. Il est un assemblage d’une multitude de productions organiques subordonnées, liées étroitement les unes aux autres, qui participent toutes à une vie & à des besoins communs, & dont chacune a sa vie, ses besoins & ses fonctions propres. Un arbre est ainsi une sorte de société organique, dont tous les individus travaillent au bien commun de la société, en même tems qu’ils procurent leur bien particulier.

Celui qui a fait l’arbre auroit pu faire éxister à part chaque branche, chaque rameau, chaque feuille : il en auroit fait ainsi autant d’êtres isolés & distincts. Il a préféré de les réünir dans le même assemblage, dans une même société, de les assujettir les uns aux autres pour différentes fins, & sans doute que les besoins de l’homme & ceux des animaux entroient dans ces fins.

Si donc l’arbre est doué d’un certain degré de sentiment, chacun des petits arbres dont il est composé aura aussi son degré de sentiment, comme il a sa vie & ses besoins propres.

Il y aura donc dans chacun de ces petits arbres un siège du sentiment, & ce siège renfermera un germe indestructible, destiné à conserver l’être du végétal, & à le restituer un jour sous une nouvelle forme.

Il est possible que l’état futur de notre globe ne comporte point cette réünion de plusieurs touts individuels dans un même assemblage organique, & que chacun de ces touts soit appellé alors à éxister à part, & à éxercer séparément des fonctions d’un tout autre genre & beaucoup plus relevées que celles qu’il éxerce aujourd’hui.

Mais ; comme la faculté loco-motive entre pour beaucoup dans la perfection des êtres organisés & sentans, si la plante est douée de quelque sensibilité ; si elle est un être perfectible ; il y a lieu de penser, que dans son nouvel état, elle pourra se transporter d’un lieu dans un autre au gré de ses desirs, & opérer à l’aide de ses nouveaux organes des choses dont nous ne pouvons nous former aucune idée.

  1. J'ai montré très clairement dans le Mémoire II de mes Recherches sur l'Usage des Feuilles, Art. LIII, comment tous ces mouvements si remarquables pourroient s'opérer par des Causes purement méchaniques.
  2. Je crois l'avoir prouvé dans la Préface de mon Essai Analytique, pag. XIII, XIV & suivantes de l'Edition in 4°.