Le Fils d’Ugolin/8

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Calmann-Lévy éditeurs (p. 85-97).
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VIII

Au retour à Paris, Pierre Arbrissel devait trouver un apaisement personnel de ses troubles. Il rentrait pour cette année encore chez les Dominicains pour préparer une licence de lettres. Ses maîtres voyaient là une formation fort efficace pour la prédication de l’Évangile vers laquelle il béait, comme ses camarades vers l’idéal féminin.

Il connut là, dès le premier trimestre, une période inoubliable de délices spirituelles qui l’emportaient véritablement au-dessus de la terre. C’étaient de mystiques fiançailles avec son Dieu. Il n’est pas de vieux religieux, ni de vieux prêtres, ni de vieilles moniales qui ne se souviennent avec un émoi sacré de ces bondissements de leur cœur qu’ils ont tous connus lors de leur entrée en religion. Dans le petit hôtel de la rue Saint-James, quand il rentrait le soir du collège ou des cours de la Sorbonne, on l’entendait chanter dans sa chambre. Sa nourrice donnait du coude dans le coude de la cuisinière : « Écoutez donc M. Pierre ! — Il doit avoir l’amour en tête, disait celle-ci. — Oh ! non ! répliquait la Bretonne, plus subtile ; c’est la jeunesse tout simplement ! — Peut-être ! convenait la cuisinière, car voyez donc Monsieur qui va seulement sur cinquante ans et qui est déjà si triste ! »

Un drame en effet se jouait secrètement aux côtés de Pierre dans cette maison du grand peintre, à la façade blanche si sereine. « Mon pauvre enfant, confiait Annie à son fils, je suis bien désolée ; ton père est en train de sombrer dans une noire neurasthénie ! — Mais oui, mais oui, reprenait Pierre qui revenait toujours de loin. Je m’en aperçois aussi ; mais je suppose qu’il doit être en travail d’une nouvelle composition qui l’absorbe. Il a tourné ses toiles des Géants face contre le mur. C’est le signe qu’il veut faire table rase de cette manière formidable qui a été la sienne un temps. Il médite certainement des créations inattendues. Tu verras, maman, qu’il nous mettra bientôt en face de procédés nouveaux, de conceptions très différentes des précédentes, d’un rejaillissement de son génie. » Mais le temps passait et Hyacinthe ne peignait toujours plus, s’enfermait dans son atelier. On ne le voyait plus sortir que rarement, et, quand il rentrait, c’était encore plus accablé qu’au départ.

Tout l’hiver s’écoula ainsi entre la sérénité désormais affectée de Mme Arbrissel, la sourde inquiétude qui commençait à serrer le cœur de son fils, et la tristesse croissante du grand-peintre. On était aux premiers mois de 1898 et Arbrissel n’avait rien préparé pour le Salon du Champ de Mars. « Tu devrais gourmander ton père, le Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/97 Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/98 Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/99 Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/100 Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/101 Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/102 Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/103 Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/104 Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/105 Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/106 costume qui le marquerait comme citoyen d’un monde surnaturel.

Douceur d’appartenir tout au Christ ! D’être désigné ouvertement pour l’annonciation de son évangile ! De le servir en sacrifice perpétuel. D’échapper à toutes les vilenies du monde. De vivre intégralement la Doctrine de Jésus, aidé de tous les secours d’une règle admirable, au lieu d’avoir à lutter contre les empêchements du siècle et de demeurer ainsi à demi chrétien, à demi mondain !