La palingénésie philosophique/PARTIE III. Autres considérations sur la perfection future de l’animal. Réponses a quelques questions

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La palingénésie philosophique : ou Idées sur l'état passé et sur l'état futur des êtres vivans : ouvrage destiné à servir de supplément aux derniers écrits de l'auteur et qui contient principalement le précis de ses recherches sur le christianisme
Geneve : C. Philibert (1p. 198-210).

TROISIEME PARTIE

suite des idées

sur

l’état futur

des

animaux.

autres considérations

sur la

perfection future de l'animal.

réponse

a quelques questions.


Si, comme je le disois, un philosophe ne peut douter, que l’animal ne soit un être très perfectible ; s’il est dans le caractère de la souveraine bonté de vouloir l’accroîssement du bonheur de toutes ses créatures ; si cet accroîssement est inséparable de celui de la perfection corporelle & de la perfection spirituelle : si enfin, nous ne découvrons aucune raison solide pourquoi la mort seroit le terme de la vie de l’animal ; ne sommes-nous pas fondés à en insérer, que l’animal est appellé à une perfection, dont les principes organiques éxistoient dès le commencement, & dont le développement est réservé à l’état futur de notre globe ?

Il est assurément très possible, que ce qui manque actuellement au cerveau grossier de l’animal, pour qu’il parvienne à généraliser ses idées, éxiste déjà dans ce petit corps éthéré, qui est le véritable siège de l’ame. Ce petit corps peut renfermer l’abrégé d’un systême organique très composé, analogue à celui auquel l’homme doit ici-bas sa suprême élévation sur tous les animaux.

Le développement plus ou moins accèléré de ce systême organique fera revêtir à l’animal un nouvel être. Non seulement ses sens actuels seront perfectionnés ; mais, il est possible qu’il acquierre encore de nouveaux sens, & avec eux de nouveaux principes de vie & d’action. Ses perceptions & ses opérations se multiplieront & se diversifieront dans un degré indéfini.

L’état où se trouvera alors notre globe, & qui sera éxactement rélatif à cette grande métamorphose de l’animal, lui fournira une abondante source de plaisirs divers, & de quoi perfectionner de plus en plus toutes ses facultés.

Pourquoi cette perfectibilité de l’animal, ne comporteroit-elle point qu’il s’élevât enfin jusqu’à la connoissance de l’auteur de sa vie ? Combien la bonté ineffable du grand être le sollicite-t-elle à se manifester à toutes les créatures sentantes & intelligentes ! Pourquoi… mais, il vaut mieux que je laisse aux ames sensibles à finir un tableau que la bienveuillance universelle se plaît à crayonner, parce qu’elle aime à faire le plus d’heureux qu’il est possible.

Les liaisons que le corps indestructible soûtenoit avec le corps périssable, assureront à l’animal la conservation de son identité personnelle. Le souvenir de son état passé liera cet état avec l’état futur : il comparera ces deux états, & de cette comparaison naîtra le sentiment de l’accroîssement de son bonheur. Ce sentiment sera lui-même un accroîssement de bonheur ; car c’est être plus heureux encore que de sentir qu’on l’est d’avantage.

Il est bien évident, que si l’animal parvenoit à son nouvel état sans conserver aucun souvenir du précédent, ce seroit par rapport à lui-même un être tout nouveau qui jouïroit de cet état, & point du tout le même être ou la même personne. Il seroit, pour ainsi dire, créé de nouveau.

L’ancienne & ingénieuse doctrine de la métempsycose ou de la transmigration des ames n’étoit pas aussi philosophique qu’elle a paru l’être à quelques sectateurs de l’antiquité : c’est qu’une grande érudition n’est pas toujours accompagnée d’un grand fond de bonne philosophie. J’ai dit, qu’il étoit assés prouvé que la mémoire a son siège dans le corps : une ame qui transmigreroit d’un corps dans un autre n’y conserveroit donc aucun souvenir de son état précédent. Je me borne à renvoyer là-dessus aux articles XV, XVI, XVII, XVIII de l’analyse abrégée. J’ai montré en un grand nombre d’endroits de mes corps organisés & de ma contemplation, qu’il est très probable, que tous les corps organisés prééxistent très en petit dans des germes ou corpuscules organiques.[1] Il est donc bien vraisemblable que les ames y prééxistent aussi. Jugeroit-on plus philosophique d’infuser à point nommé une ame dans un germe, tandis que cette ame auroit pu être unie à ce germe dès le commencement, & par un acte unique de cette volonté adorable, qui appelle les choses qui ne sont point, comme si elles étoient ?

Il me paroît donc, que la métempsycose n’a pu être admise que par des hommes qui ne s’étoient pas occupé du psychologique des êtres-mixtes. La philosophie rationnelle n’étoit pas née lorsque Pythagore transporta ce dogme des Indes dans la Grèce.

Je me suis beaucoup arrêté dans ma contemplation à considérer cette merveilleuse gradation qui règne entre tous les êtres vivans, depuis le lychen & le polype, jusqu’au cédre & à l’homme. Le métaphysicien peut trouver dans la loi de continuité la raison de cette progression ; le naturaliste se borne à l’établir sur les faits. Chaque espèce a ses caractères propres, qui la distinguent de toute autre. L’ensemble de ses caractères constitue l’essence nominale de l’espèce. Le naturaliste recherche ces caractères ; il les étudie, les décrit, & en compose ces sçavantes nomenclatures, connues sous les noms de botanique & de zoologie. C’est en s’efforçant à ranger toutes les productions organiques en classes, en genres & en espèces, que le naturaliste s’apperçoit que les divisions de la nature ne sont point tranchées comme celles de l’art ; il observe, qu’entre deux classes ou deux genres voisins, il est des espèces mitoyennes, qui semblent n’appartenir pas plus à l’un qu’à l’autre, & qui dérangent plus ou moins ses distributions méthodiques.

La même progression que nous découvrons aujourd’hui entre les différens ordres d’êtres organisés, s’observera, sans doute, dans l’état futur de notre globe : mais, elle suivra d’autres proportions, qui seront déterminées par le degré de perfectibilité de chaque espèce. L’homme, transporté alors dans un autre séjour plus assorti à l’éminence de ses facultés, laissera au singe ou à l’éléphant[2] cette première place qu’il occupoit parmi les animaux de notre planéte. Dans cette restitution universelle des animaux, il pourra donc se trouver chés les singes ou les éléphants des Newtons & des Leibnitzs ; chés les castors, des Perraults & des Vaubans, etc.

Les espèces les plus inférieures, comme les huitres, les polypes, etc. Seront aux espèces les plus élevées de cette nouvelle hiérarchie, comme les oiseaux & les quadrupèdes sont à l’homme dans l’hiérarchie actuelle.

Peut-être encore qu’il y aura un progrès continuel & plus ou moins lent de toutes les espèces vers une perfection supérieure ; ensorte que tous les degrés de l’échelle seront continuellement variables dans un rapport déterminé & constant : je veux dire, que la mutabilité de chaque degré aura toujours sa raison dans le degré qui aura précédé immédiatement.

Malgré tous les efforts de nos épigénésistes modernes, je ne vois pas qu’ils ayent le moins du monde réüssi à expliquer méchaniquement la première formation des êtres vivans. Ceux qui ont lu avec quelqu’attention mes deux derniers ouvrages, & en particulier les chapitres VIII, IX, X, XI de la partie VII de ma contemplation, n’ont pas besoin que je leur rappelle les différentes preuves que l’histoire naturelle & la physiologie nous fournissent de la prééxistence des êtres vivans.

Mais ; si tout a été préformé dès le commencement ; si rien n’est engendré ; si ce que nous nommons improprement une génération, n’est que le principe d’un développement, qui rendra visible & palpable, ce qui étoit auparavant invisible & impalpable ; il faut de deux choses l’une, ou que les germes ayent été originairement emboîtés les uns dans les autres, ou qu’ils ayent été originairement disséminés dans toutes les parties de la nature.

Je n’ai point décidé entre l’emboîtement & la dissémination[3] : j’ai seulement laissé entendre que j’inclinois vers l’emboîtement. J’ai dit, qu’il me paroîssoit une des plus belles victoires que l’entendement-pur ait remporté sur les sens. J’ai montré, combien il est absurde d’opposer à cette hypothèse des calculs qui n’effrayent que l’imagination, & qu’une raison éclairée réduit facilement à leur juste valeur.

Mais ; si tous les êtres organisés ont été préformés dès le commencement, que deviennent tant de milliards de germes, qui ne parviennent point à se développer dans l’état présent de notre monde ? Combien de milliards de germes de quadrupèdes, d’oiseaux, de poissons, de reptiles, etc. Qui ne se développent point, qui pourtant sont organisés avec un art infini, & à qui rien ne manque pour jouïr de la plénitude de l’être, que d’être fécondés ou d’être conservés après l’avoir été ?

Mon lecteur a déjà deviné ma réponse : chacun de ces germes renferme un autre germe impérissable, qui ne se développera que dans l’état futur de notre planète. Rien ne se perd dans les immenses magazins de la nature ; tout y a son emploi, sa fin, & la meilleure fin possible.

On demandera encore, que devient ce germe impérissable, lorsque l’animal meurt, & que le corps grossier tombe en poudre ? Je ne pense pas, qu’il soit fort difficile de répondre à cette question. Des germes indestructibles peuvent être dispersés, sans inconvénient, dans tous les corps particuliers qui nous environnent. Ils peuvent séjourner dans tel ou tel corps jusqu’au moment de sa décomposition ; passer ensuite sans la moindre altération dans un autre corps ; de celui-ci dans un troisiéme ; etc. Je conçois, avec la plus grande facilité, que le germe d’un éléphant peut se loger d’abord dans une molécule de terre, passer de là dans le bouton d’un fruit ; de celui-ci, dans la cuisse d’une mitte ; etc. Il ne faut pas que l’imagination qui veut tout peindre & tout palper, entreprenne de juger des choses qui sont uniquement du ressort de la raison, & qui ne peuvent être apperçues que par un œil philosophique. Le répéterai-je encore ? Combien est-il facile, que des germes, tels que je les suppose, bravent les efforts de tous les élémens & de tous les siècles,[4] & arrivent enfin à cet état de perfection auquel ils ont été prédestinés par cette sagesse profonde, qui a enchaîné chaîné le Passé au Présent, le Présent à l’Avenir, l’Avenir à l’Eternité !

Il y aura cette différence entre les Animaux qui ne seront point nés sous l’Oeconomie présente de notre Monde & ceux de même Espèce qui y auront vécu ; que les premiers naitront, pour ainsi dire, table rase sous l’oeconomie future. Comme leur cerveau n’aura pu recevoir aucune impression des objets extérieurs, il ne retracera à l’ame aucun souvenir. Elle ne comparera donc pas son état présent à un état passé qui n’aura point éxisté pour elle. Elle n’aura donc point ce sentiment de l’accroîssement du bonheur, qui naît de la comparaison dont je parle. Mais ; cette table rase se convertira bientôt en un riche tableau, qui représentera avec précision une multitude d’objets divers. À peine l’animal sera-t-il parvenu à la vie, que ses sens s’ouvriront à une infinité d’impressions dont la vivacité & la variété accroîtront sans cesse ses plaisirs, & mettront en valeur toutes ses facultés.

  1. On peut se borner à ne consulter sur ce Sujet que les Articles VII, XIII, XIV, XV, XVI, XVIII, du Tableau des Considérations.
  2. Voyés ce que j'ai écrit sur l’Eléphant, d'après Mr. de Buffon dans l’Ecrit qui a pour titre, Essai d’application des Principes psychologiques &c.
  3. Tableau des Considérations XVII.
  4. Quoique la grande délicatesse des Germes paroîsse devoir s'opposer à leur conservation, il est pourtant des Faits très certains, qui prouvent qu’ils ont été ordonnés de manière, qu’ils conservent pendant un tems, même très long, la vertu germinatrice. Je parle des Germes qui tombent sous nos Sens, & que nous appercevons dans les Graînes & dans les Œufs.
    Il n’est guères d'Animal plus délicat qu’un Polype à Pennache : combien l’Animal renfermé encore dans son Œuf doit-il être plus délicat ! on verra pourtant dans l’Article 317 de mes Corps Organisés, qu'on peut conserver au sec plusieurs mois comme de la Graîne de Ver à Soye, les Œufs de cette Espèce de Polype, les semer ensuite dans l’Eau, & en voir éclorre de petits Polypes.
    On lit dans l’Encyclopédie au mot Végétation ; que des Haricots d’Amérique, tirés du Cabinet de l’Empereur avoient germé par les soins d’un Jardinier, quoique ces Haricots eussent 200 ans.
    Mr. le Marquis de St. SIMON, dans son curieux Traité des Jacintes, publié à Amsterdam, cette année 1768, pag. 104, rapporte une Expérience qui confirme pleinement la précédente, & que je transcris ici dans ses propres termes.
    « J’ai fait germer en 1754 du Bled, renfermé dans des Magazins en Terre à Metz du tems de Charles V, c’est-à-dire, près de deux cens ans avant qu’on vint à le découvrir ; couvrir ; & les Troupes ont consommé le Pain qu’on a sait de ce Grain, qui étoit excellent. Le Bled que j’ai semé, quoique petit & maigre, a produit des Epis d’assés bonne qualité. »
    Une Etuve dont la chaleur est de 90 degrés du Thermomètre de REAUMUR, c’est-à-dire, supérieure à celle de l’Eau bouillante, sembleroit bien propre à détruire la vertu germinatrice : Mr. DUHAMEL nous apprend pourtant, dans son Supplement au Traité de la Conservation des Grains pag. 48 & 49; qu’ayant semé 24 Grains de Froment pris au hazard dans une Etuve, dont la chaleur étoit de 90 degrés : il leva 21 de ces Grains. Il ajoute qu’ayant répèté la même Expérience, le succès ne se démentit point. Il est vrai que les Grains étuvés ne levèrent qu’au bout d’environ 20 jours, tandis que des Grains du même Froment, mais qui n’avoient pas été étuvés levèrent au bout de 8 jours.
    Ces divers Faits, & bien d’autres de même genre, que je pourrois indiquer, nous aident à juger, qu’il n’est pas improbable, que les Germes impérissables, que je suppose dans cet Ecrit, ayent été ordonnés de manière à résister aux efforts des Elémens & des Siècles. Si la Matière dont le Germe du Froment est construite étoit moins hétérogène, moins pénétrable à l’Air, à l’Eau, &c. ou beaucoup plus déliée, il est bien clair que ce Germe se conserveroit des milliers d’années.