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Le Compagnon du tour de France/Tome II/Chapitre XXVII

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CHAPITRE XXVII.

Les bulletins de la guerre d’Espagne arrivaient chaque jour plus pompeux pour l’armée française officielle, et plus alarmants pour l’armée secrètement organisée du Carbonarisme.

La capitulation de Malaga avait suivi de près la victoire du Trocadéro. Riego tenait encore, en attendant que le même roi qui lui avait présenté en tremblant son cigare allumé, l’envoyât sur un âne au supplice. Ballesteros traitait avec le duc d’Angoulême. Le libéralisme allait être écrasé en Espagne ; il était fort découragé en France.

Le comte de Villepreux, que l’opposition avait diverti pendant quelques années, commençait à trouver le jeu trop sérieux, et se repentait secrètement de n’avoir pas borné son rôle politique à la lutte parlementaire. Loin de recevoir la visite d’Achille Lefort avec la bienveillance accoutumée, il le brusquait souvent, et tâchait par ses railleries de le dégoûter de la propagande. Ce n’était pas chose aisée. Malgré les démonstrations sans réplique de Pierre Huguenin, qu’il oubliait tout aussitôt après les avoir écoutées, Achille n’avait qu’une idée en tête : c’était de former une Vente à Villepreux. Il avait cinq ou six affiliés, il lui en fallait encore neuf ou dix pour arriver au chiffre voulu ; et il ne désespérait pas, malgré l’effet sinistre des nouvelles télégraphiques, de les trouver bientôt. Il était de ces natures aveuglément dévouées et bravement présomptueuses qui, à force de croire à elles-mêmes, arrivent à ne douter de rien. Plus il voyait la peur éclaircir les rangs autour de lui, plus il se flattait de les remplir de nouveaux champions, mieux trempés pour la résistance. Il s’évertuait donc à recruter à droite et à gauche avec plus de zèle que de sagesse, ne s’apercevant pas trop, le bon jeune homme, qu’il faisait moins de bien à sa cause, par ses déclamations échauffées et son empressement brouillon, qu’il n’en eût fait avec de la prudence et un peu d’adresse.

Achille, comptant qu’un affilié à la Vente Suprême n’oserait pas l’entraver, avait donc établi son quartier général au château de Villepreux, usant et abusant du prétexte de vendre des vins et de régler des comptes, souffrant avec héroïsme les contradictions mordantes de son hôte qui commençait à le traiter un peu lestement, et devant lequel il n’élevait pas la voix aussi haut qu’il le faisait dans le parc, lorsqu’il déblatérait devant Pierre Huguenin contre les ganaches de la Chambre.

Malgré l’humeur qu’il lui causait, le comte ménageait pourtant ce faquin, qui dans la province avait chaudement servi sa popularité ; et quand il craignait de l’avoir blessé, il le ramenait par d’adroites flatteries données sous le masque d’une brusquerie paternelle. Le vieux libéralisme adulait la jeunesse de ce temps-là, en attendant que, monté à son tour sur les bancs de la pairie, il l’envoyât dans les prisons expier le crime d’association secrète, chose sainte et sacrée sous la restauration, illégale et abominable sous Louis-Philippe.

Le soir, lorsque les hôtes ordinaires et extraordinaires du château s’étaient retirés, Achille, au retour de ses excursions politiques, venait rendre compte de toute la besogne qu’il avait faite. Il faisait au comte l’honneur de le regarder comme un supérieur, et le comte était obligé d’accepter ce rôle. Yseult n’était point exclue de ces conversations. Outre que son grand-père avait en elle une entière confiance, l’éclat des divers procès faits au Carbonarisme l’avait initiée à tous les mystères de la conspiration permanente. Encore enfant, elle avait été lancée dans ces rêves de lutte politique ; et, comme tous les jeunes cerveaux, le sien s’y était exalté jusqu’à la bravoure virile, sans perdre cette nuance d’idéal romanesque qui caractérise une grande nature féminine. Je ne saurais vous dire si elle était vraiment, comme on le prétendait, la fille de Napoléon ; mais il est certain qu’il y avait quelque chose d’héroïque dans la tournure de son esprit, et une extrême originalité dans l’indépendance de son caractère.

Avec ces dispositions, elle devait pencher vers l’avis d’Achille Lefort et s’enhardir dans ses espérances à mesure que le danger croissait. Entre le vieux comte et le jeune carbonaro, elle était comme le pur miroir de vérité, où chacun d’eux pouvait regarder les taches ou les erreurs de sa conscience repoussées par le cristal impénétrable. Elle écoutait toujours son aïeul avec respect ; mais, quand elle le voyait faiblir, elle en cherchait la cause ailleurs que dans un manque de courage, et sa candeur intimidait le vieillard. Quand Achille se laissait emporter par son outrecuidance, elle s’imaginait qu’il avait eu quelque succès extraordinaire dans ses entreprises ; et lui, tout honteux de la foi qu’elle avait en lui, rougissait de sentir que cette foi était mal fondée. Le comte eût préféré qu’elle ne fût pas présente à leurs entretiens ; mais Achille, sachant bien l’ascendant qu’elle exerçait sur lui, avait soin de les trouver réunis pour s’expliquer, et alors M. de Villepreux n’osait montrer tout son dépit et toute sa répugnance.

Il arriva plusieurs fois qu’on parla de Pierre Huguenin. Achille disait que ce serait une des plus belles conquêtes qu’il pût faire pour sa Vente ; qu’on aurait de la peine à vaincre ses objections, mais qu’une fois engagé on trouverait en lui un héros. Yseult disait qu’elle avait de lui la plus haute opinion, et qu’elle le verrait avec joie entrer en rapports fréquents avec son grand-père, et puiser dans de telles relations l’instruction politique dont une aussi belle intelligence avait soif. Yseult s’imaginait encore que son aïeul portait en lui quelque grande révélation de l’idée sociale qui tourmentait l’artisan philosophe.

— Votre Pierre Huguenin est un fou, leur dit un soir le comte poussé à bout ; une tête dérangée, et à mettre dans le même bonnet que le cerveau brûlé de M. Lefort. Il est bon sans doute que les gens du peuple lisent Jean-Jacques Rousseau et Montesquieu. Je n’en ris pas, entends-tu, ma fille ? Je suis sûr que cela produira quelque chose de bon. Mais donnons-leur donc le temps de la digestion, que diable ! Ils ont à peine avalé la manne qu’on leur dit de trouver la terre promise ! Il a fallu au peuple de Moïse quarante ans pour cela, quarante ans qui veulent peut-être dire dans le langage biblique quarante siècles, sachez-le bien. Laissez-les donc tranquilles ; ils ne demandent que cela. Est-ce qu’ils sont assez avancés pour faire de la politique ? C’est à nous de chercher ce qui leur convient et de leur faire le meilleur sort possible sans les consulter ; car ils ne peuvent encore prononcer sur leur propre cause. Ils y seraient juge et partie !

— Ne sommes-nous pas dans le même cas ? dit Yseult.

— Mais notre éducation est faite ; nous avons des idées de justice appuyées sur une certaine science qu’ils n’ont pas encore et qu’ils n’auront pas de si tôt. Donnons-leur le temps de monter jusqu’à nous, et ne faisons pas la folie de descendre à eux. Il ne faut point que nous salissions nos mains pour leur complaire ; il faut qu’ils lavent les leurs pour nous ressembler.

— Mais il faut une crise politique immense, afin qu’ils aient le temps et l’instinct de se civiliser, s’écria Lefort.

— Aussi, mon cher monsieur, nous opérerons la crise en temps et lieu, mais sans qu’ils nous aident trop sciemment ; car, dans ce cas, ils nous feraient la loi le lendemain, et ce serait la barbarie.

— Mais, mon père, dit Yseult, il me semble qu’on pourrait les instruire et les aider à se civiliser, en attendant.

— Très-certainement, s’écria le comte. Il faut, en tout ce qui ne tient pas ouvertement à la politique, leur tendre la main, les encourager, leur procurer du travail et de l’instruction, relever en eux le sentiment de la dignité humaine. Est-ce que je fais autre chose avec eux ? Est-ce que je ne les traite pas comme mes égaux ? Est-ce que je les oblige à me parler debout ? Est-ce que je ne cherche pas à développer tous les germes d’intelligence que j’aperçois chez eux ?

— Certainement, monsieur le comte, dit Achille, votre conduite particulière est généreuse et franchement libérale ; mais pourquoi ne voulez-vous pas qu’une certaine initiation au mouvement politique soit un moyen d’éducation pour les prolétaires intelligents et courageux ? Croyez-vous donc que Pierre Huguenin ne comprenne pas aussi bien que moi ce que nous faisons ?

— Ce n’est peut-être pas beaucoup dire, répondit le comte en riant, et encore n’en est-il pas là ; la preuve, c’est qu’il vous repousse, et se fait prier.

Quelques jours après cet entretien, Yseult, se promenant dans le parc avec Achille, et parlant précisément de Pierre Huguenin, vit celui-ci se diriger du côté de l’atelier.

— J’ai envie de m’adresser à lui, dit-elle, et de voir si je réussirai mieux que vous. Je serais fière de faire cette conversion, et de pouvoir l’annoncer ce soir à mon grand-père.

— Je crains bien que M. le comte ne se soucie plus d’aucune conversion politique, répondit Achille qui était lui-même un peu découragé ce jour-là.

— Vous vous trompez, monsieur, répondit Yseult qui ne cessait de voir dans son aïeul un patriarche de la révolution ; je connais mieux que vous ses dispositions. Il a de grands accès de tristesse ; mais une bonne parole, un sentiment généreux, le moindre acte de courage et de patriotisme, tenez ! l’adhésion de Pierre Huguenin à vos projets, suffirait pour lui rendre ce noble enthousiasme que nous lui connaissons. Voulez-vous appeler Pierre pour que je lui parle ? Me le conseillez-vous ?

— Pourquoi pas ? répondit Achille dont l’amour-propre était un peu intéressé à vaincre les refus superbes de l’artisan. L’éloquence d’une femme peut faire des miracles !

Il courut le chercher. Mais au lieu de l’amener jusqu’auprès de mademoiselle de Villepreux, et de rester en tiers dans la conversation, comme elle y comptait, il s’éloigna, craignant que sa présence ne rendit à Pierre la force de l’argumentation, et comptant sur le trouble et l’embarras que devait lui inspirer un tête-à-tête avec la jeune châtelaine.

En se voyant décidément seule avec Pierre, Yseult fut elle-même saisie d’une timidité qu’elle ne connaissait pas, et demeura quelques instants sans pouvoir entrer en matière. Pierre était si troublé de son côté, qu’il ne s’en aperçut pas, et qu’il attribua au bourdonnement qui se faisait dans ses oreilles le sens interrompu et insaisissable des premières paroles d’Yseult. Enfin ils réussirent tous deux à se calmer et à s’entendre. Yseult lui parla avec cette exaltation de patriotisme qui avait, à cette époque-là, sa phraséologie courante, plus étincelante de mots que riche de faits et d’idées. Néanmoins, la distinction que le goût et la grâce de l’esprit savaient donner aux expressions, la diction élégante et mélodieuse, la voix de femme émue et pénétrée, le sentiment pur et profond que la jeune fille portait dans cet acte de prosélitisme, mirent tant de charme dans sa déclamation, que Pierre, vaincu et transporté, sentit son visage inondé de larmes. Il faut faire aussi la part de l’ingénuité de l’auditeur, et de l’amour qui avait glissé là sa flèche tremblante et délicate. Il n’eut pas de résistance contre un tel assaut, pas de méfiance devant une telle conviction, pas de fierté plébéienne pour repousser une séduction si touchante. Sa raison reçut là une atteinte violente. Avec son peu d’expérience, et à l’âge où le sentiment gouverne l’être tout entier, il était impossible qu’il ne se rendit pas à merci. Yseult, donnant aveuglément dans les théories à double sens de son grand-père, et ne voyant que le beau côté des intentions et des promesses, travaillait à détruire les préventions de Pierre en lui persuadant ce qu’elle croyait elle-même : que le vieillard cachait prudemment l’ardeur de son républicanisme, en attendant le jour où il pourrait en faire l’application.

— Je me suis trompé, se disait Pierre en l’écoutant ; j’ai été injuste envers le père et l’instituteur d’une telle fille. L’âme d’un lâche et d’un traître n’aurait pu former cette héroïne, brave comme Jeanne d’Arc, éloquente comme madame de Staël. Oui, j’ai tenté de fermer les yeux à la lumière, et mes répugnances n’étaient que l’aveuglement de l’orgueil. Le peuple a des amis dans les hautes classes ; il les méconnaît et les repousse. Nous sommes sourds et grossiers, moi tout le premier, qui ai méconnu cette voix du ciel, et résisté à cette puissance surhumaine.

Ces réflexions arrivaient sur les lèvres de Pierre Huguenin sans qu’il eût conscience de ce qu’il disait, tant son âme était exaltée et inondée de joie et d’amour.

— Vous vous êtes donc méfié de nous ? lui disait la jeune patricienne ; vous avez méconnu mon père, l’homme le plus sincère et le plus grand ! Mais vous méfierez-vous de moi qui vous parle, maître Pierre ? Croyez-vous qu’à mon âge on sache tromper ? Ne sentez-vous pas qu’il y a au fond de mon cœur une soif inextinguible de justice et d’égalité ? Ne savez-vous pas que toutes les lectures qui ont formé votre esprit ont formé le mien aussi ? Quelle brute perverse serais-je donc si j’avais pu lire Jean-Jacques et Franklin sans être pénétrée de la vérité ! Croyez-vous que je ne me sois pas fait raconter par mon père ces grandes époques de la révolution, où les hommes du Destin ont poursuivi et défendu le principe de la souveraineté populaire au prix de leur vie, de leur réputation et de leur propre cœur, arrachant de leurs entrailles, par un effort sublime, tout sentiment humain pour sauver l’humanité ? Oui, mon grand-père comprend tout cela, et admire tous ces hommes, depuis Mirabeau jusqu’à Robespierre, depuis Barnave jusqu’à Danton. Et d’ailleurs, croyez-vous que je n’aie tiré du Christianisme aucun enseignement ? Nous autres femmes, nous naissons et nous grandissons dans le catholicisme, quelle que soit la philosophie de nos pères. Eh bien ! l’Évangile a pour nous de grandes leçons d’égalité fraternelle, que les hommes ne connaissent peut-être pas ; et moi j’adore dans le Christ sa naissance obscure, ses apôtres humbles et petits, sa pauvreté et son détachement de tout orgueil humain, tout le poëme populaire et divin de sa vie couronnée par le martyre. Si je m’éloigne de l’Église, c’est que les prêtres, en se faisant les ministres du pouvoir temporel et les serviteurs du despotisme, ont trahi la pensée de leur maître et altéré l’esprit de sa doctrine. Mais moi, je me sens prête à la pratiquer à la lettre. Aucune souffrance, aucune misère, aucun travail ne me rebutera, s’il faut que je partage les douleurs du peuple. Aucun cachot, aucun supplice ne m’effraierait, s’il fallait proclamer ma foi. Tenez, Pierre, je vous jure que je n’ai jamais songé sérieusement à ma richesse et à ma liberté sans avoir des remords, à cause des pauvres qu’on oublie et des prisonniers qu’on torture. J’ai eu quelquefois des erreurs de jugement, j’ai cédé à des habitudes de luxe, j’ai prononcé des formules consacrées dans le monde par la coutume et le préjugé. Mais s’il fallait faire quelque chose de grand, s’il fallait donner ma vie en expiation de ces heures d’apathie et d’ignorance, croyez-moi, je remercierais Dieu de n’affranchir de tous ces liens misérables où mon âme languit et rougit d’elle-même. Je ne vous dis pas toutes ces choses pour me vanter auprès de vous, mais pour que vous sachiez comment mon grand-père m’a élevée, et quels sentiments il a mis dans mon cœur. Les croyez-vous sincères ?

Pierre était enivré, hors de lui ; la fièvre qui brûlait dans les veines d’Yseult avait passé dans les siennes. Tous deux croyaient être transportés seulement par la foi, et n’avoir en ce moment d’autre lien que celui de la vertu. C’était pourtant l’amour qui avait pris cette forme, et qui se chargeait d’allumer en eux la flamme de l’enthousiasme révolutionnaire

— Faites de moi ce que vous voudrez, dit Pierre. Demandez-moi ma vie. C’est trop peu dire, disposez de ma conscience, je croirai en vous comme en Dieu ; je me laisserai conduire avec un bandeau sur les yeux ; que vous daigniez seulement me dire quelques mots pour ranimer ma foi et mon espérance…

— Foi, espérance, charité, répondit Yseult, voilà la devise de l’association à laquelle on vous convie. En est-il une plus belle !

Pierre promit tout ; et lorsque Achille vint les rejoindre, Yseult le lui présenta comme un frère acquis à la sainte cause. L’étonnement et la joie du commis voyageur furent au comble lorsque Pierre confirma sa soumission par une promesse formelle. — Je commence à croire que mademoiselle de Buonaparte est une maîtresse femme, s’écria Lefort en se frottant les mains lorsque Yseult se fût retirée. Vive Dieu ! j’en suis bien revenu sur son compte, maître Pierre ! Elle a été admirable dans tous les assauts que nous avons livrés au grand-papa ; c’est une vraie Montagnarde. Elle vaut mieux dans son petit doigt que toute la famille. Le diable m’emporte si, à votre place, je n’en serais pas amoureux.

Le prosaïsme d’Achille, sur ce chapitre, faisait grand mal à Pierre Huguenin. — Ne vous moquez pas de moi, je vous prie, répondit-il, et ne parlez pas légèrement d’une personne qui est au-dessus de nous deux par son esprit et son caractère.

— Oui-dà ! je ne croyais pas si bien dire, reprit Achille, frappé de l’émotion du jeune artisan. Mais pourquoi pensez-vous que je me moque de vous, ami Pierre ? Notre siècle n’est-il pas enfin entré dans la voie de la raison et de la philosophie ? Pensez-vous qu’une personne aussi franchement républicaine que mademoiselle de Villepreux ne doive pas considérer absolument comme son égal un homme tel que vous ? Je vous réponds, moi, qu’elle vous apprécie parfaitement, et qu’il n’y a pas chez elle l’ombre d’un préjugé, à présent surtout que vous voici des nôtres, et que la Charbonnerie vous mettra en rapport, à tous les moments de la vie, et sur tous les points de la politique…

— Vous n’êtes qu’un exploiteur ! s’écria Pierre, irrité profondément de la légèreté avec laquelle Achille jouait avec le secret de son âme ; oui, vous exploitez toutes choses, même les plus sacrées. Pour me gagner à votre cause, vous ne rougiriez pas de susciter en moi les pensées les plus folles et les plus absurdes ; mais pensez-vous que je sois assez sot pour m’y laisser prendre ?

Achille ne se laissa pas rebuter par la fierté de son ami, et, sans s’inquiéter de sa résistance, il le força d’entendre tout le bien qu’Yseult disait de lui.

Achille ne mentait pas ; seulement il racontait brutalement, et interprétait les choses avec une audace incroyable. Pierre souffrait en l’écoutant, mais il l’écoutait ; et une irrésistible joie, une espérance insensée, venaient malgré lui porter le dernier coup à sa raison. Il passa la nuit et les jours suivants dans une sorte de délire ; et Achille, qui avait pris à tâche de l’endoctriner tous les jours, s’aperçut qu’il ne l’écoutait pas, qu’il ne songeait plus ni à la philosophie ni à la politique, mais que, dominé par la passion, il était nous sa main comme un enfant.