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Le Démon de l’absurde/Les Mains

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Mercvre de France (p. 175-176).

À A.-Ferdinand Herold.

LES MAINS

Oh ! les petites mains obscènes, combien je les regarde avec effroi quand je vais dans le monde !…


Elles vont, elles viennent, dégantées pour prendre la tasse de Chine, et, très délicatement, les petites folles placent leur petit doigt en l’air comme une aigrette, comme une fleurette de chèvrefeuille rosé…

Elles vont, elles viennent, n’ayant point souvenir de la chose qu’elles ont faites ou qu’elles feront sûrement, irrévocablement.


Elles sautillent à travers les morceaux de sucre, elles froissent l’éventail, elles ont des moues, elles ont des colères, des éclats de rire, et, imperturbables, elles se regantent pour toucher la main étrangère du valseur, la main de l’inconnu qui pourrait ne pas être pure…

Oh ! les petites mains obscènes, sur lesquelles nous nous penchons humblement, gros naïfs que nous sommes, pour déposer le respectueux baiser de notre admiration !…


Non, quand je les regarde aller, venir, dans le monde, passer et repasser comme de petits oiseaux gras plumés à vif, j’étouffe d’une envie de pleurer tant elles me font peur, les petites mains obscènes !…