Le Dessous/08

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Mercvre de France (p. 176-207).

VIII

jeux de mains, jeux de vilains

Le printemps renaissait ; avec lui l’inquiétude bizarre de Fulbert au sujet des dessous de Flachère. Il flairait, humait la brise comme un chien sur la trace d’un mauvais gibier. Cela ne durerait pas, cette odeur entêtante des jacinthes et des roses. Viendrait un certain vent d’ouest qu’il avait appris à connaître, un odieux vent d’ouest balayant les parfums naturels pour les rouler dans une pourriture chimique, une savante décomposition de tout. Cela sentirait le cadavre ou la pharmacie. Le poison devait inévitablement sourdre de la plus merveilleuse fraîcheur des herbes nouvelles. Sa nouvelle situation aussi s’empoisonnait peu à peu d’un ferment de décomposition morale… et il se déclarait fatigué, le soir, par le papotage des deux comptables qui l’accompagnaient jusqu’à son château, munis d’une grosse lanterne pour éviter les flaques fétides. Il n’avait pas voulu accepter l’hospitalité du pavillon hollandais afin de conserver sa dernière liberté d’homme, celle de la nuit, mais il le regrettait maintenant parce que ces deux imbéciles ne le lâchaient plus le long de cette hygiénique promenade. L’un, M. Jaqueloir, était un vieux sous-officier qui parlait interminablement des écoles de tir et que rendait absolument enragé le son de l’artillerie, tonnant tous les mercredis, là-bas, derrière la sombre barrière de la forêt. Il comptait les coups et les choux avec le même entrain féroce, alignant des chiffres, des petits dessins d’obus groupés autour de la colonne Vendôme, des fleurs de grenades inspirées d’anciennes broderies impériales, des pyramides de boulets qui se terminaient par l’aigrette de la tour Eiffel. Il se mouchait en regardant ensuite le contenu de son mouchoir. Il prisait, cirait ses moustaches, ramenait, d’un geste lent, deux accroche-cœur de cheveux jaunes sur ses oreilles, couvrait son crâne d’aigle pelé avec une calotte de concierge. Sa vie tenait toute entre la question des épandages, les rendements fabuleux de l’agriculture améliorée, la culture intensive, et le développement du tir des canons du modèle cinq. Sans famille et sans la moindre fortune, il s’échouait là, vieille bête heureuse d’une litière abondante, exhibant une médaille militaire comme un arbre une plaque de zinc sur une mutilation. Il aimait le café, en fabriquait toute la journée avec de la chicorée et s’amusait, le dimanche, à creuser des encriers dans des pommes de terre, prétendant que l’encre coulait mieux de la plume sur le papier par l’addition des sucs de ce tubercule.

L’autre, M. Albain Gaufroi, était une espèce de jeune voyou décrassé, prétentieux, ancien garçon épicier qui avait, on ne savait comment, des lettres. Il rimait sur les marges de ses factures de rebut et expliquait à Fulbert que, s’il avait pu apprendre le latin, il aurait écrit l’histoire d’une pauvre femme poitrinaire mourant de l’abandon de son amant. Il possédait un nez en museau de poisson et une difficulté de la langue qui le faisait bégayer sur les mots de plus de deux syllabes. Il s’habillait solennellement le dimanche, mettait une cravate lie-de-vin, allait courir les petits bals de banlieue dont il rapportait souvent des maux d’yeux et d’oreilles assez peu poétiques. Naïvement, il disait des femmes des choses effroyables.

Fulbert, vêtu d’un veston décent, d’une culotte de cycliste (nécessaire dans ce pays pour enjamber les flaques), chaussé de souliers anglais, la barbe faite, les cheveux peignés, l’air humilié d’un prince qui gagne cinquante francs par mois, dirigeait ces deux fantoches sur le sentier de la vertu administrative, mais ne pouvait déjà plus supporter leur contact. Il les avait d’abord éblouis en faisant à lui seul l’ouvrage de trois personnes, puis, devant leur mine de confusion, il s’était rangé, pensant bien qu’il s’attirerait de sournois désagréments s’il persévérait dans ce système de zélateur. Lui, l’assassin, n’était pas là pour s’amuser à travailler comme un honnête homme ! Parvenu à la médiocrité, ce luxe des indigents, il devrait cultiver son petit coin de fumier sous l’attention du jardinier en chef. M. Davenel aurait eu peur d’un comptable de génie et il ne fallait pas que le père eût peur de l’amoureux de la fille.

Amoureux ? Fulbert était-il amoureux ? Il n’en savait plus rien lui-même. Les dessous de son amour l’inquiétaient comme le troublaient les dessous de Flachère. Après le louis de Marcus, il mangeait un pain encore plus douteux, d’un goût si fade et si peu en rapport avec son palais de carnassier qu’il se retenait la poitrine à deux mains pour ne pas rendre son cœur. Une barre de deuil pesait sur la page de sa vie. Il traînait un poids si lourd que ce relatif bien-être lui semblait une misère pire. Il avait dévoré de la vache enragée, voire du corbeau ; à présent, il suçait des bonbons, et il avait faim de chair très rouge ! On le leurrait avec des pastilles au miel qui détraquaient peu à peu son estomac. Au moins, jadis, il pouvait dormir tranquille sur la terre, assommé par l’horreur de ses remords ou de ses souvenirs, car il ne regrettait pas son crime, sa logique de fauve l’ayant admis fatalement. Mais, à présent, le fantôme de Flora s’agitait. Si Marcus n’était pas revenu, elle revenait. Le journaliste, bon prince, lui épargnait les gendarmes… Cependant un beau crime révélé n’est-il pas un triomphe dont tout reporter doit la gloire à sa patrie ? Et Fulbert songeait… se rongeait, la revoyait debout, le sein troué., les prunelles noyées d’eau, les yeux d’un vert printemps, le regardant, remplis d’un reproche très doux, d’un reproche de mère qui devine que son fils s’égare sur des routes dangereuses. Où l’avait-on enterrée ? Était-elle morte tout de suite ou avait-elle agonisé longtemps, cette créature bizarre, tendre et folle de son corps, qui avait bien représenté, pour ce garçon brûlé de toutes les précoces fièvres, la volupté, mère et consolatrice de tous les hommes ! Ne pas savoir… ne plus oser demander des nouvelles de la morte !

Au ronron des litanies de Jacqueloir, qui comptait le nombre des obus ayant plu sur Strasbourg la nuit du grand bombardement, ou durant qu’Albain Gaufroi lui récitait une pièce intitulée : le Réveil de Marguerite, il se mimait l’atroce drame obscur. Il avait frappé de bas en haut parce qu’elle se couchait sur l’oreiller, les seins en l’air, toujours presque nue. Lui se trouvait du côté de la table sous son bras arrondi, un moment la lame du couteau était venue, il ne savait plus comment, briller à son poing. Ce couteau, un grand manche noir uni, une lame traître qui le fascinait depuis des heures… coupait chez eux indifféremment des viandes ou du papier, c’était le couteau à tout faire. Un jour, Flora ne trouvant pas son peigne avait séparé ses cheveux de sa pointe un peu émoussée… Et voilà, elle en était morte, la pauvre chère fille !

— Vous disiez donc, mon cher monsieur Albain, qu’elle s’appelait Marguerite ?

Ce nom le faisait remonter des dessous de son ancienne existence aux dessous de la vie monotone de Flachère. Pourquoi diable ce garçon épicier mêlait-il le nom de la patronne à ses inepties ? Cela le tirait une minute de ses cauchemars. Le garçon épicier souriait d’une façon louche. Des rimes blondes alternaient avec des rimes de vermeil.

— Est-ce que vous avez jamais bu dans du vermeil, mon ami ? questionnait Fulbert, agacé.

— Non, pour sûr, mais c’est certainement blond.

— C’est pourpre, or et cuivre, d’ailleurs le vermeil ne se porte plus. Dorer l’argent était un sot métier d’autrefois. De nos jours on l’oxyde, on le corrode jusqu’à ce qu’il prenne une horrible couleur de bitume et de soufre… l’argent c’est un métal maudit.

— Oui, monsieur Fulbert. C’est par l’argent que tout arrive. Cependant celui qui s’appuiera la patronne aura le sac.

Ful éclatait de son rire de crécelle.

— Vous n’en n’êtes pas à espérer cette aubaine, mon vieil Albain ?

— Je ne me permettrai jamais de pareilles plaisanteries. La patronne, c’est du nanan qui n’est pas pour notre gueule, mais c’est pas défendu de la trouver jolie…

— Allons donc ! jolie ! Elle se serre trop, elle rougit à propos de botte… moi, elle m’exaspère avec son air de petite oie rose qui couve des œufs de serpent. Si on lui donnait le fouet tous les matins, ça irait mieux et lui ferait enfin tourner son lait d’iris à cette sacré bon dieu de petite nounou pour vampire.

Albain se tordait.

— Ah ! la sacré bon dieu de nounou pour vampire !… la petite oie rose !… non ! n’y a que vous pour trousser le compliment ! On dirait toujours que vous venez d’avaler du vinaigre !… Monsieur Fulbert… je ne connaissais pas les anarchos et je me défiais d’eux, mais au jour d’aujourd’hui je trouve que vous êtes des bons zigs. Si vous n’aimez pas les bourgeois, vous avez des manières de leur envoyer ça qui sont rudement rigolotes. On voit que vous n’en pincez pas pour la poésie…

Et on se souhaitait le bonsoir. Le vieux papa Jacqueloir levait sa calotte, soupirait :

— Le vent a sauté, monsieur Fulbert, il va pleuvoir demain. On entendra très bien le canon ! Ça pète rudement davantage quand il fait humide. Bonne nuit, fermez bien votre lucarne, rapport au grain. Ah ! ce qu’ils vont en perdre de la poudre… nos nouveaux artilleurs !…

Exténué, harassé, les nerfs tirés aux quatre chimères de son rêve, Fulbert se jetait sur son lit après avoir bu un verre d’eau-de-vie. Dormir ! Dormir ! Avant tout !

Sa besogne du matin expédiée en trois heures, quand il en fallait six aux deux comptables pour la classer et la recopier, Fulbert grimpait à pas de loup des sous-sols chez la patronne. À ce moment-là le père de Marguerite faisait sa ronde quotidienne dans les granges et les réfectoires. (M. Davenel répétait souvent que l’œil du maître est un frein nécessaire aux relâchements de l’ouvrier.) Les fenêtres de la jeune fille donnaient l’une sur la cour, l’autre sur les jardins. Elle avait la pièce d’angle du pavillon. Une bonne fortune, car elle la transformait en observatoire, ne se gênant pas pour lever les rideaux et lui souffler :

— Le voilà qui gronde le chef d’équipe. Nous en avons encore pour une demi-heure.

Prisonnier de l’intimité blanche de cette vierge, absolument vierge, et qui défendait rigoureusement ce qu’elle appelait les sales caresses : s’embrasser sur la bouche, ou passer la main plus bas que la gorge, il fondait peu à peu comme un morceau de métal sous un acide, se rouillait sans parvenir à prendre feu pour de bon. Il était très fort et très froid, par politesse d’abord, ensuite par une sorte de rancune contre la femelle vertueusement bourgeoise qu’elle lui représentait, mais elle était encore plus forte et plus froide que sa cervelle de jeune blasé. L’aimait-elle sincèrement, cachait-elle son jeu ou faisait-elle avec lui l’étude, la lecture de l’homme ? Il commençait à ne plus comprendre. Elle jouait le seul jeu possible pour une partenaire désintéressée de son gain. « Oui, je vous aime, seulement je ne peux pas vous épouser. Je ne vous connais pas, moi ! » Il avait pensé, en acceptant ces rendez-vous de gamine, en plein jour, sous le toit des parents, à la merci de tous les domestiques, de tous les employés entrant et sortant, qu’il fallait prendre des précautions vis-à-vis d’une enfant chaste trop étourdie pour savoir se protéger elle-même ou sauvegarder sa réputation, et il s’apercevait qu’elle avait déjà tout prévu. Elle avait fait renvoyer Pauline, la femme de chambre rapporteuse, et elle ne l’avait pas remplacée, se coiffant, s’habillant sans autre secours que ses petites mains de princesse. Elle savait bien que son père n’entrait jamais chez elle, et, de plus, son cabinet de toilette communiquait avec un escalier intérieur donnant accès dans la bibliothèque.

— Enfin, si on nous surprend un jour, que direz-vous, cher ange ?

— Nous ne faisons pas de mal, je dirai que vous êtes venu me demander la clé des archives de la ferme-école.

— Pourquoi pas celle du champ de tir de Salons-Laffitte, ma jolie ? objectait brutalement Fulbert, qui avait de ces réflexions de pandour.

— Il me croira et vous n’aurez qu’à lui expliquer n’importe quoi, il vous croira. Il a confiance en nous !

— C’est révoltant, ma chère petite, les hommes ne sont pas aussi bêtes que vous semblez le penser.

— Oh ! ils le sont bien davantage ! répliquait tranquillement l’ange, la jolie et la petite.

C’était une amitié amoureuse telle qu’un poète délicat aurait pu la créer, c’était surtout une spéciale griserie des sens aboutissant au plus absurde platonisme.

Fulbert se considérait comme mort à l’amour et mettait son dernier honneur d’homme à ne pas voler un trésor dont il ne se sentait pas digne… surtout parce qu’il n’y tenait pas, charnellement. Et Marguerite, mélange de ruse et de sentimentalité, ne voulait pas lui donner ce qu’elle désirait garder pour un mari. La vérité, planant bien au-dessus d’eux, était que, nés de souches différentes, ces deux rejetons des civilisations modernes ne pouvaient se joindre ou s’enlacer pour porter leurs fruits qu’à la faveur d’un orage, d’une de ces catastrophes qui changent les destinées en faisant couler de la sève, des larmes ou du sang.

Il y avait des semaines que cela durait. Fulbert en était malade… et il flairait le vent qui secouait autour d’eux les clochettes pures du jasmin d’Espagne ; il se disait qu’un matin, dans cette chambre blanche, à l’abri de ces voiles au crochet semblables à des araignées filant de la dentelle, une infernale boue ferait irruption. Les dessous de Flachère, fermentant de colère à voir leur plus merveilleux produit dédaigné ou dédaigneux, monteraient jusqu’aux fenêtres, escaladeraient leur paradis virginal en une monstrueuse vague noire, submergeant toute pudeur.

Chaque fois qu’il essayait de parler sérieusement, elle lui échappait comme un jeune chat qui court après une mouche. Il ne voulait tout de même pas violer une jeune fille destinée, selon lui, à le demander en mariage, tous rôles renversés. Il savait au juste qu’il pouvait faire sa fortune chez le père Davenel rien qu’en donnant un coup d’épaule dans quelques barrières. Les ingénieurs n’avaient pas dit leur dernier mot et les épandages lancé leurs derniers hoquets. Mais l’épouserait-il avant qu’elle fût sa maîtresse ou après ? Serait-il aimé pour lui ou pour sa sombre couronne de prince de l’aventure ? N’ayant jamais connu de vierge, il s’arrêtait au bord de ce joli précipice dissimulé sous les glaces, et il y a des gens qui n’aiment pas à briser la glace en ces sortes d’affaires !

Oui, elle était scrupuleusement honnête, et cependant quelle singulière vertu, à la fois plus mystérieuse que celle des trop fameuses demi-vierges (autre produit des civilisations modernes !) et plus solide que celle des jeunes filles banales. Elle calculait comme le comptable Jacqueloir. « Tant d’obus et tant de kilogrammes de poudre perdus ! » « Tant de baisers sur les cheveux, tant de plaisir gaspillé… car on ne s’aimait bien qu’à se raconter des histoires, se confier des secrets, triturer l’ordure de l’amour des autres ! »

— Vous me prenez pour le Bottin de la galanterie ! s’écriait-il quelquefois, scandalisé par ses questions extraordinaires. Pourtant, il l’initiait volontiers, supposant qu’il récolterait ce qu’il sèmerait, et il avait des remords, se sauvait quand le père, absolument aveugle, l’invitait à fumer, selon son expression favorite, le cigare du bourgeois. Elle risquait des théories charmantes qui le désarmaient, vernissaient d’attendrissement son regard trouble errant sur elle.

« Quand je vous embrasse, je suis votre femme, quand vous m’embrassez vous êtes mon mari, et quand nous nous embrassons nous ne sommes plus que deux enfants, deux petits amis de collège ! » Cela lui donnait des sensations étranges, car elle l’embrassait sur le front, lui la baisait furtivement sur l’oreille, et quand ils se pressaient l’un contre l’autre, les mains aux épaules et les yeux dans les yeux, ils restaient immobiles., sans souffle, ne parlant plus, saisis d’un vertige inexplicable qui les menait à l’extase.

— Penses-tu à moi la nuit ? demandait Fulbert, la tutoyant de loin en loin, brutalement, comme un qui cravache une bête fourbe.

— Je pense à vous quand je dors !

— Bien bizarre ! Et pourrait-on savoir la nuance de vos rêves, ma douce enfant ?

— J’ai toujours tout oublié quand je me réveille.

— Par discrétion, hein ? Tu es la servante qui feint d’ignorer ce que l’on jette pour elle dans la tirelire du comptoir… C’est prodigieux ! À la fête foraine de l’amour, s’il y en a jamais une, je propose qu’on m’exhibe avec cette mention : « Isolateur pour femme-torpille. » Enfin, tu m’aimes ?

— Je ne sais pas, car j’ai souvent envie de vous faire tuer !

— Excellent ceci… la haine est le début de toute passion…

— Oh ! non, pas pour de la haine, je pleurerais beaucoup de vous voir mort, mais si vous ne m’obéissiez pas en tout, je sonnerais, j’appellerais mon père et je lui dirais : « Cassez-lui la tête, je ne veux pas qu’il sorte vivant d’ici… » Ça n’empêche pas que j’en éprouverais du chagrin, allez.

— Et moi donc !

Ce n’était pas la demi-vierge, mais bien la vierge et demie !

Un vice, par exemple, un petit vice très singulier, qui consistait dans l’intense plaisir qu’elle éprouvait à lui faire épouser ses mains.

— Épousez-moi les mains ! répétait-elle d’un ton de petite fille qui veut manger du charbon ou de la farine.

C’était peut-être la revanche d’une mauvaise plaisanterie qu’il lui avait glissée un soir en lui disant que l’idée ne lui viendrait pas de demander une main.

Et alors, docilement quoique à regret, il prenait ses mains, les unissait aux siennes par les paumes, enlaçait un à un ses doigts blancs qu’il faisait craquer et la forçait à plier un peu sur les jarrets, comme on tient en respect une jument récalcitrante rien qu’en lui saisissant les naseaux entre le pouce et l’index.

— Ça t’amuse ?

— J’adore ça… il me semble que je vais mourir ou devenir folle !

— Aucun danger ! Tu vas entendre ton père siffler dans la cour, tu bondiras vers ton miroir et tu réorganiseras le bouffant de tes cheveux !

C’était d’ailleurs exact, elle arrangeait sa coiffure, poudrait légèrement la rougeur de ses joues et frappait sur un timbre pour appeler la cuisinière. Lui disparaissait une seconde derrière la portière du cabinet de toilette.

— Élisa, qu’est-ce qu’il y a pour déjeuner ?

― Des œufs à la crème et du jambon. Mademoiselle désire-t-elle que j’ajoute du poulet froid mayonnaise ?

— Oui, n’oubliez pas les marrons fourrés. Il doit en rester d’hier soir.

Et la cuisinière partie, il réapparaissait.

— Ça creuse, les jeux de mains ? gouaillait-il, un peu vexé de cette aisance de vieille reine glacée chez une jeune fille ignorante, mais bien portante.

— Moi, depuis que je ne m’ennuie plus, j’ai toujours faim… Je mangerais de la viande crue si le médecin me l’ordonnait, comme il y a trois ans.

— Fichtre !… casser la tête aux gens… manger de la viande crue… où allons-nous ! J’ai bien envie de ne plus jouer à la main chaude, moi !

Elle le regardait, narquoise…

— Vous jouerez encore… jeux de mains… jeux de vilains !…

Un jour, ils eurent des discussions plus graves. Ils étaient sortis chacun de leur côté, se donnant rendez-vous sous les arbres du bord de l’eau, en face du village de la Brette. Il y avait là un canapé de mousse qui aurait tenté la plus farouche réserve. Assis l’un près de l’autre, ils se taisaient devant l’eau noire, coulant unie et huileuse comme un fleuve de bitume. Leur salon de verdure n’avait d’issue que sur les champs de Flachère en pleine floraison et que les ouvriers de l’équipe des dessous ne visitaient pas à cette époque d’illusions poétiques.

Une armée de marguerites veillait autour de leur grande sœur, les saules et le tremble jetaient un voile d’ombre sur son front. Elle semblait plus pâle, plus songeuse que de coutume.

En face, les maisons du village rangées en rang de dominos montraient les fenêtres closes, mortes, des orbites fatiguées de voir couler leur propre putréfaction.

— Il n’y a donc pas d’habitants dans ce village ? murmura Fulbert, énervé par le silence et la beauté de ce pays enveloppé d’une sorte de malédiction.

— Ils ont juré de ne pas ouvrir leurs croisées au vent des épandages…

— Ah ! ah ! le fameux vent d’ouest !

— Oui bien ! Ce sont des entêtés. Est-ce que nous sentons quelque chose, nous ?

— Je crois que nous commençons à nous habituer… nous faisons partie de cette chose peu à peu…

— Fulbert ?

Elle tourmentait le manche de son ombrelle, la lèvre nerveuse, les sourcils froncés.

— Enfin, je sais que le sujet t’irrite, cependant ce n’est pas possible de venir ici pour la première fois sans être suffoqué, ma chère.

— Taisez-vous donc… il ne faut jamais me tutoyer dehors !

— Même quand on se trouve au milieu d’un désert ? Même en baissant la voix… À ce propos, Marguerite, avez-vous remarqué que lorsqu’on vous dit chut ! on est porté à répéter tout bas ce que l’on vient de crier ?… Ce qui est stupide puisqu’on vous a déjà trop entendu. (Il fit une pause.) Marguerite… je t’aime, ajouta-t-il plus bas.

— Non… vous ne m’aimez pas, ça vous amuse de me le dire pour me le faire croire.

— Peut-être… et vous ? Cela vous amuse-t-il de me mentir aussi bien ?

— Vous êtes quelqu’un que je ne connais pas.

— Tant mieux. Dès que deux amants se connaissent des pieds à la tête et du cœur au cerveau, ils n’ont plus qu’à se séparer. Il faut qu’ils aient toujours la surprise de se découvrir, sous peine de ne plus pouvoir se souffrir mutuellement… Nous sommes, du reste, de singuliers amants… Nous ne parlons jamais ni de passé ni d’avenir.

— Je n’ai pas de passé… vous n’avez pas d’avenir, Fulbert.

— Vous êtes délicieusement consolante. Bref, je ressemble à Jacqueloir et à Gaufroi, mes deux collègues en écritures ?

— Non ! Il y a des secrets dans vos yeux.

— Et cela vous attire, un peu comme la vision d’un cadavre au fond de l’eau, n’est-ce pas ?

— Oh !… vous n’avez tué personne, vous.

Il y eut un silence.

Est-ce que, par hasard, cette fine fleur de bourgeoisie, nourrie de mauvais romans et pourrie de mauvais air, lui reprochait son manque d’énergie comme anarchiste militant ?

— Et si je vous disais que j’ai tué quelqu’un ? murmura-t-il, levant le front du milieu des touffes de menthe dans lesquelles il s’était lové presque à ses chevilles.

— Je ne le croirais pas non plus !

— Ah !… Selon vous, j’en suis incapable, aussi incapable que de vous violer, par exemple, un jour… de vent d’ouest ?…

— Ne dites pas de sales choses.

Marguerite, qui lisait les journaux, de préférence à la colonne des faits-divers, était très instruite sur la manière de violer les petites et les grandes filles. Elle lisait ces horreurs sans dégoût, comme on regarderait agir des singes derrière des barreaux de cage. Le monde était nettement séparé en deux : les gens propres qui font des choses propres, et les gens sales qui font des choses sales. On ne se mélange pas, mais on peut se parler… de cage à cage. Se parler pris dans l’acception populaire que les bonnes emploient pour se défendre contre une accusation : « Oh ! Madame, ce garçon me parle, nous nous parlons, mais il n’y a rien entre nous ! » L’idée que ce garçon qui lui parlait aurait pu lui sauter dessus ne lui venait même pas à l’esprit. Elle ressentait auprès de lui toutes les joies d’une possession, mais c’était bien elle qui possédait. Elle le sortait d’un placard comme un objet, jouait à le tourner et à le retourner, en avait une peur bleue, une peur exquise du genre de celle que l’on a au théâtre quand le traître prononce les paroles fatales ou tire sa dague, puis, raisonnablement, le renvoyait à son placard. Comment eût-il osé la violer, mon Dieu, alors qu’en un pas elle pouvait atteindre un timbre ? Compromise ? Par quoi ? Elle ne livrait pas grand’ chose de sa personne. Elle ne lui écrivait jamais. Son père, parodiant Avinain, répétait si souvent : « N’écrivez jamais. » Simplement parce que le pauvre homme avait la plume rétive. Elle ne lui donnerait même pas sa photographie, et Dieu savait que ce sacrifice lui coûtait, car elle possédait certaines cartes-album d’une de ses meilleures poses… le coude sur une colonne de marbre, la taille droite et la robe ondulant dans une perspective d’un kilomètre. Il ne lui manquait qu’un diadème pour ressembler à la reine Wilhelmine, la si gracieuse majesté qui possède aussi un particulier aspect de jeune fille très ordinaire.

Fulbert se dressait peu à peu du sein de ces menthes dont le parfum, plus intense en ce pays qu’en aucun autre, lui montait à la tête.

— Voyons, ma chère, dit-il de sa voix rauque et cassée de terreur de barrière, quel jeu jouons-nous, décidément ? Je suis fatigué, moi, de vos jolies comédies de mondaine. Nous ne sommes pas ici dans le monde… ni dans votre chambre blanche qui me tourne sur le cœur depuis quelque temps comme un plat d’œufs à la neige trop vanillés. Vous m’aimez d’amour ni plus ni moins qu’une fille peut aimer son souteneur ou, pour m’exprimer selon votre entendement virginal, comme on aime celui qu’on désire, mais qui ne sera jamais le protecteur légal. Je conçois que vous ne vouliez pas m’épouser, je suis un assez triste sire sous le rapport de la légalité… Cependant, je suis capable de faire un amant passable à l’occasion. Qu’est-ce que vous attendez ? Que l’occasion fiche le camp… avec moi !

Marguerite lui posa la main sur les lèvres.

— Oh ! finis, dit-elle boudeuse… tu me racontes des abominations.

— Avec ça que ça ne t’amuse pas… quelquefois, le matin, quand tu dénoues tes cheveux ?… Tu n’es qu’une petite sotte… et si tu daignes me tendre ton oreille… tu sais tout de même que ce n’est pas par là…

— Nous nous fâcherons, Fulbert ! Je veux bien que tu m’apprennes la vie où il se passe de vilaines choses… Je ne veux pas que nous en fassions. Il y a mon père… d’abord.

— Et même ensuite… car tu as vraiment la terreur de le voir surgir quand je t’embrasse comme on craindrait d’être dérangé par le serre-frein dans un sleeping. C’est par prudence que tu as mis hier un peignoir sans corset et une matinée si transparente qu’on apercevait la pointe de tes seins ?

— Vous me dites toujours que je m’abîme à porter des corsets trop étroits ?

— Marguerite, vous êtes d’une ingénuité bien compliquée pour votre serviteur. Je vais donner ma démission. J’ai assez des cultures intensives.

— Où irez-vous ? Vous constituer prisonnier ?

— Est-ce que vous seriez de la police, ma douce enfant !

— Fulbert, vous, vous n’êtes pas capable de me mériter… Vous ne feriez aucun tour de force pour vous élever jusqu’à moi.

D’un saut, Fulbert fut debout, vert de rage, sous l’ombre légère des saules à peine bourgeonnés de petits boutons tendus, eux aussi, comme des pointes de sein.

— Pas capable de vous mériter ? Est-ce que l’amour, cette suprême loi de la beauté de la vie, a besoin, pour se prouver, de la hideur d’une convention banale ? Est-ce que pour nous appartenir l’un et l’autre nous avons besoin de nous salir d’abord les mains à des besognes avilissantes ? A-t-on besoin, pour s’aimer, d’une autre impulsion que celle d’aimer ? Je suis le secrétaire de ton père ; c’est déjà trop pour mon honneur de mâle que je place plus haut que ton honneur de bourgeoise, ma petite, car il a dû s’affranchir d’un horrible esclavage : celui des sens. C’est trop, entends-tu, que je reçoive un salaire quelconque pour avoir le droit de respirer l’air, empesté de miasmes sociaux, que tu respires ! Ah ! tu trouves que je n’en ai pas assez fait en acceptant l’hospitalité d’une ferme-école, moi, le vagabond des grandes routes de l’intelligence qui n’ai plus rien à apprendre au sujet de la pousse des choux ! Tu penses que je devrais aller à la guerre du progrès contre la routine pour y décrocher une épaulette de lieutenant, comme jadis les héros de vos bourgeoises mamans allaient quérir la faveur de leur bien-aimée en assassinant des tas de bougres qu’ils ne connaissaient pas… Non ! mais, en vérité, pour qui me prends-tu ? Et qu’entrevois-tu donc dans ce que je t’enseigne de la passion ? À l’époque des cavernes, quand la terre n’était pas décomposée par vos engrais chimiques, le mâle avait le droit de conquérir sa femelle par la seule puissance de son désir et de sa force, il avait aussi le droit, le devoir de la tuer si elle le trompait ou songeait à l’asservir d’une façon quelconque. L’amour est le seul terrain qu’on n’améliore pas. Il y croît toujours les mêmes plantes aux libres racines… bonnes ou mauvaises ; rien ne les arrachera du sol. Je n’ai rien à voir, moi, dans vos louches combinaisons perfectionnées. Je ne suis pas allé te chercher ! Me sachant et me voulant hors vos lois, je me suis tenu à l’écart comme le loup que la faim ne fait même plus sortir des forêts. Je me serais volontiers crevé à cette peine que je trouvais plus à ma taille que les petits jeux sournois que tu m’apprends. Tu es vierge ? Je veux le croire. Tu es belle, je le constate. Mais tout cela, je ne puis l’acheter, ma chère, ni par une attente énervante de l’occasion, ni par le déploiement de sacrifices, d’artifices inutiles. Je ne me creuserai pas la tête pour inventer une mécanique agricole. Non ! Je te veux, tu me veux, unissons-nous ! Et je souhaite que mon plaisir vaille le tien ! En ce moment de fermentation générale, il y a des choses dans l’atmosphère qui me troublent beaucoup plus que la pointe agressive de tes seins. Positivement, cela sent le cadavre, chez toi, et je m’imagine que tous nous avons nos intolérables dessous peuplés de morts… Tiens, regarde le bord de ta robe blanche, Immaculée Conception de la pure amitié ! Regarde… elle est noire… tous tes dessous sont noirs… quoi que tu fasses jamais pour te nettoyer, sale bourgeoise, ta conscience sera toujours aussi malpropre que la mienne… La mort ou la m…, c’est la même histoire, au fond !…

Emporté par sa fougue d’étalon pris au piège, il ne se souvenait plus du tout qu’il ne fallait pas ruer sur cette trappe de métal sonore qui dissimulait les épandages. Marguerite, à son tour dressée, plus pâle que ses jeunes sœurs en étoiles qui la contemplaient curieusement, s’écria, un peu feuilleton du Petit Journal :

— Fulbert, vous êtes un lâche !

— V’lan ! Je m’y attendais, à la phrase de mélodrame, riposta Fulbert. Tu ne me feras grâce d’aucune bêtise… et tu ne sauras jamais si bien dire ! Oui, je suis un lâche d’avoir assassiné… le semblant de dignité qui me restait ! Je suis un lâche d’être venu te demander de l’oubli et du pain, à toi, la Vierge au placard, la Vierge de Nuremberg qui ne refermes tes bras sur tes victimes que pour les chatouiller aux endroits non essentiels afin que le supplice dure ! C’est pour toi, en somme, que je suis ici, et tu me fais payer par ton père pour t’amuser… Seulement, les rôles changent : j’ai l’intention de m’amuser davantage. Moi, j’en ai assez de respirer des émanations douteuses, des odeurs tour à tour violentes et fades : jacinthes, roses, iris et fumures spéciales ! Je suis un lâche… un monstre… un anarchiste… c’est entendu… mais tu es une putain, oui, toi la vierge, la fleur fine de la bourgeoisie intensive. Une putain, c’est celle qui se refuse pour le calcul honteux de se réserver à son mari futur… Moi ou un autre ! Et il y a un degré de plus chez toi… l’avare de baisers… tu économises même sur la menue monnaie de tes vices !

Marguerite éclata en sanglots.

— Fulbert ! c’est épouvantable ! Je vous défends de me parler, je vous défends de toucher à ma robe. Est-ce que vous allez tout dire à mon père, à présent ?

Fulbert, que des larmes auraient pu désarmer, fut rendu féroce par cette pauvre exclamation d’une terreur à la fois enfantine et très égoïste.

— Ton père !… (Il la regarda un instant avec pitié.) Eh bien, oui, je vais tout lui dire…

Marguerite poussa un cri ; rassemblant ses jupes autour d’elle, sans même s’essuyer les yeux, elle se sauva, fendant le flot dès hautes menthes comme une femme poursuivie.

Cette fois, le vagabond Amour faisait mieux que passer sur ses terres, il se permettait d’y chasser, le cruel Chemineau !

Fulbert n’avait, lui, jamais calculé, ni mesuré ses paroles ou ses gestes. Il voulait se venger le plus promptement, le plus dédaigneusement possible.

Il hâta le pas sur le sentier des épandages, traversant le champ des choux-fleurs géants, ceux qu’on appelait : les perles de Flachère, boules de billard énormes dont la blancheur de mal blanc cachait ces affreux lombrics qui s’y développaient, s’y déroulaient, comme en des bocaux de pharmacien.

Ah ! les perles de Flachère… quel collier !…

Au bout de cinq minutes il fut dans le bureau du directeur. M. Davenel somnolait sur les multiples paperasses à grand’peine mises en ordre par Jacqueloir et Gaufroi.

— Cher Monsieur, déclara-t-il, claquant la porte, car il pensait bien que Marguerite collerait son oreille à la serrure, je désire vous informer de ma nouvelle résolution. Je m’en vais…

— … Vous nous quittez, s’exclama M. Davenel ahuri ! Vous voulez vous en aller, au moment de nos inventaires ? Mais vous êtes fou ! Qu’est-ce qui vous arrive ? Vous avez reçu de mauvaises nouvelles ?… Voyons ! Ce n’est pas sérieux… Un piocheur comme vous… qui mordait si bien au travail… Fulbert ?…

— Monsieur, scanda le jeune homme sèchement, je m’en vais parce que l’air est irrespirable ici… au moins pour moi. Je n’ai plus envie de travailler… j’ai envie de violer… (Il fit une pause, eut le temps de saisir un petit bruit de chatte frôleuse derrière la portière du bureau.)

— Vous avez envie de violer ? balbutia le directeur de Flachère complètement effondré par cet aveu inouï qu’il n’avait pas encore entendu sortir de la bouche d’un ouvrier saoul, même du plus grossier de tous les ivrognes.

— … Oui, Monsieur, c’est comme j’ai l’honneur de vous le dire en ma qualité d’anarchiste toujours prêt aux revendications sociales… J’ai envie de violer… votre coffre-fort, là-bas, cette grosse machine bête en fer gris qui ressemble à un corps de locomotive privée de ses roues. Je préfère m’en aller parce que le sang me monte au cerveau. Vous saisissez ? Le printemps. L’herbe tendre. Je suis une sinistre crapule. Cependant je ne veux tout de même pas vous voler, à vous, la fille de vos œuvres… votre fortune.

— Mais, bégaya le père de Marguerite atterré, sinon très étonné, car avec un anarchiste militant il faut s’attendre aux pires lunaisons, c’est idiot cette envie-là ! Est-ce que vous pensez que je suis assez Jean-Jean pour laisser ma fortune dans un coffre-fort… quand il y a les banques ?

— Oh ! vous savez, riposta Fulbert, dont les prunelles sombres eurent un jet de feu, c’est pour la forme, simplement ! On viole une de ces machines vides en passant, un soir d’avril, comme on éventrerait une femme sans cœur, histoire de lui faire sentir sa puissance de mâle ! Cher Monsieur, je n’en reste pas moins votre obligé… pour les parfums d’iris que j’emporte avec moi (et il désigna une plate-bande en face de la fenêtre ouverte).

— Où allez-vous vivre, maintenant, ne possédant ni certificat, ni papier, ni répondant… Avec des envies de ce goût-là… je ne peux guère vous donner de recommandation, moi !

— Je garderai encore quelques semaines le petit taudis du bord de la forêt, si vous le permettez. On y respire un air vraiment pur, et il y règne une fraîcheur de cimetière provincial qui calme les fièvres.

— Enfin… comme il vous plaira. Il est plus sage de fuir les tentations, et le péché non commis est à moitié pardonné. À vous revoir !

Et le directeur de Flachère affecta le maintien bon enfant qu’ont les médecins aliénistes devant un agité.

Le soir, il confiait à sa fille, en pouffant dans sa serviette, que les anarchos ne sont pas ce qu’un vain peuple pense :

— … Des dégénérés !… des névrosés !… des pauvres diables qui, au dernier moment, vous flanquent toujours la bombe dans les water-closets… Ils manquent de poigne !…

Marguerite, plus blanche que la serviette de son père, l’approuvait, par signes.