Le Quart Livre/Texte entier

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LE
QVART LIVRE[1]
DES FAICTS ET
dicts Heroiques du bon[2]
Pantagruel.
Compoſé par M. François Rabelais
docteur en Medicine.

.NE LA MORT,[3]

.NE LE VENIM[3].

A PARIS,
De l'imprimerie de Michel Fezandat, au mont
S. Hilaire, a l’hoſtel d’Albret.

1552.
Auec priuilege du Roy.[4]

A tresillvstre Prince,
ET REVERENDISSIME MON SEIGNEVR ODET[5]
cardinal de Chastillon.


Vovs eſtez deuement aduerty, Prince treſilluſtre, de quans grands perſonaiges i’ay eſté, & ſuis iournellement ſtipulé, requis, & importuné pour la continuation des mythologies[* 1] Pantagruelicques : alleguans que pluſieurs gens languoureux, malades, ou autrement faſchez & deſolez auoient à la lecture d’icelles trompé leurs ennuictz, temps ioyeuſement paſſé, & repceu alaigreſſe & conſolation nouuelle. Es quelz ie ſuis couſtumier de reſpondre, que icelles par eſbat compoſant ne pretendois gloire ne louange aulcune : ſeulement auois eſguard & intention par eſcript donner ce peu de ſoulaigement que pouois es affligez & malades abſens, lequel voluntiers, quand beſoing eſt, ie fays es preſens qui ſoy aident de mon art & ſeruice. Quelques fois ie leurs expoſe par long diſcours, comment Hippocrates en pluſieurs lieux, meſmement on ſixieſme liure des Epidemies, deſcriuant l’inſtitution du medicin ſon diſciple : Soranus Epheſien, Oribaſius, Cl.
Galen, Hali Abbas, autres autheurs conſequens pareillement, l’ont compoſé en geſtes, matation, reguard, touchement, contenence, grace, honeſteté, netteté de face, veſtemens, barbe, cheueulx, mains, bouche, voire iusques à particularizer les ongles, comme s’il deuſt iouer le rolle de quelque Amoureux ou Pourſuyvant en quelque inſigne comœdie, ou deſcendre en camp clos pour combatre quelque puiſſant ennemy. Defaict la practique de Medicine bien proprement eſt par Hippocrates comparée à vn combat, & farce[6] iouée à trois perſonnages : le malade, le medicin, la maladie. Laquelle compoſition liſant quelque fois m’eſt ſoubuenu d’vne parolle de Iulia[7] à Octauian Auguſte ſon pere. Vn ieur elle s’eſtoit deuant luy preſentee en habiz pompeux, diſſoluz, & laſcifz : & luy auoit grandement deſpleu, quoy qu’il n’en ſonnaſt mot. Au lendemain elle changea de veſtemens, & modeſtement ſe habilla comme lors eſtoit la couſtume des chaſtes dames Romaines. Ainſi veſtue ſe preſenta deuant luy. Il qui le iour precedent n’auoit par parolles declaré le deſplaiſir qu’il auoit eu la voiant en habitz impudicques, ne peut celer le plaiſir qu’il prenoit la voiant ainſi changée, & luy diſt. O combien ceſtuy veſtement plus eſt ſeant & louable en la fille de Auguſte. Elle eut ſon excuſe prompte, & luy reſpondit. Huy me ſuis ie veſtue pour les œilz de mon pere. Hier ie l’eſtois pour le gré de mon mary. Semblablement pourroit le medicin ainſi deſguiſé en face & habitz, meſmement reueſtu de riche & plaiſante robbe à quatre manches, comme iadis eſtoit l’eſtat, & eſtoit appellee Philonium, comme dict Petrus Alexandrinus in 6. Epid. reſpondre à ceulx qui trouueroient la prosopopée[* 2] eſtrange. Ainſi me ſuis ie acouſtré, non pour me guorgiaſer & pomper : mais pour le gré du malade, lequel ie viſite : auquel ſeul ie veulx entierement complaire : en rien ne l’offenſer ne faſcher.

Plus y a. Sus vn paſſaige du pere Hippocrates on liure cy deſſus allegué nous ſuons diſputans & recherchans non ſi le minois du medicin chagrin, tetrique[* 3], reubarbatif[8], Catonian[* 4], mal plaiſant, mal content, ſeuere, rechigné contriſte le malade : & du medicin la face ioyeuſe, ſeraine, gratieuſe, ouuerte, plaiſante reſiouiſt le malade. Cela eſt tout eſprouué & treſcertain. Mais ſi telles contriſtations & eſiouiſſemens prouiennent par apprehenſion du malade contemplant ces qualitez en ſon medicin, & par icelles coniecturant l’iſſue & catastrophe[* 5] de ſon mal enſuiuir : ſçauoir eſt par les ioyeuſes ioyeuſe et deſirée, par les faſcheuſes faſcheuſe & abhorrente. Ou par transfuſion des eſperitz ſerains ou tenebreux : aërez ou terreſtres, ioyeulx ou melancholiques du medicin en la perſone du malade. Comme eſt l’opinion de Platon, & Auerroïs.

Sus toutes choſes les autheurs ſuſdictz ont au medicin baillé aduertiſſement particulier des parolles, propous, abouchemens, & confabulations, qu’il doibt tenir auecques les malades, de la part des quelz ſeroit appellé. Lesquelles toutes doibuent à vn but tirer, & tendre à vne fin, c’eſt le reſiouir ſans offenſe de Dieu, & ne le contriſter en façon quelconques. Comme grandement eſt par Herophilus blaſmé Callianax[9] medicin, qui à vn patient l’interrogeant & demandant, mourray ie ? impudentement reſpondit.

Et Patroclus à mort ſuccumba bien :
Qui plus eſtoit que ne es homme de bien.

A vn aultre voulent entendre l’eſtat de ſa maladie, & l’interrogeant à la mode du noble Patelin.

Et mon vrine
Vous dict elle poinct que ie meure ?

il follement reſpondit. Non, ſi t’euſt Latona mere des beaulx enfans Phœbus, & Diane, engendré. Pareillement eſt de Cl. Galen lib. 4. comment. in 6. Epidemi. grandement vituperé Quintus ſon præcepteur en medicine, lequel à certain malade en Rome, homme honorable, luy diſant : vous auez deſieuné, noſtre maiſtre, voſtre haleine me ſent le vin : arroguamment reſpondit. La tienne me ſent la fiebure : duquel eſt le flair & l’odeur plus delicieux, de la fiebure ou du vin ?

Mais la calumnie de certains Canibales[* 6], miſantropes[* 7], agelaſtes[* 8], auoit tant contre moy eſté atroce & deſraiſonnee, qu’elle auoit vaincu ma patience : & plus n’eſtois deliberé en eſcrire vn Iota[* 9]. Car l’vne des moindres contumelies dont ilz vſoient, eſtoit, que telz liures tous eſtoient farciz d’hereſies diuerſes : n’en pouoient toutes fois vne ſeulle exhiber en endroict aulcun : de folaſtries ioyeuſes hors l’offence de Dieu, & du Roy, prou (c’eſt le ſubiect & theme[* 10] vnicque d’iceulx liures) d’hereſies poinct : ſinon peruerſement & contre tout vſaige de raiſon & de languaige commun, interpretans ce que à poine de mille fois mourir, ſi autant poſſible eſtoit, ne vouldrois auoir penſé : comme qui pain, interpretoit pierre : poiſſon, ſerpent : œuf, ſcorpion. Dont quelque fois me complaignant en voſtre præſence vous dis librement, que ſi meilleur Chriſtian ie ne m’eſtimois, qu’ilz me monſtrent eſtre en leur part : & que ſi en ma vie, eſcriptz, parolles, voire certes penſees, ie recongnoiſſois ſcintille aulcune d’hereſie, ilz ne tomberoient tant deteſtablement es lacs de l’eſprit Calumniateur, c’eſt Διάϐολος[10], qui par leur miniſtere me ſuſcite tel crime. Par moymeſmes à l’exemple du Phœnix, ſeroit le bois ſec amaſſé, & le feu allumé, pour en icelluy me bruſler.

Allors me dictes que de telles calumnies auoit eſté le defunct roy François d’eterne memoire, aduerty : & curieuſement aiant par la voix & pronunciation du plus docte & fidele Anagnoſte[* 11][11] de ce royaulme ouy & entendu lecture diſtincte d’iceulx liures miens (ie le diz, par ce que meſchantement l’on m’en a aulcuns ſuppoſé faulx & infames[12]) n’auoit trouué paſſaiges aulcun ſuſpect. Et auoit eu en horreur quelque mangeur de ſerpens, qui fondoit mortelle hæreſie ſus vn N. mis pour vn M.[13] par la faulte & negligence des imprimeurs. Auſſi auoit ſon filz noſtre tant bon, tant vertueux, & des cieulx beniſt roy Henry : lequel Dieu nous vueille longuement conſeruer, de maniere que pour moy il vous auoit octroyé priuilege & particuliere protection contre les calumniateurs : Ceſtuy euangile[* 12] depuys m’auez de voſtre benignité reiteré à Paris, & d’abondant lors que nagueres viſitatez monſeigneur le cardinal du Bellay : qui pour recouurement de ſanté apres longue & faſcheuſe maladie, s’eſtoit retiré à ſainct Maur : lieu, ou (pour mieulx & plus proprement dire) paradis de ſalubrité, amenité, delices, & tous honeſtes plaiſirs de agriculture, & vie ruſticque.

C’eſt la cauſe, Monſeigneur, pourquoy præſentement, hors toute intimidation, ie mectz la plume au vent : eſperant que par voſtre benigne faueur me ſerez contre les calumniateurs comme vn ſecond Hercules Gaulloys[* 13], en ſçauoir, prudence, & eloquence : Alexicacos[* 13], en vertuz, puiſſance, & auctorité, duquel veritablement dire ie peuz ce que de Moſes le grand prophete & capitaine en Iſrael dict le ſaige roy Solomon Eccleſiaſtici 45. homme craignant & aymant Dieu : agreable à tous humains : de Dieu & des hommes bien aymé : duquel heureuſe eſt la memoire. Dieu en louange l’a comparé aux Preux : l’a faict grand en terreur des ennemis. En ſa faueur a faict choſes prodigieuſes & eſpouentables : En præſence des Roys l’a honoré, Au peuple par luy a ſon vouloir declaré, et par luy ſa lumiere a monſtré. Il l’a en foy & debonnaireté conſacré, & eſleu entre tous humains. Par luy a voulu eſtre ſa voix ouye, et à ceulx qui eſtoient en tenebres eſtre la loy de viuificque ſcience annoncee.

Au ſurplus vous promettant, que ceulx qui par moy ſeront rencontrez congratulans de ces ioieulx eſcriptz, tous ie adiureray, vous en ſçauoir gré total : vnicquement vous en remmercier, & prier noſtre ſeigneur pour conſeruation & accroiſſement de ceſte voſtre grandeur. A moy rien ne attribuer, fors humble ſubiection & obeiſſance voluntaire à voz bons commandemens. Car par voſtre exhortation tant honorable m’auez donné & couraige & inuention : & ſans vous m’eſtoit le cueur failly, & reſtoit tarie la fontaine de mes eſpritz animaulx. Noſtre ſeigneur vous maintienne en ſa ſaincte grace. De Paris ce 28 de Ianuier 1552.

Voſtre treſhumble & treſobeiſſant ſeruiteur
Franç. Rabelais medicin.

PROLOGVE DE L’AVTHEVR

M. François Rabelais
povr le qvatrieme livre
des faicts et dicts heroiqves
de Pantagrvel.
Aux lecteurs beneuoles.


Gens de bien, Dieu vous ſaulue & guard. Ou eſtez vous ? Ie ne vous peuz veoir.[14] Attendez que ie chauſſe mes lunettes. Ha, ha. Bien & beau s’en va Quareſme[15], ie vous voy. Et doncques ? Vous auez eu bonne vinee ? à ce que lon m’a dict. Ie n’en ſerois en piece marry. Vous auez remede trouué infinable contre toutes alterations ? C’eſt vertueuſement operé. Vous, vos femmes, enfans, parens, & familles eſtes en ſanté deſiree. Cela va bien, cela eſt bon : cela me plaiſt. Dieu, le bon Dieu, en ſoit eternellement loué : & (ſi telle eſt ſa ſacre volunté) y ſoiez longuement maintenuz. Quant eſt de moy, par ſa ſaincte benignité, i’en ſuys là, & me recommande. Ie ſuys, moiennant vn peu de Pantagrueliſme (vous entendez que c’eſt certaine gayeté d’eſprit conficte en meſpris des choſes fortuites[16]) ſain & degourt : preſt à boire, ſi voulez. Me demandez vous pourquoy, Gens de bien ? Reſponſe irrefragable. Tel eſt le vouloir du treſbon treſgrand Dieu : on quel ie acquieſce : au quel ie obtempere : duquel ie reuere la ſacroſaincte parolle de bonnes nouuelles, c’eſt l’Euangile, on quel eſt dict Luc. 4. en horrible ſarcaſme[* 14] & ſanglante deriſion au medicin negligent de ſa propre ſanté. Medicin, O, gueriz toymeſmes.

Cl. Gal. non pour telle reuerence en ſanté ſoy maintenoit, quoy que quelque ſentiment il euſt des ſacres bibles : & euſt congneu & frequenté les ſaincts Chriſtians de ſon temps, comme appert lib. II. de vsu partium, lib. 2. de differentiis pulsuum cap. 3. & ibidem lib. 3. cap. 2. & lib. de rerum affectibus (s’il eſt de Galen) mais par craincte de tomber en ceſte vulgaire & Satyrique mocquerie[* 15]. Ἰητρὸς ἄλλων αὐτός ἕλϰεσι βρύων.[17]

Medicin eſt des aultres en effect :
Toutesfois eſt d’vlceres tout infect.

De mode qu’en grande braueté il ſe vente, & ne veult eſtre medicin eſtimé, ſi depuys l’an de ſon aage vingt & huictieme iuſques en ſa haulte vieilleſſe il n’a veſcu en ſanté entiere, exceptez quelques fiebures Ephemeres[* 16] de peu de duree : combien que de ſon naturel il ne feuſt des plus ſains, & euſt l’eſtomach euidentement dyſcraſié[* 17]. Car (dict il libr. 5. de ſanit. tuenda) difficilement ſera creu le medicin auoir ſoing de la ſanté d’aultruy, qui de la ſienne propre eſt negligent. Encores plus brauement ſe vantoit Aſclepiades[18] medicin auoir auecques Fortune conuenu en ceſte paction, que medicin reputé ne feuſt, ſi malade auoit eſté depuys le temps qu’il commença practiquer en l’art, iuſques à ſa derniere vieilleſſe. A laquelle entier il paruint & viguoureux en tous ſes membres, & de Fortune triumphant. Finablement ſans maladie aulcune præcedente feiſt de vie à mort eſchange, tombant par male guarde du hault de certains degrez mal emmortaiſez & pourriz.

Si par quelques deſaſtre s’eſt ſanté de vos ſeigneuries emancipee : quelque part, deſſus deſſoubz, dauant darriere, à dextre à ſeneſtre, dedans dehors, loing ou pres vos territoires qu’elle ſoit, la puiſſiez vous incontinent auecques l’ayde du benoiſt Seruateur rencontrer. En bonne heure de vous rencontree, ſus l’inſtant ſoit par vous aſſerée, ſoit par vous vendiquee, ſoit par vous ſaiſie & mancipee. Les loigs vous le permettent, le Roy l’entend : ie vous le conſeille. Ne plus ne moins que les Legiſlateurs antiques authoriſoient le ſeigneur vendiquer ſon ſerf fugitif, la part qu’il ſeroit trouué. Ly bon Dieu, & ly bons homs, n’eſt il eſcript & practiqué par les anciennes couſtumes de ce tant noble, tant antique, tant beau, tant floriſſant, tant riche royaulme de France[19], que le mort ſaiſit le vif ? Voiez ce qu’en a recentement expoſé le bon, le docte, le ſaige, le tant humain, tant debonnaire, & equitable And. Tiraqueau, conſeillier du grand, victorieux, & triumphant roy Henry ſecond de ce nom, en ſa treſredoubtee court de parlement à Paris. Santé eſt noſtre vie, comme treſbien declare Ariphron Sicyonien. Sans ſanté n’eſt vie la vie, n’eſt la vie viuable, ΑΒΙΟΣ ΒΙΟΣ, ΒΙΟΣ ΑΒΙΩΤΟΣ[* 18]. Sans ſanté n’eſt la vie que langueur : la vie n’eſt que ſimulachre de mort. Ainſi doncques vous eſtans de ſanté priuez, c’eſt à dire mors, ſaiſiſſez vous du vif : ſaiſiſſez vous de vie, c’eſt ſanté.

I’ay ceſtuy eſpoir en Dieu qu’il oyra nos prieres, veue la ferme foy en laquelle nous les faiſons : & accomplira ceſtuy noſtre ſoubhayt, attendu qu’il eſt mediocre. Mediocrité a eſté par les ſaiges anciens dicte aurée, c’eſt à dire precieuſe, de tous louée, en tous endroictz agreable. Diſcourez par les ſacres bibles : vous trouuerez que de ceulx les prieres n’ont iamais eſté eſconduites, qui ont mediocrité requis. Exemple on petit Zachée, duquel les Muſaphiz[* 19] de S. Ayl pres Orleans ſe ventent auoir le corps & relicques, & le nomment ſainct Syluain. Il ſoubhaitoit, rien plus, veoir noſtre benoiſt Seruateur au tour de Hieruſalem. C’eſtoit choſe mediocre & expoſée à vn chaſcun. Mais il eſtoit trop petit, & parmy le peuple ne pouuoit. Il trepigne, il trotigne, il s’efforce, il s’eſcarte, il monte ſus vn Sycomore. Le treſbon Dieu congneut ſa ſyncere & mediocre affectation. Se præſenta à ſa veue : & feut non ſeulement de luy veu, mais oultre ce feut ouy, viſita ſa maiſon, & beniſt ſa famile.

A vn filz de prophete en Iſrael fendant du bois pres le fleuue Iordan, le fer de ſa coingnee eſchappa (comme eſt eſcript 4. Reg. 6.) & tomba dedans icelluy fleuue. Il pria Dieu le luy vouloir rendre. C’eſtoit choſe mediocre. Et en ferme foy & confiance iecta non la coingnee apres le manche, comme en ſcandaleux ſolœciſme[* 20] chantent les diables Cenſorins : mais le manche apres la coingnee, comme proprement vous dictes. Soubdain apparurent deux miracles. Le fer ſe leua du profond de l’eaue, & ſe adapta au manche. S’il euſt ſoubhoité monter es cieulx dedans vn charriot flamboiant, comme Helie : multiplier en lignee, comme Abraham, eſtre autant riche que Iob, autant fort que Sanſon, auſſi beau que Abſalon : l’euſt il impetré ? C’eſt vne queſtion.

A propos de ſoubhaictz mediocres en matiere de coingnee (aduiſez quand ſera temps de boire) ie vous raconteray ce qu’eſt eſcript parmy les apologues du ſaige Æſope le François. I’entends Phrygien & Troian, comme afferme Max. Planudes : duquel peuple ſelon les plus veridicques chronicqueurs, ſont les nobles François deſcenduz. Ælian eſcript qu’il feut Thracian : Agathias apres Herodote, qu’il eſtoit Samien. Ce m’eſt tout vn.

De ſon temps eſtoit vn paouure homme villageois natif de Grauot nommé Couillatris, abateur & fendeur de boys, & en ceſtuy bas eſtat guaignant cahin caha[* 21] ſa paouure vie. Aduint qu’il perdit ſa coingnee. Qui feut bien faſché & marry ce fut il. Car de ſa coingnee dependoit ſon bien & ſa vie : par ſa coingnee viuoit en honneur & reputation entre tous riches buſcheteurs : ſans coingnee mouroit de faim. La mort ſix iours apres le rencontrant ſans coingnee, auecques ſon dail l’euſt fauſché & cerclé de ce monde. En ceſtuy eſtris commença crier, prier, implorer, inuocquer Iuppiter par oraiſons moult diſertes (comme vous ſçauez que Neceſſité feut inuentrice d’Eloquence) leuant la face vers les cieulx, les genoilz en terre, la teſte nue, les bras haulx en l’air, les doigts des mains eſquarquillez, diſant à chaſcun refrain de ſes ſuffrages à haulte voix infatiguablement. Ma coingnee Iuppiter, ma coingnee. Rien plus, ô Iuppiter, que ma coingnee, ou deniers pour en achapter vne autre. Helas, ma paouure coingnee. Iuppiter tenoit conſeil ſus certains vrgens affaires : & lors opinoit la vieille Cybelle, ou bien le ieune & clair Phœbus, ſi voulez. Mais tant grande feut l’exclamation de Couillatris, qu’elle feut en grand effroy ouye on plein conſeil & conſiſtoire des Dieux.

Quel diable (demanda Iuppiter) eſt là bas, qui hurle ſi horrificquement ? Vertuz de Styx[* 22], ne auons nous par cy deuant eſté, præſentement, ne ſommes nous aſſés icy à la deciſion empeſchez de tant d’affaires controuers & d’importance. Nous auons vuidé le debat de Preſthan roy des Perſes, & de Sultan Solyman empereur de Conſtantinople. Nous auons clos le paſſaige entre les Tartares & les Moſcouites. Nous auons reſpondu à la requeſte du Cheriph. Auſſi auons nous à la deuotion de Guolgotz Rays. L’eſtat de Parme eſt expedié : auſſi eſt celluy de Maydenbourg, de la Mirandole, & de Africque. Ainſi nomment les mortelz, ce que ſus la mer mediterranee nous appellions Aphrodiſium. Tripoli a changé de maiſtre, par male guarde. Son periode[* 23] eſtoit venu. Icy ſont les Guaſcons renians, & demandans reſtabliſſement de leurs cloches[20]. En ce coing ſont les Saxons, Eſtrelins, Oſtrogotz, & Alemans, peuple iadis inuincible, maintenant aberkeids[* 24][21], & ſubiuguez par vn petit homme tout eſtropié. Ilz nous demandent vengeance, ſecours, reſtitution de leur premier bon ſens, & liberté antique. Mais que ferons nous de ce Rameau & de ce Galland[22], qui capparaſſonez de leurs marmitons, ſuppous, & aſtipulateurs brouillent toute ceſte Academie de Paris ? I’en ſuys en grande perplexité. Et n’ay encores reſolu quelle part ie doibue encliner. Tous deux me ſemblent autrement bons compaignons, & bien couilluz. L’vn a des eſcuz au Soleil, ie diz beaulx & treſbuchans : l’autre en vouldroit bien auoir. L’vn a quelque ſçauoir : l’aultre n’eſt ignorant. L’vn aime les gens de bien : l’autre eſt des gens de bien aimé. L’vn eſt vn fin & cauld Renard : l’aultre meſdiſant, meſeſcriuant & abayant contre les antiques Philoſophes & Orateurs comme vn chien. Que t’en ſemble diz, grand Vietdaze Priapus ? I’ay maintes fois trouvé ton conſeil & aduis equitable & pertinent : & habet tua mentula mentem.[23] Roy Iuppiter (reſpondit Priapus defleublant ſon capuſſion, la teſte leuée, rouge, flamboyante, & aſſeurée) puis que l’vn vous comparez à vn chien abayant, l’aultre à vn fin freté Renard, ie ſuis d’aduis, que ſans plus vous faſcher ne alterer, d’eulx faciez ce que iadis feiſtez d’vn chien, & d’vn Renard. Quoy ? demanda Iuppiter. Quand ? Qui eſtoient ilz ? Ou feut ce ? O belle memoire, reſpondit Priapus. Ce venerable pere Bacchus, lequel voyez cy à face cramoiſie, auoit pour ſoy venger des Thebains vn Renard fée, de mode que quelque mal & dommaige qu’il feiſt, de beſte du monde ne ſeroit prins ne offenſé. Ce noble Vulcan auoit d’Ærain Moneſian faict vn chien, & à force de ſouffler l’auoit rendu viuant & animé. Il le vous donna : vous le donnaſtes à Europe voſtre mignonne. Elle le donna à Minos : Minos à Procris, Procris enfin le donna à Cephalus. Il eſtoit pareillement fée, de mode que à l’exemple des aduocatz de maintenant il prendroit toute beſte rencontrée, rien ne luy eſchapperoit. Aduint qu’ilz ſe rencontrerent. Que feirent ilz ? Le chien par ſon deſtin fatal doibuoit prendre le Renard : le Renard par ſon deſtin ne doibuoit eſtre prins[24]. Le cas fut rapporté à voſtre conſeil. Vous proteſtatez non contreuenir aux Deſtins. Les Deſtins eſtoient contradictoires. La verité, la fin, l’effect de deux contradictions enſemble feut declairée impoſſible en nature. Vous en ſuaſtez d’ahan. De voſtre ſueur tombant en terre naſquirent les chous cabutz. Tout ce noble conſiſtoire par default de reſolution Categorique[* 25] encourut alteration mirifique : & feut en icelluy conſeil beu plus de ſoixante & dix huict buffars de Nectar[* 26]. Par mon aduis vous les conuertiſſez en pierres. Soubdain feuſtes hors toute perplexité : ſoubdain feurent treſues de ſoif criées par tout ce grand Olympe[* 27]. Ce feut l’annee des couilles molles, pres Teumeſſe, entre Thebes & Chalcide. A ceſtuy exemple ie ſuis d’opinion que petriſiez ces Chien & renard. La Metamorphoſe[* 28] n’eſt incongneue. Tous deux portent nom de Pierre. Et par ce que ſcelon le prouerbe des Limoſins, à faire la gueule d’vn four ſont trois pierres neceſſaires, vous les aſſocierez à maiſtre Pierre du coingnet, par vous iadis pour meſmes cauſes petriſié[25]. Et ſeront en figure trigone equilaterale[* 29] on grand temple de Paris, ou on mylieu du Peruis poſees ces trois pierres mortes en office de extaindre auecques le nez, comme au ieu de Fouquet, les chandelles, torches, cierges, bougies, & flambeaux allumez : lesquelles viuentes allumoient couilloniquement le feu de faction, ſimulte, ſectes couillonniques & partialté entre les ocieux eſcholiers. A perpetuele memoire, que ces petites philauties[* 30] couillonniformes plus toſt dauant vous contempnées feurent que condamnées, I’ay dict.

Vous leurs fauoriſez (diſt Iuppiter) à ce que ie voy bel meſſer Priapus. Ainſi n’eſtes à tous fauorable. Car veu que tant ilz couuoient perpetuer leur nom & memoire, ce ſeroit bien leur meilleur eſtre ainſi apres leur vie en pierres dures & marbrines conuertiz, que retourner en terre & pourriture. Icy darriere vers ceſte mer Tyrrhene[* 31] & lieux circumuoiſins de l’Appennin[* 32] voyez vous quelles tragedies[* 33] ſont excitées par certains Paſtophores[* 34]. Ceſte furie durera ſon temps, comme les fours des Limoſins : puis finira : mais non ſi toſt. Nous y aurons du paſſetemps beaucoup. Ie y voy vn inconuenient. C’eſt que nous auons petite munition de fouldres, depuis le temps que vous aultres Condieux par mon oultroy particulier en iectiez ſans eſpargne, pour vos eſbatz ſus Antioche la neuſue. Comme depuis à voſtre exemple les gorgias, champions, qui entreprindrent guarder la fortereſſe de Dindenaroys contre tous venens, conſommerent leurs munitions à force de tirer aux moineaux. Puis n’eurent de quoy on temps de neceſſité ſoy deſſendre : & vaillamment cederent la place, et ſe rendirent à l’ennemy, qui ia leuoit ſon ſiege, comme tout forcené & deſeſperé : & n’auoit penſee plus vrgente que de ſa retraicte accompagnee de courte honte. Donnez y ordre filz Vulcan : eſueiglez vos endormiz Cyclopes[* 35], Aſteropes, Brontes, Arges, Polypheme, Steropes, Pyracmon : mettez les en beſoigne : & les faictes boire d’autant. A gens de feu ne fault vin eſpargner. Or depeſchons ce criart là bas. Voyez Mercure qui c’eſt ? & ſachez qu’il demande.

Mercure reguarde par la trappe des Cieulx, par laquelle ce que lon dict ça bas en terre ilz eſcoutent : & ſemble proprement à vn eſcoutillon de nauire. Icaromenippe diſoit qu’elle ſemble à la gueule d’vn puiz. Et veoid que c’eſt Couillatris, qui demande ſa coingnee perdue : & en faict le rapport au conſeil. Vrayement (diſt Iuppiter) nous en ſommes bien. Nous à ceſte heure n’auons aultre faciende, que rendre coingnees perdues ? Si fault il luy rendre. Cela eſt eſcripts es Deſtins, entendez vous ? auſſi bien comme ſi elle valuſt la duché de Milan. A la verité ſa coingnee luy eſt en tel pris & eſtimation, que ſeroit à vn Roy ſon Royaulme. Cza, ça, que ceſte coingnee ſoit rendue. Qu’il n’en ſoit plus parlé. Refoulons le different du clergé & de la Taulpeterie de Landerouſſe. Où en eſtions nous ?

Priapus reſtoit debout au coing de la cheminee. Il entendent le rapport de Mercure, diſt en toute courtoyſie & iouiale honeſteté. Roy Iuppiter, on temps que par voſtre ordonnance & particulier benefice i’eſtoys guardian des iardins en terre, ie notay que ceſte diction Coingnee eſt equiuocque à pluſieurs choſes. Elle ſignifie vn certain inſtrument, par le ſeruice duquel eſt fendu & couppé boys. Signifie auſſi (au moins iadis ſignifioit) la femelle bien à poinct & ſouuent gimbretiletolletee. Et veidz que tout bon compaignon appelloit ſa guarſe fille de ioye, ma Coingnee. Car auecques ceſtuy ferrement (cela diſoit exhibent ſon coingnouoir dodrental[* 36]) ilz leurs coingnent ſi fierement & d’audace leurs emmanchouoirs, qu’elles reſtent exemptes d’vne paour epidemiale entre le ſexe feminin : c’eſt que du bas ventre ilz leurs tombaſſent ſus les talons, par default de telles agraphes. Et me ſoubuient (car i’ay mentule, voyre diz ie memoire, bien belle, & grande aſſés pour emplir vn pot beurrier) auoir vn iour du Tubiluſtre[* 37], es feries de ce bon Vulcan en may, ouy iadis en vn beau parterre Ioſquin des Prez, Olkegan, Hobrethz, Agricola, Brumel, Camelin, Vigoris, De la Fage, Bruyer, Prioris, Seguin, De la Rue, Midy, Moulu, Mouton, Guaſcoigne, Loyſet compere, Penet, Feuin, Rouzee, Richardfort, Rouſſeau, Conſilion, Conſtantio feſti, Iacquet Bercan, chantans melodieuſement.

Grand Thibault ſe voulent coucher
Auecques ſa femme nouuelle,

S’en vint tout bellement cacher
Un gros maillet en la ruelle.
O mon doulx amy (ce dict elle)
Quel maillet vous voy ie empoingner ?
C’eſt (diſt il) pour mieulx vous coingner.
Maillet ? diſt elle, il n’y fault nul.
Quand gros Ian me vient beſoingner,
Il ne me coingne que du cul.

Neuf Olympiades[* 38], & vn an intercalare[* 39] apres (ô belle mentule[26], voire diz ie, memoire. Ie ſolœciſe ſouuent en la ſymbolization & colliguance de ces deux motz) ie ouy Adrian Villart, Gombert, Ianequin, Arcadelt, Claudin, Certon, Manchicourt, Auxerre, Villiers, Sandrin, Sohier, Heſdin, Morales, Paſſereau, Maille, Maillart, Iacotin, Heurteur, Verdelot, Carpentras, Lheritier, Cadeac, Doublet, Vermont, Bouteiller, Lupi, Pagnier, Millet, Du mollin, Alaire, Marault, Morpain, Gendre, & aultres ioyeulx muſiciens en vn iardin ſecret ſoubz belle feuillade au tour d’vn rampart de flaccons, iambons, paſtez, & diuerſes Cailles coyphées mignonnement chantans.

S’il eſt ainſi que coingnee ſans manche
Ne ſert de rien, ne houſtil ſans poingnee.
Affin que l’vn dedans l’aultre s’emmanche
Prens que ſoys manche, & tu ſeras coingnee.

Ores ſeroit à ſçauoir quelle eſpece de coingnee demande ce criart Couillatris.

A ces motz tous les venerables Dieux & Deeſſes s’eclaterent de rire comme vn microcoſme[* 40] de mouches. Vulcan auecques ſa iambe torte en feiſt pour l’amour de s’amye troys ou quatre beaulx petitz ſaulx en plate forme. Cza, ça, (diſt Iuppiter à Mercure) deſcendez preſentement là bas, & iectez es pieds de Couillatris troys coingnees : la ſienne, vne aultre d’or, & vne tierce d’argent maſſiues toutes d’vn qualibre. Luy ayant baillé l’option de choiſir, s’il prend la ſienne & s’en contente, donnez luy les deux autres. S’il en prend aultre que la ſienne, couppez luy la teſte auecques la ſienne propre. et deſormois ainſi faictes à ces perdeurs de coingnee. Ces parolles acheuees Iupiter contournant la teſte comme vn cinge qui aualle pillules, feiſt vne morgue tant eſpouuantable, que tout le grand Olympe trembla.

Mercure auecques ſon chappeau poinctu, ſa capeline, talonnieres & caducee ſe iecte par la trappe des Cieulx, fend le vuyde de l’air, deſcend legierement en terre : & iecte es pieds de Couillatris les trois coingnees : Puys luy dict. Tu as aſſés crié pour boire. Tes prieres ſont exaulcees de Iuppiter. Reguarde laquelle de ces troys eſt ta coingnee, & l’emporte. Couillatris ſoublieue la coingnee d’or : il la reguarde : & la trouue bien poiſante : puis dict à Mercure. Marmes[* 41] ceſte cy n’eſt mie la mienne, Ie n’en veulx grain. Autant faict de la coingnée d’argent : & dict : Non eſt ceſte cy. Ie la vous quitte. Puys prend en main la coingnee de boys : il reguarde au bout du manche : en icelluy recongnoiſt ſa marque : & treſſaillant tout de ioye, comme vn Renard qui rencontre poulles eſguarees, & ſoubriant du bout du nez dict. Merdigues[* 41] ceſte cy eſtoit mienne. Si me la voulez laiſſer, ie vous ſacrifiray vn bon & grand pot de laict tout fin couuert de belles frayres aux Ides (c’eſt le quinzieme iour) de May[* 42]. Bon homme, diſt Mercure, ie te la laiſſe, prens la. Et pour ce que tu as opté & ſoubhayté mediocrité en matiere de coingnee, par le vueil de Iuppiter ie te donne ces deux aultres. Tu as de quoy dorenauant te faire riche. Soys homme de bien.

Couillatris courtoiſement remercie Mercure : reuere le grand Iuppiter : ſa coingnee antique attache à ſa ceincture de cuyr : & s’en ceinct ſus le cul, comme Martin de Cambray. Les deux aultres plus poiſantes il charge à ſon coul. Ainſi s’en va prelaſſant par le pays, faiſant bonne troigne parmy les paroeciens & voyſins : & leurs diſant le petit mot de Patelin : en ay ie ?[27] Au lendemain veſtu d’une ſequenie blanche, charge ſus ſon dours les deux precieuſes coingnees, ſe tranſporte à Chinon ville inſigne, ville noble, ville antique, voyre premiere du monde, ſcelon le iugement & aſſertion des plus doctes Maſſorethz[* 43]. En Chinon il change ſa coingnee d’argent en beaulx teſtons & aultre monnoye blanche : ſa coingnee d’Or, en beaulx Salutz, beaulx moutons à la grande laine, belles Riddes, beaulx Royaulx, beaulx eſcutz au Soleil. Il en achapte force meſtairies, force granges, force cenſes, force mas, force bordes & bordineux, force caſſines : prez, vignes, boys, terres labourables, paſtis, eſtangs, moulins, iardins, ſaulſayes : beufz, vaches, brebis, moutons, cheures, truyes, pourceaulx, aſnes, cheuaulx, poulles, cocqs, chappons, poulletz, oyes, iars, canes, canars, & du menu. Et en peu de temps feut le plus riche homme du pays : voyre plus que Mauleurier le boyteux.

Les francs gontiers & Iacques bons homs du voyſinage voyans ceſte heureuſe rencontre de Couillatris, feurent bien eſtonnez : & feut en leurs eſpritz la pitié & commiſeration, que au parauant auoient du paouure Couillatris, en enuie changee de ſes richeſſes tant grandes & inopinees. Si commencerent courir, s’enquerir, guementer, informer par quel moyen, en quel lieu, en quel iour, à quelle heure, comment, & à quel propous luy eſtoit ce grand theſaur aduenu. Entendens que c’eſtoit par auoir perdu ſa coingnee, Hen, hen, dirent ilz, ne tenoit il qu’à la perte d’vne coingnee, que riches ne feuſſions ? Le moyen eſt facile, & de couſt bien petit. Et doncques telle eſt on temps præſent la reuolution des Cieulx, la conſtellation des Aſtres, & aſpect des Planettes, que quiconques coingnee perdera ſoubdain deuiendra ainſi riche. Hen, hen. Ha, par Dieu, coingnee vous ſerez perdue, & ne vous en deſplaiſe. Adoncques tous perdirent leurs coingnees. Au diable l’vn à qui demoura coingnee. Il n’eſtoit filz de bonne mere, qui ne perdiſt ſa coingnee. Plus n’eſtoit abbatu, plus n’eſtoit fendu boys on pays en ce defaulct de coingnees. Encores dict l’Apologue Æſopicque, que certains petitz Ianſpill’hommes de bas relief, qui à Couillatris auoient le petit pré, & le petit moulin vendu pour ſoy gourgiaſer à la monſtre, aduertiz que ce theſaur luy eſtoit ainſi & par ce moyen ſeul aduenu, vendirent leurs eſpees pour achapter coingnees, affin de les perdre : comme faiſoient les payſans, & par icelle perte recouurir montioye d’Or, & d’Argent. Vous euſſiez proprement dict, que feuſſent petitz Romipetes vendens le leur, empruntans l’aultruy pour achapter Mandatz à tas d’vn pape nouuellement creé. Et de crier, & de prier, & de lamenter & inuocquer Iuppiter. Ma coingnee de cza, ma coingnee delà, ma coingnee ho, ho, ho, ho. Iuppiter ma coingnee. L’air tout au tour retentiſſoit au cris & hurlemens de ces perdeurs de coingnees. Mercure feut prompt à leurs apporter coingnees, à vn chaſcun offrant la ſienne perdue, vne aultre d’Or, & vne tierce d’Argent. Tous choiſiſſoient celle qui eſtoit d’Or, & l’amaſſoient remercians le grand donateur Iuppiter. Mais ſus l’inſtant qu’ilz la leuoient de terre courbez & enclins, Mercure leurs tranchoit les teſtes, comme eſtoit l’edict de Iuppiter : Et feut des teſtes couppees le nombre equal & correſpondent aux coingnees perdues. Voyla que c’eſt. Voyla qu’aduient à ceulx qui en ſimplicité ſoubhaitent & optent choſes mediocres. Prenez y exemple vous aultres gualliers de plat pays, qui dictez que pour dix mille francs d’intrade ne quitteriez vos ſoubhaitz. Et deſormais ne parlez ainſi impudentement, comme quelque foys ie vous ay ouy ſoubhaitans. Pleuſt à Dieu que i’euſſe preſentement cent ſoixante & dix huict millions d’Or. Ho, comment ie triumpheroys. Vos males mules. Que ſoubhaiteroit vn roy, vn Empereur, vn pape d’aduentaige ? Auſſi voyez vous par experience, que ayans faict telz oultrez ſoubhayts, ne vous en aduient que le tac & la clauelée : en bourſe pas maille : non plus que aux deux beliſtrandiers ſoubhaiteux à l’vſaige de Paris. Desquelz l’vn ſoubhaytoit auoir en beaulx eſcuz au Soleil autant que a eſté en Paris deſpendu, vendu, & achapté, depuys que pour l’edifier on y iecta les premiers fondemens iusques à l’heure præſente : le tout eſtimé au taux, vente, & valeur de la chere annee, qui ayt paſſé en ce laps de temps. Ceſtuy en voſtre aduis eſtoit il deſgouté ? Auoit il mangé prunes aigres ſans peler ? Auoit il les dens eſguaſſées ? L’aultre ſoubhaitoit le temple de noſtre Dame tout plein d’aiguilles aſſerées, depuys le paué iusques au plus hault des voultes : & auoir autant d’eſcuz au Soleil, qu’il en pourroit entrer en autant de ſacs que l’on pourroit couldre de toutes & vne chaſcune aiguille, iusques à ce que toutes feuſſent creuées ou eſpoinctees. C’eſt ſoubhayté celà. Que vous en ſemble ? Qu’en aduint il ? Au ſoir chaſcun d’eulx eut les mules au talon[28], le petit cancre au menton, la male toux au poulmon, le catarrhe au gauion, le gros froncle au cropion : & au diable le bouſſin de pain pour s’eſcurer les dens.

Soubhaitez doncques mediocrité, elle vous aduiendra, & encores mieulx, deument ce pendent labourans & trauaillans. Voire mais (dictes vous) Dieu m’en euſt auſſi touſt donné ſoixante & dixhuict mille, comme la trezieſme partie d’vn demy. Car il eſt tout puiſſant. Vn million d’Or luy eſt auſſi peu qu’vne obole. Hay, hay, hay. Et de qui eſtez vous apprins ainſi diſcourir & parler de la puiſſance & prædeſtination de Dieu, paouures gens ? Paix. St, St, St.[* 44] Humiliez vous dauant ſa ſacrée face, & recongnoiſſez vos imperfections.

C’eſt, Goutteux, ſus quoy ie fonde mon eſperance, & croy fermement, que (s’il plaiſt au bon Dieu) vous obtiendrez ſanté, veu que rien plus que ſanté pour le preſent ne demandez. Attendez encores vn peu, auecques demie once de patience. Ainſi ne font les Geneuoys, quand au matin auoir dedans leurs eſcriptoires & cabinetz diſcouru, propenſé, & reſolu, de qui & de quelz celluy iour ilz pourront tirer denares : & qui par leurs aſtuces ſera beliné, corbiné, trompé & affiné, ilz ſortent en place, & s’entreſaluant diſent, Sanita & guadain meſſer. Il ne ſe contentent de ſanté : d’abondant ilz ſoubhaytent guaing, voire les eſcuz de Guadaigne. Dont aduient qu’ilz ſouuent n’obtienent l’vn ne l’aultre. Or en bonne ſanté touſſez vn bon coup, beuuez en trois, ſecouez dehoit vos aureilles, & vous oyrez dire merueilles du noble & bon Pantagruel.


Comment Pantagruel monta ſus mer, pour viſiter
l’Oracle de la diue Bacbuc[* 45].


Chapitre I.


On moys de Iuin, au iour des feſtes Veſtales[* 46][29] : celluy propre on quel Brutus conqueſta Heſpaigne, & ſubiugua les Heſpaignolz, on quel auſſi Craſſus l’auaricieux feut vaincu & deſſaict par les Parthes, Pantagruel prenent congé du bon Gargantua ſon pere, icelluy bien priant (comme en l’Egliſe primitiue eſtoit louable couſtume entre les ſaincts Chriſtians) pour le proſpere nauiguaige de ſon filz, & toute ſa compaignie, monta ſus mer au port de Thalaſſe[* 47], accompaigné de Panurge, frere Ian des entomeures, Epiſtemon, Gymnaſte, Euſthenes, Rhizotome, Carpalim, & aultres ſiens ſeruiteurs & domeſticques anciens : enſemble de Xenomanes le grand voyageur & trauerſeur des voyes perilleuſes, lequel certains iours par auant eſtoit arriué au mandement de Panurge. Icelluy pour certaines & bonnes cauſes auoit à Gargantua laiſſé & ſigné en ſa grande & vniuerſelle Hydrographie[* 48] la routte qu’ilz tiendroient viſitans l’oracle de la diue Bouteille Bacbuc.

Le nombre des nauires feut tel que vous ay expoſé on tiers liure, en conſerue de Triremes, Ramberges, Gallions, & Liburnicques nombre pareil : bien equippees, bien calfatees, bien munies, auecques abondance de Pantagruelion. L’aſſemblee de tous officiers, truchemens, pilotz, capitaines, nauchiers, fadrins, heſpailliers, & matelotz feut en la Thalamege. Ainſi eſtoit nommee la grande & maiſtreſſe nauf de Pantagruel : ayant en pouppe pour enſeigne à moytié d’argent bien liz & polly : l’aultre moytié eſtoit d’or eſmaillé de couleur incarnat. En quoy facile eſtoit iuger, que blanc & clairet eſtoient les couleurs des nobles voyagiers : & qu’ilz alloient pour auoir le mot de la Bouteille.

Sus la pouppe de la ſeconde eſtoit hault enleuee vne lanterne antiquaire faicte induſtrieuſement de pierre ſphengitide[* 49] & ſpeculaire : denotant qu’ilz paſſeroient par Lanternoys. La tierce pour diuiſe auoit vn beau & profond hanat de Porcelaine. La quarte vn potet d’or à deux anſes, comme ſi feuſt vne vrne antique. La quinte vn brocq inſigne de ſperme d’Emeraulde. La ſizieme vn Bourrabaquin monachal faict des quatre metaulx enſemble. La ſeptieme vn entonnoir de Ebene tout requamé d’or à ouuraige de Tauchie. La huictieme vn guoubelet de Lierre bien precieux battu d’or à la Damaſquine. La neufieme vne brinde de fin or obrizé. La dizieme vne breuſſe de odorant Agalloche (vous l’appellez boys d’Aloes) porfilee d’or de Cypre à ouuraige d’Azemine. L’vnzieme vne portouoire d’or faicte à la Moſaicque. La douzieme vn barrault d’or terny couuert d’vne vignette de groſſes perles Indicques en ouuraige Topiaire. De mode que perſonne n’eſtoit tant triſte, faſché, rechigné, ou melancholicque feuſt, voyre y feuſt Heraclitus le pleurart, qui n’entraſt en ioye nouuelle, & de bonne ratte ne ſoubriſt, voyant ce noble conuoy de nauires en leurs deuiſes : ne diſt que les voyagiers eſtoient tous beuueurs gens de bien : & ne iugeaſt en prognoſtic aſceuré, que le voyage tant de l’aller que du retour ſeroit en alaigreſſe & ſanté perfaict.

En la Thalamege doncques feut l’aſſemblee de tous. Là Pantagruel leurs feiſt vne briefue & ſaincte exhortation toute auctoriſee des propous extraictz de la ſaincte eſcripture, ſus l’argument de nauiguation. Laquelle finie feut hault & clair faicte priere à Dieu, oyans & entendens tous les bourgeoys & citadins de Thalaſſe, qui eſtoient ſus le mole accourruz pour veoir l’embarquement.

Apres l’oraiſon feut melodieuſement chanté le pſaulme du ſainct roy Dauid, lequel commence. Quand Iſrael hors d’Ægypte ſortit[30]. Le pſeaulme paracheué feurent ſus le tillac les tables dreſſees, & viandes promptement apportees. Les Thalaſſiens qui pareillement auoient le pſeaulme ſuſdict chanté, feirent de leurs maiſons force viures & vinage apporter. Tous beurent à eulx. Ils beurent à tous. Ce feut la cauſe pourquoy perſonne de l’aſſemblee oncques par la marine ne rendit ſa guorge, & n’eut perturbation d’eſtomach ne de teſte. Au quelz inconuenient ne euſſent tant commodement obuié, beuuans par quelques iours parauant de l’eaue marine, ou pure, ou miſtionnee auecques le vin, ou vſans de chair de Coings, de eſcorce de Citron, de ius de Grenades aigreſdoulces : ou tenens longue diete : ou ſe couurans l’eſtomach de papier : ou autrement faiſans ce que les folz medicins ordonnent à ceulx qui montent ſus mer.

Leurs beuuettes ſouuent reiterees, chaſcun ſe retira en ſa nauf : & en bonne heure feirent voile au vent Grec leuant ſelon lequel le pilot principal nommé Iamet Brayer, auoit deſigné la routte, & dreſſé la Calamite de toutes les Bouſſoles. Car l’aduis ſien, & de Xenomanes auſſi feut, veu que l’oracle de la diue Bacbuc eſtoit pres le Catay en Indie ſuperieure, ne prendre la routte ordinaire des Portugualoys : Les quelz paſſans la Ceincture ardente[* 50], & le cap de Bonaſperanza ſus la poincte Meridionale d’Africque, oultre l’Æquinoctial, & perdens la veue & guyde de l’aiſſeuil Septentrional[* 51], font nauigation enorme. Ains ſuyure au plus pres le parallele[* 52] de ladicte Indie : & gyrer au tour d’icelluy pole par Occident : de maniere que tournoyans ſoubs Septentrion l’euſſent en pareille eleuation comme il eſt au port de Olone, ſans plus en approcher, de paour d’entrer & eſtre retenuz en la mer Glaciale. Et ſuyuans ce canonique deſtour par meſme parallele, l’euſſent à dextrer vers le Leuant, qui au departement leurs eſtoit à ſeneſtre.

Ce que leurs vint à profict incroyable. Car ſans naufrage, ſans dangier, ſans perte de leurs gens, en grande ſerenité (exceptez vn iour pres l’iſle des Macreons) feirent le voyage de Indie ſuperieure en moins de quatre moys : lequel à poine feroient les Portugualoys en troys ans, auecques mille faſcheries, & dangiers innumerables. Et ſuys en ceſte opinion, ſauf meilleur iugement, que telle routte de Fortune feut ſuyuie par les Indians, qui nauigerent en Germanie, & feurent honorablement traictez par le Roy des Suedes[31], on temps que Q. Metellus Celer eſtoit proconſul en Gaulle : comme deſcriuent Cor. Nepos, Pomp. Mela, & Pline apres eulx.


Comment Pantagruel en l’iſle de Medamothi[* 53] achapta
pluſieurs belles choſes


Chapitre II.


Cestuy iour, & les deux ſubſequens ne leurs apparut terre ne choſe aultre nouuelle. Car aultres foys auoient aré ceſte routte. Au quatrième deſcouurirent vne iſle nommée Medamothi, belle à l’œil & plaiſante à cauſe du grand nombre des phares[* 54] & haultes tours marbrines, des quelles tout le circuit eſtoit orné, qui n’eſtoit moins grand que de Canada. Pantagruel s’enquerant qui en eſtoit dominateur entendit, que c’eſtoit le roy Philophanes[* 55], lors abſent pour le mariage de ſon frère Philotheamon[* 56] auecques l’Infante du royaulme de Engys[* 57]. Adoncques deſcendit on haure, contemplant, ce pendent que les chormes des naufz faiſoient aiguade, diuers tableaulx, diuerſes tapiſſeries, diuers animaulx, poiſſons, oizeaulx, & aultres marchandiſes exotiques & peregrines, qui eſtoient en l’allée du mole, & par les halles du port. Car c’eſtoit le tiers iour des grandes & ſolennes foires du lieu : es quelles annuellement conuenoient tous les plus riches & fameux marchans d’Afrique & Aſie. D’entre les quelles frere Ian achapta deux rares & precieux tableaulx : en l’vn des quelz eſtoit au vif painct le viſaige d’vn appellant : en l’aultre eſtoit le portraict d’vn varlet qui cherche maiſtre, en toutes qualitez requiſes, geſtes, maintien, minois, alleures, phyſionomie, & affections : painct & inuenté par maiſtre Charles Charmois painctre du roy Megiſte[* 58] : & les paya en monnoie de Cinge.

Panurge achapta vn grand tableau painct & tranſſumpt de l’ouurage iadis faict à l’aiguille par Philomela expoſante & repreſentante à ſa ſœur Progné, comment ſon beaufrere Tereux l’auoit depucellee : & ſa langue couppée, affin que tel crime ne decelaſt. Ie vous iure par le manche de ce fallot, que c’eſtoit vne paincture gualante & mirifique. Ne penſez, ie vous prie, que feuſt le protraict d’vn homme couplé ſur vne fille. Cela eſt trop ſot, & trop lourd. La paincture eſtoit bien aultre, & plus intelligible. Vous la pourrez veoir en Theleme à main guauſche entrans en la haulte guallerie. Epiſtemon en achapta vne aultre, on quel eſtoient au vif painctes les Idees[* 59] de Platon, & les Atomes[* 60] de Epicurus. Rhizotome en achapta vne aultre, on quel eſtoit Echo ſelon le naturel repreſentée.

Pantagruel par Gymnaſte feiſt achapter la vie & geſtes de Achille en ſoixante & dixhuict pieces de tapiſſerie à haultes liſſes, longues de quatre, larges de trois toiſes, toutes de ſaye Phrygiene, requamee d’or & d’argent. Et commençoit la tapiſſerie au nopces de Peleus & Thetis, continuant la natiuité d’Achilles, ſa ieuneſſe deſcripte par Stace Papinie : ſes geſtes & faicts d’armes celebrez par Homere : ſa mort & exeques deſcriptz par Ouide, & Quinte Calabrois : finiſſant en l’apparition de ſon vmbre, & ſacrifice de Polyxene deſcript par Euripides. Feiſt auſſi achapter trois beaulx & ieunes Vnicornes[* 61] : vn maſle de poi alezan toſtade, & deux femelles de poil gris pommelé. Enſemble vn Tarande, que luy vendit vn Scythien[32] de la contrée des Gelones.

Tarande eſt vn animal grand comme vn ieune taureau, portant teſte comme eſt d’vn cerf, peu plus grande : auecques cornes inſignes largement ramees : les piedz forchuz : le poil long comme d’vn grand Ours : la peau peu moins dure, qu’vn corps de cuiraſſe. Et diſoit le Gelon peu en eſtre trouué parmy la Scythie : par ce qu’il change de couleur ſelon la varieté des lieux es quelz il paiſt & demoure. Et repreſente la couleur des herbes, arbres, arbriſſeaulx, fleurs, lieux, paſtiz, rochiers, generalement de toutes choſes qu’il approche. Cela luy eſt commun auecques le Poulpe marin, c’eſt le Polype : auecques les Thoes : auecques les Lycaons de Indie : auecques le Chameleon : qui eſt vne eſpece de Lizart tant admirable, que Democritus a faict vn liure entier de ſa figure, anatomie, vertus, & proprieté en Magie. Si eſt ce que ie l’ay veu couleur changer non à l’approche ſeulement des choſes colorees, mais de ſoy meſmes, ſelon la paour & affections qu’il auoit. Comme ſus vn tapiz verd, ie l’ay veu certainement verdoyer : mais y reſtant quelque eſpace de temps deuenir iaulne, bleu, tanné, violet par ſucces : en la façon que voiez la creſte des coqs d’Inde couleur ſcelon leurs paſſions changer. Ce que ſus tout trouuaſmes en ceſtuy Tarande admirable eſt, que non ſeulement ſa face & peau, mais auſſi tout ſon poil telle couleur prenoit, quelle eſtoit es choſes voiſines. Pres de Panurge veſtu de ſa toge bure, le poil luy deuenoit gris : pres de Pantagruel veſtu de ſa mante d’eſcarlate, le poil & peau luy rougiſſoit : pres du pilot veſtu à la mode des Iſiaces de Anubis en Ægypte, ſon poil apparut tout blanc. Les quelles deux dernieres couleurs ſont au Chameleon deniees. Quand hors toute paour & affections il eſtoit en ſon naturel, la couleur de ſon poil eſtoit telle que voiez es aſnes de Meung.


Comment Pantagruel repceut letres de ſon pere Gargantua : & de l’eſtrange maniere de ſçauoir nouuelles bien ſoubdain des pays eſtrangiers & loingtains.


Chapitre III.


Pantagrvel occupé en l’achapt de ces animaulx peregrins feurent ouiz du mole dix coups de Verſes & Faulconneaulx : enſemble grande & ioyeuſe acclamation de toutes les naufz. Pantagruel ſe tourne vers le haure, & veoyd que c’eſtoit vn des Celoces[* 62] de ſon pere Gargantua, nommé la Chelidoine : pource que ſus la pouppe eſtoit en ſculpture de ærain Corinthien vne Hirondelle de mer eleuee. C’eſt vn poiſſon grand comme vn dar de Loyre, tout charnu, ſans eſquames, ayant aeſles cartilagineuſes (quelles ſont es ſouriz chaulues) fort longues & larges : moyenans les quelles ie l’ay ſouuent veu voler vne toyſe au deſſus l’eau plus d’vn trait d’arc. A Marſeille on le nomme Lendole. Ainſi eſtoit ce vaiſſeau legier comme vne Hirondelle, de ſorte que plus touſt ſembloit ſus mer voler que voguer. En iceluy eſtoit Malicorne eſcuyer tranchant de Gargantua, enuoyé expreſſement de par luy entendre l’eſtat & portement de ſon filz le bon Pantagruel, & luy porter letres de creance.

Pantagruel apres la petite accollade & barretade gracieuſe, auant ouurir les letres ne aultres propous tenir à Malicorne, luy demanda. Auez vous icy le Gozal[* 63] celeſte meſſaigier ? Ouy, reſpondit il. Il eſt en ce panier emmailloté. C’eſtoit vn pigeon prins on colombier de Gargantua, eſclouant ſes petitz ſus l’inſtant que le ſuſdict Celoce departoit. Si fortune aduerſe feuſt à Pantagruel aduenue, il y euſt des iectz noirs attaché es pieds : mais pource que tout luy eſtoit venu à bien & proſperité, l’ayant faict demailloter, luy attacha es pieds vne bandelette de tafetas blanc : & ſans plus differer ſus l’heure le laiſſa en pleine liberté de l’air. Le pigeon ſoubdain s’en vole haſchant en incroyable haſtiueté : comme vous ſçauez qu’il n’eſt vol que de Pigeon, quand il a œufz ou petitz, pour l’obſtinée ſollicitude en luy par nature poſee de recourir & ſecourir ſes pigeonneaulx. De mode qu’en moins de deux heures il franchit par l’air le long chemin, que auoit le Celoce en extreme diligence par troys iours & troys nuictz perfaicts, voguant à rames & à veles, & luy continuant vent en pouppe. Et feut veu entrant dedans le colombier on propre nid de ſes petitz. Adoncques entendent le preux Gargantua, qu’il portoit la bandelette blanche reſta en ioye & ſceureté du bon partement[33] de ſon filz.

Telle eſtoit l’vſance des nobles Gargantua & Pantagruel, quand ſçauoir promptement vouloient nouuelles de quelque choſe fort affectée & vehemente deſiree : comme l’iſſue de quelque bataille, tant par mer, comme par terre : la prinze ou defenſe de quelque place forte : l’appoinctement de quelques differens de importance : l’accouchement heureux ou infortuné de quelque royne, ou grande dame : la mort ou la conualeſcence de leurs amis & alliez malades : & ainſi des aultres. Ilz prenoient le Gozal, & par les poſtes le faiſoient de main en main iusques ſus les lieux porter, dont ilz affectoient les nouuelles. Le Gozal portant bandelette noire ou blanche ſcelon les occurrences & accidens, les houſtoit de penſement à ſon retour, faiſant en vne heure plus de chemin par l’air, que n’auoient faict par terre trente poſtes en vn iour naturel. Cela eſtoit rachapter & guaigner temps. Et croyez comme choſe vrayſemblable, que par les colombiers de leurs caſſines, on trouuoit ſus œufz ou petitz, tous les moys & ſaiſons de l’an, les pigeons à foizon. Ce qui eſt facile en meſnagerie, moyennant le Salpetre en roche, & la ſacre herbe Veruaine.

Le Gozal laſché, Pantagruel leugt les miſſiues de ſon pere Gargantua, des quelles la teneur enſuyt.

Filz treſcher, l’affection que naturellement porte le pere à ſon filz bien aymé, eſt en mon endroict tant acreue, par l’eſguard & reuerence des graces particulières en toy par election diuine poſées, que depuys ton partement me a non vne foys tollu tout aultre penſement. Me delaiſſant on cueur ceſte vnicque & ſoingneuſe paour, que voſtre embarquement ayt eſté de quelque meſhaing ou faſcherie acompaigné : Comme tu ſçays que à la bonne & ſyncere amour eſt craincte perpetuellement annexée. Et pour ce que ſcelon le dict de Heſiode, d’vne chaſcune choſe le commencement eſt la moytié du tout[34] : & ſcelon le prouerbe commun, à l’enfourner on faict les pains cornuz, i’ay paour de telle anxieté vuider mon entendement, expreſſement depeſché Malicorne : à ce que par luy ie ſoys acertainé de ton portement ſus les premiers iours de ton voyage. Car s’il eſt proſpere, & tel que ie le ſoubhayte, facile me ſera preueoir, prognoſticquer, & iuger du reſte. I’ay recouuert quelques liures ioyeulx, les quelz te ſeront par le preſent porteur renduz. Tu les liras, quand te vouldras refraiſchir de tes meilleures eſtudes. Ledict porteur te dira plus amplement toutes nouuelles de ceſte court. La paix de l’Æternel ſoyt auecques toy. Salue Panurge, frere Ian, Epiſtemon, Xenomanes, Gymnaſte & aultres tes domeſticques mes bons amis. De ta maiſon paternelle, ce trezieme de Iuin.

Ton pere & amy
Gargantva.

Comment Pantagruel eſcript à ſon pere Gargantua,
& luy enuoye pluſieurs belles & rares choſes.


Chapitre IIII.


Apres la lecture des letres ſuſdictes Pantagruel tint pluſieurs propous auecques l’eſcuyer Malicorne, & feut auecques luy ſi long temps, que Panurge interrompant luy dict. Et quand boyrez vous ? Quand boyrons nous ? Quand boyra monſieur l’eſcuyer ? N’eſt ce aſſés ſermonné pour boyre ? C’eſt bien dict, reſpondit Pantagruel. Faictez dreſſer la collation en ceſte prochaine hoſtellerie, en laquelle pend pour enſeigne l’imaige d’vn Satyre à cheual. Ce pendent pour la depeſche de l’eſcuyer, il eſcriuit à Gargantua comme s’enſuyt.

Pere treſdebonnaire, comme à tous accidens en ceſte vie tranſitoire non doubtez ne ſoubſonnez, nos ſens & facultez animales patiſſent plus enormes & impotentes perturbations (voyre iusques à en eſtre ſouuent l’ame deſemparee du corps, quoy que telles ſubites nouuelles feuſſent à contentement & ſoubhayt) que ſi euſſent auparauant eſté propenſez & preueuz : ainſi me a grandement eſmeu & perturbé l’inopinee venue de voſtre eſcuyer Malicorne. Car ie n’eſperoys aulcun veoir de vos domeſticques, ne de vous nouuelles ouyr auant la fin de ceſtuy noſtre voyage. Et facilement acquieſçoys en la doulce recordation de voſtre auguſte maieſté, eſcripte, voyre certes inſculpee & engrauee on poſterieur ventricule de mon cerueau[* 64] : ſouuent au vif me la repreſentant en ſa propre & naifue figure.

Mais puys que m’auez preuenu par le benefice de vos gratieuſes letres, & par la creance de voſtre eſcuyer mes eſpritz recreé en nouuelles de voſtre proſperité & ſanté, enſemble de toute voſtre royale maiſon, force m’eſt que par le paſſé m’eſtoit voluntaire, premierement louer le benoiſt Seruateur : lequel par ſa diuine bonté vous conſerue en ce long teneur de ſanté perfaicte : ſecondement vous remercier ſempiternellement de ceſte feruente & inueteree affection que à moy portez voſtre treſhumble filz & ſeruiteur inutile. Iadis vn Romain nommé Furnius diſt à Cæſar Auguſte recepuant à grace & pardon ſon père, lequel auoit ſuyuy la faction de Antonius. Auiourd’huy me faiſant ce bien, tu me as reduict en telle ignominie, que force me ſera viuant mourant eſtre ingrat reputé par impotence de grauité. Ainſi pourray ie dire que l’exces de voſtre paternelle affection me range en ceſte anguſtie & neceſſité, qu’il me conuiendra viure & mourir ingrat. Si non que de tel crime ſoys releué par la ſentence des Stoiciens : lesquelz diſoient troys parties eſtre en benefice. L’vne du donnant, l’aultre du recepuant, la tierce du recompenſant : & le recepuant treſbien recompenſer le donnant, quand il accepte voluntiers le bienfaict, & le retient en ſoubuenance perpetuelle. Comme au rebours le recepuant eſtre le plus ingrat du monde, qui meſpriſeroit & oubliroit le benefice. Eſtant doncques opprimé d’obligations infinies toutes procrees de voſtre immenſe benignité, & impotent à la minime partie de recompenſe, ie me ſaulueray pour le moins de calumnie, en ce que de mes eſpritz n’en ſera à iamais la memoire abolie : & ma langue ne ceſſera confeſſer & proteſter que vous rendre graces condignes eſt choſe tranſcendente ma faculté & puiſſance.

Au reſte i’ay ceſte confiance en la commiſeration & ayde de noſtre Seigneur, que de ceſte noſtre peregrination la fin correſpondera au commencement : & ſera le totaige en alaigreſſe & ſanté perfaict. Ie ne fauldray à reduire en commentaires & ephemerides tout le diſcours de noſtre nauiguaige : affin que à noſtre retour vous en ayez lecture veridicque. I’ay icy trouué vn Tarande de Scythie, animal eſtrange & merueilleux à cauſe des variations de couleur en ſa peau & poil, ſcelon la diſtinction des choſes prochaines. Vous le prendrez en gré. Il eſt autant maniable & facile à nourir qu’vn aigneau. Ie vous enuoie pareillement troys ieunes Vnicornes plus domeſticques & appriuoiſees, que ne ſeroient petitz chattons. I’ay conferé auecques l’eſcuyer, & dict la maniere de les traicter. Elles ne paſturent en terre, obſtant leur longue corne on front. Force eſt que paſture elles prenent es arbres fruictiers, ou en rattelliers idoines, ou en main, leurs offrant herbes, gerbes, pommes, poyres, orge, touzelle : brief toutes eſpeces de fruictz & legumaiges. Ie m’eſbahis comment nos eſcriuains antiques les diſent tant farouches, feroces, & dangereuſes, & oncques viues n’auoir eſté veues. Si bon vous ſemble ferez eſpreuue du contraire : & trouuerez qu’en elles conſiſte vne mignotize la plus grande du monde, pourueu que malicieuſement on ne les offenſe. Pareillement vous enuoye la vie & geſtes de Achilles en tapiſſerie bien belle & induſtrieuſe. Vous aſceurant que les nouueaultez d’animaulx, & plantes, d’oyzeaulx, de pierreries que trouuer pourray, & recouurer en toute noſtre peregrination, toutes ie vous porteray, ayant Dieu noſtre Seigneur lequel ie prie en ſa ſaincte grace vous conſeruer. De Medamothi ce quinzieme de Iuin. Panurge, frere Ian, Epiſtemon, Xenomanes, Gymnaſte, Euſthenes, Rhizotome, Carpalim, apres le deuot baiſemain vous reſaluent en vſure centuple.

Voſtre humble filz & ſeruiteur
Pantagrvel.

Pendent que Pantagruel eſcriuoit les letres ſudictes, Malicorne feut de tous feſtoyé, ſalué, & accollé à double rebraz. Dieu ſçayt comment tout alloit & comment recommendations de toutes pars trotoient en place. Pantagruel auoir paracheué ſes letres bancqueta auecques l’eſcuyer. Et luy donna vne groſſe chaine d’Or poiſante huyct cens eſcuz, en laquelle par les chainons ſeptenaires eſtoient gros Diamans, Rubiz, Eſmerauldes, Turquoiſes, Vnions, alternatiuement enchaſſés. A vn chaſcun de ſes nauchiers feiſt donner cinq cens eſcuz au Soleil : A Gargantua ſon pere enuoya le Tarande couuert d’vne houſſe de ſatin broché d’Or : auecques la tapiſſerie contenente la vie & geſtes de Achilles : & les troys Vnicornes caparaſſonnées de drap d’Or frizé. Ainſi departirent de Medamothi Malicorne pour retourner vers Gargantua, Pantagruel pour continuer ſon nauiguaige. Lequel en haulte mer feiſt lire par Epiſtemon les liures apportez par l’eſcuyer. Desquelz, pource qu’il les trouua ioyeulx & plaiſans, le tranſſumpt voluntiers vous donneray, ſi deuotement le requerez.


Comment Pantagruel rencontra vne nauf de voyagers
retournans du pays Lanternois.


Chapitre V.


Au cinquieme iour ia commençans tournoyer le pole peu à peu, nous eſloignans de l’Æquinoctial deſcouvriſmes une navire marchande faiſant voile à horche vers nous. La ioye ne feut petite tant de nous, comme des marchans : de nous entendens nouvelles de la marine, de eulx entendens nouvelles de terre ferme. Nous rallians avecques eulx congneuſmes qu’ilz eſtoient François Xantongeoys. Dont eut nouveau accroiſſement d’alaigreſſe, auſſi eut toute l’aſſemblee, meſmement nous enqueſtans de l’eſtat du pays, & meurs du peuple Lanternier : & oyans advertiſſement que ſus la fin de Iuillet ſubſequent eſtoit l’aſſignation du chapitre general des Lanternes[35] : & que ſi lors y arrivions (comme facile nous eſtoit) voyrions belle, honorable, & ioyeuſe compaignie des Lanternes : & que l’on y faiſoit grands appreſtz, comme ſi l’on y deuſt profondement lanterner. Nous feuſt auſſi dict, que paſſans le grand royaulme de Gebarim nous ſerions honorificquement repceuz & traictez par le Roy Ohabé dominateur d’icelle terre. Lequel & tous ſes ſubiectz pareillement parlent languaige François Tourangeau.

Ce pendent que nous entendions ces nouuelles, Panurge print debat auecques vn marchant de Taillebourg, nommé Dindenault, L’occaſion du debat feut telle. Ce Dindenault voyant Panurge ſans braguette auecques ſes lunettes attachées au bonnet, diſt de luy à ſes compaignons. Voyez là vne belle medaille de Coqu. Panurge à cauſe de ſes lunettes oyoit des aureilles beaucoup plus clair que de couſtume. Doncques entendent ce propous demanda au marchant. Comment diable ſeroys ie coqu, qui ne ſuys encores marié, comme tu es, ſcelon que iuger ie peuz à ta troigne mal gracieuſe ?

Ouy vrayement, reſpondit le marchant, ie le ſuys : & ne vouldrois ne l’eſtre pour toutes les lunettes d’Europe : non pour toutes les bezicles d’Afrique. Car i’ay vne des plus belles, plus aduenentes, plus honeſtes, plus prudes femmes en mariage, qui ſoit en tout le pays de Xantonge : & n’en deſplaiſe aux aultres. Ie luy porte de mon voyage vne belle & de vnze poulſees longue branche de Coural rouge, pour ſes eſtrènes. Qu’en as tu à faire ? Dequoy te meſlez tu ? Qui es tu ? Dont es tu ? O lunettier de l’Antichriſt, Reſponds ſi tu es de Dieu.

Ie te demande, diſt Panurge, ſi par conſentement & conuenence de tous les elemens i’auoys ſacſacbezuezinemaſſé tant belle, tant aduenente, tant honeſte, tant preude femme, de mode que le roydde Dieu des iardins Priapus, lequel icy habite en liberté, ſubiection forcluſe de braguettes attachées, luy feuſt on corps demeuré, en tel deſaſtre, que iamais n’en ſortiroit, eternellement y reſteroit, ſinon que tu le tiraſſe auecques les dens, que feroys tu ? Le laiſſeroys tu là ſempiternellement ? ou bien le tireroys tu à belles dents ? Reſponds ô belinier de Mahumet, puys que tu es de tous les diables. Ie te donneroys (reſpondit le marchant) vn coup d’eſpee ſus ceſte aureille lunetiere, & te tueroys comme vn belier. Ce diſant deſguainoit ſon eſpee. Mais elle tenoit au fourreau. Comme vous ſçauez que ſus mer tous harnoys facilement chargent rouille, à cauſe de l’humidité exceſſiue, & nitreuſe. Panurge recourt vers Pantagruel à ſecours. Frere Ian miſt la main à ſon bragmard fraiſchement eſmoulu, & euſt felonnement occis le marchant : ne feuſt que le patron de la nauf, & aultres paſſagiers ſupplierent Pantagruel, n’eſtre faict ſcandale en ſon vaiſſeau. Dont feut appoincté tout leur different : & toucherent les mains enſemble Panurge & le marchant : & beurent d’autant l’vn à l’autre dehayt, en ſigne de perfaicte reconciliation.


Comment le debat appaiſé Panurge marchande auecques
Dindenault vn de ſes moutons.
[36]

Chapitre VI.


Ce debat du tout appaiſé Panurge diſt ſecretement à Epiſtemon & à frere Ian. Retirez vous icy vn peu à l’eſcart, & ioyeuſement paſſez temps ce que voirez. Il y aura bien beau ieu, ſi la chorde ne rompt[37]. Puys ſe addreſſa au marchant, & de rechef beut à luy plein hanat de bon vin Lanternoys. Le marchant le pleigea guaillard, en toute courtoiſie & honeſteté. Cela faict Panurge deuotement le prioyt luy vouloir de grace vendre vn de ſes moutons. Le marchant luy reſpondit. Halas halas mon amy, noſtre voiſin comment vous ſçauez bien trupher des paouures gens. Vrayement vous eſtez vn gentil chalant. O le vaillant achapteur de moutons. Vraybis vous portez le minoys non mie d’vn achapteur de moutons, mais bien d’vn couppeur de bourſes. Deu Colas, faillon[* 65] qu’il feroit bon porter bourſe pleine aupres de vous en la tripperie ſus le degel ? Han, han, qui ne vous congnoiſtroyt, vous feriez bien des voſtres. Mais voyez hau bonnes gens, comment il taille de l’hiſtoriographe. Patience (diſt Panurge) Mais à propous de grace ſpeciale vendez moy vn de vos moutons. Combien ? Comment (reſpondit le marchant) l’entendez vous, noſtre amy, mon voiſin. Ce ſont moutons à la grande laine. Iaſon y print la toiſon d’Or. L’ordre la maiſon de Bourguoigne en feut extraict. Moutons de Leuant, moutons de haulte futaye, moutons de haulte greſſe[38]. Soit (diſt Panurge) Mais de grace vendez m’en vn, & pour cauſe & bien promptement vous payant en monnoye de Ponant, de taillis, & de baſſe greſſe. Combien ? Noſtre voiſin, mon amy (reſpondit le marchant) eſcoutez ça vn peu de l’aultre aureille. Pan. A voſtre commandement. Le march. Vous allez en Lanternoys ? Pan. Voire[39]. Le march. Veoir le monde ? Pan. Voire. Le march. Ioyeuſement ? Pan. Voire. Le march. Vous auez ce croy ie nom Robin mouton. Pan. Il vous plaiſt à dire. Le march. Sans vous faſcher. Pan. Ie l’entends ainſi. Le march. Vous eſtez ce croy ie, le ioyeulx du Roy. Pan. Voire. Le march. Fourchez là. Ha. ha. vous allez veoir le monde, vous eſtez le ioyeulx du Roy, vous auez nom Robin mouton. Voyez ce mouton là, il a nom Robin comme vous. Robin, Robin, Robin, Bes, Bes, Bes, Bes. O la belle voix. Pan. Bien belle & harmonieuſe. Le march. Voicy vn pact, qui ſera entre vous & moy, noſtre voiſin & amy. Vous qui eſtez Robin mouton ſerez en ceſte couppe de balance, le mien mouton Robin ſera en l’aultre : le guaige vn cent de huytres de Buſch, que en poix, en valleur, en eſtimation il vous emportera hault & court : en pareille forme que ſerez quelque iour ſuſpendu & pendu. Patience (diſt Panurge) Mais vous feriez beaucoup pour moy & pour voſtre poſterité, ſi ne le vouliez vendre, ou quelque aultre du bas cueur. Ie vous en prie ſyre monſieur. Noſtre amy (reſpondit le Marchant) mon voiſin, de la toiſon de ces moutons ſeront faictz les fins draps de Rouen, les louſchetz des balles de Limeſtre, au pris d’elle ne ſont que bourre. De la peau ſeront faictz les beaulx marroquins : lesquelz on vendra pour marroquins Turquins ou de Montelimart, ou de Heſpaigne pour le pire. Des boyaulx, on fera chordes de violons & harpes, lesquelles tant cherement on vendra, comme ſi feuſſent chordes de Munican ou Aquileie. Que penſez vous ?

S’il vous plaiſt (diſt Panurge) m’en vendrez vn, i’en ſeray bien fort tenu au courrail de voſtre huys. Voyez cy argent content. Combien ? Ce diſoit monſtrant ſon eſquarcelle pleine de nouueaulx Henricus[40].


Continuation du marché entre Panurge & Dindenault.

Chapitre VII.


Mon amy (reſpondit le marchant) noſtre voiſin ce n’eſt viande, que pour Roys & Princes. La chair en eſt tant delicate, tant ſauoureuſe, & tant friande que c’eſt baſme. Ie les ameine d’vn pays, on quel les pourceaulx (Dieu ſoit auecques nous) ne mangent que Myrobalans. Les truyes en leur geſine (ſaulue l’honneur de toute la compaignie) ne ſont nourriez que de fleurs d’orangiers. Mais (diſt Panurge) vendez m’en vn, & ie vous le payeray en Roy, foy de pieton. Combien ? Noſtre amy (reſpondit le marchant) mon voiſin, ce ſont moutons extraictz de la propre race de celluy qui porta Phrixus & Hellé, par la mer dicte Helleſponte. Cancre (diſt Panurge) vous eſtez clericus vel adiſcens[41]. Ita, ſont choux (reſpondit le marchant) vere ce ſont pourreaux. Mais rr. rrr. rrrr. Ho Robin rrrrrrrr. Vous n’entendez ce languaige. A propous. Par tous les champs es quelz ilz piſſent, le bled y prouient comme ſi Dieu y euſt piſſé[* 66]. Il n’y fault aultre marne, ne fumier. Plus y a. De leur vrine les Quinteſſentiaux tirent le meilleur Salpetre du monde. De leurs crottes (mais qu’il ne vous deſplaiſe) les medicins de nos pays gueriſſent ſoixante & dixhuict eſpeces de maladie. La moindre des quelles eſt le mal ſainct Eutrope[* 67] de Xaintes, dont Dieu nous ſaulue & guard. Que penſez vous noſtre voiſin, mon amy ? Auſſi me couſtent ilz bon. Couſte & vaille (reſpondit Panurge) Seulement vendez m’en vn le payant bien. Noſtre amy (diſt le marchant) mon voiſin conſiderez vn peu les merueilles de nature conſiſtans en ces animaulx que voyez, voire en vn membre que eſtimeriez inutile. Prenez moy ces cornes là, & les concaſſez vn peu auecques vn pilon de fer, ou auecques vn landier, ce m’eſt tout vn. Puis les enterrez en veue du Soleil la part que vouldrez & ſouuent les arrouzez. En peu de moys vous en voirez naiſtre les meilleurs Aſperges du monde. Ie n’en daignerois excepter ceulx de Rauenne. Allez moy dire que les cornes de vous aultres meſſieurs les coquz ayent vertus telle, & proprieté tant mirifique. Patience (reſpondit Panurge). Ie ne ſçay (diſt le marchant) ſi vous eſtez clerc. I’ay veu prou de clercs, ie diz grands clercs, coquz. Ouy dea. A propous, ſi vous eſtiez clerc, vous ſçauriez que es membres plus inferieurs de ces animaulx diuins, ce ſont les piedz, y a vn os, c’eſt le talon, l’aſtragale, ſi vous voulez, duquel non d’aultre animal du monde, fors de l’aſne Indian, & des Dorcades de Libye, l’on iouoyt antiquement au Royal ieu des tales, auquel l’Empereur Octauian Auguſte vn ſoir guaigna plus de 50000. eſcuz. Vous aultres coquz n’auez guarde d’en guaigner aultant. Patience, reſpondit Panurge. Mais expedions. Et quand (diſt le marchant) vous auray ie, noſtre amy, mon voiſin, dignement loué les membres internes ? L’eſpaule, les eſclanges, les gigotz, le hault couſté, la poictrine, le faye, la ratelle, les trippes, la guogue, la veſſye, dont on ioue à la balle. Les couſtelettes dont on faict en Pygmion les beaulx petitz arcs pour tirer des noyaulx de ceriſe contre les Grues. La teſte dont auecques vn peu de ſoulphre on faict vne mirificque decoction pour faire viander les chiens conſitppez du ventre ?

Bren bren (diſt le patron de la nauf au marchant) c’eſt trop icy barguigné. Vends luy ſi tu veulx. Si tu ne veulx : ne l’amuſe plus. Ie le veulx (reſpondit le marchant) pour l’amour de vous. Mais il en payera trois liures tournois de la piece en choiſiſſant. C’eſt beaucoup, diſt Panurge. En nos pays i’en auroys bien cinq, voire ſix pour telle ſomme de deniers. Aduiſez que ce ne ſoit trop. Vous n’eſtez le premier de ma congnoiſſance, qui trop touſt voulent riche deuenir & paruenir, eſt à l’enuers tombé en paouureté : voire quelque foys s’eſt rompu le coul. Tes fortes fiebures quartaines (diſt le marchant) lourdault ſot que tu es. Par le digne veu de Charrous, le moindre de ces moutons vault quatre foys plus que le meilleur de ceulx que iadis les Coraxiens en Tuditanie contrée d’Heſpaigne vendoient vn talent d’Or la piece. Et que penſe tu O ſot à la grande paye, que valoit vn talent d’or ?

Benoiſt monſieur, diſt Panurge, vous eſchauffez en voſtre harnois, à ce que ie voy & congnois. Bien tenez, voyez là voſtre argent. Panurge ayant payé le marchant choiſit de tout le trouppeau vn beau & grand mouton, & le emportoit cryant & bellant, oyant tous les aultres & enſemblement bellans, & reguardans quelle part on menoit leur compaignon. Ce pendent le marchant diſoit à ſes moutonniers. O qu’il a bien ſceu choiſir le challant. Il ſe y entend le paillard. Vrayement, le bon vrayment, ie le reſeruoys pour le ſeigneur de Cancale, comme bien congnoiſſant ſon naturel. Car de ſa nature il eſt tout ioyeulx & eſbaudy, quand il tient vne eſpaule de mouton en main bien ſeante & aduenente, comme vne raquette gauſchiere, & auecques vn couſteau bien trenchant, Dieu ſçait comment il s’en eſcrime.


Comment Panurge feiſt en mer noyer le marchant &
les moutons.


Chapitre VIII.


Sovbdain, ie ne ſçay comment, le cas feut ſubit, ie ne eu loiſir le conſyderer. Panurge ſans autre choſe dire iette en pleine mer ſon mouton criant & bellant. Tous les aultres moutons crians & bellans en pareille intonation commencerent ſoy iecter & ſaulter en mer apres à la file. La foulle eſtoit à qui premier ſaulteroit apres leur compaignon. Poſſible n’eſtoit les en guarder. Comme vous ſçauez eſtre du mouton le naturel, tous iours ſuyure le premier, quelque part qu’il aille. Auſſi le dict Ariſtoteles lib. 9. de hiſto. animal. eſtre les plus ſot & inepte animant[42] du monde. Le marchant tout effrayé de ce que dauant ſes yeulx perir voyoit & noyer ſes moutons, s’efforçoit les empecher & retenir tout de ſon pouoir. Mais c’eſttoit en vain. Tous à la file ſaultoient dedans la mer, & periſſoient. Finablement il en print vn grand & fort par la toiſon ſus le tillac de la nauf, cuydant ainſi le retenir, & ſauluer le reſte auſſi conſequemment. Le mouton feut ſi puiſſant qu’il emporta en mer auecques ſoy le marchant, & feut noyé, en pareille forme que les moutons de Plolyphemus le borgne Cyclope emporterent hors la cauerne Vlyxes & ſes compaignons. Autant en feirent les aultres bergiers & moutonniers les prenens vns par les cornes, aultres par les iambes, aultres par la toiſon. Lesquelz tous feurent pareillement en mer portez & noyez miſerablement.

Panurge à couſté du fougon tenent vn auiron en main, non pour ayder aux moutonniers, mais pour les enguarder de grimper ſus la nauf, & euader le naufraige, les preſchoit eloquentement, comme ſi feuſt vn petit frere Oliuier Maillard, ou vn ſecond frere Ian bourgeoys, leurs remonſtrant par lieux de Rhetoricque les miſeres de ce monde, le bien & l’heur de l’aultre vie, affermant les plus heureux eſtre les treſpaſſez, que les viuans en ceſte vallee de miſere, & à vn chaſcun d’eulx promettant eriger vn beau cenotaphe[* 68], & ſepulchre honoraire au plus hault du mont Cenis, à ſon retour de Lanternoys : leurs optant ce néant moins, en cas que viure encores entre les humains ne leurs faſchat, & noyer ainſi ne leur vint à propous, bonne aduenture, & rencontre de quelque Baleine, laquelle au tiers iour ſubſequent les rendiſt ſains & ſaulues en quelque pays de ſatin, à l’exemple de Ionas. La nauf vuidee du marchant & des moutons, Reſte il icy (diſt Panurge) vlle ame moutonniere[* 69] ? Où ſont ceulx de Thibault l’aignelet ? Et ceulx de Regnauld belin[43], qui dorment quand les aultres paiſſent ? Ie n’y ſçay rien. C’eſt vn tour de vieille guerre[44]. Que t’en ſemble frere Ian ? Tout bien de vous (reſpondit frere Ian). Ie n’ay rien trouué maulzois ſi non qu’il me ſemble que ainſi comme iadis on ſouloyt en guerre au iour de bataille, ou aſſault, promettre aux ſoubdars double paye pour celleuy iour : s’ilz guaignoient la bataille, l’on auoit prou de quoy payer : s’ilz la perdoient, c’euſt eſté honte la demander, comme feirent les fuyars Gruyers apres la bataille de Serizolles : auſſi qu’en fin vous doibuiez le payement reſeruer. L’argent vous demouraſt en bourſe. C’eſt (diſt Panurge) bien chié pour l’argent. Vertus Dieu i’ay eu du paſſetemps pour plus de cinquante mille francs. Retirons nous, le vent eſt propice. Frere Ian, eſcoutte icy. Iamais homme ne me feiſt plaiſir ſans recompenſe, ou recongnoiſſance pour le moins. Ie ne ſuys point ingrat, & ne le feux, ne ſeray. Iamais homme ne me feiſt deſplaiſir ſans repentence, ou en ce monde ou en l’aultre. Ie ne ſuys poinct fat iusques là. Tu (diſt frere Ian) te damne comme vn vieil diable. Il eſt eſcript, Mihi vindictam[45], & cætera. Matiere de breuiaire.


Comment Pantagruel arriua en l’iſle Ennaſin & des
eſtranges alliances du pays.


Chapitre IX.


Zephyre nous continuoit en participation d’vn peu du Garbin, & auions vn iour paſſé ſans terre deſcouurir. Au tiers iour à l’aube des mouſches nous apparuſt vne iſle triangulaire bien fort reſſemblante quant à la forme & aſſiette à Sicile. On la nommoit l’iſle des alliances. Les hommes & femmes reſſemblent aux Poicteuins rouges, exceptez que tous hommes, femmes, & petitz enfans ont le nez en figure d’vn as de treuffles[46]. Pour ceſte cauſe le nom antique de l’iſle eſtoit Ennaſin. Et eſtoient tous parens & alliez enſemble, comme ilz ſe vantoient, & nous diſt librement le Podeſtat du lieu. Vous aultres gens de l’aulte monde tenez pour choſe admirable, que d’vne famille Romaine (c’eſtoient les Fabians) pour vn iour (ce feut le trezieme du moys de Feburier) par vne porte (ce feut la porte Carmentale, iadis ſituee au pied du Capitole, entre le roc Tarpeian & le Tybre, depuys ſurnommee Scelerate) contre certains ennemis des Romains (c’eſtoient les Veientes Hetrusques) ſortirent trois cens ſix hommes de guerre tous parens, auecques cinq mille aultres ſoubdars tous leurs vaſſaulx : qui tous feurent occis, ce feut près le fleuue Cremere, qui ſort du lac de Baccane. De ceſte terre pour vn beſoing ſortiront plus de trois cens mille tous parens & d’une famille.

Leurs parentez & alliances eſtoient de façon bien eſtrange. Car eſtans ainſi tous parens & alliez l’un de l’aultre, nous trouuaſmes que perſone d’eulx n’eſtoit pere ne mere, frere ne ſœur, oncle ne tante, couſin ne nepueu, gendre ne bruz, parrain ne marraine de l’aultre. Sinon vrayment vn grand vieillard enaſé lequel, comme ie veidz, appella vne petite fille aagée de trois ou quatre ans, mon père : la petite fillette le appelloit ma fille. La parenté & alliance entre eulx, eſtoit que l’un appelloit vne femme, ma maigre[47] : la femme le appelloit mon marſouin, Ceulx là (diſoit frere Ian) doiburoient bien ſentir leur maree, quand enſemble ſe ſont frottez leur lard. L’un appelloit vne guorgiaſe bachelette en ſoubriant. Bon iour mon eſtrille. Elle le reſalua diſant. Bon eſtreine mon Fauueau. Hay, hay, hay, s’eſcria Panurge, venez veoir vne eſtrille, vne fau, & vn veau, N’eſt ce Eſtrille fauueau[48] ? Ce fauueau à la raye noire doibt bien ſouuent eſtre eſtrillé. Vn autre ſalua vne ſiene mignonne diſant. A dieu mon bureau. Elle luy reſpondit. Et vous auſſi mon proces. Par ſainct Treignan (diſt Gymnaſte) ce proces doibt eſtre ſouuent ſus ce bureau. L’un appelloit vne autre mon verd. Elle l’appelloit, ſon coquin. Il y a, bien là, diſt Euſthenes, du Verdcoquin. Vn aultre ſalua vne ſienne alliee diſant. Bon di, ma coingnee[49]. Elle reſpondit. Et à vous mon manche. Ventre beuf, s’eſcria Carpalim, comment ceſte coingnee eſt emmanchee. Comment ce manche eſt encoingné. Mais ſeroit ce point la grande manche que demandent les courtiſanes Romaines ? Ou vn cordelier à la grande manche[50]. Paſſant oultre ie veids vn auerlant qui ſaluant ſon alliee, l’appella mon matraz, elle le appeloit mon lodier. De faict il auoit quelques traictz de lodier lourdault. L’vn appelloit vne aultre ma mie, elle l’appelloit ma crouſte. L’vne vne aultre appelloit ſa palle, elle l’appelloit ſon fourgon. L’vn vne aultre appelloit ma ſauatte, elle le nommoit pantophle[* 70]. L’vn vn aultre nommoit ma botine, elle l’appelloit ſon eſtiuallet. L’vn vne aultre nommoit ſa mitaine, elle nommoit mon guand. L’vn vne aultre nommoit ſa couane, elle l’appelloit ſon lard. Et eſtoit entre eulx, parenté de couane de lard. En pareille alliance, l’vn appelloit vne ſienne mon homelaicte, elle le nommoit mon œuf. Et eſtoient alliez comme vne homelaicte d’œufz. De meſmes vn aultre appelloit vne ſienne ma trippe, elle l’appelloit ſon fagot. Et oncques ne peuz ſçauoir quelle parenté, alliance, affinité, ou conſanguinité feuſt entre eulx, la raportant à noſtre vſaige commun, ſi non qu’on nous dict, qu’elle eſtoit trippe de ce fagot. Vn aultre ſaluant vne ſienne diſoit. Salut mon eſcalle. Elle reſpondit. Et à vous mon huytre. C’eſt (diſt Carpalim) vne huytre en eſcalle. Vn aultre de meſmes ſaluoit vne ſienne diſant. Bonne vie ma gouſſe. Elle reſpondit. Longue à vous mon poys. C’eſt (diſt Gymnaſte) vn poys en gouſſe. Vn aultre grand villain clacquedens monté ſus haultes mulles de boys rencontrant vne groſſe, graſſe, courte, guarſe luy diſt. Dieu guard mon ſabbot, ma trombe, ma touppie. Elle luy reſpondit fierement. Guard pour guard mon fouet. Sang ſainct gris, diſt Xenomanes, eſt il fouet competent, pour mener ceſte touppie ? Vn docteur regent bien peigné & teſtoné auoir quelque temps diuiſé auecques vne haulte damoizelle, prenant d’elle congié luy diſt. Grand mercy Bonne mine. Mais, diſt elle, treſgrand à vous Mauuais ieu. De Bonne mine (diſt Pantagruel) à Mauuais ieu n’eſt alliance impertinente. Vn bacchelier en buſche paſſant diſt à vne ieune bachelette. Hay, hay, hay. Tant y a que ne vous veidz Muſe. Ie vous voy (reſpondit elle) Corne voluntiers. Accouplez les (diſt Panurge) & leurs ſoufflez au cul. Ce ſera vne cornemuſe. Vn aultre appella vne ſienne ma truie, elle l’appella ſon foin. Là me vint en penſement, que ceſte truie voluntiers ſe tournoit à ce foin. Ie veidz vn demy guallant boſſu quelque peu près de nous ſaluer vne ſienne alliee diſant. Adieu mon trou. Elle de meſmes le reſalua diſant. Dieu guard ma cheuille. Frere Ian diſt. Elle ce croy ie eſt toute trou, & il de meſmes tout cheuille. Ores eſt à ſçauoir, ſi ce trou par ceſte cheuille peult entierement eſtre eſtouppé. Vn aultre ſalua vne ſienne diſant. Adieu ma mue. Elle reſpondit. Bon iour mon oizon. Ie croy (diſt Ponocrates) que ceſtuy oizon eſt ſouuent en mue. Vn auerlant cauſant auecques vne ieune gualoiſe luy diſoit. Vous en ſouuieigne veſſe. Auſſi ſera ped, reſpondit elle. Appellez vous (diſt Pantagruel au Poteſtat) ces deux là parens ? Ie penſe qu’ilz ſoient ennemis, non alliez enſemble : car il l’a appellee Veſſe. En nos pays vous ne pourriez plus oultrager vne femme que ainſi l’appellant. Bonnes gens de l’aultre monde (reſpondit le Poteſtat) vous auez peu de parens telz & tant proches, comme ſont ce Ped & ceſte veſſe. Ilz ſortirent inuiſiblement tous deux enſemble d’un trou en vn inſtant. Le vent de Galerne (diſt Panurge) auoit doncques lanterné leur mere. Quelle mere (diſt le Poteſtat) entendez vous ? C’eſt parenté de voſtre monde. Ilz ne ont pere ne mere. C’eſt à faire à gens de dela l’eau, à gens bottez de foin. Le bon Pantagruel tout voyoit, & eſcoutoit : mais à ces propous il cuyda perdre contenence.

Auoir bien curieuſement conſyderé l’aſſiette de l’iſle & meurs du peuple Ennaſé, nous entraſmez en vn cabaret pour quelque peu nous refraiſchir. Là on faiſoit nopces à la mode du pays. Au demourant chère & demye. Nous preſens feut faict vn ioyeulx mariage, d’vne poyre femme bien gaillarde, comme nous ſembloit toutesfoys ceulx qui en auoient taſté, la diſoient eſtre mollaſſe, auecques vn ieune fromaige à poil follet vn peu rougeaſtre. I’en auoys aultres foys ouy la renommee, & ailleurs auoient eſté faictz pluſieurs telz mariages. Encores dict on en noſtre pays de vache, qu’il ne feut oncques tel mariage, qu’eſt de la poyre & du fromaige. En vne aultre ſalle ie veids qu’on marioit vne vieille botte auecques vn ieune & ſoupple brodequin. Et feut dict à Pantagruel, que le ieune brodequin prenoit la vieille botte à femme, pource qu’elle eſtoit bonne robbe, en bon poinct & graſſe à profict de meſnaige, voyre feuſt ce pour vn peſcheur. En vne aultre ſalle baſſe ie veids vn ieune eſcaſignon eſpouſer vne vieille pantophle. Et nous feut dict que ce n’eſtoit pour la beaulté ou bonne grace d’elle, mais par auarice & conuoitiſe de auoir les eſcuz dont elle eſtoit toute contrepoinctee.


Comment Pantagruel deſcendit en l’iſle de Cheli
en laquelle regnoit le Roy ſainct Panigon.


Chapitre X.


Le Garbin nous ſouffloit en pouppe, quand laiſſans ces mal plaiſans Allianciers, auecques leurs nez en as de treuflle montaſmes en haulte mer. Sus la declination du Soleil feiſmez ſcalle en l’iſle de Cheli : iſle grande, fertile, riche, & populeuſe, en laquelle regnoit le roy ſainct Panigon. Lequel accompaigné de ſes enfans, & princes de la court s’eſtoit tranſporté iusques près le haure pour recepuoir Pantagruel. Et le mena iusques en ſon chaſteau, ſus l’entrée du dongeon ſe offrit la royne accompaignee de ſes filles & dames de court. Panigon voullut qu’elle & toute ſa ſuytte baiſaſſent Pantagruel & ſes gens. Telle eſtoit la courtoiſie & couſtume du pays. Ce que feut faict, excepté frère Ian, qui ſe abſenta, & s’eſcarta parmy les officiers du Roy. Panigon vouloit en toute inſtance pour ceſtuy iour & au lendemain retenir Pantagruel. Pantagruel fonda ſon excuſe ſur la ſerenité du temps, & oportunité du vent, lequel plus ſouuent eſt deſiré des voyagiers que rencontré, & le fault emploiter quand il aduient, car il ne aduuient toutes & quantes foys qu’on le ſoubhayte. A ceſte remonſtrance apres boyre vingt & cinq ou trente foys par home, Panigon nous donna congié. Pantagruel retournant au port & ne voyant frere Ian, demandoit quelle part il eſtoit, & pourquoy n’eſtoit enſemble la compaignie. Panurge ne ſçauoit comment l’excuſer, & vouloit retourner au chaſteau pour le appeller, quand frere Ian accouruſt tout ioyeulx, & s’eſcria en grande guayeté de cœur diſant. Viue le noble Panigon. Par la mort beuf de boys il rue en cuiſine. I’en viens, tout y va par eſcuelles. I’eſperoys bien y cotonner à profict & vſaige monachal le moulle de mon gippon. Ainſi mon amy (diſt Pantagruel) touſiours à ſes cuiſines. Corpe de galline (reſpondit frere Ian) i’en ſçay mieulx l’vſaige & cerimonies, que de tant chiabrener avecques ces femmes, magny, magna, chiabrena, reuerence, double, reprinze, l’accollade, la freſſurade, baiſe la main de voſtre mercy, de voſtre maieſta, vous ſoyez. Tarabin, tarabas. Bren, c’eſt merde à Rouan[51]. Tant chiaſſer, & vreniller. Dea, ie ne diz pas que ie n’en tiraſſe quelque traict deſſus la lie, à mon lourdois : qui me laiſſaſt inſinuer ma nomination. Mais ceſte brenaſſerie de reuerences me faſche plus qu’vn ieune diable. Ie voulois dire, vn ieuſne double. Sainct Benoiſt n’en mentit iamais.

Vous parlez de baiſer damoizelles, par le digne & ſacré froc que ie porte, voluntiers ie m’en deporte, craignant que m’aduieigne ce que aduint au ſeigneur de Guyercharois. Quoy ? demanda Pantagruel. Ie le congnois. Il eſt de mes meilleurs amis. Il eſtoit, diſt frere Ian, inuité à vn ſumptueux & magnificque bancquet, que faiſoit vn ſien parent & voyſin : au quel eſtoient pareillement inuitez tous les gentilz hommes, dame, & damoyſelles du voyſinage. Icelles attendentes ſa venue, deſguiſerent les paiges de l’aſſemblee, & les habillerent en damoyſelles bien pimpantes & atourees. Les paiges endamoyſellez à luy entrant pres le pont leuiz ſe preſenterent, il les baiſa tous en grande courtoyſie, & reuerences magnificques. Sus la fin, les dames qui l’attendoient en la guallerie, s’eſclaterent de rire, & feirent ſigne aux paiges, à ce qu’ilz houſtaſſent leurs atours. Ce que voyant le bon ſeigneur, par honte & deſpit ne daigna baiſer icelles dames & damoyſelles naifues. Alleguant veu qu’on luy auoit ainſi deſguyſé les paiges, que par la mort beuf de boys ce doibuoient là eſtre les varletz encores plus finement deſguyſez.

Vertus Dieu, da iurandi[52], pourquoy plus touſt ne tranſportons nous nos humanitez en belle cuiſine de Dieu ? Et là ne conſyderons le branlement des cloches, l’harmonie des contrehaſtiers[53], la poſition des lardons, la temperature des potaiges, les preparatifz du deſſert, l’ordre de ſeruice du vin[54] ? Beati immaculati in via[55]. C’eſt matiere de breuiaire.


Pourquoy les moines ſont voluntiers en cuiſine.

Chapitre XI.


C’est diſt Epiſtemon, naifuement parlé en moine. Ie diz moine moinant, ie ne diz pas, moine moiné. Vrayement vous me reduiſez en memoire, ce que ie veidz & ouy en Florence, il y a enuiron vingt ans[56]. Nous eſtions bien bonne compaignie de gens ſtudieux, amateurs de peregrinité, & conuoyteux de viſiter les gens doctes, antiquitez, & ſingularitez d’Italie. Et lors curieuſement contemplions l’aſſiette & beaulté de Florence, la ſtructure du dome, la ſumptuoſité des temples, & palais magnificques. Et entrions en contention, qui plus aptement les extolleroit par louanges condignes : quand vn moine d’Amiens, nommé Bernard Lardon, comme tout faſché & monopolé nous dict.

I’ay auſſi bien contemplé comme vous, & ne ſuys aueuigle plus que vous. Et puys ? Qu’eſt ce ? Ce ſont belles maiſons. C’eſt tout. Mais Dieu, & monſieur ſainct Bernard noſtre bon patron ſoit auecques nous, en toute ceſte ville encores n’ay ie veu vne ſeulle rouſtiſſerie, & y ay curieuſement reguardé & conſyderé. Voire ie vous diz comme eſpiant, & preſt à compter & nombrer tant à dextre comme à ſeneſtre combien & de quel couſté plus nous rencontrerions de rouſtiſſeries rouſtiſſantes. Dedans Amiens en moins de chemin quatre foys voire troys qu’auons faict en nos contematations, ie vous pourrois monſtrer plus de quatorze rouſtiſſeries antiques & aromatizantes. se ne ſçay quel plaiſir auez prins voyans les Lions, & Afriquanes[57] (ainſi nommiez vous, ce me ſemble, ce qu’ilz appellent Tygres[58]) près le beffroy : pareillement voyans les Porczeſpicz & Auſtruches on palais du ſeigneur Philippes Stroſſy. Par foy nos fieulx l’aymerois mieulx veoir vn bon & gras oyzon en broche. Ces Porphyres, ces marbres ſont beaulx. se n’en diz poinct de mal. Mais les Darioles d’Amiens ſont meilleures à mon guouſt. Ces ſtatues antiques ſont bien faictes, se le veulx croire. Mais par ſainct Ferreol d’Abbeuille[59], les ieunes bachelettes de nos pays ſont mille foys plus aduenentes.

Que ſignifie (demanda frere Ian) & que veult dire, que touſieurs vous trouuiez moines en cuyſines, iamais n’y trouuez Roys, Papes, ne Empereurs ? Eſt ce, reſpondit Rhizotome, quelque vertus latente & proprieté ſpecificque abſconſe de dans les marmites & contrehaſtiers, qui les moines y attire, n’y attire Empereurs, Papes, ne Roys ? Ou c’eſt vne induction & inclination naturelle aux frocz & cagoulles adherente, laquelle de ſoy mene & poulſe les bons religieux en cuiſine, encore s qu’ilz n’euſſent election ne deliberation d’y aller ? Il veult dire, reſpondit Epiſtemon, formes ſuyuantes la matiere. Ainſi les nomme Auerrois. Voyre, voyre, diſt frere Ian.

Ie vous diray, reſpondit Pantagruel, ſans au probleme propouſé reſpondre. Car il eſt vn peu chatouilleux : & à peine y toucheriez vous, ſans vous eſpiner. Me ſoubuient auoir leu[60], que Antigonus roy de Macedonie vn iour entrant en la cuiſine de ſes tentes, & y rencontrant le poete Antagoras, lequel fricaſſoit vn Congre, & luy meſmes tenoit la paille, luy demanda en toute alaigreſſe. Homere fricaſſoit il Congres, lors qu’il deſcriuoit les proueſſes de Agamemnon ? Mais, reſpondit Antagoras, ha Roy eſtime tu que Agamemnon, lors que telles proueſſes faiſoit, feuſt curieux de ſçauoir ſi perſonne en ſon camp fricaſſoit Congres ? Au Roy ſembloit indecent que en ſa cuiſine le poete faiſoit telle fricaſſée. Le Poete luy remonſtroit, que choſe trop plus abhorrente eſtoit rencontrer le Roy en cuiſine.

Ie dameray ceſte cy, diſt Panurge, vous racontant ce que Breton Villandry reſpondit vn iour au ſeigneur duc de Guyſe. Leur propous eſtoit de quelque bataille du Roy François contre l’Empereur Charles cinquieme : en laquelle Breton eſtoit guorgiaſement armé, meſmement de greſues, & ſolleretz aſſerez, monté auſſi à l’aduentaige, n’auoit toutes foys eſté veu au combat. Par ma foy reſpondit Breton, ie y ay eſté, facile me ſera le prouuer, voyre en lieu on quel vous n’euſſiez auſé vous trouuer. Le ſeigneur duc prenant en mal ceſte parolle, comme trop braue & temerairement proferee, & ſe haulſant de propous, Breton facilement en grande riſee l’appaiſa, diſant, I’eſtois auecques le baguaige. On quel lieu voſtre honeur n’euſt porté ſoy cacher, comme ie faiſois. En ces menuz deuis arriuerent en leurs nauires. Et plus long ſeiour ne feirent en icelle iſle de Cheli.


Comment Pantagruel paſſa Procuration[61], & de l’eſtrange
maniere de viure entre les Chicquanous.


Chapitre XII.


Continvant noſtre routte au iour ſubſequens paſſaſmes Procuration, qui eſt vn pays tout chaſſouré & barbouillé. Ie n’y congneu rien. Là veiſmes des Procultous & Chiquanous gens à tout le poil. Ilz ne nous inuiterent à boyre ne à manger. Seulement en longue multiplication de doctes reuerences nous dirent, qu’ilz eſtoient tous à noſtre commendement en payant. Vn de nos truchemens racontoit à Pantagruel comment ce peuple guaignoient leur vie en façon bien eſtrange : & en plein Diametre contraire aux Romicoles. A Rome gens infiniz guaignent leur vie à empoiſonner, à battre, & à tuer. Les Chiquanous la guaignent à eſtre battuz. De mode que ſi par long temps demouroient ſans eſtre battuz, ilz mourroient de male faim, eulx, leurs femmes & enfans[62]. C’eſt, diſoit Panurge, comme ceulx qui par le rapport de Cl. Gal. ne peuuent le nerf cauerneux vers le cercle æquateur dreſſer, s’ilz ne ſont treſbien fouettez. Par ſainct Thibault qui ainſi me fouetteroit me feroit bien au rebours deſarſonner de par tous les diables.

La maniere, diſt le truchement, eſt telle. Quand vn moine, prebſtre, vſurier, ou aduocat veult mal à quelque gentilhome de ſon pays, il enuoye vers luy vn de ces Chiquanous. Chiquanous le citera, l’adiournera, le oultragera, le iniurira impudentement, ſuyuant ſon record & inſtruction : tant que le gentilhome, s’il n’eſt paralytique de ſens, & plus ſtupide qu’vne Rane Gyrine[* 71], ſera conſtrainct luy donner baſtonnades, & coups d’eſpée ſus la teſte, ou la belle iarretade, ou mieulx le iecter par les creneaulx & feneſtres de ſon chaſteau. Cela faict, voyla Chiquanous riche pour quatre moys. Comme ſi coups de baſton feuſſent ſes naïfues moiſſons. Car il aura du moine, de l’vſurier, ou aduocat ſalaire bien bon : & reparation du gentilhome aulcune fois ſi grande & exceſſiue, que le gentilhome y perdra tout ſon auoir : auecques dangier de miſerablement pourrir en priſon : comme s’il euſt frappé le Roy.

Contre tel inconuenient, diſt Panurge, ie ſçay vn remede treſbon, duquel vſoit le ſeigneur de Baſché. Quel ? demanda Pantagruel. Le ſeigneur de Baſché diſt Panurge, eſtoit homme couraigeux, vertueux, managnime, cheualereux. Il retournant de certaine longue guerre, en laquelle le duc de Ferrare par l’ayde des François vaillamment ſe defendit contre les furies du pape Iules ſecond, par chaſcun iour eſtoit adiourné, cité, chiquané, à l’appetit & paſſetemps du gras prieur de ſainct Louant. Vn iour deſieunant avecques ſes gens (comme il eſtoit humain & debonnaire) manda querir ſon boulangier nommé Loyre, & ſa femme, enſemble le curé de ſa parœce nommé Oudart, qui le ſeruoit de ſommellier, comme lors eſtoit la couſtume en France, & leurs diſt en preſence de ſes gentilhommes & aultres domeſticques. Enfans vous voyez en quelle faſcherie me iectent iournellement ces maraulx Chiquanous. I’en ſuys là reſolu, que ſi ne me aydez, ie delibere abandonner le pays, & prandre le party du Soubdan à tous les diables. Deſormais quand ceans ilz viendront, ſoyez preſtz vous Loyre & voſtre feme pour vous repreſenter en ma grande ſalle auecques vos belles robbes nuptiales, comme ſi l’on vous fianſoit, & comme premierement feuſtez fianſez. Tenez. Voyla cent eſcuz d’or, lesquelz ie vous donne, pour entretenir vos beaulx acouſtremens. Vous meſſire Oudart ne faillez y comparoiſtre en voſtre beau ſupellis & eſtolle, auecques l’eaue beniſte, comme pour les fianſer. Vous pareillement Trudon (ainſi eſtoit nommé ſon tabourineur) ſoyez y auecques voſtre flutte & tabour. La parolles dictes, & la mariee baiſee, au ſon du tabour vous tous baillerez l’vn à l’autre du ſouuenir des nopces, ce ſont petitz coups de poing. Ce faiſans vous n’en ſoupperez que mieulx. Mais quand ce viendra au Chiquanous, frappez deſſus comme ſus ſeigle verde ne l’eſpargnez. Tappez, daubez, frappez, ie vous en prie. Tenez preſentement ie vous donne ces ieunes guanteletz de iouſte, couuers de cheurotin. Donnez luy coups ſans compter à tors & à trauers. Celluy qui mieulx le daubera, ie recongnoiſtray pour mieulx affectionné. N’ayez paour d’en eſtre reprins en iuſtice, Ie ſeray guarant pour tous. Telz coups ſeront donnez en riant, ſcelon la couſtume obſeruee en toutes fianſailles.[63]

Voyre mais, demanda Oudart, à quoy congnoiſtrons nous le Chiquanous ? Car en ceſte voſtre maiſon iournellement abourdent gens de toutes pars. Ie y ay donné ordre, reſpondit Baſché. Quand à la porte de ceans viendra quelque home ou à pied, ou aſſez mal monté, ayant vn anneau d’argent gros & large[64] on poulce, il ſera Chiquanous. Le portier l’ayant introduit courtoiſement ſonnera la campanelle. Alors ſoyez preſtz, & venez en ſale iouer la Tragicque comedie[* 72], que vous ay expoſé.

Ce propre iour, comme Dieu le voulut, arriua vn viel, gros, & rouge Chiquanous. Sonnant à la porte, feut par le portier recongnu à ſes gros & gras ouzeaulx, à ſa meſchante iument, à vn ſac de toille plein d’informations, attaché à ſa ceincture : ſignamment au gros anneau d’argent qu’il auoit on poulce guauſche. Le portier luy feut courtoys, le introduit honeſtement ioyeuſement : ſonne la campanelle. Au ſon d’icelle Loyre & ſa femme ſe veſtirent de leurs beaulx habillemens, comparurent en la ſalle faiſans bonne morgue. Oudart ſe reueſtit de ſupellis & d’eſtolle : ſortant de ſon office rencontre Chiquanous : le mene boyre en ſon office longuement, ce pendent qu’on chauſſoit guanteletz de tous couſtez : & luy diſt. Vous ne pouiez à heure venir plus oportune. Noſtre maiſtre eſt en ſes bonnes : nous ferons tantouſt bonne chere : tout ira par eſcuelles : nous ſommes ceans de nopces : tenez, beuuez, ſoyez ioyeulx. Pendent que Chiquanous beuuoit Baſché voyant en la ſalle tous ſes gens en equippage requis, mande querir Oudart. Oudart vient portant l’eaue beniſte. Chiquanous le ſuyt. Il entrant en la ſalle n’oublia faire nombre de humbles reuerences, cita Baſché, Baſché luy feiſt la plus grande chareſſe du monde, luy donna vn Angelot, le priant aſſiſter au contract & fianſailles. Ce que feut faict. Sus la fin coups de poing commencerent ſortir en place. Mais quand ce vint au tour de Chiquanous, ilz le feſtoierent à grands coups de guanteletz ſi bien, qu’il reſta tout eſtourdy & meurtry : vn œil poché au beurre noir, huict couſtes freuſſees, le brechet enfondré, les omoplates en quatre quartiers, la maſchouere inferieure en trois loppins : & le tout en riant. Dieu ſçayt comment Oudart y operoit, couurant de la manche de ſon ſuppelis le gros guantelet aſſeré fourré d’hermines car il eſtoit puiſſant ribault. Ainſi retourne à l’iſle Bouchard Chiquanous acouſtré à la Tigresque : bien toutesfois ſatisfaict & content du ſeigneur de Baſché : & moyennant le ſecours des bons chirurgiens du pays veſquit tant que vouldrez. Depuis n’en feut parlé. La memoire en expira auecques le ſon des cloches, lesquelles quarrilonnerent à ſon enterrement.


Comment à l’exemple de maiſtre François Villon le
ſeigneur de Baſché loue ſes gens.


Chapitre XIII.


Chiqvanovs iſſu du chaſteau, & remonté ſur ſon eſgue orbe[65] (ainſi nommoit il ſa iument borgne) Baſché ſoubs la treille de ſon iardin ſecret manda querir ſa femme, ſes damoiſelles, tous ſes gens : feiſt apporter vin de collation aſſocié d’vn nombre de paſtez, de iambons, de fruictz, & fromaiges, beut auecques eulx en grande alaigreſſe : puys leurs diſt. Maiſtre François Villon ſus ſes vieulx iours ſe retira à S. Maixent en Poictou, ſoubs la faueur d’vn home de bien, abbé du dict lieu. Là pour donner paſſetemps au peuple entreprint faire iouer la paſſion en geſtes & languaige Poicteuin. Les rolles diſtribuez, les ioueurs recollez, le theatre preparé, diſt au Maire & eſcheuins, que le myſtere pourroit eſtre preſt à l’iſſue des foires de Niort : reſtoit ſeulement trouuer habillemens aptes aux perſonaiges. Le Maire & eſcheuins y donnerent ordre. Il pour vn vieil paiſant habiller qui iouoyt Dieu le pere, requiſt frere Eſtienne Tappecoue ſecretain des Cordeliers du lieu, luy preſter vne chappe & eſtolle. Tappecoue le refuſa, alleguant que par leurs ſtatutz prouinciaulx eſtoit rigoureuſement defendu rien bailler ou preſter pour les iouans. Villon replicquoit que le ſtatut ſeulement concernoit farces, mommeries, & ieuz diſſoluz : & qu’ainſi l’auoit veu practiquer à Bruxelles & ailleurs. Tappecoue ce non obſtant luy diſt peremptoirement, qu’ailleurs ſe pourueuſt, ſi bon luy ſembloit, rien n’eſperaſt de ſa ſacriſtie. Car rien n’en auroit ſans faulte. Villon feiſt aux ioueurs le rapport en grande abhomination, adiouſtant que de Tappecoue Dieu feroit vengence & punition exemplaire bien touſt.

Au Sabmedy ſubſequent Villon eut advertiſſement que Tappecoue ſus la poultre du conuent (ainſi nomment ilz vne iument non encores ſaillie) eſtoit allé en queſte à ſainct Ligaire, & qu’il ſeroit de retour ſus les deux heures après midy. Adoncques feiſt la monſtre de la diablerie[66] parmy la ville & le marché. Ses diables eſtoient tous capparaſſonnez de peaulx de loups, de veaulx, & de beliers, paſſementees de teſtes de mouton, de cornes de bœufz, & de grands hauetz de cuiſine : ceinctz de groſſes courraies es quelles pendoient groſſes cymbales de vaches, & ſonnettes de muletz à bruyt horrificque. Tenoient en main aulcuns baſtons noirs pleins de fuzées, aultres portoient longs tizons allumez, ſus les quelz à chaſcun carrefou iectoient plenes poignees de parafine en pouldre, dont ſortoit feu & fumée terrible. Les auoir ainſi conduictz auecques contentement du peuple & grande frayeur des petitz enfans, finablement les mena bancqueter en vne caſſine hors la porte en laquelle eſt le chemin de ſainct Ligaire. arriuans à la caſſine de loing il apperceut Tappecoue, qui retournoit de queſte, & leurs diſt en vers Macaronicques.

Hic eſt de patria, natus de gente beliſtra,
Qui ſolet antiquo bribas portare biſacco.
[67]

Par la mort diene (dirent adoncques les Diables) il n’a voulu preſter à Dieu le pere vne paouure chappe : faiſons luy paour. C’eſt bien dict (reſpond Villon) Mais cachons nous iuſques à ce qu’il paſſe & chargez vos fuzees & tizons. Tappecoue arriué au lieu, tous ſortirent on chemin au dauant de luy en grand effroy iectans feu de tous couſtez ſus luy & ſa poultre : ſonnans de leurs cymbales, & hurlans en Diable. Hho, hho, hho, hho : brrrourrrourrrs, rrrourrrs, rrrourrrs. Hou, hou, hou, Hho, Hho, hho : frere Eſtienne faiſons nous pas bien les Diables ?

La poultre toute effrayee ſe miſt au trot, à petz, à bonds, & au gualot : à ruades, freſſurades, doubles pedales, & petarrades : tant qu’elle rua bas Tappecoue, quoy qu’il ſe tint à l’aube du baſt de toutes ſes forces. Ses eſtriuieres eſtoient de chordes : du couſté hors le montouoir ſon ſoulier ſeneſtre eſtoit ſi fort entortillé qu’il ne le peut oncques tirer. Ainſi eſtoit trainné à eſcorchecul par la poultre touſiours multipliante en ruades contre luy, & fouruoyante de paour par les hayes, buiſſons, & foſſez. De mode qu’elle luy cobbit toute la teſte, ſi que la ceruelle en tomba près la croix Oſaniere[* 73], puys les bras en pièces, l’vn ça, l’aultre là, les iambes de meſmes, puys des boyaulx feiſt vn long carnaige, en ſorte que la poultre au conuent arriuante, de luy ne portoit que le pied droict, & ſoulier entortillé. Villon voyant aduenu ce qu’il auoit pourpenſé, diſt à ſes Diables. Vous iourrez bien, meſſieurs les Diables, vous iourrez bien, ie vous aſſie. O que vous iourrez bien. Ie deſpite la diablerie de Saulmur[68], de Doué, de Mommorillon, de Langés, de ſainct Eſpain, de Angiers : voire, par Dieu, de Poictiers auecques leur parlouoire, en cas qu’ilz puiſſent eſtre à vous parragonnez. O que vous iourrez bien.

Ainſi (diſt Baſché) preuoy ie mes bons amys, que vous dorenauant iouerez bien ceſte tragicque farce : veu que à la premiere monſtre & eſſay, par vous a eſté Chiquanous tant diſertement daubbé, tappé, & chatouillé. Præſentement ie double à vous tous vos guaiges. Vous mamie (diſoit il à ſa femme) faictez vos honneurs, comme vouldrez. Vous avez en vos mains & conſerue tous mes theſaurs. Quant eſt de moy, premierement ie boy à vous tous mes bons amys. Or ça, il eſt bon & frays. Secondement vous maiſtre d’hoſtel, prenez ce baſſin d’argent. Ie le vous donne. Vous eſcuiers prenez ces deux couppes d’argent doré. Vos pages de troys moys ne ſoient fouettez. M’amye donnez leurs mes beaulx plumailz blancs auecques les pampillettes d’or. Meſſire Oudart ie vous donne ce flaccon d’argent : ceſtuy aultre ie donne aux cuiſiniers : aux varletz de chambre ie donne ceſte corbeille d’argent : aux palefreniers ie donne ceſte naſſelle d’argent doré : aux portiers ie donne ces deux aſſiettes : aux muletiers, ces dix happeſouppes. Trudon prenez toutes ces cuillères d’argent, & ce drageoir : Vous lacquois prenez ceſte grande ſalliere. Seruez moy bien amys, ie le recongnoiſtray : croyans fermement que i’aymerois mieulx, par la vertus Dieu, endurer en guerre cent coups de maſſe ſus le heaulme au ſeruice de noſtre tant bon Roy, qu’eſtre vne foys cité par ces maſtins Chiquanous, pour le paſſetemps d’vn tel gras Prieur.


Continuation des Chiquanous daubbez en la maiſon
de Baſché.


Chapitre XIIII.


Quatre iours apres vn aultre ieune, hault, & maigre Chiquanous alla citer Basché à la requeste du gras Prieur. A son arriuee feut soubdain par le portier recongneu, & la campanelle sonnee. Au son d’icelle tout le peuple du chasteau entendit le mystere. Loyre poitrissoit sa paste, sa femme belutoit la farine. Oudart tenoit son bureau, les gentilzhomes iouoient à la paulme. Le seigneur Basché iouoit aux troys cens troys auecques sa femme. Les damoiselles iouoient aux pingres, les officiers iouoient à l’imperiale, les paiges iouoient à la mourre à belles chinquenauldes. Soubdain feut de tous entendu, que Chiquanous estoient en pays. Lors Oudart se reuestit. Loyre & sa femme prendre leurs beaulx acoustremens. Trudon sonner de sa flutte, batre son tabourin, chascun rire, tous se preparer, & guantelets en auant. Basché descend en la basse court. Là Chiquanous le rencontrant, se meist à genoux dauant luy, le pria ne prendre en mal, si de la part du gras Prieur il le citoit : remonſtra par harangue diſerte comment il eſtoit perſone publicque, ſeruiteur de Moinerie, appariteur de la mitre Abbatiale : preſt à en faire autant pour luy, voyre pour le moindre de ſa maiſon, la part qu’il luy plairoyt l’exploicter & commender. Vrayement, diſt le ſeigneur, ia ne me citerez, que premier n’ayez beu de mon bon vin de Quinquenays, & n’ayez aſſiſté aux nopces que ie foys præſentement. Meſſire Oudart faictez le boyre treſbien, & refraiſchir : puys l’amenez en ma ſalle. Vous ſoyez le bien venu.

Chiquanous bien repeu & abbreuué entre auecques Oudart en ſalle, en laquelle eſtoient tous les perſonaiges de la farce en ordre, & bien deliberez. A ſon entree chaſcun commença ſoubrire. Chiquanous rioit par compaignie, quand par Oudart feurent ſus les fianſez dictz motz myſterieux, touchees les mains, la mariee baiſee, tous aſperſez d’eaue beniſte. Pendent qu’on apportoit vin & eſpices, coups de poin commencèrent trotter. Chiquanous en donna nombre à Oudart. Oudart ſoubs ſon ſuppellis auoit ſon guantelet caché : il s’en chauffe comme d’vne mitaine. Et de daubber Chiquanous, & de drapper Chiquanous : & coups des ieunes guanteletz de tous couſtez pleuuoir ſus Chiquanous. Des nopces, diſoient ilz, des nopces, des nopces : vous en ſoubuieine. Il feut ſi bien acouſtré que le ſang luy ſortoit par la bouche, par le nez, par les aureilles, par les œilz. Au demourant courbatu, eſpaultré, & froiſſé teſte, nucque, dours, poictrine, braz, & tout. Croyez qu’en Auignon on temps de Carneual les bacheliers oncques ne iouerent à la Raphe plus melodieuſement, que feut ioué ſus Chiquanous. En fin il tombe par terre. On luy iecta force vin ſus la face : on luy atacha à la manche de ſon pourpoinct belle liuree de iaulne & verd : & le miſt on ſus ſon cheual morueulx. Entrant en l’iſle Bouchard, ne ſçay s’il feut bien penſé & traicté tant de ſa femme, comme des Myres du pays. Depuis n’en feut parlé.

Au lendemain cas pareil aduint, pource qu’on ſac & gibbeſſiere du maigre Chiquanous n’auoit eſté trouué ſon exploict. De par le gras Prieur feut nouueau Chiquanous enuoyé citer le Seigneur de Baſché, auecques deux Records pour ſa ſceureté. Le Portier ſonnant la campanelle, reſiouyt toute la famile, entendens que Chiquanous eſtoit là. Baſché eſtoit à table, dipnant auecques ſa femme & gentilzhomes. Il mande querir Chiquanous : le feiſt aſſeoir près de ſoy : les records près les damoiſelles, & dipnerent treſbien & ioyeuſement. Sus le deſſert Chiquanous ſe leue de table : præſens & oyans les Records cite Baſché : Baſché gracieuſement luy demande copie de ſa commiſſion. elle eſtoit ià preſte. Il prend acte de ſon exploict : à Chiquanous & ſes Records feurent quatre eſcuz Soleil donnez : chaſcun s’eſtoit retiré pour la farce. Trudon commence ſonner du tabourin. Baſché prie Chiquanous aſſiſter aux fianſailles d’vn ſien officier, & en recepuoir le contract, bien le payant & contentent. Chiquanous feut courtoys. Deſguainna ſon eſcriptoire, eut papier promptement, ſes Records près de luy. Loyre entre en ſalle par vne porte : ſa femme auecques les damoiſelles par aultre, en acouſtremens nuptiaulx. Oudart reueſtu ſacerdotalement les prend par les mains : les interroge de leurs vouloirs : leurs donne ſa benediction ſans eſpargne d’eaue beniſte. Le contract eſt paſſé & minuté. D’vn couſté ſont apportez vin & eſpices : de l’aultre, liuree à tas blanc & tannee, de l’aultre ſont produictz guanteletz ſecretement.


Comment par Chiquanous ſont renouuelees les antiques
couſtumes des fianſailles.


Chapitre XV.


Chiqvanovs auoir degouzillé une grande taſſe de vin Breton, diſt au ſeigneur. Monſieur comment l’entendez vous ? L’on ne baille poinct icy des nopces ? Sainſambreguoy toutes bonnes couſtumes ſe perdent. Auſſi ne trouue l’on plus de lieures au giſte. Il n’eſt plus d’amys. Voyez comment en pluſieurs eccliſes on a deſemparé les antiques beuuettes des benoiſts ſaincts OO[69], de Noel. Le monde ne faict plus que reſuer. Il approche de ſa fin. Or tenez. Des nopces, des nopces, des nopces. Ce diſant frappoit ſur Baſché & ſa femme, apres ſus les damoiſelles, & ſus Oudart. Adoncques feirent guanteletz leur exploict, ſi que à Chiquanous feut rompue la teſte en neuf endroictz : à un des Records feut le bras droict defaucillé, à l’aultre feut demanchee la mandibule ſuperieure, de mode qu’elle luy couuroit le menton à demy, auecques denudation de la luette, & perte inſigne des dents molares, maſticatoires, & canines. Au ſon du tabourin changeant ſon intonation feurent les Guantelez muſſez, ſans eſtre aulcunement apperceuz, & confictures multipliees de nouueau, auecques lieſſe nouuelle. Beuuans les bons compaignons vns aux aultres, & tous à Chiquanous & ſes Records, Oudart renioit & deſpitoit les nopces, alleguant qu’vn des Records luy auoit deſincornifiſtibulé toute l’aultre eſpaule. Ce non obſtant beuuoit à luy ioyeuſement. Le Records demantibulé ioingnoit les mains, & tacitement luy demandoit pardon. Car parler ne pouoit il.

Loyre ſe plaignoit de ce que le Record debradé luy auoit donné ſi grand coup de poing ſus l’aultze coubté, qu’il en eſtoit deuenu tout eſperruquancluzelubelouzerirelu du talon. Mais (diſoit Trudon cachant l’œil guauſche auecque ſon mouchouoir, & monſtrant ſon tabourin defoncé d’vn couſté) quel mal leurs auoys ie faict ? Il ne leurs a ſuffi m’auoir ainſi lourdement morrambouzeuezengouzequoquemorguataſacbacgueuezinemaffreſſé mon paouure œil : d’abondant ilz m’ont defoncé mon tabourin. Tabourins à nopces ſont ordinairement battuz : tabourineurs bien feſtoyez, battuz iamais. Le Diable s’en puiſſe coyffer. Frere (luy diſt Chiquanous manchot) ie te donneray vnes belles, grandes, vieilles letres Royaulx, que i’ay icy en mon baudrier, pour repetaſſer ton tabourin : & pour Dieu pardonne nous. Par noſtre dame de Riuiere, la belle dame, ie n’y penſois en mal.

Vn des eſcuyers chopant & boytant contrefaiſoit le bon & noble ſeigneur de la Roche Poſay[70]. Il s’adreſſa au records embauieré de machoueres, & luy diſt. Eſtez vous des Frapins, des frappeurs, ou des Frappars ? Ne vous ſuffiſoit nous auoir ainſi morcrocaſſebezaſſeuezaſſegrigueliguoſcopapopondrillé tous les membres ſuperieurs à grands coups de bobelins, ſans nous donner telz morderegrippipiotabirofreluchamburelurecoquelurintimpanemens ſus les greſues à belles poinctes de houzeaulx. Appellez vous cela ieu de ieuneſſe ? Par Dieu, ieu n’eſt ce[71]. Le Records ioignant les mains ſembloit luy en requerir pardon, marmonnant de la langue, mon, mon, mon, vrelon, von, von : comme vn Marmot.

La nouuelle mariee pleurante rioyt, riante pleuroyt, de ce que Chiquanous ne s’eſtoit contenté la daubbant ſans choys ne election des membres : mais l’auoir lourdement deſcheuelee d’abondant luy auoit trepignemanpenillorifrizonoufreſſuré les parties honteuſes en trahiſon. Le diable (diſt Baſché) y ayt part. Il eſtoit bien neceſſaire, que monſieur le Roy[72] (ainſi ſe nomment Chiquanous) me daubbaſt ainſi ma bonne femme d’eſchine. Ie ne luy en veulx mal toutesfoys. Ce ſont petites chareſſes nuptiales. Mais ie apperçoy clerement qu’il m’a cité en Ange, & daubbé en Diable. Il tient ie ne ſçay quoy du frere Frappart. Ie boy à luy de bien bon cœur, & à vous auſſi meſſieurs les Records. Mais diſoit ſa femme, à quel propous, & ſus quelle querelle, m’a il tant & treſtant feſtoyee à grands coups de poing ? Le Diantre l’emport, ſi ie le veulx. Ie ne le veulx pourtant pas, ma Dia[* 74]. Mais ie diray cela de luy, qu’il a les plus dures oinces, qu’oncques ie ſenty ſus mes eſpaulles.

Le maiſtre d’hoſtel tenoit ſon braz guauſche en eſcharpe, comme tout morquaquoquaſſé : le Diable, diſt il, me feiſt bien aſſiſter à ces nopces. I’en ay, par la vertus Dieu, tous les braz enguouleuezinemaſſés. Appellez vous cecy fianſailles. Ie les appelle fiantailles de merde. C’eſt, par Dieu, le naïf bancquet des Lapithes, deſcript par le philoſophe Samoſatoys[73]. Chiquanous ne parloit plus. Les Records s’excuſerent, qu’en daubbant ainſi n’auoient eu maligne volunté : & que pour l’amour de Dieu on leurs pardonnaſt. Ainſi departent. A demye lieue de là Chiquanous ſe trouua un peu mal. Les Records arriuerent à l’iſle Bouchard, diſans publicquement que iamois n’auoient veu plus home de bien que le ſeigneur de Baſché, ne maiſon plus honorable que la ſienne. Enſemble que iamais n’auoient eſté à telles nopces. Mais toute la faulte venoit d’eulx, qui auoient commencé la frapperie. Et veſquirent encores ne ſçay quans iours apres. De là en hors feut tenu comme choſe certaine, que l’argent de Baſché plus eſtoit aux Chiquanous & Records peſtilent, mortel, & pernicieux, que n’eſtoit iadis l’or de Tholoſe[* 75], & le cheual Seian[* 76], à ceulx qui le poſſederent. Depuys feut ledict Seigneur en repous, & les nopces de Baſché en prouerbe commun[74].


Comment par frere Ian eſt faict eſſay du naturel
des Chicquanous.


Chapitre XVI.


Ceste narration, diſt Pantagruel, ſembleroit ioyeuſe, ne feuſt que dauant nos œilz fault la craincte de Dieu continuellement auoir. Meilleure, diſt Epiſtemon, ſeroit, ſi la pluie de ces ieunes guanteletz feuſt ſus le gras Prieur tombee. Il dependoit pour ſon paſſetemps argent, part à faſcher Baſché, part à veoir ſes Chiquanous daubbez. Coups de poing euſſent aptement atouré ſa teſte raſe : attendue l’enorme concuſſion que voyons huy entre ces iuges pedanees ſoubs l’orme. En quoy offenſoient ces paouures Diables Chiquanous ? Il me ſoubuient, diſt Pantagruel, à ce propous d’vn antique gentihome Romain, nommé L. Neratius[75]. Il eſtoit de noble famille & riche en ſon temps. Mais en luy eſtoit ceſte tyrannique complexion, que iſſant de ſon palais il faiſoit emplir les gibbeſſieres de ſes varletz d’or & d’argent monnoyé : & rencontrant par les rues quelques mignons braguars & mieulx en poinct, ſans d’iceulx eſtre aulcunement offenſé, par guayeté de cœur leurs donnoit de grands coups de poing en face. Soubdain apres pour leur appaiſer & empeſcher de non ſoy complaindre en iuſtice, leurs departoit de ſon argent. Tant qu’il les rendoit contens & ſatisfaictz, ſcelon l’ordonnance d’vne loig des douze tables. Ainſi deſpendoit ſon reuenu battant les gens au pris de ſon argent.

Par la ſacre botte de ſainct Benoiſt, diſt frere Ian, preſentement i’en ſçauray la verité. Adoncques deſcend en terre, miſt la main à ſon eſcarcelle, & en tira vingt eſcuz au Soleil. Puys diſt à haulte voix en preſence & audience d’vne grande tourbe du peuple Chiquanourroys. Qui veult guaigner vingt eſcuz d’or, pour eſtre battu en Diable ? Io, io, io[76], reſpondirent tous. Vous nous affollerez de coups, monſieur : cela eſt ſceur. Mais il y a beau guaing. Et tous accouroient à la foulle, à qui ſeroit premier en date, pour eſtre tant precieuſement battu. Frere Ian de toute la trouppe choyſit vn Chiquanous à rouge muzeau : lequel on poulſe de la main dextre portoit vn gros & large anneau d’argen : en la palle duquel eſtoit enchaſſee vne bien grande Crapauldine.

L’ayant choyſi ie veidz que tout ce peuple murmuroit, & entendiz vn grand, ieune, & maiſgre Chiquanous habile & bon clerc, & (comme eſtoit le bruyt commun) honeſte home en court d’eccliſe, ſoy complaignant & murmurant de ce que le rouge muzeau leurs ouſtoit toutes practicques : & que ſi en tout le territoire n’eſtoient que trente coups de baſton à guaingner, il en embourſoit touſiours vingt huict & demy[77]. Mais tous des complainctz & murmures ne procedoient que d’enuie. Frere Ian daubba tant & treſtant Rouge muzeau, dours & ventre, bras & iambes, teſte & tout, à grands coups de baſton, que ie le cuydois mort aſſommé. Puys luy bailla les vingt eſcuz. Et mon villain debout, ayſe comme vn Roy ou deux. Les aultres diſoient à frere Ian. Monſieur frere Diable, s’il vous plaiſt encores quelques vns batre pour moins d’argent, nous ſommes tous à vous, monſieur le Diable. Nous ſommes treſtous à vous, ſacs, papiers, plumes, & tout.

Rouge muzeau s’eſcria contre eulx, diſant à haulte voix. Feſton diène Guallefretiers, venez vous ſus mon marché ? Me voulez vous houſter & ſeduyre mes challans ? Ie vous cite par dauant l’Official à huyctaine Mirelaridaine. Ie vous chiquaneray en Diable de Vauuerd. Puys ſe tournant vers frere Ian, à face riante & ioyeuſe luy diſt. Reuerend pere en Diable Monſieur, ſi m’auez trouué bonne robbe, & vous plaiſt encores en me battant vous eſbatre, ie me contenteray de la moitié de iuſte pris. Ne m’eſpargnez ie vous prie. Ie ſuys tout & tretout à vous Monſieur le Diable : teſte, poulmon, boyaulx, & tout. Ie le vous diz à bonne chère. Frere Ian interrompit ſon propous, & ſe deſtourna aultre part. Les aultres Chiquanous ſe retiroient vers Panurge, Epiſtemon, Gymnaſte, & aultres : les ſupplians deuotement eſtre par eulx à quelque petit pris battuz : aultrement eſtoient en dangier de bien longuement ieuſner. Mais nul n’y voulut entendre.

Depuys cherchans eaue fraiſche pour la chorme des naufz, rencontraſmes deux vieilles Chiquanourres du lieu : les quelles enſemble miſerablement pleuroient & lamentoient. Pantagruel eſtoit reſté en ſa nauf, & ià faiſoit ſonner la retraicte. Nous doubtans qu’elles feuſſent parentes du Chiquanous, qui auoit eu baſtonnades, interrogions les cauſes de telle doleance. Elles reſpondirent, que de plourer auoient cauſe bien equitable, veu qu’à heure preſente l’on auoit au gibbet baillé le moine par le coul aux deux plus gens de bien, qui feuſſent en tout Chiquanourroys. Mes Paiges, diſt Gymnaſte, baillent le moine par les pieds à leurs compaignons dormars. Bailler le moine par le coul, ſeroit pendre & eſtrangler la perſone. Voire, voire, diſt frere Ian. Vous en parlez comme ſainct Ian de la Paliſſe[* 77]. Interrogees ſus les cauſes de ceſtuy pendaige, reſpondirent qu’ilz auoient deſrobé les ferremens de la meſſe[* 78] : & les auoient muſſez ſoubs le manche de la parœce. Voy là, diſt Epiſtemon, parlé en terrible Allegorie.


Comment Pantagruel paſſa les iſles de Thohu & Bohu[* 79][78] :
& de l’eſtrange mort de Bringuenarilles
aualleur de moulins à vent.


Chapitre XVII.


Ce meſmes iour paſſa Pantagruel les deux iſles de Thohu & Bohu : es quelles ne trouuaſmes que frire. Bringuenarilles le grand geant auoit toutes les paelles, paellons, chauldrons, coquaſſes, lichefretes, & marmites du pays auallé, en faulte de moulins à vent, des quelz ordinairement il ſe paiſſoit. Dont eſtoit aduenu, que peu dauant le iour ſus l’heure de ſa digeſtion il eſtoit en griefue maladie tombé, par certaine crudité d’eſtomach, cauſée de ce (comme diſoient les Medicins) que la vertus concoctrice de ſon eſtomach apte naturellement à moulins à vent tous brandifz digerer, n’auoit peu à perfection conſommer les paelles & coquaſſes : les chauldrons & marmites auoit aſſez bien digeré. Comme diſoient congnoiſtre aux hypoſtaſes & eneoremes de quatre buſſars de vrine, qu’il auoit à ce matin deux foys rendue.

Pour le ſecourir vſerent de diuers remedes ſcelon l’art. Mais le mal feut le plus fort que les remedes. Et eſtoit le noble Bringuenarilles à ceſtuy matin treſpaſſé, en façon tant eſtrange, que plus eſbahir ne vous fault de la mort de Æſchylus. Lequel comme luy euſt fatalement eſté par les vaticinateurs predict, qu’en certain iour il mourroit par ruine de quelque choſe qui tomberoit ſus luy : iceluy iour deſtiné, s’eſtoit de la ville, de toutes maiſons, arbres, rochiers, & aultres choſes eſloingné, qui tomber peuuent, & nuyre par leur ruine. Et demoura on mylieu d’vne grande praerie, ſoy commettant en la foy du ciel libre & patent, en ſceureté bien aſſeurée, comme luy ſembloit. Si non vrayement que le ciel tombaſt. Ce que croyoit eſtre impoſſible. Toutesfoys on dict que les Allouettes grandement redoubtent la ruine des cieulx. Car les cieulx tombans, toutes ſeroient prinſes. Auſſi la redoubtoient iadis les Celtes voiſins du Rin : ce ſont les nobles, vaillans, cheualereux, bellicqueux, & triumphans François[79] : les quelz interrogez par Alexandre le grand, quelle choſe plus en ce monde craignoient, eſperant bien que de luy ſeul feroient exception, en contemplation de ſes grandes proueſſes, victoires, conqueſtes, & triumphes : reſpondirent rien ne craindre, ſi non que le ciel tombaſt. Non toutes foys faire refus d’entrer en ligue, confederation, & amitié auecques vn ſi preux & magnanime Roy. Si vous croyez Strabo lib. 7. & Arrian lib. 1. Plutarche auſſi on liure qu’il a faict De la face qui apparoiſt on corps de la Lune, allegue vn nommé Phenace, lequel grandement craignoit que la Lune tombaſt en terre : & auoit commiſeration & pitié de ceulx qui habitent ſoubs icelle, comme font les Æthiopiens & Taprobaniens : ſi vne tant grande maſſe tomboit ſus eulx. Du ciel & de la terre auoit paour ſemblable, s’ilz n’eſtoient deuement fulciz & appuyez ſus les colones de Atlas, comme eſtoit l’opinion des anciens, ſcelon le teſmoingnage de Ariſtoteles lib. 5 Meta ta phyſ.[80]

Æſchilus ce non oſtant mourut par ruine & chute d’vne caquerolle de Tortue : laquelle d’entre les gryphes d’vne Aigle haulte en l’air tombant ſus ſa teſte luy fendit la ceruelle.

Plus de Anacreon poete : lequel mourut eſtranglé d’vn pepin de raiſin. Plus de Fabius preteur Romain, lequel mourut ſuffoqué d’vn poil de chieure, mangeant vne eſculee de laict. Plus de celluy honteux lequel par retenir ſon vent, & default de peter vn meſchant coup, ſubitement mourut en la preſence de Claudius empereur Romain. Plus de celluy qui à Rome eſt en la voye Flaminie enterré, lequel en ſon epitaphe ſe complainct eſtre mort par eſtre mords[81] d’vne chatte on petit doigt. Plus de Q. Lecanius Baſſus, qui ſubitement mourut d’vne tant petite poincture de aiguille on poulſe de la main guauſche, qu’à poine le pouoit on veoir. Plus de Quenelault medecin Normant, lequel ſubitement à Monſpellier treſpaſſa par de bies s’eſtre auecques vn trancheplume tiré[82] vn Ciron de la main. Plus de Philomenes[83], auquel ſon varlet pour l’entree de dipner ayant apreſté des figues nouuelles pendent le temps qu’il alla au vin, vn aſne couillart eſguaré eſtoit entré on logis, & les figues appoſees mangeoit religieuſement. Philomenes, ſuruenent, & curieuſement contemplant la grace de l’aſne Sycophage[* 80], diſt au varlet qui eſtoit de retour. Raiſon veult puys qu’à ce deuot aſne as les figues abandonné, que pour boire tu luy produiſe de ce bon vin que as apporté. Ces parolles dictes entra en ſi exceſſiue guayeté d’eſprit, & s’eſclata de rire tant enormement, continuellement, que l’exercice de la Ratelle luy tollut toute reſpiration, & ſubitement mourut.

Plus de Spurius Saufeius[84], lequel mourut humant vn œuf mollet à l’iſſue du baing. Plus de celluy lequel dict Bocace eſtre ſoubdainement mort par s’eſcurer les dens d’vn brin de Saulge. Plus de Philippot placut lequel eſtant ſain & dru, ſubitement mourut en payant vne vieille debte ſans aultre precedente maladie. Plus de Zeuſis le painctre, lequel ſubitement mourut à force de rire, conſiderant le minoys & portraict d’vne vieille par luy repreſentee en paincture.

Plus de mil aultre qu’on vous die, feuſt Verrius, feuſt Pline, feuſt Valere, feuſt Baptiſte Fulgoſe, feuſt Bacabery l’aiſné. Le bon Bringuenarilles (helas) mourut eſtranglé mangeant vn coing de beurre frays à la gueule d’vn four chauld[85], par l’ordonnance des medicins.

Là d’abondant nous feut dict que le Roy de Cullan en Bohu auoit deſſaict les Satrapes du roy Mecloth, & mis à ſac les fortereſſes de Belima. Depuys paſſaſmes les iſles de Nargues & Zargues[* 81]. Auſſi les iſles de Teleniabin & Geneliabin[* 82], bien belles & fructueuſes en matière de Clyſteres. Les iſles auſſi de Enig & Euig[* 83][86] : des quelles par auant eſtoit aduenue l’eſtafillade au Langrauſs d’Eſſe.


Comment Pantagruel euada vne forte tempeſte en mer.[87]

Chapitre XVIII.


Av lendemain rencontraſmes à poge neuf Orques[88] chargees de moines, Iacobins, Ieſuites, Cappuſſins, Hermites, Auguſtins, Bernardins, Celeſtins, Theatins, Egnatins, Amadeans, Cordeliers, Carmes, Minimes, & aultres ſainctz religieux les quelz alloient au concile de Cheſil, pour grabeler les articles de la foy contre les nouueaulx hæreticques. Les voyant Panurge entra en exces de ioye, comme aſceuré d’auoir toute bonne fortune[89] pour celluy iour & aultres ſubſequens en long ordre. Et ayant courtoiſement ſalué les beatz peres & recommendé le ſalut de ſon ame à leurs deuotes prières & menuz ſuffraiges, feiſt iecter en leurs naufz ſoixante & dixhuict douzaines de iambons, nombre de Cauiatz, dizaines de Ceruelatz, centaines de Boutargues, & deux mille beaulx Angelotz pour les ames des treſpaſſés. Pantagruel reſtoit tout penſif & melancholicque. Frere Ian l’apperceut, & demandoit dont luy venoit telle faſcherie non accouſtumee : quand le pilot conſyderant les voltigemens du peneau ſus la pouppe, & preuoiant vn tyrannicque grain & fortunal nouueau commenda tous eſtre à l’herte tant nauchiers, fadrins, & mouſſes, que nous aultres voyagiers : feiſt mettre voiles bas, meiane, contremeiane, Triou, Maiſtralle, Epagon. Ciuadiere : feiſt caller les Boulingues, Trinquet de prore, & trinquet de gabie, deſcendre le grand Artemon, & de toutes les antemnes ne reſter que les grizelles & couſtieres.

Soubdain la mer commença s’enfler & tumultuer du bas abyſme, les fortes vagues batre les flans de nos vaiſſeaulx, le Maiſtral accompaigné d’vn cole effrené, de noires Gruppaſes de terribles Sions, de mortelles Bourrasques, ſiffler à trauers nos antemnes. Le ciel tonner du hault, fouldroyer, eſclairer, pluuoir, greſler, l’air perdre ſa tranſparence, deuenir opacque, tenebreux & obſcurcy, ſi que aultre lumiere ne nous apparoiſſoit que des fouldres, eſclaires, & infractions des flambantes nuees : les categides, thielles, lelapes & peſteres enflamber tout au tour de nous par les pſoloentes, arges, elicies, & aultres eiaculations etherees, nos aſpectz tous eſtre diſſipez & perturbez, les horrificques Typhones ſuſpendre les montueuſes vagues du courrant. Croyez que ce nous ſembloit eſtre l’antique Cahos on quel eſtoient feu, air, mer, terre, tous les elemens en refraictaire confuſion.

Panurge ayant du contenu de ſon eſtomach bien repeu les poiſſons ſcatophages[* 84], reſtoit acropy ſus le tillac tout affligé, tout meſhaigné, à demy mort, inuocqua tous les benoiſtz ſaincts & ſainctes à ſon ayde, proteſta de ſoy confeſſer en temps & lieu, puys s’eſcria[90] en grand effroy diſant. Maigor dome hau, mon amy, mon père, mon oncle, produiſez vn peu de ſallé. Nous ne boirons tantouſt que trop[91], à ce que ie voy. A petit manger bien boire, ſera deſormais ma deuiſe. Pleuſt à Dieu & à la benoiſte, digne, & ſacrée Vierge que maintenant, ie diz tout à ceſte heure, ie feuſſe en terre ferme bien à mon aiſe. O que troys & quatre foys heureulx ſont ceulx qui plantent chous. O Parces que ne me fillaſtez vous pour planteur de Chous ? O que petit eſt le nombre de ceulx à qui Iuppiter a telle faueur porté, qu’il les a deſtinez à planter chous. Car ilz ont touſiours en terre vn pied : l’aultre n’en eſt pas loing. Diſpute de felicité & bien ſouuerain qui vouldra, mais quiconques plante Chous eſt præſentement par mon decret declairé bien heureux[92], a trop meilleure raiſon que Pyrrhon eſtant en pareil dangier que nous ſommes, & voyant vn pourceau pres le riuaige qui mangeoit de l’orge eſpandu, le declaira bien heureux en deux qualitez, ſçauoir eſt qu’il auoit orge a foiſon, & d’abondant eſtoit en terre. Ha pour manoir deificque & ſeigneurial il n’eſt que le plancher des vaches. Ceſte vague nous emportera Dieu ſeruateur. O mes amys vn peu de vinaigre. Ie treſſue de grand ahan. Zalas les veſles ſont rompues, le Prodenou eſt en pieces, les Coſſes eſclattent, l’arbre du hault de la guatte plonge en mer : la carene eſt au Soleil, nos Gumenes ſont presque tous rouptz. Zalas, Zalas, où ſont nos boulingues ? Tout eſt frelore bigoth[93]. Noſtre trinquet eſt auau l’eau Zalas à qui appartiendra ce briz ? Amis preſtez moy icy darriere vne de ces rambades. Enfans, voſtre Landriuel eſt tombé. Helas ne abandonnez lorgeau, ne auſſi le Tirados. Ie oy Laigneuillot fremir. Eſt il caſſé ? Pour dieu ſauluons la brague, du fernel ne vous ſouciez. Bebebe bous bous, bous. Voyez à la calamite de voſtre bouſſole de grace maiſtre Aſtrophile dont nous vient ce fortunal. Par ma foy i’ay belle paour. Bou bou, bou bous bous. C’eſt faict de moy. Ie me conchie de male raige de paour. Boubou, bou bou. Otto to to to to ti. Otto to to to to ti. Bou bou bou, ou ou ou bou bou bous bous. Ie naye. Ie naye. Ie meurs. Bonnes gens ie naye.


Quelles contenences eurent Panurge & frere Ian
durant la tempeſte.


Chapitre XIX.


Pantagrvel prealablement auoir imploré l’ayde du grand Dieu Seruateur & faicte oraison publicque en feruente deuotion par l’aduis du pilot tenoit l’arbre fort & ferme, frere Ian s’estoit mis en pourpoinct pour secourir les nauchiers. Aussi estoient Epistemon, Ponocrates & les aultres. Panurge restoit de cul sus le tillac pleurant & lamentant. Frere Ian l’apperceut passant sus la Coursie & luy dist. Par Dieu Panurge le veau, Panurge le pleurart, Panurge le criart, tu feroys beaucoup mieulx nous aydant icy, que là pleurant comme vne vache, assis sus tes couillons, comme vn magot. Be be be bous, bous, bous (respondit Panurge) frere Ian mon amy, mon bon pere, ie naye, ie naye mon amy, ie naye. C’est faict de moy, mon pere spirituel, mon amy c’en est faict. Vostre bragmart ne m’en sçauroit sauluer. Zalas, Zalas, nous sommes au dessus de Ela. hors toute la gamme. Bebe be bous bous. Zalas à ceste heure sommes nous au dessoubs de Gama vt. Ie naye. Ha mon pere, mon oncle, mon tout. L’eau eſt entree en mes ſouliers par le collet. Bous, bous, bous, paiſch. hu, hu. hu, ha ha. ha. ha. ha. Ie naye. Zalas, Zalas, hu, hu. hu, hu, hu, hu. Bebe bous, bous bobous, bobous, ho, ho, ho, ho, ho. Zalas, Zalas, A ceſte heure ſoys bien apoinct l’arbre forchu, les pieds à mont, la teſte en bas. Pleuſt à Dieu que præſentement ie feuſſe dedans la Orque des bons & beatz peres Concilipetes[* 85] les quelz ce matin nous rencontraſmes, tant deuotz, tant gras, tant ioyeulx, tant douilletz, & de bonne grace. Holos, holos, holos, Zalas, Zalas, ceſte vague de tous les Diables (mea culpa Deus) ie diz ceſte vague de Dieu enfondrera noſtre nauf. Zalas frere Ian mon pere, mon amy, confeſſion. Me voyez cy à genoulx. Confiteor, voſtre ſaincte benediction.

Vien pendu au Diable (diſt frere Ian) icy nous ayder, de par trente Legions de Diables, vien. Viendra il ? Ne iurons poinct (diſt Panurge) mon pere, mon amy, pour ceſte heure. Demain tant que vouldrez. Holos, holos. Zalas, noſtre nauf prent eau, ie naye, Zalas, Zalas. Be be be be be bous, bous, bous, bous. Or ſommes nous au fond. Zalas, Zalas. Ie donne dixhuict cent mille eſcuz de intrade à qui me mettra en terre, tout foireux & tout breneux comme ie ſuys, ſi oncques home feut en ma patrie de bren. Confiteor. Zalas, vn petit mot de teſtament, ou Codicille pour le moins. Mille Diables (diſt frere Ian) ſaultent on corps de ce coqu. Vertus Dieu parle tu de teſtament à ceſte heure que ſommes en dangier, & qu’il nous conuient euertuer, ou iamais plus. Viendras tu, ho Diable ? Comite, mon mignon : O le gentil Algouſan, deça Gymnaſte, icy ſus l’eſtanterol. Nous ſommes, par la vertus Dieu trouſſez à ce coup. Voylà noſtre Phanal extainct. Cecy s’en va à tous les millions de Diables. Zalas, Zalas (diſt Panurge) Zalas, Bou, bou, bou, bous. Zalas, Zalas. Eſtoit ce icy que de perir nous eſtoit prædeſtiné ? Holos bonnes gens, ie naye, ie meurs. Conſummatum eſt[94]. C’eſt faict de moy. Magna, gna, gna (diſt frère Ian) Fy qu’il eſt laid le pleurart de merde. Mouſſe ho de par tous les Diables, guarde l’eſcantoula. T’es tu bleſſé ? Vertus Dieu. Atache à l’vn des Bitous icy, de là, de par le Diable hay. Ainſi mon enfant.

Ha frere Ian (diſt Panurge) mon pere ſpirituel mon amy ne iurons poinct. Vous pechez. Zalas, Zalas. Bebebebous, bous, bous, ie naye, ie meurs mes amys. Ie pardonne à tout le monde. Adieu, In manus. Bous, bous, bouououous. Sainct Michel d’Aure. Sainct Nicolas à ceſte foys & iamais plus. Ie vous foys icy bon veu & à noſtre Seigneur, que ſi à ce coup m’eſtez aydant, i’entends que me mettez en terre hors ce dangier icy, ie vous edifieray vne belle grande petite chappelle ou deux entre Quande & Monſſoreau, & n’y paiſtra vache ne veau[95]. Zalas, Zalas, Il m’eſt entré en la bouche plus de dixhuict ſeillaux ou deux. Bous, bous, bous, bous. Qu’elle eſt amere & ſallee. Par la vertus (diſt frere Ian) du ſang, de la chair, du ventre, de la teſte, ſi encores ie te oy pioller Coqu au diable, ie te gualleray en loup marin : vertus Dieu que ne le iectons nous au fond de la mer ? Heſpaillier ho gentil compaignon, ainſi mon amy. Tenez bien laſſus. Vrayement voicy bien eſclairé, & bien tonné. Ie croy que tous les Diables ſont deſchainez au iourd’huy, ou que Proſerpine eſt en trauail d’enfant. Tous les Diables danſent aux ſonnettes.


Comment les nauchiers abandonnent les nauires
au fort de la tempeſte.


Chapitre XX.


Ha (diſt Panurge) vous pechez frere Ian mon amy ancien. Ancien dis ie, car de preſent ie ſuys nul, vous eſtes nul. Il me faſche le vous dire. Car ie croy que ainſi iurer vous face grand bien à la ratelle : comme à vn fendeur de boys faict grand ſoulaigement celluy qui à chaſcun coup pres de luy crie Han, à haulte voix : & comme vn ioueur de quilles eſt mirificquement ſoulaigé quand il n’a iecté la boulle droict, ſi quelque home d’eſprit pres de luy panche & contourne la teſte & le corps à demy du couſté auquel la boulle aultrement bien iectee euſt faict rencontre de quilles. Toutes foys vous pechez mon amy doulx. Mais ſi præſentement nous mangeons quelque eſpece de Cabirotades, ſerions nous en ſceureté de ceſtuy oraige ? I’ay leu que ſus mer en temps de tempeſte iamais n’auoient paour, touſiours eſtoient en ſceureté les miniſtres des Dieux Cabires tant celebrez par Orphee, Apollonius, Phrecydes, Strabo, Pauſanias, Herodote.

Il radote, diſt frere Ian, le paouure Diable. A mille & millions, & centaines de millions de Diables ſoyt le Coqu cornard au Diable. Ayde nous icy hau Tigre[96]. Viendra il ? Icy à orche. Teſte Dieu plene de reliques[* 86], quelle patenoſtre de Cinge eſt ce que tu marmottez là entre les dens ? Ce Diable de fol marin eſt cauſe de la tempeſte, & il ſeul ne ayde à la chorme. Par Dieu ſi ie voys là, ie vous chaſtieray en Diable tempeſtatif[97]. Icy Fadrin mon mignon : tiens bien, que ie y face vn nou Gregeoys, O le gentil mouſſe. Pleuſt à Dieu que tu feuſſez abbé de Talemouze, &[98] celluy qui de præſent l’eſt feuſt guardian du Croullay. Ponocrates mon frère vous bleſſerez là. Epiſtemon guardez vous de la Ialouſie, ie y ay veu tomber vn coup de fouldre. Inſe. C’eſt bien dict. Inſe, inſe, inſe, inſe. Vieigne eſquif. Inſe. Vertus Dieu qu’eſt ce là ? Le cap eſt en pièces. Tonnez Diables, petez, rottez, fiantez. Bren pour la vague. Elle a, par la vertus Dieu, failly à m’emporter ſoubs le courant. Ie croy que tous les millions de Diables tiennent icy leur chapitre prouincial, ou briguent pour election de nouueau Recteur. Orche. C’eſt bien dict. Guare la caueche hau mouſſe, de par le Diable hay. Orche. Orche.

Bebebebous, bous bous, (diſt Panurge) bous, bous, bebe be bou bous. ie naye. Ie ne voy ne Ciel, ne Terre. Zalas, Zalas. De quatre elemens ne nous reſte icy que feu & eau. Bouboubous, bous, bous. Pleuſt à la digne vertus de Dieu que à heure præſente ie feuſſe dedans le clos de Seuillé, ou ches Innocent le paſtiſſier dauant la caue paincte à Chinon ſus poine de me mettre en pourpoinct pour cuyre les petitz paſtez. Noſtre home ſçauriez vous me iecter en terre ? Vous ſçauez tant de bien, comme l’on m’a dict. Ie vous donne tout Salmiguondinoys, & ma grande cacquerolliere, ſi par voſtre induſtrie ie trouue vne foys terre ferme. Zalas, Zalas, ie naye. Dea, beaulx amys puys que ſurgir ne pouons à bon port, mettons nous à la rade, ie ne ſçay où. Plongez toutes vos ancres. Soyons hors ce dangier, ie vous en prie. Noſtre ame plongez le ſcandal, & les bolides de grace. Sçaichons la haulteur du profond. Sondez noſtre ame mon amy de par noſtre Seigneur. Sçaichons ſi l’on boyroit icy aiſement debout, ſans ſoy beſſer. I’en croy quelque choſe.

Vretacque hau (cria le pilot) Vretacque. La main à l’inſail. Ame ne Vretacque. Breſſine. Vretacque. Guare la pane. Hau amure, amure bas, Hau Vretacque. Cap en houlle. Deſmanche le heaulme. Acappaye. En ſommes nous là diſt Pantagruel. Le bon Dieu ſeruateur nous ſoyt en ayde. Acappaye hau, s’eſcria Iamet Brayer maiſtre pilot, acappaye. Chaſcun penſe de ſon ame, & ſe mette en deuotion, n’eſperans ayde que par miracle des Cieulx. Faiſons, diſt Panurge, quelque bon & beau veu. Zalas, Zalas, Zalas. Bou bou bebebebous, bous, bous. Zalas, Zalas, faiſons vn pelerin. Cza, ça, chaſcun bourſille à beaulx liards. Cza.

Deça hau (diſt frere Ian) de par tous les Diables. A poge. Acappaye on nom de Dieu. Deſmanche le heaulme hau. Acappaye. Acappaye. Beuuons hau. Ie diz du meilleur, & plus ſtomachal. Entendez vous hault maiour dome. Produiſez, exhibez. Auſſi bien s’en va cecy à tous les millions de Diables. Apporte cy hau page mon tirouoir[99] (Ainſi nommoit il ſon breuiaire). Attendez tyre mon amy ainſi vertus Dieu voicy bien greſlé & fouldroié vrayement. Tenez bien là hault, ie vous en prie. Quand aurons nous la feſte de tous ſainctz ? Ie croy que auiourd’huy eſt l’infeſte feſte de tous les millions de Diables. Helas (diſt Panurge) frere Ian ſe damne bien à credit. O que ie y perds vn bon amy. Zalas, Zalas, voicy pis que antan. Nous allons de Scylle en Caryde, holos ie naye. Confiteor. Vn petit mot de teſtament frere Ian, mon pere, monſieur l’abſtracteur mon amy, mon Achates. Xenomanes mon tout. Helas ie naye, deux motz de teſtament. Tenez icy ſus ce tranſpontin.


Continuation de la tempeſte, & brief diſcours
ſus teſtamens faictz ſus mer.


Chapitre XXI.


Faire teſtament (diſt Epiſtemon) à ceſte heure qu’il nous conuient euertuer & ſecourir noſtre chorme ſus poine de faire naufraige, me ſemble acte autant importun & mal à propous comme celluy des Lances peſades & mignons de Cæſar entrant en Gaule, les quelz ſe amuſoient à faire teſtamens & codicilles, lamentoient leurs fortune, plouroient l’abſence de leurs femmes & amys Romains, lors que par neceſſité leurs conuenoit courir aux armes, & ſoy euertuer contre Ariouiſtus leur ennemy. C’eſt ſottize telle que du charretier lequel ſa charrette verſee par vn retouble, à genoilz imploroit l’ayde de Hercules, & ne aiguillonnoit ſes beufz & ne mettoit la main pour ſoubleuer les roues. De quoy vous ſeruira icy faire teſtament ? Car ou nous euaderons ce dangier, ou nous ſerons nayez. Si euadons il ne vous ſeruira de rien. Teſtamens ne ſont valables ne auctoriſez ſi non par mort des teſtateurs. Si ſommes nayez, ne nayera il pas comme nous ? Qui le portera aux executeurs ?

Quelque bonne vague (reſpondit Panurge) le iectera à bourt, comme feit Vlyxes : & quelque fille de Roy allant à l’eſbat ſus le ſerain le rencontrera : puis le fera treſbien executer : & pres le riuaige me fera eriger quelque magnificque cenotaphe : comme feit Dido à ſon mary Sichee, Æneas à Deiphobus ſus le riuaige de Troie pres Rhœte : Andromache à Hector[100], en la cité de Butrot. Ariſtoteles à Hermias & Eubulus[101]. Les Atheniens au poete Euripides[102], les Romains à Druſus[103] en Germanie, & à Alexandre Seuere leur empereur en Gaulle, Argentier à Callaiſchre[104]. Xenocrite à Lyſidices. Timares à ſon filz Teleutagiores. Eupolis & Ariſtodice à leur filz Theotime. Oneſtes à Timocles. Callimache à Sopolis[105] filz de Dioclides. Catulle à ſon frere[106], Statius à ſon pere[107], Germain de Brie à Herué[108] le nauchier Breton. Reſuez tu ? (diſt frere Ian) Ayde icy de part cinq cens mille & millions de charretees de Diables, ayde que le cancre te puiſſe venir aux mouſtaches, & troys razes de anguonnages[* 87], pour te faire vn hault de chauſſes, & nouuelle braguette. Noſtre nauf eſt elle encaree ? vertus Dieu comment la remolquerons nous ? Que tous les diables de coup de mer voicy ? Nous n’eſchapperons iamais, ou ie me donne à tous les Diables. Allors feut ouye vne piteuſe exclamation de Pantagruel diſant à haulte voix. Seigneur Dieu, ſaulue nous. Nous periſſons[109]. Non toutesfoys aduieigne ſcelon nos affections. Mais ta ſaincte volunté ſoit faicte. Dieu (diſt Panurge) & la benoiſte Vierge ſoient auecques nous. Holos, holas, ie naye. Bebebebous, bebe bous, bous, In manus. Vray Dieu enuoye moy quelque daulphin pour me ſauluer en terre comme vn beau petit Arion. Ie ſonneray bien de la harpe, ſi elle n’eſt deſmanchee. Ie me donne à tous les Diables (diſt frere Ian) (Dieu ſoit auecques nous diſoyt Panurge entre les dents) ſi ie deſcens là, ie te monſtreray par euidence que tes couillons pendent au cul d’vn veau coquart, cornart, eſcorné. Mgnan Mgnan, Mgnan. Vien icy nous ayder grand veau pleurart de par trente millions de Diables, qui te ſaultent au corps. Viendras tu ? ô veau marin. Fy qu’il eſt laid le pleurart. Vous ne dictes aultre choſe ? Cza ioyeulx Tirouoir[110] en auant, que ie vous eſpluche à contrepoil. Beatus vir qui non abiit[111]. Ie ſçay tout cecy par cœur. Voyons la legende de monſieur ſainct Nicolas.

Horrida tempeſtas montem turbauit acutum.[112]

Tempeſte feut vn grand fouetteur d’eſcholiers au college de Montagu. Si par fouetter paouures petitz enfans eſcholiers innocens les Pedagogues ſont damnez, il eſt ſus mon honneur, en la roue de Ixion, fouettant le chien courtault qui l’eſbranle. S’ilz ſont par enfans innocens fouetter ſauluez, il doibt eſtre au deſſus des…


Fin de la tempeſte.

Chapitre XXII.


Terre, terre, s’eſcria Pantagruel, Ie voy terre. Enfans couraige de brebis. Nous ne ſommes pas loing de port. Ie voy le Ciel du couſté de la Tranſmontane, qui commence s’eſparer. Aduiſez Siroch. Couraige enfans, diſt le pilot, le courant eſt renfoncé. Au trinquet de gabie. Inſe, inſe. Aux boulingues de contremeiane. Le cable au capeſtan. Vire, vire, vire. La main à l’inſail. Inſe, inſe, inſe. Plante le heaulme. Tiens fort à guarant. Pare les couetz. Pare les eſcoutes. Pare les Bolines. Amure babord. Le heaulme ſoubs le vent. Caſſe eſcoute de tribord, filz de putain. (Tu es bien aiſe, home de bien, diſt frere Ian au matelot, d’entendre nouuelles de ta mere). Vien du lo. Pres & plain. Hault la barre. (Haulte eſt, reſpondoient les matelotz). Taille vie. Le cap au ſeuil. Malettes hau. Que l’on coue bonettes. Inſe, inſe. C’eſt bien dict & aduiſé. L’oraige me ſemble critiquer & finir en bonne heure. Loué ſoit Dieu pourtant. Nos Diables commencent eſcamper dehinch. Mole. C’eſt bien & doctement parlé. Mole, mole. Icy de par Dieu. Gentil Ponocrates, puiſſant ribauld. Il ne fera qu’enfans maſles le paillard. Euſthenes guallant home. Au trinquet de prore. Inſe, inſe. C’eſt bien dict. Inſe de par Dieu, inſe, inſe. Ie n’en daignerois rien craindre, car le iour eſt feriau, Nau, nau, nau[113]. (Ceſtuy Celeume[* 88], diſt Epiſtemon, n’eſt hors de propous : & me plaiſt, car le iour eſt feriau). Inſe, inſe. Bon. O s’eſcria Epiſtemon, ie vous commande tous bien eſperer. Ie voy ça Caſtor à dextre[114].

Be be bous bous bous, diſt Panurge, I’ay grand paour que ſoit Helene la paillarde. C’eſt vrayment reſpondit Epiſtemon, Mixarchaheuas, ſi plus te plaiſt la denomination des Argiues. Haye, haye. Ie voy terre : ie voy port : ie voy grand nombre de gens ſus le haure. Ie voy du feu ſus vn Obeliſcolychnie[* 89]. Haye, haye, (diſt le pilot) double le cap, & les baſſes. Doublé eſt, reſpondoient les matelotz. Elle s’en va, diſt le pilot : auſſi vont celles de convoy. Ayde au bon temps. Sainct Ian, diſt Panurge, c’eſt parlé cela. O le beau mot. Mgna, mgna, mgna, diſt frere Ian, ſi tu en taſte goutte, que le Diable me taſte. Entends tu couillu au Diable. Tenez noſtre ame, plein tanquart du fin meilleur. Apporte les frizons, hau Gymnaſte, & ce grand matin de paſté Iambicque : ou Iambonique[115] ce m’eſt tout vn. Guardez de donner à trauers. Couraige (s’eſcria Pantagruel) couraige enfans. Soyons courtoys. Voyez cy près noſtre nauf deux Lutz, troys Flouins, cinq chippes, huict volantaires, quatre guondolmes & ſix freguates, par les bonnes gens de ceſte prochaine iſle enuoyees à noſtre ſecours. Mais qui eſt ceſtuy Vcalegon[* 90] là bas qui ainſi crie & ſe deſconforte ? Ne tenoys ie plus l’arbre ſceurement des mains, & plus droict que ne feroient deux cens gumenes ? C’eſt (reſpondit frere Ian) le paouure Diable de Panurge, qui a la fiebure de veau. Il tremble de paour quand il eſt ſaoul.

Si (diſt Pantagruel) paour il a eu durant ce Colle horrible & perilleux Fortunal, pourueu que au reſte il ſe feuſt euertué, ie ne l’en eſtime vn pelet moins. Car comme craindre en tout heurt eſt indice de gros & laſche cœur, ainſi comme faiſoit Agamemnon : & pour celle cauſe le diſoit Achilles en ſes reproches ignominieuſement auoir œilz de chien, & cœur de cerf[116] : auſſi ne craindre quand le cas eſt euidentemment redoubtable, eſt ſigne de peu ou faulte de apprehenſion. Ores ſi choſe eſt en ceſte vie à craindre, apres l’offenſe de Dieu, ie ne veulx entrer en la diſpute de Socrates & des Academicques : mort n’eſtre de ſoy mauluaiſe, mort n’eſtre de ſoy à craindre. Car comme eſt la ſentence de Homere, choſe griefue, abhorrente, & denaturée eſt perir en mer[117]. De faict Æneas en la tempeſte de laquelle feut le conuoy de ſes nauires pres Sicile ſurprins, regrettoit n’eſtre mort de la main du fort Diomedes, & diſoit ceulx eſtre troys & quatre foys heureux qui eſtoient mortz en la conflagration de Troie[118]. Il n’eſt ceéans mort perſone. Dieu ſeruateur en ſoit eternellement loué. Mais vrayement voicy vn meſnage aſſez mal en ordre. Bien. Il nous fauldra reparer ce briz. Guardez que ne donnons par terre.


Comment la tempeſte finie Panurge faict
le bon compaignon.


Chapitre XXIII.


Ha, ha (s’eſcria Panurge) tout va bien. L’oraige eſt paſſee. Ie vous prie de grace, que ie deſcende le premier. Ie vouldrois fort aller vn peu à mes affaires. Vous ayderay ie encores là ? Baillez que ie vrilonne ceſte chorde. I’ay du couraige prou, voyre. De paour bien peu. Baillez ça mon amy. Non, non pas maile de craincte. Vray eſt que ceſte vague decumane[* 91][119], laquelle donna de prore en pouppe, m’a vn peu l’artere alteré. Voile bas. c’eſt bien dict. Comment vous ne faictez rien, frere Ian ? Eſt il bien temps de boire à ceſte heure. Que ſçauons nous ſi l’eſtaffier de ſainct Martin nous braſſe encores quelque nouuelle oraige. Vous iray ie encores ayder dela ? Vertus guoy ie me repens bien, mais c’eſt à tard, que n’ay ſuiuy la doctrine des bons Philoſophes, qui diſent ſoy pourmener pres la mer & nauiger pres la terre, eſtre choſe moult ſceure & delectable : comme aller à pied, quand l’on tient ſon cheual par la bride. Ha, ha, ha, par Dieu tout va bien. Vous ayderay ie encores là ? Baillez ça, ie feray bien cela. Ou le Diable y ſera.

Epiſtemon auoit vne main toute au dedans eſcorchee & ſanglante par auoir en violence grande retenu vn des gumenes, & entendent le diſcours de Pantagruel diſt. Croyez Seigneur que i’ay eu de paour & de frayeur non moins que Panurge. Mais quoy ? Ie ne me ſuys eſpargné au ſecours. Ie conſydere, que ſi vrayement mourir eſt (comme eſt) de neceſſité fatale & ineuitable, en telle ou telle heure, en telle ou telle façon mourir eſt en la ſaincte volonté de Dieu. Pourtant icelluy fault inceſſamment implorer, inuocquer, prier, requerir, ſupplier. Mais là ne fault faire but & bourne : de noſtre part conuient pareillement nous euertuer, & comme dict le ſainct Enuoyé[120], eſtre cooperateurs auecques luy. Vous ſçauez que diſt C. Flaminius[121] conſul lors que par l’aſtuce de Annibal il feut reſerré pres le lac de Peruſe dict Thraſymene. Enfans (diſt il à ſes ſoubdars) d’icy ſortir ne vous fault eſperer par veuz & imploration, des Dieux. Par force & vertus il nous conuient euader, & à fil d’eſpee chemin faire par le mylieu des ennemis.

Pareillement en Saluſte[122], l’ayde (diſt M. Portius Cato) es Dieux n’eſt impetré par veuz ocieux, par lamentations muliebres. En veiglant, ſoy euertuant, toutes choſes ſuccedent à ſoubhayt & bon port. Si en neceſſité & dangier eſt l’home negligens, euiré, & pareſſeux, ſans propous il implore les Dieux. Ilz ſont irritez & indignez. Ie me donne au Diable (diſt frere Ian) ie en ſuys de moitié (diſt Panurge) ſi le clous de Seuillé[123] ne feuſt tout vendangé & detruict, ſi ie ne euſſe que chanté contra hoſtium inſidias (matiere de breuiaire) comme faiſoient les aultres Diables de moines, ſans ſecourir la vigne à coups de baſton de la croix contre les pillars de Lerné.

Vogue la gualere (diſt Panurge) tout va bien. Frere Ian ne faict rien là. Il ſe appelle frere Ian faictneant, & me reguarde icy ſuant & trauaillant pour ayder à ceſtuy home de bien Matelot premier de ce nom. Noſtre ame ho. Deux motz : mais que ie ne vos faſche. De quante eſpeſſeur ſont les ois de ceſte nauf ? Elles ſont (reſpondit le pilot) de deux bons doigtz eſpeſſes, n’ayez paour. Vertus Dieu (diſt Panurge) nous ſommes doncques continuellement à deux doigtz pres de la mort[124]. Eſt ce cy vne des neuf ioyes de mariage ? Ha noſtre ame, vous faictez bien meſurant le peril à l’aulne de paour. Ie n’en ay poinct, quand eſt de moy. Ie m’appelle Guillaume ſans paour. De couraige tant & plus. Ie ne entends couraige de brebis. Ie diz couraige de Loup, aſceurance de meurtrier. Et ne crains rien que les dangiers[125].


Comment pare frere Ian Panurge eſt declairé auoir eu
paour ſans cauſe durant l’oraige.


Chapitre XXIIII.


Bon iour Meſſieurs, diſt Panurge, bon iour treſtous. Vous vous portez bien treſtous, Dieu mercy & vous ? Vous ſoyez les bien & à propous venuz. Deſcendons. Heſpalliers hau, iectez le pontal : approche ceſtuy eſquif. Vous ayderay ie encores là ? Ie ſuys allouy & affamé de bien faire & trauailler, comme quatre bœufz. Vrayement voycy vn beau lieu, & bonnes gens. Enfans auez vous encores affaire de mon ayde ? N’eſpargnez la ſueur de mon corps, pour l’amour de Dieu. Adam, c’eſt l’home, naſquit pour labourer & trauailler, comme l’oyſeau pour voler. Noſtre Seigneur veult, entendez vous bien ? que nous mangeons noſtre pain en la ſueur de nos corps : non par rien ne faiſans, comme ce penaillon de moine que voyez, frere Ian qui boyt, & meurt de paour. Voycy beau temps. A ceſte heure congnois ie la reſponſe de Anacharſis le noble philoſophe eſtre veritable, & bien en raiſon fondee, quand il interrogé, quelle nauire ſembloit la plus ſceure, reſpondit : celle qui ſeroit on port[126].

Encores mieulx, diſt Pantagruel, quand il interrogé des quelz plus grand eſtoit le nombre, des mors ou des viuens ? demanda. Entre les quelz comptez vous ceulx qui nauigent ſus mer ? Subtilement ſignifiant que ceulx qui ſus mer nauigent, tant près ſont du continuel dangier de mort, qu’ilz viuent mourans, & mourent viuens. Ainſi Portius Cato[127] diſoit de troys choſes ſeulement ſoy repentir. Sçauoir eſt, s’il auoit iamais ſon ſecret à femme reuelé : ſi en oiziueté iamais auoit vn iour paſſé : & ſi par mer il auoit peregriné en lieu aultrement acceſſible par terre. Par le digne froc que ie porte, diſt frere Ian à Panurge, couillon mon amy, durant la tempeſte tu as eu paour ſans cauſe & ſans raiſon. Car tes deſtinees fatales ne ſont à perir en eau. Tu ſeras hault en l’air certainement pendu : ou bruſlé guaillard comme vn pere[128]. Seigneur voulez vous vn bon guaban contre la pluie ? Laiſſez moy ces manteaulx de Loup & de Bedouault. Faictez eſcorcher Panurge, & de ſa peau couurez vous. Ne approchez pas du feu, & ne paſſez par dauant les forges des mareſchaulx, de par Dieu. En vn moment vous la voyriez en cendres. Mais à la pluie expoſez vous tant que vouldrez, à la neige, & à la greſle. Voire par Dieu, iectez vous au plonge dedans le profond de l’eau, ia ne ſerez pourtant mouillé. Faictez en bottes d’hyuer : iamais ne prendront eau. Faictez en des naſſes pour apprendre les ieunes gens à naiger. Ilz apprendront ſans dangier. Sa peau doncques, diſt Pantagruel, ſeroit comme l’herbe dicte Cheueu de Venus, laquelle iamais n’eſt mouillee ne remoytie : touſiours eſt ſeiche, encores qu’elle feuſt on profond de l’eau tant que vouldrez. Pourtant eſt dicte Adiantos.

Panurge mon amy, diſt frere Ian, n’aye iamais paour de l’eau, ie t’en prie. Par element contraire ſera ta vie terminee. Voire (reſpondit Panurge) Mais les cuiſiniers des Diables reſuent quelque foys, & errent en leur office : & mettent ſouuent bouillir ce qu’on deſtinoit pour rouſtir, comme en la cuiſine de ceans les maiſtres Queux ſouuent lardent Perdris, Ramiers, & Bizets, en intention (comme eſt vrayſemblable) de les mettre rouſtir. Aduient touesfoys que les Perdris aux chous, les ramiers aux pourreaulx, & les bizets ilz mettent bouillir aux naueaulx.

Eſcoutez beaulx amys. Ie proteſte dauant la noble compaignie, que de la chappelle vouee à monſieur S. Nicolas entre Quande & Monſſoreau, i’entends que ſera vne chappelle d’eau Roſe[129] : en laquelle ne paiſtra vache ne veau. Car ie la ietteray au fond de l’eau. Voyla, diſt Euſthenes, le guallant : Voyla le guallant : guallant & demy. C’eſt verifié le prouerbe Lombardique. Paſſato el pericolo, gabato el ſanto.[* 92]


Comment apres la tempeſte Pantagruel deſcendit es
iſles des Macræons[* 93].


Chapitre XXV.


Svs l’inſtant nous deſcendiſmez au port d’vne iſle laquelle on nommoit l’iſle des Macræons. Les bonnes gens du lieu nous repceurent honnorablement. Vn vieil Macrobe[* 94] (ainſi nommoient ilz leur maiſtre eſcheuin) vouloit mener Pantagruel en la maiſon commune de la ville pour ſoy refraiſchir à ſon aiſe, & prandre ſa refection. Mais il ne voulut partir du mole que tous ſes gens ne feuſſent en terre. Apres les auoir recongneuz, commenda chaſcun eſtre mué de veſtemens, & toutes les munitions des naufz eſtre en terre expoſees, à ce que toutes les chormes feiſſent chere lie. Ce que feut incontinent faict. Et Dieu ſçayt comment il y fut beu & guallé[130]. Tout le peuple du lieu apportoit viures en abondance. Les Pantagrueliſtes leurs en donnoient d’aduentaige. Vray eſt que leurs prouiſions eſtoient aulcunement endommaigees par la tempeſte præcedente. Le repas finy Pantagruel pria vn chaſcun ſoy mettre en office & debuoir pour reparer le briz. Ce que feirent, & de bon hayt. La reparation leurs eſtoit facile, par ce que tout le peuple de l’iſle eſtoient charpentiers & tous artizans telz que voyez en l’Arſenac de Veniſe : & l’iſle grande ſeulement eſtoit habitee en troys portz, & dix Parœces, le reſte eſtoit boys de haulte fuſtaye, & deſert comme ſi feuſt la foreſt de Ardeine.

A noſtre inſtance le vieil Macrobe monſtra ce que eſtoit ſpectable & inſigne en l’iſle. Et par la foreſt vmbrageuſe & deſerte deſcouurit pluſieurs vieulx temples ruinez, pluſieurs obeliſces[* 95], Pyramides[* 96], monumens & ſepulchres antiques, auecques inſcriptions & epitaphes diuers. Les vns en letres Hieroglyphicques[* 97], les aultres en languaige Ionicque, les aultres en langue Arabicque, Agarene, Sclauonique, & aultres. Des quelz Epiſtemon feiſt extraict curieuſement. Ce pendent Panurge diſt à frere Ian. Icy eſt l’iſle des Macræons, Macræon en Grec ſignifie vieillart, home qui a des ans beaucoup. Que veulx tu (diſt frere Ian) que i’en face ? Veulx tu que ie m’en deſſace ? Ie n’eſtoys mie on pays lors que ainſi feut baptiſee. A propous (reſpondit Panurge) Ie croy que le nom de maquerelle en eſt extraict. Car maquerellaige ne compete que aux vieilles, aux ieunes compete Culletaige, Pourtant ſeroit ce à penſer que icy feuſt l’iſle Maquerelle original & prototype[* 98] de celle qui eſt à Paris. Allons peſcher des huitres en eſcalle.

Le vieil Macrobe en languaige Ionicque demandoit à Pantagruel comment & par quelle induſtrie & labeur eſtoit abourdé à leur port celle iournee en laquelle auoit eſté troublement de l’air, & tempeſte de mer tant horrificque. Pantagruel luy reſpondit que le hault ſeruateur auoit eu eſguard à la ſimplicité & ſyncere affection de ſes gens : les quelz ne voyageoient pour guain ne traficque de marchandiſe. Vne & ſeule cauſe les auoit en mer mis, ſçauoir eſt ſtudieux deſir de veoir, apprendre, congnoiſtre, viſiter l’oracle de Bacbuc, & auoir le mot de la Bouteille, ſus quelques difficultez propoſees par quelqu’vn de la compaignie. Toutesfoys ce ne auoit eſté ſans grande affliction & dangier euident de naufraige. Puys luy demanda quelle cauſe luy ſembloit eſtre de ceſtuy eſpouantable fortunal, & ſi les mers adiacentes d’icelle iſle eſtoient ainſi ordinairement ſubiectes à tempeſte, comme en la mer Oceane ſont les Ratz de Sanmaieu, Maumuſſon, & en la mer Mediterranee le gouffre de Satalie, Montargentan, Plombin, Capo Melio en Laconie, l’eſtroict de Gilbathar, le far de Meſſine, & aultres.


Comment le bon Macrobe raconte à Pantagruel
le manoir & diſceſſion des Heroes.


Chapitre XXVI.


Adoncqves reſpondit le bon Macrobe. Amys peregrins icy eſt vne des iſles Sporades, non de vos Sporades qui ſont en la mer Carpathie : mais des Sporades de l’Ocean, iadis riche, frequente, opulente, marchande, populeuſe & ſubiecte au dominateur de Bretaigne. Maintenant par laps de temps & ſus la declinaiſon du monde, paouure & deſerte comme voyez. En ceſte obſcure foreſt que voyez longue & ample plus de ſoixante & dix huict mille Paraſanges[* 99] eſt l’habitation des Dæmons & Heroes. Les quelz ſont deuenuz vieulx. & croyons plus ne luiſant le comete preſentement, lequel nous appareut par trois entiers iours precedens, que hier en ſoit mort quelqu’vn. Au treſpas duquel ſoyt excitee celle horrible tempeſte que auez pati. Car eulx viuens tout bien abonde en ce lieu & aultres iſles voiſines : & en mer eſt bonache & ſerenité continuelle. Au treſpas d’vn chaſcun d’iceulx ordinairement oyons nous par la foreſt grandes & pitoyables lamentations, & voyons en terre peſtes, vimeres & afflictions, en l’air troublemens & tenebres : en mer tempeſte & fortunal.

Il y a (diſt Pantagruel) de l’apparence en ce que dictez. Car comme la torche ou la chandelle tout le temps qu’elle eſt viuente & ardente luiſt es aſſiſtans, eſclaire tout autour, delecte vn chaſcun, & à chaſcun expoſe ſon ſeruice & ſa clarté, ne faict mal ne deſplaiſir à perſone. Sus l’inſtant qu’elle eſt extaincte, par ſa fumee & euaporation elle infectionne l’air, elle nuiſt es aſſiſtans & à vn chaſcun deſplaiſt. Ainſi eſt il de ces ames nobles & inſignes. Tout le temps qu’elles habitent leurs corps, eſt leur demeure pacificque, vtile, delectable, honorable : ſus l’heure de leur diſceſſion, communement aduiennent par les iſles & continent grands troublemens en l’air, tenebres, fouldres, greſles : en terre concuſſions, tremblemens, eſtonnemens : en mer fortunal & tempeſte, auecques lamentations des peuples, mutations des religions, tranſpors des Royaulmes, & euerſions des Republicques. Nous (diſt Epiſtemon) en auons naguieres veu l’experience on deces du preux & docte cheualier Guillaume du Bellay, lequel viuant, France eſtoit en telle felicité, que tout le monde auoit ſus elle enuie, tout le monde ſe y rallioit, tout le monde la redoubtoit. Soubdain apres ſon treſpas elle a eſté en meſpris de tout le monde bien longuement.

Ainſi (diſt Pantagruel) mort Anchiſes à Drepani en Sicile la tempeſte donna terrible vexation à Æneas[131]. C’eſt par aduenture la cauſe pourquoy Herodes le tyrant & cruel roy de Iudee ſoy voyant pres de mort horrible & eſpouentable en nature (car il mourut d’vne Phthiriaſis mangé des verms & des poulx, comme parauant eſtoient mors L. Sylla, Pherecydes Syrien præcepteur de Pythagoras, le poete Gregeoys Alcman, & aultres[132]) & preuoyant que à ſa mort les Iuifz feroient feu de ioye, feiſt en ſon Serrail de toutes les villes, bourguades, & chaſteaulx de Iudee tous les nobles & magiſtratz conuenir, ſoubs couleur & occaſion fraudulente de leurs vouloirs choſes d’importance communicquer pour le regime & tuition de la prouince. Iceulx venuz & comparens en perſones feiſt en l’hippodrome du Serrail reſerrer. Puys diſt à ſa ſœur Salomé, & à ſon mary Alexandre. Ie ſuys aſceuré que de ma mort les Iuifz ſe eſiouiront, mais ſi entendre voulez, & executer ce que vous diray, mes exeques ſeront honorables, & y ſera lamentation publicque. Sus l’inſtant que ſeray treſpaſſé, faictez par les archiers de ma guarde, es quelz i’en ay expreſſe commiſſion donné, tuer tous ces nobles & magiſtratz, qui ſont ceans reſerrez. Ainſi faiſans toute Iudee maulgré ſoy en deuil & lamentation ſera[133], & ſemblera es eſtrangiers, que ce ſoyt à cauſe de mon treſpas : comme ſi quelque ame Heroique feuſt decedee. Autant en affectoit vn deſeſperé tyrant, quand il diſt. Moy mourant la terre ſoyt auecques le feu meſlee, c’eſt à dire, periſſe tout le monde. Lequel mot Neron le truant changea diſant, moy viuent[134] : comme atteſte Suetone. Ceſte deteſtable parole, de laquelle parlent Cicero lib. 3. de Finibus. & Senecque lib. 2. de Clemence, eſt par Dion Nicæus, & Suidas[135] attribuee à l’empereur Tibere.


Comment Pantagruel raiſonne ſus la diſceſſion des ames Heroicques : & des prodiges horrificques qui præcederent le treſpas du feu ſeigneur de Langey.


Chapitre XXVII.


Ie ne vouldroys (diſt Pantagruel continuant) n’auoir pati la tormente marine, laquelle tant nous a vexez & trauaillez, pour non entendre ce que nous dict ce bon Macrobe. Encores ſuys ie facilement induict à croyre ce qu’il nous a dict du comète veu en l’air par certains iours præcedens telle diceſſion. Car aulcunes telles ames ſont tant nobles, precieuſes, & Heroicques, que de leur deſlogement & treſpas nous eſt certains iours dauant donnee ſignification des cieulx. Et comme le prudent medicin voyant par les ſignes prognoſticz ſon malade entrer en decours de mort, par quelques iours dauant aduertiſt les femme, enfans, parens, & amis du deces imminent du mary, pere, ou prochain, affin qu’en ce reſte de temps qu’il a de viure, ilz l’admonneſtent donner ordre à ſa maiſon, exhorter & beniſtre ſes enfans, recommander la viduité de ſa femme, declairer ce qu’il ſçaura eſtre neceſſaire à l’entretenement des pupilles, & ne ſoyt de mort ſurprine ſans teſter & ordonner de ſon ame & de ſa maiſon : ſemblablement les cieulx beneuoles comme ioyeulx de la nouuelle reception de ces beates ames, auant leur deces ſemblent faire feux de ioye par telz comètes, & apparitions meteores. Les quelles voulent les cieulx eſtre aux humains pour prognoſtic certain & veridicque prediction, que dedans peu de iours telles venerables ames laiſſeront leurs corps & la terre. Ne plus ne moins que iadis en Athenes les iuges Areopagites ballotans pour le iugement des criminelz priſonniers, vſoient de certaines notes ſcelon la varieté es ſentences : par Θ ſignifians condemnation à mort : par Τ abſolution : par Α ampliation[136] : ſçauoir eſt, quand le cas n’eſtoit encores liquidé. Icelles publiquement expoſees houſtoient d’eſmoy & penſement les parens, amis, & aultres curieulx d’entendre quelle ſeroit l’iſſue & iugement des malfaicteurs detenuz en priſon. Ainſi par telz cometes, comme par notes ætherees diſent les cieulx tacitement. Homes mortelz ſi de ceſtes heureuſes ames voulez choſe aulcune ſçauoir, apprandre, entendre, congnoiſtre, preueoir touchant le bien & vtilité publicque ou priuee, faictez diligence de vous repreſenter à elles, & d’elles reſponſe auoir. Car la fin & cataſtrophe de la comœdie approche. Icelle paſſee, en vain vous les regretterez.

Font d’aduentaige. C’eſt que pour declairer la terre & gens terriens n’eſtre dignes de la preſence, compaignie & fruition de telles inſignes ames, l’eſtonnent & eſpouantent par prodiges, portentes, monſtres, & aultres precedens ſignes formez contre tout ordre de nature. Ce que veiſmes pluſieurs iours auant le departement de celle tant illuſtre, genereuſe, & heroicque ame du docte & preux cheualier de Langey duquel auez parlé.

Il m’en ſouuient (diſt Epiſtemon) & encores me friſſonne & tremble le cœur dedans ſa capſule, quand ie penſe es prodiges tant diuers & horrificques les quelz veiſmes apertement cinq & ſix iours auant ſon depart. De mode que les ſeigneurs de Aſſier, Chemant, Mailly le borgne, Sainct Ayl, Villeneufue Laguyart, maiſtre Gabriel medicin de Sauillan, Rabelays, Cohuau, Maſſuau, Maiorici, Bullou, Cercu, dict Bourguemaiſtre, François Prouſt, Ferron, Charles Giraud, François Bourré, & tant d’aultres amis, domeſticques, & ſeruiteurs du deſſunct tous effrayez ſe reguardoient les vns les aultres en ſilence ſans mot dire de bouche, mais bien tous penſans & preuoyans en leurs entendemens que brief ſeroit France priuee d’vn tant perfaict & neceſſaire cheuallier à ſa gloire & protection, & que les cieulx le repetoient comme à eulx deu par proprieté naturelle.

Huppe de froc (diſt frere Ian) ie veulx deuenir clerc ſus mes vieulx iours. I’ay aſſez belle entendouoire, voie. Ie vous demande en demandant[137], comme le Roy à ſon ſergent, & la Royne à ſon enfant, ces Heroes icy & Semidieux des quelz auez parlé, peuuent ilz par mort finir ? Par nettre dene ie penſoys en penſaroys[138] qu’ilz feuſſent immortelz, comme beaulx anges, Dieu me le veueille pardonner. Mais ce reuerendiſſime Macrobe dict qu’ilz meurent finablement. Non tous (reſpondit Pantagruel). Les Stoiciens les diſoient tous eſtre mortelz, vn excepté, qui ſeul eſt immortel, impaſſible, inuiſible. Pindarus apertement dict es deeſſes Hamadryades plus de fil, c’eſt à dire plus de vie, n’eſtre fille de la quenoille & filaſſe des deſtinees & Parce iniques, que es arbres par elles conſeruees. Ce ſont cheſnes, des quelz elles naſquirent ſcelon l’opinion de Callimachus, & de Pauſanias[139] in Phoci. Es quelz conſent Martianus Capella. Quant aux Semidieux, Panes, Satyres, Syluains, Folletz, Ægypanes, Nymphes, Heroes, & Dæmons, pluſieurs ont par la ſomme totale reſultante des aages diuers ſupputez par Heſiode compté leurs vies eſtre de 9720 ans[140] : nombre compoſé de vnité paſſante en quadrinité, & la quadrinité entiere quatre foys en ſoy doublee, puys le tout cinq foys multiplié par ſolides triangles. Voyez Plutarche on liure de la Ceſſation des oracles.

Cela (diſt frere Ian) n’eſt poinct matiere de breuiaire. Ie n’en croy ſi non ce que vous plaira. Ie croy (diſt Pantagruel) que toutes ames intellectiues ſont exemptes des cizeaulx de Atropos. Toutes ſont immortelles : Anges, Dæmons, & Humaines. Ie vous diray toutes foys vne hiſtoire bien eſtrange, mais eſcripte & aſceuree par pluſieurs doctes & ſçauans Hiſtoriographes à ce propous.


Comment Pantagruel raconte vne pitoyable hiſtoire
touchant le treſpas des Heroes.


Chapitre XXVIII.


Epitherses[141] pere de Æmilian rheteur nauiguant de Grece chargee de diuerſes marchandiſes, & pluſieurs voyagiers, ſur le ſoir ceſſant le vent aupres des iſles Echinades, les quelles ſont entre la Moree & Tunis, feut leur nauf portee pres de Paxes. Eſtant là abourdee, aulcuns des voyagiers dormans, aultres veiglans, aultres beuuans & ſouppans, feut de l’iſle de Paxes ouie vne voix de quelqu’vn qui haultement appelloit Thamoun. Auquel cris tous feurent eſpouantez. Ceſtuy Thamous eſtoit leur pilot natif de Ægypte, mais non congneu de nom, fors à quelques vns des voyagiers. Feut ſecondement ouie ceſte voix : Laquelle appelloit Thamoun en cris horrificques. Perſone ne reſpondent, mais tous reſtant en ſilence & trepidation, en tierce foys ceſte voix feut ouie plus terrible que dauant. Dont aduint que Thamous reſpondit. Ie ſuys icy, que demande tu ? que veulx tu que ie face ? Lors feut icelle voix plus haultement ouie, luy diſant & commandant, quand il ſeroit en Palodes publier & dire que Pan le grand Dieu eſtoit mort.

Ceſte parolle entendue diſoyt Epitherſes tous les nauchiers & voyaigiers s’eſtre eſbahiz & grandement effrayez : Et entre eulx deliberans quel ſeroit meilleur ou taire ou publier ce que auoit eſté commandé, Diſt Thamous ſon aduis eſtre, aduenent que lors ilz euſſent vent en pouppe, paſſer oultre ſans mot dire : aduenent qu’il feuſt calme en mer, ſignifier ce qu’il auoit ouy. Quand doncques feurent pres Palodes aduint qu’ilz ne eurent ne vent ne courant. Adoncques Thamous montant en prore, & en terre proiectant ſa veue diſt ainſi que luy eſtoit commandé, que Pan le grand eſtoit mort. Il n’auoit encores acheué le dernier mot quand feurent entenduz grands ſouſpirs, grandes lamentations, & effroiz en terre, non d’vne perſone ſeule, mais de pluſieurs enſemble. Ceſte nouuelle (par ce que pluſieurs auoient eſté præſens) feuſt bien touſt diuulguee en Rome. Et enuoya Tibere Ceſar lors empereur en Rome querir ceſtuy Thamous. Et l’auoir entendu parler adiouſta foy à ſes parolles. Et ſe guementant es gens doctes qui pour lors eſtoient en ſa court & en Rome en bon nombre, qui eſtoit ceſtuy Pan, trouua par leur rapport qu’il auoit eſté filz de Mercure & de Penelope. Ainſi au parauant l’auoient eſcript Herodote[142] & Cicero on tiers liure de la nature des Dieux[143]. Toutesfoys ie le interpretoys de celluy grand Seruateur des fideles, qui feut en Iudee ignominieuſement occis par l’enuie & iniquité des Pontifes, docteurs, prebſtres, & moines de la loy Moſaicque. Et ne me ſemble l’interpretation abhorrente. Car à bon droict peut il eſtre en languaige Gregoys dict Pan. Veu que il eſt le noſtre Tout, tout ce que ſommes, tout ce que viuons, tout ce que auons, tout ce que eſperons eſt luy, en luy, de luy, par luy. C’eſt le bon Pan le grand paſteur qui comme atteſte le bergier paſſionné Corydon, non ſeulement a en amour & affection ſes brebis, mais auſſi ſes bergiers[144]. A la mort duquel feurent plaincts, ſouſpirs, effroy, & lamentations en toute la machine de l’Vniuers, cieulx, terre, mer, enfers. A ceſte miene interpretation compete le temps. Car ceſtuy treſbon treſgrand Pan, noſtre vnique Seruateur[145] mourut lez Hieruſalem, regnant en Rome Tibere Cæſar.

Pantagruel ce propous finy reſta en ſilence & profonde contemplation. Peu de temps apres nous veiſmes les larmes decouller de ſes œilz groſſes comme œufz de Auſtruche. Ie me donne à Dieu, ſi i’en mens d’vn ſeul mot.


Comment Pantagruel paſſa l’iſle de Tapinois en la
quelle regnoit Quareſmeprenant[146].


Chapitre XXIX.


Les naufz du ioyeulx conuoy refaictes & reparees : les victuailles refraiſchiz : les Macræons plus que contens & ſatisfaictz de la deſpenſe que y auoit faict Pantagruel : nos gens plus ioyeulx que de couſtume, au iour ſubſequent feut voile faicte au ſerain & delicieux Aguyon[* 100], en grande alaigreſſe. Sus le hault du iour feut par Xenomanes monſtré de loing l’iſle de Tapinois en laquelle regnoit Quareſmeprenant : duquel Pantagruel auoit aultre foys ouy parler, & l’euſt voluntiers veu en perſone, ne feut que Xenomanes l’en deſcouraigea, tant pour le grand detour du chemin, que pour le maigre paſſetemps qu’il diſt eſtre en toute l’iſle & court du Seigneur. Vous y voirez (diſt il) pour tout potaige vn grand aualleur de poys gris, vn grand cacquerotier, vn grand preneur de Taulpes, vn grand boteleur de foin, vn demy geant à poil follet & double tonſure extraict de Lanternoys, bien grand Lanternier : confalonnier[* 101] des Ichtyophages[* 102] : dictateur de Mouſtardois : fouetteur de petitz enfans : calcineur de cendres : pere & nourriſſon des medicins : foiſonnant en pardons, indulgences, & ſtations : home de bien : bon catholic, & de grande deuotion. Il pleure les troys pars du iour. Iamais ne ſe trouue aux nopces. Vray eſt que c’eſt le plus induſtrieux faiſeur de lardoueres & brochettes[147] qui ſoit en quarante royaulmes. Il a enuiron ſix ans que paſſant par Tapinois i’en emportay vne groſſe, & la donnay aux bouchers de Quande. Ilz les eſtimerent beaucoup, & non ſans cauſe. Ie vous en monſtreray à noſtre retour deux attachees ſus le grand portail. Les alimens des quelz il ſe paiſt ſont aubers ſallez, casquets, morrions ſallez, & ſalades ſallees[148]. Dont quelquefoys patit vne loude piſſechaulde. Ses habillemens ſont ioyeulx, tant en façon comme en couleur. Car il porte gris & froid : rien dauant, & rien darrière : & les manches de meſmes.

Vous me ferez plaiſir, diſt Pantagruel, ſi comme m’auez expoſé ſes veſtemens, ſes alimens, ſa maniere de faire, & ſes paſſetemps, auſſi me expoſez ſa forme & corpulence en toutes ſes parties. Ie t’en prie Couillette, diſt frere Ian : Car ie l’ay trouué dedans mon breuiaire : & s’en fuyt[149] apres les feſtes mobiles. Voluntiers, reſpondit Xenomanes. Nous en oyrons par aduenture plus amplement parler paſſans l’iſle Farouche, en laquelle dominent les Andouilles farfelues ſes ennemies mortelles : contre lesquelles il a guerre ſempiternelle. Et ne feuſt l’aide du noble Mardigras leur protecteur & bon voiſin, ce grand Lanternier Quareſmeprenant les euſt ià pieça exterminees de leur manoir. Sont elles (demandoit frere Ian) maſles ou femelles ? anges ou mortelles ? femes ou pucelles. Elles ſont, reſpondit Xenomanes, femelles en ſexe, mortelles en condition : aulcunes pucelles, aultres non. Ie me donne au Diable, diſt frere Ian, ſi ie ne ſuys pour elles. Quel deſordre eſt ce en nature faire guerre contre les femmes ? Retournons. Sacmentons ce grand villain.

Combatre Quareſmeprenant (diſt Panurge) de par tous les Diables ? Ie ne ſuys pas ſi fol & hardy enſemble. Quid iuris, ſi nous trouuions enueloppez entre Andouilles & Quareſmeprenant ? Entre l’enclume & les marteaulx ? Cancre. Houſtez vous de là. Tirons oultre. Adieu vous diz Quareſmeprenant. Ie vous recommande les Andouilles : & n’oubliez pas les Boudins.


Comment par Xenomanes eſt anatomiſé & deſcript
Quareſmeprenant.


Chapitre XXX.


Qvaresmeprenant, diſt Xenomanes, quant aux parties internes a, au moins de mon temps auoit, la ceruelle en grandeur, couleur, ſubſtance, & vigueur ſemblable au couillon guauſche d’vn Ciron maſle.

Les ventricules d’icelle, comme vn tirefond.

L’excreſcence vermiſorme, comme vn pillemaille.

Les membranes, comme la coqueluche d’vn moine.

L’entonnoir, comme vn oiſeau de maſſon.

La voulte, comme vn guoimphe.

Le conare, comme vn veze.

Le retz admirable, comme vn chanfrain.

Les additamens mammillaires, comme vn bobelin.

Les tympanes, comme vn moullinet.

Les os petreux, comme vn plumail.

La nucque, comme vn falot.

Les nerfs, comme vn robinet.

La luette, comme vne ſarbataine.

Le palat, comme vne moufle.

La ſalive, comme vne navette.

Les amygdales, comme lunettes à vn œil.

Le iſthme, comme vne portouoire.

Le gouzier, comme vn panier vendangeret.

L’eſtomach, comme vn baudrier.

Le pylore, comme vne fourche fière.

L’aſpre artère, comme vn gouet.

Le guauiet, comme vn peloton d’eſtouppes.

Le poulmon, comme vne aumuſſe.

Le cœur, comme vne chaſuble.

Le mediaſtin, comme vn guodet.

La pleure, comme vn bec de Corbin.

Les arteres, comme vne cape de Biart.

Le diaphragme, comme vn bonnet à la Coquarde.

Le foye, comme vne bezague.

Les venes, comme vn chaſſis.

La ratelle, comme vn courquaillet.

Les boyaulx, comme vn tramail.

Le fiel, comme vne dolouoire.

La freſſure, comme vn guantelet.

Le meſantere, comme vne mitre abbatiale.

L’inteſtin ieun, comme vn dauiet.

L’inteſtin borgne, comme vn plaſtron.

Le colon, comme vne brinde.

Le boyau cullier, comme vn bourrabaquin monachal.

Les roignons, comme vne truelle.

Les lumbes, comme vn cathenat.

Les pores vreteres, comme vne cramailliere.

Les venes emulgentes, comme deux glyphouoires.

Les vaſes ſpermaticques, comme vn guaſteau feueilleté.

Les paraſtates, comme vn pot à plume.

La veſſie, comme vn arc à iallet.

Le coul d’icelle, comme vn batail.

Le mirach, comme vn chappeau Albanois.

Le ſiphach, comme vn braſſal.

Les muſcles, comme vn ſoufflet.

Les tendons, comme vn guand d’oyſeau.

Les liguamens, comme vne eſcarcelle.

Les os, comme caſſemuzeaulx.

La mouelle, comme vn biſſac.

Les cartilages, comme vne tortue de guarigues.

Les adenes, comme vne ſerpe.

Les eſpritz animaulx, comme grands coups de poing.

Les eſpritz vitaulx, comme longues chiquenauldes.

Le ſang bouillant, comme nazardes multipliées.

L’vrine, comme vn papefigue.

La geniture, comme vn cent de clous à latte. Et me contoit ſa nourriſſe, qu’il eſtant marié auecques Lamyquareſme engendra ſeulement nombre de Aduerbes locaulx, & certains ieunes doubles.

La memoire auoit, comme vne eſcharpe.

Le ſens commun, comme vn bourdon.

L’imagination, comme quarillonnement de cloches.

Les penſees, comme vn vol d’eſtourneaulx.

La conſcience, comme vn denigement de Heronneaulx.

Les deliberations, comme vne pochee d’orgues.

La repentence, comme l’equippage d’vn double canon.

Les entreprinſes, comme la ſabourre d’vn guallion.

L’entendement, comme vn breuiaire deſſiré.

Les intelligences, comme limaz ſortans des fraires.

La volunté, comme troys noix en vne eſcuelle.

Le deſir, comme ſix boteaux de ſainct foin.

Le iugement, comme vn chauſſepied.

La diſcretion, comme vne mouffle.

La raiſon, comme vn tabouret.


Anatomie de Quareſmeprenant quant
aux parties externes.


Chapitre XXXI.


Qvaresmeprenant, diſoit Xenomanes continuant, quant aux parties externes eſtoit vn peu mieulx proportionné : exceptez les ſept coſtes qu’il auoit oultre la forme commune des humains.

Les orteilz auoit, comme vne eſpinette orguaniſee.

Les ongles, comme vne vrille.

Les pieds, comme vne guinterne.

Les talons, comme vne maſſue.

La plante, comme vn creziou.

Les iambes, comme vn leurre.

Les genoilz, comme vn eſcabeau.

Les cuiſſes, comme vn crenequin.

Les anches, comme vn vibrequin.

Le ventre à poulaines boutonné ſcelon la mode antique, & ceinct à l’antibuſt.

Le nombril, comme vne vielle.

La penilliere, comme vne dariolle.

Le membre, comme vne pantophle.

Les couilles, comme vne guedoufle.

Les genitoires, comme vn rabbot.

Les cremaſteres, comme vne raquette.

Le perinæum, comme vn flageollet.

Le trou du cul, comme vn mirouoir cryſtallin.

Les feſſes, comme vne herſe.

Les reins, comme vn pot beurrier.

L’alkatin, comme vn billart.

Le dours, comme vne arbaleſte de paſſe.

Les ſpondyles, comme vne cornemuſe.

Les couſtes, comme vn rouet.

Le brechet, comme vn baldachin.

Les omoplates, comme vn mortier.

La poictrine, comme vn ieu de regualles.

Les mammelles, comme vn cornet à bouquin.

Les aiſſelles, comme vn eſchiquier.

Les eſpaules, comme vne ciuiere à braz.

Les braz, comme vne barbute.

Les doigts, comme landiers de frarie.

Les raſettes, comme deux eſchaſſes.

Les fauciles, comme faucilles.

Les coubtes, comme ratouoires.

Les mains, comme vne eſtrille.

Le coul, comme vne ſaluerne.

La guorge, comme vne chauſſe d’Hippocras.

Le nou, comme vn baril : auquel pendoient deux guoytrouz de bronze bien beaulx & harmonieux, en forme d’vne horologe de ſable.

La barbe, comme vne lanterne.

Le menton, comme vn potiron.

Les aureilles, comme deux mitaines.

Le nez, comme vn brodequin anté en eſcuſſon.

Les narines, comme vn beguin.

Les ſoucilles, comme vn lichefrete.

Sus la ſoucille guauſche auoit vn ſeing en forme & grandeur d’vn vrinal.

La paulpieres, comme vn rebec.

Les œilz, comme vn eſtuy de peignes.

Les nerfs opticques, comme vn fuzil.

Le front, comme vne retombe.

Les temples, comme vne chantepleure.

Les ioues, comme deux ſabbotz.

Les maſchoueres, comme vn guoubelet.

Les dens, comme vn vouge. De ſes telles dents de laict vous trouuerez vne à Colonges les royaulx en Poictou : & deux à la Broſſe en Xantonge, ſus la porte de la caue.

La langue, comme vne harpe.

La bouche, comme vne houſſe.

Le viſaige biſtorié, comme vn baſt de mulet.

La teſte, contournee comme vn alambic.

Le crane, comme vne gibbeſſiere.

Les couſtures, comme vn anneau de peſcheur[150].

La peau, comme vne gualvardine.

L’Epidermis, comme vn beluteau.

Les cheueulx, comme vne decrotouoire.

Le poil, tel comme a eſté dict.


Continuation des contenences de Quareſmeprenant.

Chapitre XXXII.


Cas admirable en nature, diſt Xenomanes continuant, eſt veoir & entendre l’eſtat de Quareſmeprenant. S’il crachoit, c’eſtoient panerees de Chardonnette.

S’il mouchoit, c’eſtoient Anguillettes ſallees.

S’il pleuroit, c’eſtoient Canars à la dodine.

S’il trembloit, c’eſtoient grands patez de Lieure.

S’il ſuoit, c’eſtoient Moulues au beurre frays.

S’il rottoit, c’eſtoient huytres en eſcalle.

S’il eſternuoit, c’eſtoient pleins barilz de Mouſtarde.

S’il touſſoit, c’eſtoient boytes de Coudignac.

S’il ſanglouttoit, c’eſtoit denrées de Creſſon.

S’il baiſloit, c’eſtoient potees de poys pillez.

S’il ſouſpiroit, c’eſtoient langues de bœuf fumees.

S’il ſubloit, c’eſtoient hottes de Cinges verds.

S’il ronfloit, c’eſtoient iadaulx de febues frezes.[151]

S’il rechinoit, c’eſtoient pieds de Porc auſou.

S’il parloit, c’eſtoit gros bureau d’Auuergne : tant s’en failloit que feuſt ſaye cramoiſie[152], de laquelle vouloit Pariſatis eſtre les parolles tiſſues de ceulx qui parloient à ſon filz Cyrus roy des Perſes.

S’il ſouffloit, c’eſtoient troncs pour les Indulgences.

S’il guygnoit des œilz, c’eſtoient guauffres & Obelies.

S’il grondoit, c’eſtoient Chats de Mars.

S’il dodelinoit de la teſte, c’eſtoient charrettes ferrees.

S’il faiſoit la moue, c’eſtoient baſtons rompuz.

S’il marmonnoit, c’eſtoient ieuz de la Bazoche.

S’il trepignoit, c’eſtoient reſpitz & quinquenelles.

S’il reculloit, c’eſtoient Coquecigrues de Mer.

S’il bauoit, c’eſtoient fours à ban.

S’il eſtoit enroué, c’eſtoient entrees de Moresques.

S’il petoit, c’eſtoient houzeaulx de vache brune.

S’il veſnoit, c’eſtoient botines de cordouan.

S’il ſe gratoit, c’eſtoient ordonnances nouuelles.

S’il chantoit, c’eſtoient poys en guouſſe.

S’il fiantoit, c’eſtoient potirons & Morilles.

S’il buffoit, c’eſtoient choux à l’huille. alias Caules amb’olif.

S’il diſcouroit, c’eſtoient neiges d’Antan.

S’il ſe ſoucioit, c’eſtoit des rez & des tonduz.

Si rien donnoit, autant en auoit le brodeur.

S’il ſongeoit, c’eſtoient vitz volans & rampans contre vne muraille.

S’il reſuoit, c’eſtoient papiers rantiers.

Cas eſtrange. Trauailloit rien ne faiſant : rien ne faiſoit trauaillant. Corybantioit[* 103] dormant : dormoit corybantiant les œilz ouuers comme font les Lieures de Champaigne, craignant quelque camiſade d’Andouilles ſes antiques ennemies. Rioit en mordant, mordoit en riant. Rien ne mangeoit ieuſnant : ieuſnoit rien ne mengeant. Grignotoit par ſoubſon : beuuoit par imagination. Se baignoit deſſus les haulx clochez, ſe ſeichoit dedans les eſtangs & riuieres. Peſchoit en l’air, & y prenoit Eſcreuiſſes decumanes[* 104]. Chaſſoit on profond de la mer, & y trouuoit Ibices, Stamboucqs, & Chamoys. De toutes Corneilles prinſes en Tapinois ordinairement poſchoit les œilz. Rien ne craignoit que ſon vmbre, & le cris des gras cheureaulx. Battoit certains iours le paué. Se iouoyt es cordes des ceincts[153]. De ſon poing faiſoit vn maillet. Eſcriuoit ſus parchemin velu auecques ſon gros guallimart Prognoſtications & Almanachz.

Voyla le guallant, diſt frere Ian. C’eſt mon home. C’eſt celuy que ie cherche. Ie luy voys mander vn cartel. Voyla, diſt Pantagruel, vne eſtrange & monſtrueuſe membreure d’home. Vous me reduiſez en contenence de Amodunt & Diſcordance. Quelle forme demanda frere Ian, auoient ilz ? Ie n’en ouy iamais parler. Dieu me le pardoient. Ie vous en diray, reſpondit Pantagruel, ce que i’en ay leu parmy les Apologues antiques[154]. Phyſis (c’eſt nature) en ſa premiere portee enfanta Beaulté & Harmonie ſans copulation charnelle : comme de ſoy meſmes eſt grandement ſeconde & fertile. Antiphyſie, laquelle de tout temps eſt partie aduerſe de Nature, incontinent eut enuie ſus ceſtuy tant beau & honorable enfantement : & au rebours enfanta Amodunt & Diſcordance par copulation de Tellumon. Ilz auoient la teſte ſphærique & ronde entierement comme vn ballon : non doulcement comprimee des deux couſtez, comme eſt la norme humaine. Les aureilles auoient hault enleuees, grandes comme aureilles d’aſne : les œilz hors la teſte fichez ſus des os ſemblables aux talons, ſans ſoucilles, durs comme ſont ceulx des Cancres : les pieds ronds comme pelottes : les braz & mains tournez en arriere vers les eſpaules. Et cheminoient ſus leurs teſtes, continuellement faiſant la roue, cul ſus teſte, les pieds contremont. Et (comme vous ſçauez que es Cingeſſes ſemblent leurs petits Cinges plus beaulx que choſe du monde) Antiphyſie louoit, & s’efforçoit prouuer que la forme de ſes enfans plus belle eſtoit, & aduenente, que des enfans de Phyſis : diſant que ainſi auoir les pieds & teſte ſphæricques, & ainſi cheminer circulairement en rouant eſtoit la forme competente & perfaicte alleure retirante à quelque portion de diuinité : par laquelle les cieulx & toutes choſes eternelles ſont ainſi contournées. Auoir les pieds en l’air, la teſte en bas eſtoit imitation du createur de l’Vniuers : veu que les cheueulx ſont en l’home comme racines : les iambes comme rameaux. Car les arbres plus commodement ſont en terre fichees ſus leurs racines, que ne ſeroient ſus leurs rameaux. Par ceſte demonſtration alleguant que trop mieulx & plus aptement eſtoient ſes enfans comme vne arbre droicte, que ceulx de Phyſis : les quel eſtoient comme vne arbre renuerſee. Quant eſt des braz & des mains, prouuoit que plus raiſonnablement eſtoient tournez vers les eſpaules : par ce que ceſte partie de corps ne doibuoit eſtre ſans defenſes : attendu que le dauant eſtoit competentement muny par les dens. Des quelles la perſonne peut non ſeulement vſer en maſchant ſans l’ayde des mains : mais auſſi ſoy defendre contre les choſes nuiſantes. Ainſi par le temoignage & aſtipulation des beſtes brutes tiroit tous les folz & inſenſez en ſa ſentence, & eſtoit en admiration à toutes gens eceruelez & deſguarniz de bon iugement, & ſens commun. Depuys elle engendra les Matagotz, & Papelars : les Maniacles Piſtoletz : les Demoniacles Caluins impoſteurs de Geneue : les enraigez Putherbes Briſſaulx, Caphars, Chattemittes, Canibales : & aultres monſtres difformes & contrefaicts en deſpit de Nature.


Comment par Pantagruel feut vn monſtrueux
Phyſetere apperceu pres l’iſle Farouche.


Chapitre XXXIII.


Sus le hault du iour approchans l’iſle Farouche, Pantagruel de loin apperceut vn grand & monſtrueux Phyſetere, venent droict vers nous bruyant, ronflant enflé enleué plus hault que les hunes des naufz, & iectant eaulx de la gueule en l’air dauant ſoy, comme ſi feuſt vne groſſe riuiere tombante de quelque montaigne. Pantagruel le monſtra au pilot, & à Xenomanes. Par le conſeil du pilot feurent ſonnees les trompettes de la Thalamege en intonation de Guare Serre[155]. A ceſtuy ſon toutes les naufz, Guallions, Ramberges, Liburnicques (ſcelon qu’eſtoit leur diſcipline nauale) ſe mirent en ordre & figure telle qu’eſt le Y Gregeois letre de Pythagoras : telle que voyez obſeruee par les Grues en leur vol : telle qu’eſt en vn angle acut : on cone & baſe laquelle eſtoit la dicte Thalamege en equippage de vertueuſement combatre.

Frere Ian on chaſteau guaillard monta guallant & bien deliberé auecques les bombardiers. Panurge commença crier & lamenter plus que iamais. Babillebabou (diſoit il) voicy pis qu’antant. Fuyons. C’eſt, par la mort bœuf, Leuiathan deſcript par le noble prophete Moſes en la vie du ſainct home Iob. Il nous auallera tous & gens & naufz, comme pillules. En ſa grande gueule infernale nous ne luy tiendrons lieu plus que feroit vn grain de dragee muſquee en la gueule d’vn aſne. Voyez le cy. Fuyons, guaignons terre. Ie croy que c’eſt le propre monſtre marin qui feut iadis deſtiné pour deuorer Andromeda. Nous ſommes tous perduz. O que pour l’occire præſentement feuſt icy quelque vaillant Perſeus[156]. Perſé ius par moy ſera, reſpondit Pantagruel. N’ayez paour. Vertus Dieu, diſt Panurge, faictez que ſoyons hors les cauſes de paour. Quand voulez vous que i’aye paour, ſinon quand le dangier eſt euident. Si telle eſt (diſt Pantagruel) voſtre deſtinee fatale, comme naguieres expoſoit frere Ian[157], vous doibuez paour auoir de Pyrœis, Heoüs, Æthon, Phlegon celebres cheuaulx du Soleil flammiuomes, qui rendent feu par les narines : des Phyſeteres, qui ne iettent qu’eau par les ouyes & par la gueule, ne doibuez paour aulcune auoir. Ia par leur eau ne ſerez en dangier de mort. Par ceſtuy element plus touſt ſerez guaranty & conſeruez que faſché ne offenſé.

A l’aultre, diſt Panurge. C’eſt bien rentré de picques noires. Vertus d’vn petit poiſſon, ne vous ay ie aſſez expoſé la tranſmutation des elemens, & le facile ſymbole[* 105] qui eſt entre rouſt & bouilly, entre bouilly & rouſty[158] ? Halas. Voy le cy. Ie m’en voys cacher là bas. Nous ſommes tous mors à ce coup Ie voy ſus la hune Atropos[* 106] la felonne auecques ſes cizeaulx de frays eſmouluz preſte à nous tous coupper le filet de vie. Guare. Voy le cy. O que tu es horrible & abhominable. Tu en as bien noyé d’aultres, qui ne s’en ſont poinct vantez. Dea s’il iectoit vin bon, blanc, vermeil, friant, delicieux, en lieu de ceſte eau amere, puante, ſallee, cela ſeroit tollerable aulcunement : & y ſeroit aulcune occaſion de patience, à l’exemple de celluy milourt Anglois[159], auquel eſtant faict commendement pour les crimes des quelz eſtoit conuaincu, de mourir à ſon arbitraige, eſleut mourir nayé dedans vn tonneau de Laueſie. Voy le cy. Ho ho Diable Sathanas, Leuiathan. Ie ne te peuz veoir, tant tu es ideux & deteſtable. Veſtz à l’audience : veſtz aux Chiquanous.


Comment par Pantagruel feut deſſaict le monſtrueux
Phyſetere.


Chapitre XXXIIII.


Le Phyſetere entrant dedans les brayes & angles des naufz & Guallions, iectoit ſur les premieres à pleins tonneaulx, comme ſi feuſſent les Catadupes du Nil[* 107] en Æthiopie. Dards, Dardelles, iauelotz, eſpieux, Corſecques, Partuiſanes, voloient ſus luy de tous couſtez. Frere Ian ne ſe y eſpargnoit. Panurge mouroit de paour. L’artillerie tonnoit & fouldroyoit en Diable, & faiſoit ſon debuoir de le pinſer ſans rire. Mais peu profitoit : car les gros boulletz de fer & de bronze entrans en ſa peau ſembloient fondre à les veoir de loing, comme font les tuilles au Soleil. Allors Pantagruel conſiderant l’occaſion & neceſſité, deſploye ſes braz, & monſtre ce qu’il ſçauoit faire.

Vous dictez, & eſt eſcript, que le truant Commodus empereur de Rome, tant dextrement tiroit de l’arc, que de bien loing il paſſoit les fleches entre les doigts des ieunes enfans leuans la main en l’air, ſans aulcunement les ferir. Vous nous racontez auſſi d’un archier Indian on temps que Alexandre le grand conqueſta Indie, lequel tant eſtoit de traire perit, que de loing il paſſoit les fleches par dedans vn anneau : quoy qu’elles feuſſent longues de troys coubtees : & feuſt le fer d’icelles tant grand & poiſant, qu’il en perſoit brancs d’aſſier, boucliers eſpoys, plaſtrons aſſerez : tout generalement qu’il touchoit, tant ferme, reſiſtant dur, & valide feuſt, que ſçauriez dire. Vous nous dictez auſſi merueilles de l’induſtrie des anciens François, les quelz à tous eſtoient en l’art ſagittaire preferez : & les quelz en chaſſe de beſtes noires & rouſſes frotoient le fer de leurs fleches auecques Ellebore : pour ce que de la venaiſon ainſi ſerue la chair plus tendre, friande, ſalubre, & delicieuſe eſtoit : cernant toutesfoys & houſtant la partie ainſi attaincte tout au tour. Vous faictez pareillement narré des Parthes, qui par darriere tiroient plus ingenieuſement, que ne faiſoient les aultres nations en face. Auſſi celebrez vous les Scythes en ceſte dexterité. De la part des quelz iadis vn Ambaſſadeur enuoyé à Darius Roy des Perſes, luy offrit vn oyſeau, vne grenoille, vne ſouriz, & cinq fleches, ſans mot dire. Interrogé que pretendoient telz preſens, & s’il auoit charge de rien dire, reſpondit que non. Dont reſtoit Darius eſtonné & hebeté en ſon entendement, ne fuſt que l’vn des ſept capitaines qui auoient occis les Mages, nommé Gobryes luy expoſa & interpreta diſant. Par ces dons & offrandes vous diſent tacitement les Scythes. Si les Perſes comme oyſeaulx ne volent au ciel, ou comme ſouriz ne ſe cachent vers le centre de la terre : ou ne ſe muſſent on profond des eſtangs & paluz, comme grenoilles, tous ſeront à perdition muis par la puiſſance & ſagettes des Scythes[160].

Le noble Pantagruel en l’art de iecter & darder eſtoit ſans comparaiſon plus admirable. Car auecques ſes horribles piles, & dards (les quelz proprement reſſembloient aux groſſes poultres ſus les quelles ſont les pons de Nantes, Saulmur, Bergerac, & à Paris les pons au Change & aux Meuſniers ſouſtenuz, en longueur, groſſeur, poiſanteur & ferrure) de mil pas loing il ouuroit les huytres en eſcalle ſans toucher les bords : il eſmouchoit vne bougie ſans l’extaindre : frappoit les Pies par l’œil : deſſemeloit les bottes ſans les endommaiger : deſſourroit les barbutes ſans rien guaſter : tournoit les feuilletz du breuiaire de frere Ian l’vn apres l’aultre ſans rien deſſirer. Auecques telz dards, des quelz eſtoit grande munition dedans ſa nauf, au premier coup il enferra le Phyſetere ſus le front de mode qu’il luy tranſperça les deux maſchouoires & la langue, ſi que plus ne ouurit la gueule, plus ne puyſa, plus ne iecta eau. Au ſecond coup il luy creua l’œil droict : Au troizieme l’œil guauſche. Et feut veu le Phyſetere en grande iubilation de tous porter ces troys cornes au front quelque peu panchantes dauant, en figure triangulaire æquilaterale : & tournoyer d’vn couſté & d’aultre, chancellant & fouruoyant, comme eſtourdy, aueigle, & prochain de mort. De ce non content luy en darda vn aultre ſus la queue panchant pareillement en arriere. Puys troys aultres ſus l’eſchine en ligne perpendiculaire[* 108], par eſquale diſtance de queue & bac troys foys iuſtement compartie. En fin luy en lança ſus les flancs cinquante d’vn couſté, & cinquante de l’aultre. De maniere que le corps du Phyſetere ſembloit à la quille d’vn guallion à troys gabies emmortaiſees par competente dimenſion de ſes poultres, comme ſi feuſſent coſſes & porte hauſbancs de la carine. Et eſtoit choſe moult plaiſante à veoir. Adoncques mourant le Phyſetere ſe renuerſa ventre ſus dours, comme ſont tous poiſſons mors : & ainſi renuerſé les poultres contre bas en mer reſſembloit au Scolopendre ſerpent ayant cent pieds, comme le deſcript le ſaige ancien Nicander[161].


Comment Pantagruel deſcend en l’iſle Farouche[162],
manoir antique des Andouilles.


Chapitre XXXV.


Les Heſpailliers de la nauf Lanterniere amenerent le Phyſetere lié en terre de l’iſle prochaine dicte Farouche, pour en faire anatomie, & recueillir la greſſe des roignons : laquelle diſoient eſtre fort vtile & neceſſaire à la gueriſon de certaine maladie, qu’ilz nommoient Faulte d’argent. Pantagruel n’en tint compte, car aultres aſſez pareilz, voyre encores plus enormes, auoit veu en l’Ocean Gallicque. Condeſcendit toutesfoys deſcendre en l’iſle Farouche, pour ſeicher, & refraiſchir aulcuns de ſes gens mouillez & ſouillez par le vilain Phyſetere, à vn petit port deſert vers le midy ſitué lez vne touche de boys haulte, belle, & plaiſante : de laquelle ſortoit vn delicieux ruiſſeau d’eau doulce, claire, & argentine. Là deſſoubs belles tentes feurent les cuiſines dreſſees, ſans eſpargne de boys. Chaſcun mué de veſtemens à ſon plaiſir, feut par frere Ian la campanelle ſonnee. Au ſon d’icelle feurent les tables dreſſees & promptement ſeruies.

Pantagruel dipnant auecques ſes gens ioyeuſement, ſus l’apport de la ſeconde table apperceut certaines petites Andouilles affaictees grauir & monter ſans mot ſonner ſus vn hault arbre pres le retraict du guoubelet, ſi demanda à Xenomanes, Quelles beſtes ſont ce là ? penſant que feuſſent Eſcurieux, Belettes, Martres, ou Hermines. Ce ſont Andouilles, reſpondit Xenomanes. Icy eſt l’iſle Farouche, de laquelle ie vous parlois à ce matin : entre les quelles & Quareſmeprenant leur maling & antique ennemy eſt guerre mortelle de long temps. Et croy que par les canonnades tirees contre le Phyſetere ayent eu quelque frayeur & doubtance que leur dict ennemy icy feuſt auecques ſes forces pour les ſurprendre, ou faire le guaſt parmy ceſte leur iſle, comme ià pluſieurs foys s’eſtoit en vain efforcé & à peu de profict, obſtant le ſoing & vigilance des Andouilles : les quelles (comme diſoit Dido aux compaignons d’Æneas voulens prendre port en Cartage ſans ſon ſceu & licence) la malignité de leur ennemy, & vicinité de ſes terres contraignoient ſoy continuellement contreguarder & veigler. Dea bel amy (diſt Pantagruel) ſi voyez que par quelque honeſte moyen puiſſions fin à ceſte guerre mettre, & enſemble les reconcilier, donnez m’en aduis. Ie me y emploiray de bien bon cœur : & n’y eſpargneray du mien pour contemperer & amodier les conditions controuerſes entre les deux parties.

Poſſible n’eſt pour le præſent, reſpondit Xenomanes. Il y a enuiron quatre ans que paſſant par cy & Tapinois ie me mis en debuoir de traicter paix entre eulx, ou longues treues pour le moins : & ores feuſſent bons amis & voiſins, ſi tant l’vn comme les aultres ſoy feuſſent deſpouillez de leurs affections en vn ſeul article. Quareſmeprenant ne vouloit on traicté de paix comprendre les Boudins ſauluaiges, ne les Saulciſſons montigenes[* 109] leurs anciens bons comperes & confœderez. Les Andouilles requeroient que la fortereſſe de Cacques feuſt par leur diſcretion, comme eſt le chaſteau de Sallouoir, regie & gouuernee : & que d’icelle feuſſent hors chaſſez ie ne ſçay quelz puans, villains aſſaſſineurs, & briguans qui la tenoient. Ce que ne peut eſtre accordé, & ſembloient les conditions iniques à l’vne & à l’aultre partie. Ainſi ne feut entre eux l’apoinctement conclud. Reſterent toutesfoys moins ſeueres & plus doulx ennemis, que n’eſtoient par le paſſé. Mais depuys la denonciation du concile national de Cheſil, par laquelle elles feurent farfouillees, guodelurees, & intimees : par laquelle auſſi feut Quareſmeprenant declairé breneux hallebrené & ſtocfiſé en cas que auecques elles il feiſt alliance ou appoinctement aulcun, ſe ſont horrificquement aigriz, enuenimez, indignez, & obſtinez en leurs couraiges : & n’eſt poſſible y remedier. Plus touſt auriez vous les chatz & ratz : les chiens & les lieures enſemble reconcilié.


Comment par les Andouilles farouches eſt dreſſee
embuſcade contre Pantagruel.


Chapitre XXXVI.


Ce diſant Xenomanes, frere Ian aperceut vingt & cinq ou trente ieunes Andouilles de legiere taille ſus le haure ſoy retirantes le grand pas vers leur ville, citadelle, chaſteau, & rocquette de Cheminees, & diſt à Pantagruel. Il y aura icy de l’aſne, ie le preuoy. Ces Andouilles venerables vous pourroient par aduenture prendre pour Quareſmeprenant, quoy qu’en rien ne luy ſembliez. Laiſſons ces repaiſſailles icy, & nous mettons en debuoir de leurs reſiſter. Ce ne ſeroit, diſt Xenomanes, pas trop mal faict. Andouilles ſont Andouilles, touiſours doubles & traitreſſes. Adoncques ſe lieue Pantagruel de table pour deſcouurir hors la touche de boys : puys ſoubdain retourne, & nous aſceure auoir à guauſche deſcouuert vne embuſcade d’Andouilles farfelues, & du couſté droict à demie lieue loing de là vn gros bataillon d’aultres puiſſantes & Gigantales Andouilles le long d’vne petite colline furieuſement en bataille marchantes vers nous au ſon de vezes & piboles, des guogues & des veſſies, des ioyeulx pifres & tabours, des trompettes & clairons. Par la coniecture de ſoixante & dixhuict enſeignes qu’il y comptoit, eſtimions leur nombre n’eſtre moindre de quarante & deux mille. L’ordre qu’elles tenoient, leur fier marcher, & faces aſceurées nous faiſoient croire, que ce n’eſtoient Friquenelles : mais vieilles Andouilles de guerre. Par les premières fillieres iusques pres les enſeignes eſtoient toutes armees à hault appareil, auecques picques petites, comme nous ſembloit de loing, toutesfoys bien poinctues & aſſerees, ſus les aeſles eſtoient flancquegees d’vn grand nombre de Boudins ſyluaticques, de Guodiueaux maſſifz, & Saulciſſons à cheual, tous de belle taille, gens inſulaires, Bandouilliers, & Farouches.

Pantagruel feut en grand eſmoy, & non ſans cauſe : quoy que Epiſtemon luy remonſtraſt que l’vſance & couſtume du pays Andouillois pouoit eſtre ainſi chareſſer & en armes recepvoir leurs amis eſtrangiers : comme font les nobles roys de France par les bonnes villes du royaulme repceuz & ſaluez à leurs premières entrees apres leur ſacre, & nouuel aduenement à la couronne. Par aduenture, diſoit il, eſt ce la guarde ordinaire de la Royne du lieu, laquelle aduertie par les ieunes Andouilles du guet que veiſtes ſus l’arbre, comment en ce port ſurgeoit le beau & pompeux conuoy de vos vaiſſeaulx, a penſé que là doibuoit eſtre quelque riche & puiſſant Prince : & vient vous viſiter en perſone. De ce non ſatisfaict Pantagruel aſſembla ſon conſeil, pour ſommairement leurs aduis entendre ſus ce que faire debuoient en ceſtuy eſtris d’eſpoir incertain, & craincte euidente.

Adoncques briefuement leurs remonſtra comment telles manieres de recueil en armes auoit ſouuent porté mortel preiudice ſoubzs couleur de chareſſe & amitié. Ainſi (diſoit il) l’empereur Antonin Caracalle a l’une foys occiſt les Alexandrins : à l’autre desfit la compaignie de Artaban roy des Perſes, ſoubs couleur & fiction de vouloir ſa fille eſpouſer. Ce que ne reſta impuny : car peu apres il y perdit la vie[163]. Ainſi les enfans de Iacob pour vanger le rapt de leur ſœur Dyna, ſacmenterent les Sichimiens[164]. En ceſte hypocritique[* 110] façon par Galien empereur Romain feurent les gens de guerre desfaicts dedans Conſtantinople. Ainſi ſoubs eſpece d’amitié Antonius attira Artavaſdes roy de Armenie : puys le feiſt lier & enferrer de groſſes chaiſnes : finablement le feiſt occire[165]. Mille aultres pareilles hiſtoires trouvons nous par les antiques monumens. Et à bon droict eſt iusques à præſent de prudence grandement loué Charles roy de France ſixieme de ce nom, lequel retournant victorieux des Flamens & Gantois en ſa bonne ville de Paris, & au Bourget en France entendent que les Pariſiens avecques leurs mailletz (dont feurent ſurnommez Maillotins) eſtoient hors la ville iſſuz en bataille iusques au nombre de vingt mille combatans, ne y voulut entrer, quoy qu’ilz remonſtraſſent que ainſi s’eſtoient mis en armes pour plus honorablement le recueillir ſans aultre fiction ne mauvaiſe affection, que premierement ne ſe feuſſent en leurs maiſons retirez & deſarmez.


Comment Pantagruel manda querir les capitaines Riflandouille & Tailleboudin : auecques vn notable diſcours ſus les noms propres des lieux & des perſones.


Chapitre XXXVII.


La reſolution du conſeil feut, qu’en tout euenement ils ſe tiendroient ſus leurs guardes. Lors par Carpalim & Gymnaſte au mandement de Pantagruel feurent appellez les gens de guerre qui eſtoient dedans la nauf Brindiere, (des quelz coronel eſtoit Riflandouille) & Portoueriere[166] (des quelz coronel eſtoit Tailleboudin le ieune). Ie ſoulaigeray, diſt Panurge, Gymnaſte de ceſte poine. Auſſi bien vous eſt icy ſa præſence neceſſaire. Par le froc que ie porte (dis frere Ian) tu te veulx abſenter du combat, Couillu, & ià ne retourneras, ſus mon honneur. Ce n’eſt mie grande perte. Auſſi bien ne feroit il que pleurer, lamenter, crier, & deſcouraiger les bons ſoubdars. Ie retourneray certes, diſt Panurge, frere Ian mon pere ſpirituel, bien touſt. Seulement donnez ordre à ce que ces faſcheuſes Andouilles ne grimpent ſus les naufz. Ce pendent que combaterez, ie priray Dieu pour voſtre victoire, à l’exemple du cheualereux capitaine Moſes conducteur du peuple Iſraelicque.

La denomination, diſt Epiſtemon à Pantagruel, de ces deux voſtres coronelz Riflandouille & Tailleboudin en ceſtuy conflict nous promect aſceurance, heur, & victoire, ſi par fortune ces Andouilles nous vouloient oultrager. Vous le prenez bien (diſt Pantagruel) Et me plaiſt que par les noms de nos coronelz vous præuoiez & prognoſticquez la noſtre victoire. Telle maniere de prognoſticquer par noms n’eſt moderne. Elle feut iadis celebre & religieuſement obſeruee par les Pythagoriens. Pluſieurs grands ſeigneurs & empereurs en ont iadis bien faict leur profict. Octauian Auguſte[167] ſecond empereur de Rome quelque iour rencontrant vn paiſant nommee Authyche, c’eſt à dire Bienfortuné, qui menoit vn aſne nommé Nicon, c’eſt en langue Grecque Victorien, meu de la ſignification des noms tant de l’aſnier que de l’aſne ſe aſceura de toute proſperité, felicité, & victoire. Veſpaſian[168] empereur pareillement de Rome eſtant vn iour ſeulet en oraiſon on temple de Serapis, à la veue & venue inopinee d’vn ſien ſeruiteur nommé Baſilides, c’eſt à dire Royal, lequel il auoit loing darriere laiſſé malade, print eſpoir & aſceurance de obtenir l’empire Romain. Regilian non pour aultre cauſe ne occaſion feut par ſes gens de guerre eſleu Empereur, que par ſignification de ſon propre nom. Voyez le Cratyle[169] du diuin Platon. (Par ma ſoif[170], diſt Rhizotome, ie le veulx lire. Ie vous oy ſouuent le alleguant.) Voyez comment les Pythagoriens par raiſon des noms & nombres concluent que Patroclus doibuoit eſtre occis par Hector : Hector par Achilles : Achilles par Paris : Paris par Philoctetes.

Ie ſuys tout confus en mon entendement, quand ie penſe en l’inuention admirable de Pythagoras[171], lequel par le nombre par ou impar des ſyllabes d’un chaſcun nom propre expoſoit de quel couſté eſtoient les humains boyteulx, boſſus, borgnes, goutteux, paralytiques, pleuritiques, & autres telz malefices en nature : ſçauoir eſt aſſignant le nombre par au couſté guauſche du corps, le impar au dextre. Vrayment, diſt Epiſtemon, i’en veids l’experience à Xainctes en une proceſſion generale, præſent le tant bon, tant vertueux, tant docte & equitable præſident Briend Valee ſeigneur du Douhet. Paſſant un boiteux ou boiteuſe, un borgne ou borgneſſe, un boſſu ou boſſue, on luy rapportoit ſon nom propre. Si les ſyllabes du nom eſtoient en nombre impar, ſoubdain ſans veoir les perſones, il les diſoit eſtre maleficiez borgnes, boiteux, boſſus du couſté dextre. Si elles eſtoient en nombre par, du couſté guauſche. Et ainſi eſtoit à la verité, oncques n’y trouuaſmes exception.

Par ceſte inuention, diſt Pantagruel, les doctes ont affermé que Achilles eſtant à genoulx feut par la fleiche de Paris bleſſé on talon dextre. Car ſon nom eſt de ſyllabes impares. Icy eſt à noter que les anciens ſe agenouilloient du pied dextre. Venus[* 111] par Diomedes dauant Troie bleſſee en la main guauſche, car ſon nom en Grec eſt de quatre ſyllabes. Vulcan boiteux du pied guauſche, par meſmes raiſon. Philippe roy de Macedonie, & Hannibal borgnes de l’œil dextre. Encores pourrions nous particularizer des Iſchies[* 112], Hernies, Hermicraines[* 113], par ceſte raiſon Pythagorique.

Mais pour retourner aux noms conſyderez comment Alexandre le grand filz du roy Philippe duquel auons parlé, par l’interpretation d’un ſeul nom paruint à ſon entreprinſe. Il aſſiegeoit la forte ville de Tyre & la battoit de toutes ſes forces par pluſieurs ſepmaines, mais c’eſtoit en vain. Rien ne profitoient les engins & molitions. Tout eſtoit ſoubdain demoli & remparé par les Tyriens. Dont print phantaſie de leuer le ſiege, auecques grande melancholie voyant en ceſtuy departement perte inſigne de ſa reputation. En tel eſtris & faſcherie ſe endormit. Dormant ſongeoit qu’vn Satyre eſtoit dedans ſa tente danſant & ſaultelant auecques ſes iambes bouquines. Alexandre le vouloit prendre, le Satyre touſiours luy eſchapoit. En fin le Roy le pourſuiuant en vn deſtroict le happa. Sus ce poinct ſe eueigla. Et racontant ſon ſonge aux philoſophes & gens ſçauans de ſa court, entendit que les dieux luy promettoient victoire, & que Tyre bien touſt ſeroit prinſe : car ce mot Satyros diuiſé en deux eſt Sa Tyros, ſignifiant. Tiene eſt Tyre[172]. De faict au premier aſſault qu’il feiſt, il emporta la ville de force & en grande victoire ſubiugua ce peuple rebelle.

Au rebours conſyderez comment par la ſignification d’vn nom Pompee ſe deſeſpera. Eſtant vaincu par Cæſar en la bataille Pharſalique, ne eut moyen aultre de ſoy ſauluer que par fuyte. Fuyant par mer arriua en l’iſle de Cypre. Pres la ville de Paphos apperceut ſus le riuage vn palais beau & ſumptueux. Demandant au pilot comment l’on nommoit ceſtuy palais, entendit qu’on le nommoit Καϰοϐασιλεα, c’eſt à dire, Malroy. Ce nom luy feut en tel effroy & abomination, qu’il entra en deſeſpoir, comme aſceuré de ne euader que bien touſt ne perdiſt la vie. De mode que les aſſiſtans & nauchiers ouirent ſes cris, ſouſpirs, & gemiſſemens. De faict peu de temps apres vn nommé Achillas paiſant incongneu luy trancha la teſte. Encores pourrions nous à ce propous alleguer ce que aduint à L. Paulus Æmylius[173], lors que par le ſenat Romain feut eſleu Empereur, c’eſt à dire chef de l’armee, qu’ilz enuoyoient contre Perſes roy de Macedonie. Icelluy iour ſus le ſoir retournant en ſa maiſon pour ſoy apreſter au deſlogement, baiſant vne ſiene fille nommée Tratia, aduiſa qu’elle eſtoit aulcunement triſte. Qui a il, (diſt il) ma Tratia ? Pourquoy es tu ainſi triſte & faſchee ? Mon pere (reſpondit elle) Perſa eſt morte. Ainſi nommoit elle vne petite chiene, qu’elle auoit en delices. A ce mot print Paulus aſceurance de la victoire contre Perſes. Si le temps permettoit que puiſſions diſcourir par les ſacres bibles des Hebreux, nous trouuerions euidemment cent paſſages inſignes nous monſtrans euidemment en quelle obſeruance & religion leurs eſtoient les noms propres auecques leurs ſignifications.

Sus la fin de ce diſcours arriuerent les deux coronelz accompaignez de leurs ſoubdars tous bien armez, & bien deliberez. Pantagruel leurs feiſt vne briefue remonſtrance, à ce qu’ilz euſſent à ſoy monſtrer vertueux au combat, ſi par cas eſtoient contraincts (car encores ne pouoit il croire que les Andouilles feuſſent ſi traiſtreſſes) auecques defenſe de commencer le hourt : & leur bailla Mardigras pour mot du guet.


Comment Andouilles ne ſont à meſpriſer entre les
humains.


Chapitre XXXVIII.


Vovs truphez icy, Beuueurs, & ne croyez que ainſi ſoit en verité comme ie vous raconte. Ie ne ſçaurois que vous en faire. Croyez le ſi voulez : ſi ne voulez, allez y veoir. Mais ie ſçay bien ce que ie veidz. Ce feut en l’iſle Farouche. Ie la vous nomme. Et vous reduiſez à memoire la force des Geans antiques, les quelz entreprindrent le hault mons Pelion impoſer ſur Oſſé, & l’vmbrageux Olympe auecques Oſſé enuelopper, pour combattre les dieux, & du ciel les deniger. Ce n’eſtoit force vulgaire ne mediocre. Iceulx toutesfoys n’eſtoient que Andouilles pour la moitié du corps, ou Serpens que ie ne mente. Le ſerpens qui tua Eue, eſtoit andouillicque, ce nonobſtant eſt de luy eſcript, qu’il eſtoit fin & cauteleux ſus tous aultres animans. Auſſi ſont Andouilles. Encores maintient on en certaines Academies que ce tentateur eſtoit l’andouille nommee Ithyphalle, en laquelle feut iadis transformé le bon meſſer Priapus grand tentateur des femmes par les paradis en Grec, ce ſont Iardins en François. Les Souiſſes peuple maintenant hardy & belliqueux, que ſçauons nous ſi iadis eſtoient Saulciſſes ? ie n’en vouldroys pas mettre le doigt on feu. Les Himantopodes peuple en Æthiopie bien inſigne ſont Andouilles ſcelon la deſcription de Pline[174], non autre choſe. Si ces diſcours ne ſatisfont à l’incredulité de vos ſeigneuries, preſentement (i’entends apres boyre) viſitez Luſignan, Partenay, Vouant, Meruant, & Ponzauges en Poictou. Là trouuerrez teſmoings vieulx de renom & de la bonne forge, les quelz vous iureront ſus le braz ſainct Rigomé, que Melluſine leur premiere fondatrice auoit corps fœminin iusques aux bourſauitz, & que le reſte en bas eſtoit andouille ſerpentine, ou bien ſerpent andouillicque[175]. Elle toutesfoys auoit alleure braues & guallantes : les quelles encore auiourd’huy ſont imitées par les Bretons balaldins danſans leurs trioriz fredonnizez. Quelle feut la cauſe pourquoy Erichthonius premier inuenta les coches[176], Lectieres, & charriotz ? C’eſtoit parce que Vulcan l’auoit engendré auecques iambes de Andouilles : pour lesquelles cacher mieulx aima aller en lectiere que à cheual. Car encores de ſon temps ne eſtoient Andouilles en reputation. La nymphe Scythicque Ora[177] auoit pareillement le corps my party en femme & en Andouille. Elle toutesfoys tant ſembla belle à Iuppiter, qu’il coucha auecques elle & en eut vn beau filz nommé Colaxes. Ceſſez pourtant icy plus vous trupher, & croyez qu’il n’eſt rien ſi vray[178] que l’Euangile.


Comment frere Ian ſe raillie auecques les cuiſiniers
pour combatre les Andouilles.


Chapitre XXXIX.


Voyant frere Ian ces furieuſes Andouilles ainſi marcher dehayt, diſt à Pantagruel. Ce ſera icy vne belle bataille de foin, à ce que ie voy. Ho le grand honneur & louanges magnificques qui ſeront en noſtre victoire. Ie vouldrois que dedans voſtre nauf feuſſiez de ce conflict ſeulement ſpectateur, & au reſte me laiſſiez faire auecques mes gens. Quelz gens ? demanda Pantagruel. Matiere de breuiaire, reſpondit frere Ian. Pourquoy Potiphar maiſtre queux des cuiſines de Pharaon, celluy qui achapta Ioſeph, & lequel Ioſeph euſt faict coqu, s’il euſt voulu, feut maiſtre de la cauallerie de tout le royaulme d’Ægypte ? Pourquoy Nabuzardan maiſtre cuiſinier du Roy Nabugodonoſor[179] feut entre tous aultres capitaines eſleu pour aſſieger & ruiner Hieruſalem ? I’eſcoute, reſpondit Pantagruel. Par le trou Madame, diſt frere Ian, ie auſerois iurer qu’ilz autres foys auoient Andouilles combatu, ou gens auſſi peu eſtimez que Andouilles : pour les quelles abatre, combatre, dompter, & ſacmenter trop plus ſont ſans comparaiſon cuiſiniers idoines & ſuffiſans, que tous genſdarmes, eſtradiotz, ſoubdars, & pietons du monde.

Vous me refraiſchiſſez la memoire, diſt Pantagruel, de ce que eſt eſcript entre les facecieuſes & ioyeuſes reſponſes de Ciceron[180]. On temps des guerres ciuiles à Rome entre Cæſar & Pompee, il eſtoit naturellement plus enclin à la part Pompeiane, quoy que de Cæſar feuſt requis & grandement fauoriſé. Vn iour entendent que les Pompeians à certaine rencontre auoient faict inſigne perte de leurs gens, voulut viſiter leur camp. En leur camp apperceut peu de force, moins de couraige, & beaucoup de deſordre. Lors præuoyant que tout iroit à mal & perdition comme depuis aduint, commença trupher & mocquer maintenant les vns, maintenant les aultres, auecques brocards aigres & picquans, comme treſbien ſçauoit le ſtyle. Quelques capitaines faiſans des bons compaignons, comme gens bien aſceurez & deliberez luy dirent. Voyez vous combien nous auons encores d’Aigles ? C’eſtoit lors la deuiſe des Romains en temps de guerre. Cela, reſpondit Ciceron, ſeroit bon & à propous, ſi guerre auiez contre les Pies. Donques veu que combatre nous fault Andouilles, vous inferez que c’eſt bataille culinaire, & voulez aux cuiſiniers vous rallier. Faictez comme l’entendez. Ie reſteray icy attendant l’iſſue de ces fanfares.

Frere Ian de ce pas va es tentes des cuiſines, & dict en toute guayeté & courtoiſie aux cuiſiniers. Enfans ie veulx huy vous tous veoir en honneur & triumphe. Par vous ſeront faictes apertiſes d’armes non encores veues de noſtre memoire. Ventre ſus ventre, ne tient on aultre compte des vaillans cuiſiniers ? Allons combatre ces paillardes Andouilles. Ie ſeray voſtre capitaine. Beuuons amis. Cza, couraige. Capitaine (reſpondirent les cuiſiniers) vous dictes bien. Nous ſommes à votres ioly commandement. Soubs voſtre conduicte nous voulons viure & mourir. Viure (diſt frere Ian) bien : mourir, poinct. C’eſt à faire aux Andouilles. Or donques mettons nous en ordre. Nabuzardan vous ſera pour mot du guet.


Comment par frere Ian eſt dreſſee la Truye &
les preux cuiſiniers dedans enclous.


Chapitre XL.


Lors au mandement de frere Ian feut par les maiſtres ingenieux dreſſee la grande Truye, laquelle eſtoit dedans la nauf Bourrabaquiniere[181]. C’eſtoit vn engin mirificque faict de telle ordonnance, que des gros couillarts qui par rancs eſtoient au tour, il iectoit bedaines & quarreaux empenez d’aſſier : & dedans la quadrature duquel pouoient aiſement combatre & à couuert demourer deux cens hommes & plus : & eſtoit faict au patron de la Truye de la Riole[182], moyennant laquelle feut Bergerac prins ſus les Anglois regnant en France le ieune roy Charles ſixieme. Enſuyt le nombre & les noms de preux & vaillans cuiſiniers, les quelz, comme dedans le cheual de Troye, entrerent dedans la Truye.

Saulpicquet. Salezart.
Ambrelin. Maindeguourre.
Guauache. Paimperdu.
Laſcheron. Laſdaller.
Porcauſou. Pochecuilliere.
Creſpelet. Cabirotade.
Maiſtre Hordoux. Carbonnade.
Graſboyau. Freſſurade.
Pillemortier. Hoſchepot. Haſteret.
L’eſcheuin. Balafré. Gualimafré.

Tous ces nobles Cuiſiniers portoient en leurs armoiries en champ de gueulle lardouoire de Sinople feſſee d’vn cheuron argenté penchant à guauſche.

Lardonnet. Lardon. Rond lardon.
Croquelardon. Antilardon.
Tirelardon. Frizelardon.
Graſlardon. Lacelardon.
Sauluealrdon. Grattelardon.
Archilardon. Marchelardon.

Guaillardon, par ſyncope natif pres de Rambouillet. Le nom du docteur culinaire eſtoit Guaillartlardon. Ainſi dictez vous Idolatre pour Idololatre.

Roiddelardon. Bellardon.
Aſtrolardon. Neuflardon.
Doulxlardon. Aigrelardon.
Maſchelardon. Billelardon.
Trappelardon. Guignelardon.
Baſtelardon. Poyſelardon.
Guylleuardon. Vezelardon.

Noms incongneuz entre les Maranes & Iuifz.

Couillu. Paſtiſſandiere.
Salladier. Raflard.
Creſſonnadiere. Francbeuignet.
Raclenaueau. Mouſtardiot.
Cochonnier. Vinetteux.
Peaudeconnin. Potageouart.
Apigratis. Frelault.
Iuſuerd. Eſcarguotandiere.
Marmitige. Bouillonſec.
Accodepot. Souppimars.
Hoſchepot. Eſchinade.
Brizepot. Prezurier.
Guallepot. Macaron.
Frillis. Eſcarſaufle.

Briguaille. Ceſtuy feut de cuiſine tiré en chambre pour le ſeruice du noble cardinal le Veneur.

Guaſteroult. Haſtiueau.
Eſcouuillon. Alloyandiere.
Beguinet. Eſclanchier.
Eſcharbotier. Guaſtelet.
Vitet. Rapimontes.
Vitault. Soufflemboyau.
Vituain. Pelouze.
Ioliuet. Gabaonite.
Vitneuf. Bubarin.
Viſtempenard. Crocodillet.
Victorien. Prelinguant.
Vituieulx. Balafré.
Vituelu. Maſchouré.

Mondam inuenteur de la ſaulſe Madame, & pour telle inuention feut ainſi nommé en languaige Eſcoſſe François.

Clacquedens. Guauffreux.
Baguioincier. Saffranier.
Myrelanguoy. Malparouart.
Becdaſſee. Antitus.
Rincepot. Nauelier.
Vrelelipipingues. Rabiolas.
Maunet. Boudinandiere.
Guodepie. Cochonnet.

Robert. Ceſtuy feut inuenteur de la ſaulſe Robert tant ſalubre & neceſſaire aux Connilz rouſtiz, Canars, Porcfrays, Oeufz pochez, Merluz ſallez, & mille aultres telles viandes.

Froiddanguille. Saulpoudré.
Rougengraye. Paellefrite.
Guourneau. Landore.
Gribouillis. Calabre.
Sacabribes. Nauelet.
Olymbrius. Foyrart.
Foucquet. Groſguallon.
Dalyqualquain. Brenous.
Salmiguondin. Mucydan.
Gringuallet. Matatruys.
Aranſor. Carteuirade.
Talemouſe. Cocquecygrue.
Groſbec. Viſedecache.
Frippelippes. Badelory.
Friantaures. Vedel.
Guaſſelaze. Braguibus.

Dedans le Truye entrerent ces nobles cuiſiniers guaillars, quallans, brusquetz, & prompts au combat. Frere Ian auecques ſon grand badelaire entre le dernier & ferme les portes à reſſort par le dedans.


Comment Pantagruel rompit les Andouilles aux
genoulx.[183]


Chapitre XLI.


Tant approcherent ces Andouilles que Pantagruel apperceut comment elles deſployoient leurs braz, & ia commençoient beſſer boys. Adoncques enuoye Gymnaſte entendre qu’elles vouloient dire, & ſus quelle querelle elles vouloient ſans defiance guerroyer contre leurs amis antiques, qui rien n’auoient mesfaict ne meſdict. Gymnaſte au dauant des premieres fillieres feiſt vne grande & profonde reuerence, & s’eſcria tant qu’il peut diſant. Voſtres, voſtres, voſtres ſommes nous treſtous, & à commandement. Tous tenons de Mardigras, voſtre antique confœderé. Aulcuns depuys me ont raconté, qu’il diſt Gradimars[184] non Mardigras. Quoy que ſoit, à ce mot vn gros Ceruelat ſauluaige & farfelu anticipant dauant le front de leur bataillon le voulut ſaiſir à la guorge. Par Dieu (diſt Gymnaſte) tu n’y entreras qu’à taillons : ainſi entier ne pourrois tu. Si ſacque ſon eſpee Baiſe mon cul (ainſi la nommoit il)[185] à deux mains, & trancha le Ceruelat en deux pieces. Vray Dieu qu’il eſtoit gras. Il me ſoubuint du gros Taureau de Berne[186] qui feut à marignan tué à la desfaicte des Souiſſes. Croyez qu’il n’auoit gueres moins de quatre doigts de lard ſus le ventre.

Ce Ceruelat eceruelé coururent Andouilles ſus Gymnaſte, & le terraſſoient vilainement, quand Pantagruel acourut le grand pas au ſecours. Adoncques commença le combat Martial pelle melle. Riflandouille rifloit Andouilles : Tailleboudin tailloit Boudins. Pantagruel rompoit Andouilles au genoil, Frere Ian ſe tenoit quoy dedans ſa Truye tout voyant & conſyderant, quand les Guodiueaulx qui eſtoient en embuſcade ſortirent tous en grand effroy ſus Pantagruel.

Adoncques voyant frere Ian le deſarroy & tumulte ouure les portes de ſa truye, & ſort auecques ſes bons ſoubdars, les vns portans broches de fer, les aultres tenens landiers, contrehaſtiers, paelles, pales, cocquaſſes, griſles, fourguons, tenailles, lichefretes, ramons, marmites, mortiers, piſtons, tous en ordre comme bruſleurs de maiſons : hurlans & crians tous enſemble eſpouantablement. Nabuzardan, Nabuzardan, Nabuzardan. En tels cris & eſmeute chocquerent les Guodiueaulx, & à trauers les Saulciſſons. Les Andouilles ſoubdain apperceurent ce nouueau renfort, & ſe meirent en fuyte le grand guallot, comme s’elles euſſent veu tous les Diables. Frère Ian à coups de bedaines les abbatoit menu comme mouſches : ſes ſoubdars ne ſe y eſpargnoient mie. C’eſtoit pitié. Le camp eſtoit tout couuert d’Andouilles mortes, ou naurees. Et dict le conte, que ſi Dieu n’y euſt pourueu, la generation Andouillicque eut par ces ſoubdars culinaires toute eſté exterminee. Mais il aduint vn cas merueilleux. Vous en croyrez ce que vouldrez.

Du couſté de la Tranſmontane aduola vn grand, gras, gros, gris pourceau ayant aeſles longues & amples comme ſont les æſles d’vn moulin à vent. Et eſtoit le pennaige rouge cramoiſy, comme eſt d’vn Phœnicoptere : qui en Languegoth eſt appellé Flammant. Les œilz auoit rouges & flamboyans, comme vn Pyrope. Les aureilles verdes comme vne Eſmeraulde praſſine : les dens iaulnes comme vn Topaze : la queue longue noire comme marbre Lucullian[187] : les pieds blancs, diaphanes & tranſparens, comme vn Dimant : & eſtoient largement pattez, comme ſont des Oyes, & comme iadis à Tholoſe les portoit la royne Pedaucque. Et auoit vn collier d’or au coul, au tour du quel eſtoient quelques letres Ionicques, des quelles ie ne peuz lire que deux motz, ϒΣ ΑΘΗΝΑΝ. Pourceau Minerue enſeignant[188]. Le temps eſtoit beau & clair. Mais à la venue de ce monſtre il tonna du couſté guauſche ſi fort, que nous reſtames tous eſtonnez. Les Andouilles ſoubdain que l’apperceurent iecterent leurs armes & baſtons, & à terre toutes ſe agenouillerent, leuantes hault leurs mains ioinctes ſans mot dire, comme ſi elles le adoraſſent. Frere Ian auecques ſes gens frappoit touſiours & embrochoit Andouilles. Mais par le commendement de Pantagruel feut ſonnee retraicte, & ceſſerent toutes armes. Le monſtre ayant pluſieurs foys volé & reuolé entre les deux armées iecta plus de vingt & ſept pippes de mouſtarde en terre : puys diſparut volant par l’air & criant ſans ceſſe. Mardigras, Mardigras, Mardigras.


Comment Pantagruel parlemente auecques Niphleſeth[* 114]
Royne des Andouilles.


Chapitre XLII.


Le monſtre ſuſdict plus ne apparoiſſant, & reſtantes les deux armees en ſilence, Pantagruel demanda parlementer auecques la dame Niphleſeth, ainſi eſtoit nommée la Royne des Andouilles, laquelle eſtoit pres les enſeignes dedans ſon coche. Ce que feut facilement accordé. La Royne deſcendit en terre, & gratieuſement ſalua Pantagruel, & le veid voluntiers. Pantagruel ſoy complaignoit de ceſte guerre. Elle luy feiſt ſes excuſes honeſtement, alleguant que par faulx rapport auoit eſté commis l’erreur : & que ſes eſpions luy auoient denoncé, que Quareſmeprenant leur antique ennemy eſtoit en terre deſcendu, & paſſoit temps à veoir l’vrine des Phyſeteres. Puys le pria vouloir de grace leur pardonner ceſte offenſe alleguant qu’en Andouilles plus touſt l’on trouuaſt merde que fiel : en ceſte conditions, qu’elle & toutes ſes ſucceſſitres Niphleſeth à iamais tiendroient de luy & ſes ſucceſſeurs toute l’iſle & pays à foy & hommaige : obeiroient en tout & par tout à ſes mandemens : ſeroient de ſes amis amies, & de ſes ennemis ennemies : par chaſcun an en recoingnoiſſance de ceſte feaulté luy enuoyroient ſoixante & dixhuict mille Andouilles Royalles pour à l’entree de table le ſeruir ſix moys l’an. Ce que feut par elle faict : & enuoya au lendemain dedans ſix Briguantins le nombre ſuſdict d’Andouilles Royalles au bon Gargantua ſoubs la conduicte de la ieune Niphleſeth Infante de l’iſle. Le noble Gargantua en feiſt præſent & les enuoya au grand Roy de Paris. Mais au changement de l’air, auſſi par faulte de mouſtarde Baulme naturel & reſtaurant d’Andouilles moururent presque toutes. Par l’oltroy & vouloir du grand Roy feurent par monceaulx en un endroict de Paris enterrees, qui iuſques à præſent eſt appellé, la rue pauee d’Andouilles[189].

A la requeſte des Dames de la court Royalle feut Niphleſeth la ieune ſauluee & honorablement traictee. Depuys feut mariee en bon & riche lieu, & feiſt pluſieurs beaulx enfans, dont loué ſoit Dieu.

Pantagruel remercia gratieuſement la royne : pardonna toute l’offenſe : refuſa l’offre qu’elle auoit faict : & luy donna un beau petit couſteau parguoys. Puys curieuſement l’interrogea ſus l’apparition du monſtre ſuſdict. Elle reſpondit que c’eſtoit l’Idee de Mardigras leur dieu tutellaire en temps de guerre, premier fondateur & original de toute la race Andouillicque. Pourtant ſembloit il à un Pourceau, car Andouilles feurent de Pourceau extraictes. Pantagruel demandoit à quel propous & quelle indication curatiue il auoit tant de mouſtarde en terre proiecté. La royne reſpondit, que mouſtarde eſtoit leur Sangreal & Bauſme celeſte : duquel mettant quelque peu dedans les playes des Andouilles terraſſees, en bien peu de temps les naurees gueriſſoient, les mortes reſuſcitoient.

Aultres propous ne tint Pantagruel à la Royne : & ſe retira en ſa nauf. Auſſi feirent tous les bon compaignons auecques leurs armes & leur Truye.


Comment Pantagruel deſcendit en l’iſle de Ruach[* 115].

Chapitre XLIII.


Devx iours apres arriuaſmes en l’iſle de Ruach, & vous iure par l’eſtoille Pouſſiniere[190], que ie trouuay l’eſtat & la vie du peuple eſtrange plus que ie ne diz. Ilz ne viuent que de vent. Rien ne beuuent, rien ne mangent, ſi non vent. Ilz n’ont maiſons que de gyrouettes. En leurs iardins ne ſement que les troys eſpeces de Anemone. La Rue & aultres herbes carminatiues[* 116] ilz en eſcurent ſoingneuſement. Le peuple commun pour ſoy alimenter vſe de eſuentoirs de plumes, de papier, de toille, ſcelon leur faculté, & puiſſance. Les riches viuent de moulins à vent. Quand ilz font quelque feſtin ou banquet, on dreſſe les tables ſoubs vn ou deux moulins à vent. Là repaiſſent aiſes comme à nopces. Et durant leur repas diſputent de la bonté, excellence, ſalubrité, rarité des vens, comme vous Beuueurs par les banquetz philoſofez en matiere de vins. L’vn loue le Siroch, l’aultre le Beſch, l’aultre le Guarbin, l’aultre la Bize, l’aultre Zephyre, l’aultre Gualerne. Ainſi des aultres. L’aultre le vent de la chemiſe[191] pour les muguetz & amoureux. Pour les malades ilz vſent de vent couliz comme de couliz on nourriſt les malades de noſtre pays. O (me diſoyt vn petit enflé) qui pourroyt auoir vne veſſye de ce bon vent de Languegoth que l’on nomme Cyerce. Le noble Scurron medicin paſſant vn iour par ce pays nous contoit qu’il eſt ſi fort qu’il renuerſe les charrettes chargées. O le grand bien qu’il feroit à ma iambe Oedipodicque[* 117]. Les groſſes ne ſont les meilleures. Mais (diſt Panurge) vne groſſe botte de ce bon vin de Languegoth qui croiſt à Mireuaulx, Canteperdris, & Frontignan.

Ie y veiz vn home de bonne apparence bien reſemblant à la Ventroſe, amerement courrouſſé contre vn ſien gros grand varlet, & vn petit paige, & les battoit en Diable à grands coups de brodequin. Ignorant la cauſe du courroux penſois que feuſt par le conſeil des medicins, comme choſe ſalubre au maiſtre ſoy courrouſſer & battre : aux varletz, eſtre battuz. Mais ie ouyz qu’il reprochoit aux varletz luy auoir eſté robbé à demy vne oyre de vent Guarbin, laquelle il guardoit cherement comme viande rare pour l’arrière ſaiſon. Ilz ne fiantent, ilz ne piſſent, ilz ne crachent en ceſte iſle. En recompenſe ilz veſnent, ilz pedent, ilz rottent copieuſement. Ilz patiſſent toutes ſortes & toutes eſpeces de maladies. Auſſi toute maladie naiſt & procede de ventoſité, comme deduyt Hippocrates lib. de Flatibus. Mais la plus epidemiale eſt la cholicque venteuſe. Pour y remedier vſent de ventoſes amples, & y rendent fortes ventoſitez. Ilz meurent tous Hydropicques tympanites. Et meurent les homes en pedent, les femmes en veſnent. Ainſi leur ſort l’ame par le cul.

Depuys nous pourmenans par l’iſle rencontraſmes troys gros eſuentez les quelz alloient à l’eſbat veoir les pluuiers, qui là ſont en abondance & viuent de meſmes diete. Ie aduiſay que ainſi comme vous Beuueurs allans par pays portez flaccons, ferrieres, & bouteilles, pareillement chaſcun à ſa ceincture portoit vn beau petit ſoufflet. Si par cas vent leurs failloit, auecques ces ioliz ſouffletz ilz en forgeoient de tout frays, par attraction & expulſion reciprocque, comme vous ſçauez que vent en eſſentiale definition n’eſt aultre choſe que air flottant & vndoyant.

En ce moment de par leur Roy nous feut faict commandement que de troys heures n’euſſions à retirer en nos nauires home ne femme du pays. Car on luy auoit robbé vne veze plene du vent propre que iadis à Vlyſſes donna le bon ronfleur Æolus[* 118] pour guider ſa nauf en temps calme. Lequel il guardoit religieuſement, comme vn aultre Sangreal, & en gueriſſoyt pluſieurs enormes maladies : ſeulement en laſchant & elargiſſant es malades autant qu’en fauldroit pour forger vn pet virginal : c’eſt ce que les Sanctimoniales[* 119] appellent ſonnet[192].


Comment petites pluyes abattent les grans vents.

Chapitre XLIIII.


Pantagrvel louoyt leur police & maniere de viure, & diſt à leur poteſtat Hypenemien[* 120]. Si recepuez l’opinion de Epicurus, diſant le bien ſouuerain conſiſter en volupté, Volupté, diz ie, facile & non penible, ie vous repute bien heureux. Car voſtre viure qui eſt de vent, ne vous couſte rien ou bien peu, il ne fault que ſouffler. Voyre, reſpondit le Poteſtat. Mais en ceſte vie mortelle rien n’eſt beat de toutes pars[193]. Souuent quand ſommes à table nous alimentans de quelque bon & grand vent de Dieu, comme de Manne celeſte, aiſes comme peres[194], quelque petite pluye ſuruient, la quelle nous le tolliſt & abat. Ainſi ſont maints repas perduz par faulte de victuailles. C’eſt, diſt Panurge, comme Ienin de Quinquenays piſſant ſus le feſſier de ſa femme Quelot abatit le vent punays, qui en ſortoit comme d’vne magiſtrale Æolopyle[* 121]. I’en feys nagueres vn dizain iolliet.

Ienin taſtant vn ſoir ſes vins nouueaulx
Troubles encor & bouillans en leur lie,

Pria Quelot apreſter des naueaulx
A leur ſoupper, pour faire chere lie.
Cela feut faict. Puys ſans melancholie
Se vont coucher, belutent, prenent ſome.
Mais ne pouant Ienin dormir en ſomme
Tant fort veſnoit Quelot, & tant ſouuent,
La compiſſa. Puys voylà, diſt il, comme
Petite pluie abat bien vn grand vent.

Nous d’aduentaige (diſoit le Poteſtat) auons vne annuelle calamité bien grande & dommaigeable. C’eſt qu’vn geant nommé Bringuenarilles[* 122], qui habite en l’iſle de Tohu, annuellement par le conſeil de ſes medicins icy ſe tranſporte à la prime Vere, pour prendre purgation : & nous deuore grand nombre de moulins à vent, comme pillules, & de ſouffletz pareillement, des quelz il eſt fort friant. Ce que nous vient à grande miſere : & en ieuſnons troys ou quatre quaremes par chaſcun an : ſans certaines particulières rouaiſons & oraiſons. Et n’y ſçauez vous, demandoit Pantagruel, obuier ? Par le conſeil, reſpondit le Poteſtat, de nos maiſtres Mezarims, nous auons mis en la ſaiſon qu’il a de couſtume icy venir, dedans les moulins force cocqs & force poulles. A la première foys qu’il les aualla, peu s’en fallut, qu’il n’en mouruſt. Car ilz luy chantoient dedans le corps, & luy voloient à trauers l’eſtomach, dont tomboit en lipothymie[* 123], cardiacque paſſion, & conuulſion horrificque & dangereuſe : comme ſi quelque ſerpens luy feuſt par la bouche entré dedans l’eſtomach. Voyla, diſt frere Ian, vn comme mal à propous, & incongru. Car i’ay aultresfoys ouy dire, que le ſerpens entré dedans l’eſtomach ne faict deſplaiſir aulcun, & ſoubdain retourne dehors, ſi par les pieds on pend le patient, luy præſentant pres la bouche vn paeſlon plein de laict chaud. Vous, diſt Pantagruel, l’auez ouy dire : auſſi auoient ceulx qui vous l’ont raconté. Mais tel remède ne feut oncques veu ne leu. Hippocrates lib. 5. Epid. eſcript le cas eſtre de ſon temps aduenu : & le patient ſubit eſtre mort par ſpaſme & conuulſion.

Oultre plus, diſoit le Poteſtat, tous les Renards du pays luy entroient en gueule pourſuyuans les gelines, & treſpaſſoit à tous momens, ne feuſt que par le conſeil d’vn Badin enchanteur, à l’heure du paroxyſme[* 124] il eſcorchoit vn Renard pour antidote & contrepoiſon.

Depuys eut meilleur aduis, & y remedie moyennant vn clyſtere qu’on luy baille faict d’vne decoction de grains de bled & de millet, es quelz accourent les poulles, enſemble de fayes d’oyſons es quelz accourent les Renards. Auſſi des pillules qu’il prent par la bouche, compoſees de leuriers & de chiens terriers. Voyez là noſtre malheur. N’ayez paour gens de bien (diſt Pantagruel) deſormais. Ce grand Bringuenarilles aualleur de moulins à vent eſt mort. Ie le vous aſceure. Et mourut ſuffocqué & eſtranglé mangeant vn coin de beurre frays à la gueule d’vn four chault par l’ordonnance des Medicins[195].


Comment Pantagruel deſcendit en l’iſle des Papefigues[196].

Chapitre XLV.


Av lendemain matin recontraſmes l’iſle des Papefigues. Lesquelz iadis eſtoient riches & libres, & les nommoit on Guaillardetz, pour lors eſtoient paouures, mal heureux, & ſubiectz aux Papimanes. L’occaſion auoit eſté telle. Vn iour de feſte annuelle à baſtons, les Bourguemaiſtres, Syndicz & gros Rabiz Guaillardetz eſtoient allez paſſer temps & veoir la feſte en Papimanie, iſle prochaine. L’vn d’eulx voyant le protraict Papal (comme eſtoit de louable couſtume publicquement le monſtrer es iours de feſte à doubles baſtons) luy feiſt la figue[197]. Qui eſt en icelluy pays ſigne de contempnement & deriſion manifeſte. Pour icelle vanger les Papimanes quelques iours apres ſans dire guare, ſe mirent tous en armes, ſurprindrent, ſaccaigerent, & ruinerent toute l’iſle des Guaillardetz : taillerent à fil d’eſpee tout home portant barbe. Es femmes & iouuencaulx pardonnerent auecques condition ſemblable à celle dont l’empereur Frederic Barberouſſe iadis vſa enuers les Milanois[198].

Les Milanois s’eſtoient contre luy abſent rebellez, & auoient l’Imperatrice ſa femme chaſſé hors la ville ignominieuſement montée ſus vne vieille mule nommee Thacor à cheuauchons de rebours : ſçauoir eſt le cul tourné vers la teſte de la mule, & la face vers la croppiere. Frederic à ſon retour les ayant ſubiuguez & reſſerrez feiſt telle diligence qu’il recouura la celebre mule Thacor[* 125]. Adoncques on mylieu du grant Brouet[* 126] par ſon ordonnance le bourreau miſt es membres honteux de Thacor vne Figue præſens & voyans les citadins captifz : puys crya de par l’Empereur à ſon de trompe, que quiconques d’iceulx vouldroit la mort euader, arrachaſt publicquement la Figue auecques les dens, puys la remiſt on propre lieu, ſans ayde des mains. Quiconques en feroit refus, ſeroit ſus l’inſtant pendu & eſtranglé. Aulcuns d’iceulx eurent honte & horreur de telle tant abhominable amende : la poſtpouſerent à la craincte de mort : & feurent penduz. Es aultres la craincte de mort domina ſus telle honte. Iceulx auoir à belles dens tiré la Figue, la monſtroient au Boye apertement diſans. Ecco lo fico.[* 127][199]

En pareille ignominie, le reſte de ſes paouures & deſolez Guaillardetz feurent de mort guarantiz & ſauluez. Feurent faicts eſclaues & tributaires & leurs feut impoſé nom de Papefigues : par ce qu’au protraict Papal auoient faict la Figue. Depuys celluy temps les paouures gens n’auoient proſperé. Tous les ans auoient greſle, tempeſte, peſte, famine, & tout malheur, comme eterne punition du peché de leurs anceſtres & parens.

Voyans la miſere & calamité du peuple, plus auant entrer ne vouluſmes. Seulement pour prendre de l’eaue beniſte & à Dieu nous recommander, entraſmes dedans vne petite chapelle pres le haure ruinee, deſolee, & deſcouuerte, comme eſt à Rome le temple de ſainct Pierre. En la chapelle entrez & prenens de l’eaue beniſte, apperceuſmes dedans le benoiſtier vn home veſtu d’eſtolles, & tout dedans l’eaue caché, comme vn Canart au plonge, excepté vn peu du nez pour reſpirer. Au tour de luy eſtoient troys prebſtres bien ras & tonſurez, liſans le Grimoyre, & coniurans les Diables.

Pantagruel trouua le cas eſtrange. Et demandant quelz ieux c’eſtoient qu’ilz iouoient là, feut aduerty que depuys troys ans paſſez auoit en l’iſle regné vne peſtilence tant horrible que pour la moitié & plus, le pays eſtoit reſté deſert, & les terres ſans poſſeſſeurs. Paſſee la peſtilence, ceſtuy home caché dedans le benoitier, aroyt vn champ grand & reſtile[* 128], & le ſemoyt de touzelle[200] en vn iour & heure qu’vn petit Diable (lequel encores ne ſçauoit ne tonner ne greſler, fors ſeulement le Perſil & les choux[201], encor auſſi ne ſçauoit ne lire, n’eſcrire) auoit de Lucifer impetré venir en ceſte iſle des Papefigues ſoy recreer & eſbatre, en laquelle les Diables auoient familiarité grande auecques les hommes & femmes, & ſouuent y alloient paſſer temps. Ce Diable arriué au lieu s’adreſſa au Laboureur, & luy demanda ce qu’il faiſoit. Le paouure home luy reſpondit qu’il ſemoit celluy champ de touzelle, pour ſoy ayder à viure l’an ſuyuant. Voire mais (diſt le Diable) ce champ n’eſt pas tien, il eſt à moy, & m’appartient. Car depuys l’heure & le temps qu’au Pape vous feiſtez la figue, tout ce pays nous feut adiugé, proſcript, & abandonné. Bled ſemer toutesfoys n’eſt mon eſtat. Pourtant ie te laiſſe le champ. Mais c’eſt en condition que nous partirons le profict. Ie le veulx, reſpondit le Laboureur. I’entens (diſt le Diable) que du profict aduenent nous ferons deux lotz. L’vn ſera ce que croiſtra ſus terre, l’aultre ce que en terre. Le choix m’appartient, car ie ſuys Diable extraict de noble & antique race, tu n’es qu’vn villain. Ie choizis ce que ſera en terre, tu auras le deſſus. En quel temps ſera la cuillette ? A my Iuilet, reſpondit le Laboureur. Or (diſt le Diable) ie ne fauldray me y trouuer. Fays au reſte comme eſt le doibuoir. Trauaille villain, trauaille. Ie voys tenter du guaillard peché de luxure les nobles nonnains de Petteſec, les Cagotz & Briſſaulx auſſi. De leurs vouloirs ie ſuys plus que aſceuré. Au ioindre ſera le combat.


Comment le petit Diable feut trompé par vn laboureur
de Papefiguiere.


Chapitre XLVI.


La my Iuilet venue le Diable ſe repreſenta au lieu acompaigné d’vpn eſcadron de petitz Diableteaulx de cœur. Là rencontrant le Laboureur, luy diſt. Et puys villain comment t’es tu porté depuys ma departie ? Faire icy conuient nos partaiges. C’eſt (reſpondit le laboureur) raiſon.

Lors commença le Laboureur auecques ſes gens ſeyer le bled. Les petitz Diables de meſmes tiroient le chaulme de terre. Le Laboureur battit ſon bled en l’aire, le ventit, le miſt en poches, le porta au marché pour vendre. Les Diableteaulx feirent de meſmes, & au marché pres du Laboureur pour leur chaulme vendre s’aſſirent. Le Laboureur vendit treſbien ſon bled, & de l’argent emplit vn vieulx demy brodequin, lequel il portoit à ſa ceincture. Les Diables ne vendirent rien : ains au contraire les paizans en plein marché ſe mocquoient d’eulx. Le marché clous diſt le Diable au Laboureur. Villain tu me as ceſte foys trompé, à l’aultre ne me tromperas. Monſieur le Diable, reſpondit le Laboureur, comment vous auroys ie trompé, qui premier auez choyſi ? Vray eſt qu’en ceſtuy choix me penſiez tromper, eſperant rien hors terre ne yſſir pour ma part, & deſſoubs trouuer entier le grain que i’auoys ſemé, pour d’icelluy tempter les gens ſouffreteux, Cagotz, ou auares, & par temptation les faire en vos lacz trebucher. Mais vous eſtez bien ieune au meſtier. Le grain que voyez en terre, eſt mort & corrumpu, la corruption d’icelluy a eſté generation de l’aultre que m’auez veu vendre. Ainſi choiſiſſiez vous le pire[202]. C’eſt pourquoy eſtez mauldict en l’Euangile. Laiſſons (diſt le Diable) ce propous, de quoy ceſte année ſequente pourras tu noſtre champ ſemer ? Pour profict, reſpondit le Laboureur, de bon meſnaigier le conuiendroit ſemer de Raues. Or (diſt le Diable) tu es villain de bien, ſeme Raues à force ie les garderay de la tempeſte, & ne greſleray deſſus. Mais entends bien, ie retiens pour mon partaige, ce que ſera deſſus terre, tu auras le deſſoubs. Trauaille villain, trauaille. Ie voys tenter les Hereticques, ce ſont ames friandes en carbonnade : monſieur Lucifer a ſa cholicque, ce luy ſera vne guorgechaulde.

Venu le temps de la cuillette, le Diable ſe trouua au lieu auecques vn eſquadron de Diableteaux de chambre. Là rencontrant le Laboureur & ſes gens commença ſeyer & recuillir les feuilles des Raues. Après luy le Laboureur bechoyt & tiroyt les groſſes Raues, & les mettoit en poches. Ainſi s’en vont tous enſemble au marché. Le Laboureur vendoit treſbien ſes Raues. Le Diable ne vendit rien. Que pis eſt, on ſe mocquoit de luy publicquement. Ie voy bien villain, diſt adoncques le Diable, que par toi ie ſuys trompé. Ie veulx faire fin du champ entre toy & moy. Ce ſe fera en tel pact, que nous entregratterons l’vn l’aultre, & qui de nous deux premier ſe rendra, quittera ſa part du champ. Il entier demourera au vaincueur. La iournee ſera à huictaine. Va villain, ie te gratteray en Diable. Ie alloys tenter les pillars, Chiquanous, deſguyſeurs de proces, notaires faulſeres, aduocatz preuaricateurs : mais ilz m’ont fait dire par vn truchement, qu’ilz eſtoient tous à moy. Auſſi bien ſe faſche Lucifer de leurs ames. Et les renvoye ordinairement aux Diables ſouillars de cuiſine, ſi nons quand elles ſont ſaulpouldrees.

Vous dictez qu’il n’eſt deſieuner que de eſcholliers : dipner, que d’aduocatz : reſſiner, que de vinerons : ſoupper, que de marchans : reguoubillonner, que de chambrieres. Et tous repas que de Farfadetz. Il eſt vray de faict monſieur Lucifer ſe paiſt à tous ſes repas de Farfadetz pour entree de table. Et ſe ſouloit deſieuner de eſcholliers. Mais (las) ne ſçay par quel malheur depuys certaines annees ilz ont auecques leurs eſtudes adioinct les ſainctes Bibles. Pour ceſte cauſe plus n’en pouuons au Diable l’vn tirer. Et croy que ſi les Caphards ne nous y aident, leurs ouſtans par menaces, iniures, force, violence, & bruſlemens leur ſainct Paul d’entre les mains, plus à bas n’en grignoterons. De aduocatz peruertiſſeurs de droict, & pilleurs des paouures gens, il ſe dipne ordinairement, & ne luy manquent. Mais on ſe faſche de touſiours vn pain manger. Il diſt nagueres en plein chapitre qu’il mangeroit voluntiers l’ame d’vn Caphard, qui euſt oublié ſoy en ſon ſermon recommander. Et promiſt double paye & notable appoinctement à quiconques luy en apporteroit vne de broc en bouc. Chaſcun de nous ſe miſt en queſte. Mais rien n’y auons proficté. Tous admonneſtent les nobles dames donner à leur con vent[203] De reſſieuner il s’eſt abſtenu depuys qu’il eut ſa forte colicque, prouenente à cauſe que es contrees Boreales l’on auoit ſes nouriſſons viuandiers, charbonniers, & chaircuitiers oultragé villainement. Il ſouppe treſbien des marchans vſuriers, apothecaires, faulſaires, billonneurs, adulterateurs de marchandiſes. Et quelques foys qu’il eſt en ſes bonnes, reguobillonne de chambrieres, les quelles auoir beu le bon vin de leurs maiſtres rempliſſent le tonneau d’eaue puante. Trauaille villain, trauaille. Ie voys tenter les eſcholiers de Trebizonde, laiſſer peres & meres, renoncer à la police commune, ſoy emanciper des edictz de leur Roy, viure en liberté ſoubterraine, meſpriſer vn chaſcun, de tous ſe mocquer, & prenans le beau & ioyeulx petit beguin d’innocence Poeticque, ſoy tous rendre Farfadetz gentilz.


Comment le Diable fut trompé par vne Vieille de
Papefiguiere.


Chapitre XLVII.


Le laboureur retournant en ſa maiſon eſtoit triſte & penſif. Sa femme tel le voyant, cuydoit qu’on l’euſt au marché deſrobbé. Mais entendent la cauſe de ſa melacholie, voyant auſſi la bourſe pleine d’argent, doulcement le reconforta : & l’aſceura que de ceſte gratelle mal aulcun de luy aduiendroit. Seulement que ſus elle il euſt à ſe poſer & repoſer. Elle auoit ia pourpenſé bonne yſſue. Pour le pis, diſoit le Laboureur, ie n’en auray qu’vne eſtraſſade ie me rendray au premier coup, & luy quitteray le champ. Rien, rien, diſt la vieille, poſez vous ſus moy, & repoſez, laiſſez moy faire. Vous m’auez dict que c’eſt vn petit Diable, ie le vous feray ſoubdain rendre, & le champ nous demourera. Si c’euſt eſté vn grand Diable, il y auroit à penſer.

Le iour de l’aſſignation eſtoit lors qu’en l’iſle nous arriuaſmes. A bonne heure du matin le Laboureur s’eſtoit treſbien confeſſé, auoit communié, comme bon catholicque, & par le conſeil du Curé s’eſtoit au plonge caché dedans le benoiſtier, en l’eſtat que l’auions trouué.

Sus l’inſtant qu’on nous racontoit ceſte hiſtoire, euſmez aduertiſſement que la vieille auoit trompé le Diable, & guaigné le champ. La manière feut telle. Le Diable vint à la porte du Laboureur, & ſonnant s’eſcria. O villain, villain. Cza, çà, à belles gryphes. Puys entrant en la maiſon guallant & bien deliberé, & ne y trouuant le Laboureur aduiſa ſa femme en terre pleurante & lamentante. Qu’eſt cecy ? demandoit le Diable. Où eſt il ? Que faict il ? Ha (diſt la vieille) où eſt il le meſchant, le bourreau, le briguant ? Il m’a affolée, ie ſuis perdue, ie meurs du mal qu’il m’a faict. Comment ? diſt le Diable : Qu’y a il ? Ie le vous gualleray bien tantouſt. Ha, diſt la vieille, il m’a dict le bourreau, le tyrant, l’eſgratineur de Diables, qu’il auoit huy aſſignation de ſe gratter auecques vous, pour eſſayer ſes ongles il m’a ſeulement gratté du petit doigt icy entre les iambes, & m’a du tout affolee. Ie ſuys perdue, iamais ie ne gueriray, reguardez. Encores eſt il allé ches le mareſchal ſoy faire eſguizer & apoincter les gryphes. Vous eſtez perdu monſieur le Diable mon amy. Sauluez vous, il n’arreſtera poinct. Retirez vous, ie vous en prie. Lors ſe deſcouurit iusques au menton en la forme que iadis les femmes Perſides ſe præſenterent à leurs enfans[204] fuyans de la bataille, & luy monſtra ſon comment à nom ? Le Diable voyant l’enorme ſolution de continuité[205] en toutes dimentions, s’eſcria : Mahon, Demiourgon, Megere, Alecto, Perſephone, il ne me tient pas. Ie m’en voys bel erre. Cela ?[206] Ie luy quitte le champ. Entendens la cataſtrophe & fin de l’hiſtoire nous retiraſmes en noſtre nauf. Et là ne feimes aultre ſeiour. Pantagruel donna au tronc de la fabricque de l’Eccliſe dixhuyt mille Royaulx d’or, en contemplation de la paouureté du peuple, & calamité du lieu.


Comment Pantagruel descendit en l’isle des Papimanes.

Chapitre XLVIII.



Laissans l’isle desolée des Papefigues navigasmes par un iour en serenité & tout plaisir, quand à nostre veue se offrit la benoiste isle des Papimanes. Soubdain que nos ancres feurent au port iectées avant que eussions encoché nos gumènes, vindrent vers nous en un esquif quatre persones diversement vestuz. L’un en moine enfrocqué, crotté, botté. L’aultre en faulconnier avecques un leurre & un grand oizeau. L’aultre en solliciteur de procès ayant un grand sac plein d’informations, citations, chiquaneries, & adiournemens en main. L’aultre en vigneron d’Orleans, avecques belles guestres de toille, une panouère & une serpe à la ceincture. Incontinent qu’ilz feurent ioinctz à nostre nauf, s’escrièrent à haulte voix tous ensemble demandans.

Le avez vous veu gens passagiers ? l’avez vous veu ?

Qui ? demandoit Pantagruel.

Celluy là, dirent ilz.

Qui est il ? demanda frère Ian. Par la mort beuf ie l’assomeray de coups. Pensant qu’ilz se guementassent de quelque larron, meurtrier, ou sacrilège.

Comment (dirent ilz) gens peregrins ne congnoissez vous l’Unicque ?

Seigneurs (dist Epistemon) nous ne entendons telz termes. Mais exposez nous (s’il vous plaist) de qui entendez, & nous vous en dirons la verité sans dissimulation.

C’est (dirent ilz) celluy qui est. L’avez vous iamais veu ?

Celluy qui est, respondit Pantagruel, par nostre Theologique doctrine est Dieu. Et en tel mot se declaira à Moses. Oncques certes ne le veismes, Et n’est visible à œilz corporelz.

Nous ne parlons mie (dirent ilz) de celluy hault Dieu qui domine par les Cieulx. Nous parlons du Dieu en terre. L’avez vous oncques veu ?

Ilz entendent (dist Carpalim) du Pape sus mon honneur.

Ouy, ouy, respondit Panurge, Ouy Dea messieurs, i’en ay veu troys. A la veue des quelz ie n’ay guères profité.

Comment ? dirent ilz, nos sacres Decretales chantent qu’il n’y en a iamais qu’un vivent.

I’entends, respondit Panurge, les uns successivement après les aultres. Aultrement n’en ay ie veu qu’un à la foys.

O gens, dirent ilz, troys & quatre foys heureux, vous soyez les bien & plus que tresbien venuz.

Adoncques se agenoillèrent davant nous, & nous vouloient baiser les pieds. Ce que ne leurs voulusmes permettre, leurs remontrans que au Pape si là de fortune en propre persone venoit, ilz ne sçauroient faire d’adventaige.

Si ferions si, respondirent ilz. Cela est entre nous ià resolu. Nous luy baiserions le cul sans feuille & les couilles pareillement. Car il a couilles le père sainct, nous le trouvons par nos belles Decretales, aultrement ne seroit il Pape. De sorte qu’en subtile philosophie Decretaline ceste consequence est necessaire. Il est Pape, il a doncques couilles. Et quand couilles fauldroient on monde, le monde plus Pape n’auroit.

Pantagruel demandoit ce pendent à un mousse de leur esquif qui estoient ces personaiges. Il luy feist response, que c’estoient les quatre estatz de l’isle : adiousta d’adventaige que serions bien recuilliz & bien traictez, puys qu’avions veu le Pape. Ce que il remonstra à Panurge, lequel luy dist secretement.

Ie foys veu à Dieu c’est cela. Tout vient à poinct à qui peult attendre. A la veue du Pape iamais n’avions proficté : à ceste heure de par tous les Diables nous profitera comme ie voy.

Allors descendismez en terre & venoient au davant de nous comme en procession tout le peuple du pays, homes, femmes, petitz enfans. Nos quatre estatz leurs dirent à haulte voix.

Ilz le ont veu. Ilz le ont veu. Ilz le ont veu.

A ceste proclamation tout le peuple se agenoilloit davant nous, levans les mains ioinctes au ciel & cryans.

O, gens heureux. O bien heureux.

Et dura ce crys plus d’un quart d’heure. Puys y accourut le maistre d’escholle avecques tous ses pedagogues, grimaulx, & escholiers, & les fouettoit magistralement, comme on souloit fouetter les petitz enfans en nos pays quand on pendoit quelque malfaicteur. Affin qu’il leurs en soubvint.

Pantagruel en feut fasché, & leurs dist. Messieurs, si ne desister fouetter ces enfans, ie m’en retourne.

Le peuple s’estonna entendent la voix Stentorée & veiz un petit bossu à longs doigtz demandant au maistre d’eschole. Vertus de Extravaguantes, ceulx qui voyent le Pape deviennent ilz ainsi grands comme cestuy cy qui nous menasse ? O qu’il me tarde merveilleusement que ie ne le voy, affin de croistre & grand comme luy devenir. Tant grandes feurent leurs exclamations, que Homenaz y accourut (ainsi appellent ilz leur Evesque) sus une mule desbridée, carapassonnée de verd, accompaigné de ses appous (comme ilz disoient) de ses suppos aussi, portans croix, banières, cinfalons, baldachins, torches, benoistiers. Et nous vouloit pareillement les pieds baiser à toutes forces (comme feist au pape Clement le bon Christian Valsinier) disant qu’un de leurs hypophètes degresseur & glossateur de leurs sainctes Decretales avoit par escript laissé que ainsi comme le Messyas tant & si long temps des Iuifz attendu, en fin leurs estoit advenu, aussi en icelle isle quelque iour le pape viendroit. Attendens ceste heureuse iournée, si là arrivoit personne qui l’eust veu à Rome ou aultre part, qu’ilz eussent à bien festoyer, & reverentement traicter. Toutesfoys nous en excusasmez honestement.

Comment Homenaz evesque des Papimanes nous monstra les uranopètes Decretales.

Chapitre XLIX.



Puys nous dist Homenaz. Par nos sainctes Decretales nous est enioinct & commendé visiter premier les Ecclises que les cabaretz. Pourtant ne declinans de ceste belle institution allons à l’Ecclise, après irons bancqueter.

Home de bien (dist frère Ian) allez davant nous vous suivrons. Vous en avez parlé en bons termes & en bon Christian. Ià long temps a que n’en avions veu. Ie m’en trouve fort resiouy en mon esprit, & croy que ie n’en repaistray que mieulx. C’est belle chose rencontrer gens de bien. Approchans de la porte du temple, apperceusmez un gros livre doré, tout couvert de fines & precieuses pierres, Balais, Esmerauldes, Diamans, & Unions, plus ou autant pour le moins excellentes, que celles que Octavian consacra à Iuppiter Capitolin. Et pendoit en l’air ataché à deux grosses chaines d’or au Zoophore du portal. Nous le reguardions en admiration. Pantagruel le manyoit & tournoyt à plaisir, car il y povoit aizement toucher. Et nous affermoit que au touchement d’icelles il sentoit un doulx prurit des ongles & desgourdissement de bras : ensemble temptation vehemente en son esprit de battre un sergent ou deux, pourveu qu’ilz n’eussent tonsure.

Adoncques nous dist Homenaz. Iadis feut aux Iuifz la loy par Moses baillée escripte des doigts propres de Dieu. En Delphes davant la face du temple de Apollo feyt trouvée ceste sentence divinement escripte ΓΝΩΘΙ ΣΕΑΥΤΟΝ. Et par certain laps de temps après feut veue ΕΙ aussi divinement escripte & transmise des Cieulx. Le simulachre de Cybèle feut des Cieulx en Phrygie transmis on champ nommé Pesinunt. Aussi feut en Tauris le simulachre de Diane, si croyez Euripides. L’oriflambe feut des Cieulx transmise aux nobles & treschristians Roys de France pour combatre les Infidèles. Regnant Numa Pompilius Roy second des Romains en Rome feut du Ciel veu descendre le tranchant bouclier dict Ancile. En Acropolis de Athènes iadis tomba du Ciel empire la statue de Minerve. Icy semblablement voyez les sacres Decretales escriptes de la main d’un ange Cherubin. Vous aultres gens Transpontins ne le croirez pas (Assez mal, dist Panurge) & à nous icy miraculeusement du Ciel des Cieulx transmises, en façon pareille que par Homère père de toute Philosophie (exceptez tousiours les dives Decretales) le fleuve du Nile est appellé Diipetes. Et parce qu’avez veu le Pape evangeliste d’icelles & protecteur sempiternel, vous sera de par nous permis les veoir & baiser au dedans si bon vous semble. Mais il vous convient par avant trois iours ieuner, & regulierement confesser, curieusement espluchans & inventorizans vos pechez tant dru, qu’en terre ne tombast une seule circonstance, comme divinement nous chantent les dives Decretales que voyez. A cela fault du temps.

Homme de bien (respondit Panurge) Decrotouères, voyre diz ie Decretales, avons prouveu en papier, en parchemin lanterné, en velin, escriptes à la main, & imprimées en moulle. Ià n’est besoing que vous penez à cestes cy nous monstrer. Nous contentons du bon vouloir, & vous remercions autant.

Vraybis (dist Homenaz) vous n’avez mie veu cestes cy angelicquement escriptes. Celles de vostre pays ne sont que transsumpts des nostres, comme trouvons escript par un de nos antiques Scholiastes Decretalins. Au reste vous pry n’y espargner ma peine. Seulement advisez si voulez confesser & ieuner les troys beaulx petitz iours de Dieu.

De cons fesser (respondit Panurge) tresbien nous consentons, Le ieune seulement ne nous vient à propous. Car nous avons tant & trestant par la marine ieuné, que les araignes ont faict leurs toilles sus nos dens. Voyez icy ce bon frère Ian des Entommeures (à ce mot Homenaz courtoisement luy bailla la petite accollade) la mousse luy est creue au gouzier par faulte de remuer & exercer les badiguoinces & mandibules.

Il dict vray (respondit frère Ian) I’ay tant & trestant ieuné, que i’en suys devenu tout bossu.

Entrons (dist Homenaz) doncques en l’Ecclise, & nous pardonnez si præsentement ne vous chantons la belle messe de Dieu. L’heure de myiour est passée, après laquelle nous defendent nos sacres Decretales messe chanter, messe diz ie haulte & legitime. Mais ie vous en diray une basse & seiche.

I’en aymerois mieulx (dist Panurge) une mouillée de quelque bon vin d’Aniou. Boutez, doncq, boutez, bas & roidde.

Verd & bleu (dist frère Ian) il me desplaist grandement qu’encores est mon estomach ieun. Car ayant tresbien desieuné, & repeu à usaige monachal, si d’adventure il nous chante de Requiem, ie y eusse porté pain & vin par les traictz passez. Patience Sacquez, chocquez, boutez, mais troussez la court, de paour que ne se crotte & pour aultre cause aussi, ie vous en prye.

Comment par Homenaz nous feut monstré l’archetype d’un Pape.

Chapitre L.



La messe parachevée Homenaz tira d’un coffre près le grand autel un gros fatraz de clefz, desquelles il ouvrit à trente & deux claveures & quatorze cathenatz une fenestre de fer bien barrée au dessus dudict autel, puys par grand mystère se couvrit d’un sac mouillé, & tirant un rideau de satin cramoisy nous monstra une imaige paincte assez mal, scelon mon advis, y toucha un baston longuet, & nous feist à tous baiser la bouche.

Puys nous demanda. Que vous semble de ceste imaige.

C’est (respondit Pantagruel) la ressemblance d’un Pape. Ie le congnois à la thiare, à l’aumusse, au rochet, à la pantophle.

Vous dictez bien (dist Homenaz). C’est l’idée de celluy Dieu de bien en terre, la venue duquel nous attendons devotement, & lequel esperons une foys veoir en ce pays. O l’heureuse & desirée tant attendue iournée. Et vous heureux & bien heureux qui tant avez eu les astres favorables, que avez vivement en face veu & realement celluy bon Dieu en terre, duquel voyant seulement le portraict, pleine remission guaignons de tous nos pechez memorables : ensemble la tierce partie avecques dixhuict quarantaines des pechez oubliez. Aussi ne la voyons nous que aux grandes festes annueles.

Là disoit Pantagruel, que c’estoit ouvraige tel que les faisoit Dædalus. Encores qu’elle feust contrefaicte, & mal traicte, y estoit toutesfoys latente & occulte quelque divine energie en matière de pardons.

Comme, dist frère Ian, à Seuillé les coquins souppans un iour de bonne feste à l’hospital, & se vantans l’un avoir celluy iour guaingné six blancs, l’aultre deux soulz, l’aultre sept carolus, un gros gueux se ventoit avoir guaigné troys bons testons. Aussi (luy respondirent ses compaignons) tu as une iambe de Dieu. Comme si quelque divinité feust absconse en une iambe toute sphacelée & pourrye.

Quand (dist Pantagruel) telz contes vous nous ferez, soyez records d’apporter un bassin. Peu s’en fault que ie ne rende ma guorge. User ainsi du sacré nom de Dieu en choses tant hordes & abhominables ? fy, i’en diz fy. Si dedans vostre moynerie est tel abus de parolles en usaige, laissez le là : ne le transportez hors les cloistres.

Ainsi (respondit Epistemon) disent les medicins estre en quelques maladies certaine participation de divinité. Pareillement Neron louoit les champeignons, & en proverbe Grec les appelloit viande des Dieux : pource que en iceulx il avoit empoisonné son prædecesseur Claudius empereur Romain.

Il me semble (dist Panurge) que ce portraict fault en nos derniers Papes. Car ie les ay veu non aumusse, ains armet en teste porter, thymbré d’une thiare Persicque, Et tout l’empire Christian estant en paix & silence, eulx seulz guerre faire felonne & trescruelle.

C’estoit (dist Homenaz) doncques contre les rebelles, Hæreticques, protestans desesperez, non obeissans à la saincteté de ce bon Dieu en terre. Cela luy est non seulement permis & licite, mais commendé par les sacres Decretales : & doibt à feu incontinent Empereurs, Roys, Ducz, Princes, Republicques & à sang mettre, qu’ilz transgresseront un iota de ses mandemens : les spolier de leurs biens, les deposseder de leurs Royaulmes, les proscrire, les anathematizer, & non seulement leurs corps, & de leurs enfans & parens aultres occire, mais aussi leurs ames damner au parfond de la plus ardente chauldière qui soit en Enfer.

Icy (dist Panurge) de par tous les Diables, ne sont ilz hæreticques comme feut Raminagrobis, & come ilz sont parmy les Almaignes, & Angleterre. Vous estez Christians triez sus le volet.

Ouy vraybis, dist Homenaz, aussi serons nous tous saulvez. Allons prendre de l’eaue beniste, puys dipnerons.



Or notez Beuveurs, que durant la messe sèche de Homenaz, trois manilliers de l’Ecclise chascun tenant un grand bassin en main, se pourmenoient parmy le peuple disans à haulte voix.

N’oubliez les gens heureux, qui le ont veu en face.

Sortans du temple ilz apportèrent à Homenaz leurs bassins tous pleins de monnoye Papimanicque. Homenaz nous dist, que c’estoit pour faire bonne chère. Et que ceste contribution & taillon l’une partie seroit employée à bien boyre, l’aultre à bien manger, suyvant une mirificque glosse cachée en un certain coingnet de leurs sainctes Decretales. Ce que feut faict, & en beau cabaret assez retirant à celluy de Guillot en Amiens. Croyez que la repaisaille feut copieuse, & les beuvettes numereuses.

En cestuy dipner ie notay deux choses memorables : L’une que viande ne feut apportée, quelle que feust, feussent chevreaulx, feussent chappons, feussent cochons, (des quelz y a foizon en Papimanie) feussent pigeons, connilz, levraulx, cocqs de Inde, ou aultres, en laquelle n’y eust abondance de farce magistrale. L’aultre, que tout le sert & dessert feut porté par les filles pucelles mariables du lieu, belles, ie vous assie, saffrettes, blondelettes, doulcelettes, & de bonne grace. Les quelles vestues de longues, blanches, & deliées aubes à doubles ceinctures, le chef ouvert, les cheveulx instrophiez de petites bandelettes & rubans de saye violette, semez de roses, œilletz, mariolaine, aneth, aurande, & aultres fleurs odorantes, à chascune cadence nous invitoient à boire, avecques doctes & mignonnes reverences. Et estoient volontiers veues de toute l’assistence. Frère Ian les reguardoit de cousté, comme un chien qui emporte un plumail. Au dessert du premier metz feut par elles melodieusement chanté un Epode, à la louange des sacrosainctes Decretales.

Sus l’apport du second service, Homenaz tout ioyeulx & esbaudy adressa sa parole à un des maistres Sommeliers, disant. Clerice, esclaire icy. A ces motz une des filles promptement luy præsenta un grand hanat plein de vin Extravaguant. Il le tint en main, & souspirant promptement dist à Pantagruel. Mon Seigneur, & vous beaulx amis, ie boy à vous tous de bien bon cœur. Vous soyez les tresbien venuz. Beu qu’il eut & rendu le hanat à la bachelette gentile, feist une lourde exclamation, disant. O dives Decretales, tant par vous est le vin bon bon trouvé.

Ce n’est, dist Panurge, pas le pis du panier.

Mieulx seroit, dist Pantagruel, si par elles le mauvais vin devenoit bon.

O Seraphicque Sixiesme (dist Homenaz continuant) tant vous estez necessaire au saulvement des pauvres humains. O Cherubicques Clementines comment en vous est proprement contenue & descripte la perfaicte institution du vray Christian. O Extravaguantes Angelicques, comment sans vous periroient les paouvres ames, les quelles ça bas errent par les corps mortelz en ceste vallée de misère. Helas quand sera ce don de grace particulère faict es humains, qu’ilz desistent de toutes aultres estudes & neguoces pour vous lire, vous entendre, vous sçavoir, vous user, practiquer, incorporer, sanguifier, & incentricquer es profonds ventricules de leurs cerveaulx, es internes mouelles de leurs os, es perples labyrintes de leurs artères ? O lors, & non plus toust, ne aultrement, heureux le monde.

A ces motz se leva Epistemon, & dist tout bellement à Panurge. Faulte de selle persée me constrainct d’icy partir. Cette farce me a desbondé le boyau cullier. Ie ne arresteray guères.

O lors (dist Homenaz continuant) nullité de gresle, gelée, frimatz, vimères. O lors abondance de tous biens en terre. O lors paix obstinée infringible en l’Univers : cessation de guerres, pilleries, anguaries, briguanderies, assassinemens : exceptez contre les Hereticques, & rebelles mauldictz. O lors ioyeuseté, alaigresse, liesse, soulas, deduictz, plaisirs, delices en toute nature humaine. Mais O, grande doctrine, inestimable erudition, preceptions deificques emmortaisées par les divins chapitres de ces eternes Decretales. O comment lisant seulement un demy canon, un petit paragraphe, un seul notable de ces sacrosainctes Decretales, vous sentez en vos cœurs enflammée la fournaise d’amour divin : de charité envers vostre prochain, pourveu qu’il ne soit Hereticque : contemnement asceuré de toutes choses fortuites & terrestres : ecstatique elevation de vos espritz, voie iusques au troizième ciel : contentement certain en toutes vos affections.

Continuation des miracles advenuz par les Decretales.

Chapitre LII.



Voicy (dist Panurge) qui dict d’orgues. Mais i’en croy le moins que ie peuz. Car il me advint un iour à Poictiers ches l’Ecossoys docteur Decretalipotens d’en lire un chapitre, le Diable m’emport, si à la lecture d’icelluy ie feuz tant constipé du ventre, que par plus de quatre, voyre cinq iours ie ne fiantay qu’une petite crotte. Sçavez vous quelle ? Telle, ie vous iure, que Catulle dict estre celles de Furius son voisin.

En tout un an tu ne chie dix crottes
Et si des mains tu les brises & frottes,
Ià n’en pourras ton doigt fouiller de erres.
Car dures sont plus que febves & pierres.

Ha, ha (dist Homenaz) Inian mon amy vous, par adventure, estiez en estat de peché mortel.

Cestuy là (dist Panurge) est d’un aultre tonneau.

Un iour (dist frère Ian) ie m’estoys à Seuillé torché le cul d’un feuiellet d’unes meschantes Clementines, les quelles Ian Gymard nostre recepveur avoit iecté au preau du cloistre, ie me donne à tous les Diables, si les rhagadies & hæmorrutes ne m’en advindrent si très horribles, que le paouvre trou de mon clous bruneau en feut tout dehinguandé.

Inian, dist Homenaz, ce feut evidente punition de Dieu, vengeant le peché qu’aviez faict incaguant ces sacres livres, les quelz doibviez baiser & adorer, ie diz d’adoration de latrie, ou de hyperdulie, pour le moins. Le Panormitan n’en mentit iamais.

Ian Chouart (dist Ponocrates) à Monspellier avoit achapté des moines de sainct Olary unes belles Decretales escriptes en beau & grand parchemin de Lamballe, pour en faire des Velins pour batre l’or. Le malheur y feut si estrange, que oncques pièce n’y feut frappée, qui vint à profict. Toutes feurent dilacerées & estrippées.

Punition, dist Homenaz, & vengeance divine.

Au Mans (dist Eudemon) François Cornu apothecaire avoit en cornetz empoicté unes Extravaguantes frippées, ie desadvoue le Diable, si tout ce qui dedans feut empacqueté, ne feut sus l’instant empoisonné, pourry, & guasté : encent, poyvre, gyrofle, cinnamone, saphran, cire, espices, casse, reubarbe, tamarins : generalement tout, drogues, guogues, & senogues.

Vangeance (dist Homenaz) & divine punition. Abuser en choses prophanes de ces tant sacres escriptures.

A Paris (dist Carpalim) Groignet cousturier avoit emploicté unes vieilles Clementines en patrons & mesures. O cas estrange. Tous habillemens taillez sus telz patrons, & protraictz sus telles mesure, feurent guastez & perduz : robbes, cappes, manteaulx, sayons, iuppes, cazaquins, colletz, pourpoinctz, cottes, gonnelles, verdugualles. Groignet cuydant tailler une cappe, tailloit la forme d’une braguette. En lieu d’un sayon tailloit un chapeau à prunes succées. Sus la forme d’un cazaquin tailloit une aumusse. Sus le patron d’un pourpoinct tailloit la guise d’une paele. Ses varletz l’avoir cousue, la deschicquetoient par le fond. Et sembloit d’une paele à fricasser chastaignes. Pour un collet faisoit un brodequin. Sur le patron d’une verdugualle tailloit une barbutte. Pensant faire un manteau faisoit un tabourin de Souisse. Tellement que le paouvre home par iustice feut condemné à payer les estoffes de tous ses challans : & de præsent en est au saphran.

Punition (dist Homenaz) & vengeance divine.

A Cahuzac (dist Gymnaste) feut pour tirer à la butte partie faicte entre les seigneurs d’Estissac, & vicomte de Lausun. Perotou avoit depecé unes demies Decretales du bon canonge La carte, & des feueilletz avoit taillé le blanc pour la butte. Ie me donne, ie me vends, ie me donne à travers tous les Diables, si iamais harbalestier du pays (les quelz sont supellatifz en toute Guyenne) tira traict dedans. Tous feurent coustiers. Rien du blanc sacrosainct barbouillé ne feut, depucellé, ne entommé. Encores Sansornin l’aisné qui guardoit les guaiges, nous iuroit Figues dioures (son grand serment) qu’il avoit veu apertement, visiblement, manifestement le pasadouz de Carquelin droict entrant dedans la grolle au milieu du blanc, sus le poinct de toucher & s’enfoncer s’estre escarté loing d’une toise coustier vers le fournil.

Miracle (s’escria Homenaz) miracle, miracle. Clerice, esclaire icy. Ie boy à tous. Vous me semblez vrays Christians.

A ces motz les filles commencèrent ricasser entre elles. Frère Ian hannissoit du bout du nez comme prest à roussiner, ou baudouiner pour le moins, & monter dessus, comme Herbault sus paouvres gens.

Me semble dist Pantagruel) que en telz blancs l’on eust contre le dangier du traict plus sceurement esté, que ne feut iadis Diogènes.

Quoy ? demanda Homenaz. Comment ? Estoit il Decretaliste ?

C’est (dist Epistemon retournant de ses affaires) bien rentré de picques noires.

Diogènes, respondit Pantagruel, un iour s’esbatre voulent visita les archiers qui tiroient à la butte. Entre iceulx un estoit tant saultier, imperit, & mal à droict, que lors qu’il estoit en ranc de tirer, tout le peuple spectateur s’escartoit de paour d’estre par luy feruz. Diogènes l’avoir un coup veu si perversement tirer que sa flèche tomba plus d’un trabnut loing de la butte, au second coup le peuple loing d’un cousté & d’aultre s’escartant, accourut & se tint en pieds iouxte le blanc : affermant cestuy lieu estre le plus sceur. & que l’archier plus toust feriroit tout aultre lieu, que le blanc : le blanc seul estre en sceureté du traict.

Un paige (dist Gymnaste) du seigneur d’Estissac nommé Chamouillac, aperceut le charme. Par son advis Perotou changea de blanc, & y employa les papiers du procès de Pouillac. Adoncques tirèrent tresbien les uns & les aultres.

A Landerousse (dist Rhizotome) es nopces de Ian Delif feut le festin nuptial notable & sumptueux, comme lors estoit la coustume du pays. Après soupper feurent iouées plusieurs farces, comedies, sornettes plaisantes : feurent dansées plusieurs Moresques aux sonnettes & timbous : feurent introduictes diverses sortes de masques & momeries. Mes compaignons d’eschole & moy pour la feste honorer à nostre povoir (car au matin nous tous avions eu de belles livrées blanc & violet) sus la fin feismes un barboire ioyeulx avecques force coquilles de sainct Michel, & belles cacquerolles de limassons. En faulte de Colocasie, Bardane, Personate & de papier : des feueilletz d’un vieil Sixiesme, qui là estoit abandonné, nous feismes nos faulx visaiges, les descouppans un peu à l’endroict des œilz, du nez, & de la bouche. Cas merveilleux. Nos petites caroles & pueriles esbatemens achevez, houstans nos faulx visaiges appareumes plus hideux & villains que les Diableteaux de la passion de Doué : tant avions les faces guastées aux lieux touchez par les dictz feueilletz. L’un y avoit la picote, l’aultre le tac, l’aultre la verolle, l’aultre la rougeolle, l’aultre gros froncles. Somme celluy de nous tous estoit le moins blessé, à qui les dens estoient tombées.

Miracle (s’escria Homenaz) miracle.

Il n’est, dist Rhizotome, encores temps de rire. Mes deux sœurs, Catharine, & Renée avoient mis dedans ce beau Sixiesme, comme en presses (car il estoit couvert de grosses aisses, & ferré à glaz) leurs guimples, manchons, & collerettes savonnées de frays, bien blanches, & empesées. Par la vertus dieu.

Attendez, dist Homenaz, du quel Dieu entendez vous ?

Il n’en est qu’un, respondit Rhizotome.

Ouy bien, dist Homenaz, es cieulx. En terre n’en avons nous un aultre.

Arry avant, dist Rhizotome, ie n’y pensois par mon ame plus. Par la vertus doncques du Dieu Pape terre, leurs guimples, collerettes, baverettes, couvrechefz, & tout aultre linge y devint plus noir qu’un sac de charbonnier.

Miracle (s’escria Homenaz) Clerice, esclaire icy : & note ces belles histoires.

Comment (demanda frère Ian) dict on doncques.

Depuys que Decretz eurent ales,
Et gensdarmes portent males,
Moines allèrent à cheval,
En ce monde abonda tout mal.

Ie vous entens, dist Homenaz. Ce sont petitz Quolibetz des Hereticques nouveaulx.

Comment par la vertus des Decretales est l’or subtilement tiré de France en Rome.

Chapitre LIII.



Ie vouldroys, dist Epistemon, avoir payé chopine de trippes à embourser, & que eussions à l’original collationné les terribles chapitres Execrabilis. De multa. Si plures. De Annatis per totum. Nisi escent. Cum ad monasterium. Quod dilectio. Mandatum & certains aultres, les quelz tirent par chascun an de France en Rome quatre cent mille ducatz, & d’adventaige.

Est ce rien cela ? dist Homenaz. Me semble toutesfoys estre peu, veu que France la treschristiane est unicque nourrisse de la court Romaine. Mais trouvez moy livres on monde, soient de Philosophie, de Medicine, des Loigs, des Mathematicques, des letres humaines, voyre (par le mien Dieu) de la saincte escripture, qui en puissent autant tirer ? Poinct. Nargues, nargues. Vous n’en trouverez poinct de ceste auriflue energie : ie vous en asceure. Encores ces diables Hæreticques ne les voulent aprendre & sçavoir. Bruslez, tenaillez, cizaillez, noyez, pendez, empallez, espaultrez, demembrez, exenterez, decouppez, fricassez, grislez, transonnez, crucifiez, bouillez, escarbouillez, escartelez, debezillez, dehinguandez, carbonnadez ces meschans Hæreticques Decretalifuges, Decretalides, pires que homicides, pires que parricides, Decretalictones du Diable. Vous aultres gens de bien si voulez estre dictz & reputez vrays Christians, ie vous supplie à ioinctes mains ne croire aultre chose, aultre chose ne penser, ne dire, ne entreprendre, ne faire, fors seulement ce que contiennent nos sacres Decretales, & leurs corollaires : ce beau Sixiesme, ces belles Clementines, ces belles Extravaguantes. O livres deificques. Ainsi serez en gloire, honneur, exaltation, richesses, dignitez, prelations en ce monde : de tous reverez, d’un chascun redoubtez, à tous preferez, sus tous esleuz & choisiz. Car il n’est soubs la chappe du ciel estat, du quel trouviez gens plus idoines à tout faire & manier, que ceulx qui par divine prescience & eterne predestination, adonnez se sont à l’estude des sainctes Decretales. Voulez vous choisir un preux Empereur, un bon capitaine, un digne chef & conducteur d’une armée en temps de guerre, qui bien sçaiche tous inconveniens prevoir, tous dangiers eviter, bien mener ses gens à l’assault & au combat en alaigresse, rien ne hazarder, touisours vaincre sans perte de ses soubdars, & bien user de la victoire ? Prenez moy un Decretiste. Non, non. Ie diz un Decretaliste. (O le gros Rat dist Epistemon.) Voulez vous en temps de paix trouver home apte & suffisant à bien gouverner l’estat d’une Republicque, d’un royaulme, d’un empire, d’une monarchie : entretenir l’Ecclise, la noblesse, le senat & le peuple en richesses, amitié, concorde, obeissance, vertus, honesteté ? Prenez moy un Decretaliste. Voulez vous trouver home, qui par vie exemplaire, beau parler, sainctes admonitions, en peu de temps, sans effusion de sang humain, conqueste la terre saincte, & à la saincte foy convertisse les mescreans Turcs, Iuifz, Tartes, Moscovites, Mammeluz & Sarrabovites ? Prenez moy un Decretaliste. Qui faict en plusieurs pays le peuple rebelle & detravé, les paiges frians & mauvais, les escholiers badaulx & asniers ? Leurs gouverneurs, leurs escuiers, leurs precepteurs n’estoient Decretalistes.

Mais qui est ce (en conscience) qui a estably, confirmé, authorisé ces belles religions, des quelles en tous endroictz voyez la Christianté ornée, decorée, illustrée, comme est le firmament de ses claires estoilles ? Dives Decretales. Qui a fondé, pillotizé, talué, qui maintient, qui substante, qui nourist les devosts religieux par les convens, monastères, & abbayes : sans les prières diurnes, nocturnes, continuelles des quelz seroit le monde en dangier evident de retourner en son antique Cahos ? Sacres Decretales. Qui faict & iournellement augmente en abondance de tous biens temporelz, corporelz, & spirituelz le fameux & celèbre patrimoine de S. Pierre ? Sainctes Decretales. Qui faict le sainct siège apostolicque en Rome de tous temps & auiourd’huy tant redoubtable en l’Univers, qu’il fault ribon ribaine, que tous Roys, empereurs, potestatz, & seigneurs par luy soient couronnez, confirmez, authorisez, vieignent là boucquer & se prosterner à la mirificque pantophle, de laquelle avez veu le protraict ? Belles Decretales de Dieu. Ie vous veulx declairer un grand secret. Les Universitez de vostre monde, en leurs armoiries & divises ordinairement portent un livre, aulcunes ouvert, aultres fermé. Quel livre pensez vous que soit ?

Ie ne sçay certes, respondit Pantagruel. Ie ne leuz oncques dedans.

Ce sont, dist Homenaz, les Decretales, sans les quelles periroient les privilèges de toutes Universitez. Vous me doibvez ceste là. Ha, ha, ha, ha, ha.

Icy commença Homenaz rocter, peter, rire, baver, & suer : & bailla son gros, gras bonnet à quatre braguettes à une des filles : laquelle le posa sus son beau chef en grande alaigresse, après l’avoir amoureusement baisé, comme guaige, & asceurance qu’elle seroit première mariée.

Vivat (s’escria Epistemon) vivat, fifat, pipat, bibat. O secret Apocalypticque.

Clerice (dist Homenaz) clerice, esclaire icy, à doubles lanternes. Au fruict pucelles. Ie disois doncques que ainsi vous adonnans à l’etude unicque des sacres Decretales, vous serez riches & honorez en ce monde. Ie diz consequemment qu’en l’aultre vous serez infailliblement saulvez on benoist royaulme des Cieulx, du quel sont les clefz baillées à nostre bon Dieu Decretaliarche. O mon bon Dieu, lequel ie adore, & ne veids oncques, de grace speciale ouvre nous en l’article de la mort, pour le moins, ce tressacre thesaur de nostre mère saincte Ecclise, du quel tu es protecteur, conservateur, prome conde, administrateur, dispensateur. Et donne ordre que ces precieux œuvres de supererogation, ces beaulx pardons au besoing ne nous faillent. A ce que les Diables ne trouvent que mordre sus nos paouvres ames, que la gueule horrificque d’Enfer ne nous engloutisse. Si passer nous fault par Purgatoire, patience. En ton pouvoir est & arbitre nous en delivrer, quand vouldras.

Icy commença Homenaz iecter grosses & chauldes larmes, batre la poictrine, & baiser ses poulces en croix.

Comment Homenaz donna à Pantagruel des poires de bon Christian.

Chapitre LIIII.



Epistemon, frère Ian, & Panurge voyans ceste fascheuse catastrophe, commencèrent au couvert de leurs serviettes crier, Myault, myault, myault, faignans ce pendent de s’essuer les œilz, comme s’ilz eussent ploré. Les filles feurent bien aprises, & à tous præsentèrent pleins hanatz de vin Clementin, avecques abondance de confictures. Ainsi feut de nouveau le bancquet resiouy. En fin de table Homenaz nous donna grand nombre de grosses & belles poyres, disant.

Tenez amis. Poires sont singulières : les quelles ailleurs ne trouverez. Non toute terre porte tout. Indie seule porte le noir Ebène. En Sabée provient le bon encent. En l’isle de Lemnos la terre Sphragitide. En ceste isle seule naissent ces belles poires. Faictez en, si bon vous semble, pepinières en vos pays.

Comment, demanda Pantagruel, les nommez vous ? Elles me semblent tresbonnes, & de bonne eau. Si on les cuisoit en Casserons par quartiers avecques un peu de vin & de sucre, ie pense que seroit viande tressalubre tant es malades, comme es sains.

Non aultrement, respondit Homenaz. Nous sommes simples gens, puys qu’il plaist à Dieu. Et appellons les figues, figues : les prunes, prunes : & les poires, poires.

Vrayement, dist Pantagruel, quand ie seray en mon mesnaige (ce sera, si Dieu plaist, bien toust) i’en assieray & hanteray en mon iardin de Touraine sus la rive de Loyre, & seront dictes poires de bon Christian. Car oncques ne veiz Christians meilleurs que sont ces bons Papimanes.

Ie trouveroys (dist frère Ian) aussi bon qu’il nous donnast deux ou troys chartées de ses filles.

Pourquoy faire ? demandoit Homenaz.

Pour les saigner, respondit frère Ian, droict entre les deux gros horteilz avecques certains pistolandiers de bonne touche. En ce faisant sus elle nous hanterions des enfans de bon Christian, & la race en nos pays multiplieroit : es quelz ne sont mie trop bons.

Vraybis (respondit Homenaz) non ferons, car vous leurs feriez la follie aux guarsons : ie vous congnoys à vostre nez, & si ne vous avoys oncques veu. Halas, halas, que vous estes bon filz. Vouldriez vous bien damner vostre ame ? Nos Decretales le defendent. Ie vouldroys que les sceussiez bien.

Patience, dist frère Ian. Mais, si tu non vis dare, præsta quesumus. C’est matière de breviaire. Ie n’en crains home portant barbe, feut il docteur de Chrystallin (ie diz Decretalin) à triple bourlet.

Le dipner parachevé, nous prinsmes congié de Homenaz, & de tout le bon populaire, humblement les remercyans, & pour retribution de tant de biens, leurs promettans que venuz à Rome ferions avecques le Père sainct tant qu’en diligence il les iroyt veoir en persone. Puys retournasmes en nostre nauf. Pantagruel par liberalité & recongnoissance du sacre protraict Papal, donna à Homenaz neuf pièces de drap d’or frizé sus frize, pour estre appousées au davant de la fenestre ferrée : feist emplir le tronc de la reparation & fabricque tout de doubles escuz au sabot : & feist delivrer à chascune des filles, les quelles avoient servy à table durant le dipner, neuf cent quatorze salutz d’or, pour les marier en temps oportun.

Comment en haulte mer Pantagruel ouyt diverses parolles degelées.

Chapitre LV.



En pleine mer nous banquetant, gringnotans, divisans, & faisans beaulx discours, Pantagruel se leva & tint en pieds pour discouvrir à l’environ. Puys nous dist.

Compaignons, oyez vous rien ? Me semble, que ie oy quelques gens parlans en l’air, ie n’y voy toutesfoys personne. Escoutez.

A son commandement nous feusmes attentifz, & à pleines aureilles humions l’air comme belles huytres en escalle, pour entendre si voix ou son aulcun y seroit espars : & pour rien n’en perdre à l’exemple de Antonin l’Empereur, aulcuns oppousions nos mains en paulme darrière les aureilles. Ce neanmoins protestions voix quelconques n’entendre. Pantagruel continuoit affermant ouyr voix diverses en l’air tant de homes comme de femmes, quand nous feut advis, ou que nous les oyons pareillement, ou que les aureilles nous cornoient. Plus perseverions escoutans, plus discernions les voix, iusques à entendre motz entiers.

Ce que nous effraya grandement, & non sans cause, personne ne voyans, & entendens voix & sons tant divers, d’homes, de femmes, d’enfans, de chevaulx : si bien que Panurge s’escria.

Ventre bieu est ce mocque ? nous sommes perdus. Fuyons. Il y a embusche au tour. Frère Ian es tu là mon amy ? Tien toy près de moy ie te supplyu ? As tu ton bragmart ? Advise qu’il ne tienne au fourreau. Tu ne le desrouille poinct à demy. Nous sommes perduz. Escoutez : ce sont par Dieu coups de canon. Fuyons. Ie ne diz de piedz & de mains, comme disoit Brutus en la bataille Pharsalicque, ie diz à voiles & à rames. Fuyons. Ie n’ay poinct de couraige sus mer. En cave & ailleurs i’en ay tant & plus. Fuyons. Saulvons nous. Ie ne le diz pour paour que ie aye. Car ie ne crains rien fors les dangiers. Ie le diz tousiours. Aussi disoit le Franc archier de Baignolet. Pourtant n’hazardons rien, à ce que ne soyons nazardez. Fuyons. Tourne visaige. Vire la peaultre filz de putain. Pleust à Dieu que præsentement ie feusse en Quinquennoys à peine de iamais ne me marier. Fuyons, nous ne sommes pas pour eulx. Ilz sont dix contre un, ie vous en asceure. D’adventaige ilz sont sus leurs fumiers, nous ne congnoissons le pays. Ilz nous tueront. Fuyons, ce ne nous sera deshonneur. Demosthenes dist que l’home fuyant combatra de rechief. Retirons nous pour le moins. Orche, poge, au trinquet, aux boulingues. Nous sommes mors. Fuyons, de par tous les Diables, fuyons.

Pantagruel entendent l’esclandre que faisoit Panurge, dist. Qui est ce fuyart là bas ? oyons premierement quelz gens sont. Par adventure sont ilz nostres. Encores ne voy ie persone. Et si voy cent mille à l’entour. Mais entendons. I’ay leu qu’un Philosophe nommé Petron estoyt en ceste opinion que feussent plusieurs mondes soy touchans les uns les aultres en figure triangulaire æquilaterale, en la pate & centre des quelz disoit estre le manoir de Verité, & le habiter les Parolles, les Idées, les Exemplaires & protraictz de toutes choses passées, & futures : autour d’icelles estre le Siècle. Et en certaines années par longs intervalles, part d’icelles tomber sus les humains comme catarrhes, & comme tomba la rousée sus la toizon de Gedeon : part là rester reservée pour l’advenir, iusques à la consommation du Siècle. Me souvient aussi que Aristoteles maintient les parolles de Homère estre voltigeantes, volantes, moventes, & par consequent animées. D’adventaige Antiphanes disoit la doctrine de Platon es parolles estre semblable lesquelles en quelque contrée on temps du fort hyver lors que sont proferées, gèlent & glassent à la froydeur de l’air, & ne sont ouyes. Semblablement ce que Platon enseignoyt es ieunes enfans, à peine estre d’iceulx entendu, lors que estoient vieulx devenuz. Ores seroit à philosopher & rechercher si forte fortune icy seroit l’endroict, on quel telles parolles degèlent. Nous serions bien esbahiz si c’estoient les teste & lyre de Orpheus. Car après que les femmes Threisses eurent Orpheux mis en pièces, elles iectèrent la teste & la lyre dedans le fleuve Hebrus. Icelles par ce fleuve descendirent en la mer Ponticq iusques en l’isle de Lesbos, tousiours ensemble sus mer naigeantes. Et de la teste continuellement sortoyt un chant lugubre, comme lamentant la mort de Orpheus : la lyre à l’impulsion des vents mouvens les chordes accordoit harmonieusement avecques le chant. Reguardons si les voirons cy autour.

Comment entre les parolles gelées Pantagruel trouva des motz de gueule.

Chapitre LVI.



Le pilot feist responce : Seigneur, de rien ne vous effrayez. Icy est le confin de la mer glaciale, sus laquelle feut au commencement de l’hyver dernier passé grosse & felonne bataille, entre les Arismapiens, & le Nephelibates. Lors gelèrent en l’air les parolles & crys des homes & femmes, les chaplis des masses, les hurtys des harnoys, des bardes, les hannissements des chevaulx, & tout effroy de combat. A ceste heure la rigueur de l’hyver passée, advenente la serenité & temperie du bon temps, elles fondent & sont ouyes. Par Dieu, dist Panurge, ie l’en croy. Mais en pourrions nous voir quelqu’une. Me soubvient avoir leu que l’orée de la montaigne en laquelle Moses receut la loy des Iuifz le peuple voyoit les voix sensiblement.

Tenez tenez (dist Pantagruel) voyez en cy qui encores ne sont degelées.

Lors nous iecta sus le tillac plènes mains de parolles gelées, & sembloient dragée perlée de diverses couleurs. Nous y veismes des motz de gueule, des motz de sinople, des motz de azur, des motz de sable, des motz dorez. Les quelz estre quelque peu eschauffez entre nos mains fondoient, comme neiges, & les oyons realement. Mais ne les entendions. Car c’estoit languaige Barbare. Exceptez un assez grosset, lequel ayant frère Ian eschauffé entre ses mains feist un son tel que font les chastaignes iectées en la braze sans estre entonmées lors que s’esclatent, & nous feist tous de paour tressaillir.

C’estoit (dist frère Ian) un coup de faulcon en son temps.

Panurge requist Pantagruel luy en donner encores. Pantagruel luy respondit que donner parolles estoit acte des amoureux.

Vendez m’en doncques, disoit Panurge.

C’est acte des advocatz, respondit Pantagruel, vendre parolles. Ie vous vendroys plutost silence & plus chèrement, ainsi que quelque foys la vendit Demosthenes moyennant son argentangine.

Ce nonobstant il en iecta sus le tillac troys ou quatre poignées. Et y veids des parolles bien picquantes, des parolles sanglantes, lesquelles li pilot nous disoit quelques foys retourner on lieu duquel estoient proferées, mais c’estoit la guorge couppée, des parolles horrificques, & aultres assez mal plaisantes à veoir. Les quelles ensemblement fondues ouysmes, hin, hin, hin, hin, his, ticque torche, lorgne, brededin, brededac, frr, frrr, frrr, bou, bou, bou, bou, bou, bou, bou, bou, traccc, trac, trr, trr, trr, trrr, trrrrrr, On, on, on, on ououououon : goth, mathagoth, & ne sçay quels aultres motz barbares, & disoyt que c’estoient vocables du hourt & hannissement des chevaulx à l’heure qu’on chocque, puys en ouysmez d’aultres grosses & rendoient son en degelent, les unes comme de tabours, & fifres, les aultres comme de clerons & trompettes. Croyez que nous y eusmez du passetemps beaucoup. Ie vouloys quelques motz de gueule mettre en reserve dedans de l’huille comme l’on guarde la neige & la glace, & entre du feurre bien nect. Mais Pantagruel ne le voulut : disant estre follie faire reserve de ce dont iamais l’on n’a faulte, & que tousiours on en a main, comme sont motz de gueule entre tous bons & ioyeulx Pantagruelistes. Là Panurge fascha quelque peu frère Ian, & le feist entrer en resverie, car il le vous print au mot, sus l’instant qu’il ne s’en doubtoit mie, & frère Ian menassa de l’en faire repentir en pareille mode que se repentit G. Iousseaulme vendent à son mot le drap au noble Patelin, & advenent qu’il feust marié le prendre aux cornes, comme un veau : puys qu’il l’avoit prins au mot come un hile. Panurge luy feist la babou en signe de derision. Puys s’escria disant. Pleust à Dieu que icy, sans plus avant proceder, i’eusse le mot de la dive Bouteille.

Comment Pantagruel descendit on manoir de messere Gaster premier maistre es ars du monde.

Chapitre LVII.



En icelluy iour Pantagruel descendit en une isle admirable, entre toutes aultres, tant à cause de l’assiette, que du gouvernement d’icelle. Elle de tous coustez pour le commencement estoit scabreuse, pierreuse, montueuse, infertile, mal plaisante à l’œil, tresdifficile aux pieds, & peu moins inaccessible que le mons du Daulphiné ainsi dict, pour ce qu’il est en forme d’un potiron, & de toute memoire persone surmonter ne l’a peu, fors Doyac conducteur de l’artillerie du Roy Charles huyctième : lequel avecques engins mirificques y monta, & au dessus trouva un vieil belier. C’estoit à diviner qui là transporté l’avoit. Aulcuns le dirent estant ieune Aignelet par quelque Aigle, ou duc Chaüant là ravy s’estre entre les buissons saulvé. Surmontans la difficulté de l’entrée à peine bien grande, & non sans suer, trouvasmes le dessus du mont tant plaisant, tant fertile, tant salubre, & delicieux, que ie pensoys estre le vray Iardin & Paradis terrestre : de la situation duquel tant disputent & labourent les bons Theologiens. Mais Pantagruel nous affermoit là estre le manoir de Arete (c’est Vertus) par Hesiode descript, sans toutesfoys preiudice de la plus saine opinion.

La gouverneur d’icelle estoit messere Gaster, premier maistre es ars de ce monde. Si croyez que le feu soit le grand maistre des ars, comme escript Ciceron, vous errez, & vous faictez tors. Car Ciceron ne le creut oncques. Si croyez que Mercure soit premier inventeur des Ars, comme iadis croyoient nos antiques Druides, vous fourvoyez grandement. La sentence du Satyricque est vraye, qui dict messere Gaster estre de tous ars le maistre. Avecques icelluy pacificquement redisoit la bonne dame Penie, aultrement dicte Souffreté, mère des neuf Muses : de laquelle iadis en compaignie de Porus seigneur de Abondance, nous nasquit Amour le noble enfant mediateur du Ciel & de la Terre, comme atteste Platon in Symposio. A ce chevalereuz Roy force nous feut faire reverence, iurer obeissance & honneur porter. Car il est imperieux, rigoureux, rond, dur, difficile, inflexible. A luy on ne peult rien faire croyre, rien remonstrer, rien persuader. Il ne oyt poinct. Et comme les Ægyptiens disoient Harpocras Dieu de silence, en Grec nommé Sigalion, estre astomé, c’est à dire, sans bouche. Ainsi Gaster sans aureilles feut créé : comme en Candie le simulachre de Iuppiter estoit sans aureilles. Il ne parle que par signes. Mais à ces signes tout le monde obeit plus soubdain que aux edictz des Præteurs & mandemens des Roys. En ses sommations, delay aulcun & demeure aulcune il ne admect. Vous dictez que au rugissement du Lyon toutes bestes loin à l’entour fremissent, tant (sçavoir est) que estre peult sa voix ouye. Il est escript. Il est vray. Ie l’ay veu. Ie vous certifie que au mandement de messere Gaster tout le Ciel tremble, toute la Terre bransle. Son mandement est nommé faire le fault, sans delay, ou mourir.

Le pilot nous racontoit comment un iour à l’exemple des membres conspirans contre le Ventre, ainsi que descript Æsope, tout le Royaulme des Somates contre luy conspira & coniura soy soubstraire de son obeissance. Mais bien toust s’en sentit, s’en repentit, & retourna en son service en toute humilité. Aultrement tous de male famine perissoient. En quelques compaignies qu’il soit, discepter ne fault de superiorité & præference, tousiours va davant : y feussent Roys, empereurs, voire certes le Pape. Et au concile de Basle, le premier alla, quoy qu’on vous die que ledict concile feut sedicieux, à cause des contentions & ambitions des lieux premiers. Pour le servir tout le monde est empesché, tout le monde labeure. Aussi pour recompense il faict ce bien au monde, qu’il luy invente toutes ars, toutes machines, tous mestiers, tous engins, & subtilitez. Mesmes es animans brutaulx il apprent ars desniées de Nature. Les Corbeaulx, les Gays, les Papeguays, les Estourneaux, il rend poëtes : Les Pies il faict poëtrides : & leur aprent languaige humain proferer, parler, chanter. Et tout pour la trippe.

Les Aigles, Gerfaulx, Faulcons, Sacres, Laniers, Austours, Esparviers, Emerillons, oizeaux aguars, peregrins, essors, rapineux, saulvaiges il domesticque & apprivoise, de telle façon que abandonnans en plène liberté du Ciel quand bon luy semble, tant hault qu’il vouldra, tant que luy plaist, les tient suspens, errans, volans, planans, le muguetans, luy faisans la court au dessus des nues : puys soubdain les faict du Ciel en Terre fondre. Et tout pour la trippe.

Les Elephans, les Lions, les Rhinocerotes, les Ours, les Chevaulx, les Chiens, il faict danser, baller, voltiger, combatre, nager, soy cacher, aporter ce qu’il veult, prendre ce qu’il veult. Et tout pour la trippe. Les poissons tant de mer comme d’eaue doulce, balaines & monstres marins, sortir il faict du bas abisme, les Loupes iecte hors des Boys, les Ours hors les rochiers, les Renards hors les tenières, les Serpens lance hors la Terre. Et tout pour la trippe. Brief est tant enorme, que en sa rage il mange tous, bestes & gens, comme feut veu entre les Vascons, lors que Q. Metellus les assiegeoit par les guerres Sertorianes : entre les Saguntins assiegez par Hannibal : entre les Iuifz assiegez par les Romains : six cens aultres. Et tout pour la trippe.

Quand Penie sa regente se mect en voye, la part qu’elle va, tous parlemens sont clous, tous edictz mutz, toutes ordonnances vaines. A loy aulcune n’est subiecte, de toutes n’est exempte. Chascun la resuyt en tous endroictz plus toust se exposans es naufrages de mer, plus toust eslisans par feu, par mons, par goulphres passer, que d’icelle estre apprehendez.

Comment en la court du maistre ingenieux Pantagruel detesta les Engastrimythes & les Gastrolastres.

Chapitre LVIII.



En la court de ce grand maistre Ingenieux Pantagruel apperceut deux manières de gens appariteurs importuns & par trop officieux, les quelz il eut en grande abhomination. Les uns estoient nommez Engastrimythes soy disoient estre descenduz de l’antique race de Eurycles, & sur ce alleguoient le tesmoignage de Aristophanes en la comedie intitulée les Tahons, ou mousches guespes. Dont anciennement estoient dictz Eurycliens, comme escript Plato, & Plutarcles. Es sainctz Decretz 26. quest. 3. sont appellez Ventriloques : & ainsi les nomme en langue Ionicque Hippocrates lib. 5. Epid. comme parlans de ventre. Sophocles les appelle Stenomantes. C’estoient divinateurs, enchanteurs, & abuseurs du simple peuple, semblans non de la bouche, mais du ventre parler & respondre à ceulx qui les interrogeoient.

Telle estoit environ l’an de nostre benoist Servateur 1513. Iacobe Rodogine Italiane femme de basse maison. Du ventre de laquelle nous avons souvent ouy, aussi ont aultres infiniz en Ferrare & ailleurs la voix de l’esprit immonde, certainement basse, foible, & petite : toutesfoys bien articulée, distincte, & intelligible, lors que par la curiosité des riches seigneurs & princes de la Guaulle Cisalpine elle estoit appellée & mandée. Les quelz pour houster tout doubte de fiction & fraude occulte, la faisoient despouiller toute nue, & luy faisoient clourre la bouche & le nez. Cestuy maling esprit se faisoit nommer Crespelu, ou Cincinnatule : & sembloit prendre plaisir ainsi estant appelé. Quand ainsi on l’appelloit, soubdain aux propous respondoit. Si on l’interrogeoit des cas præsens ou passez, il en respondoit pertinement, iusques à tirer les auditeurs en admiration. Si des choses futures : tousiours mentoit, iamais n’en disoit la verité. Et souvent sembloit confesser son ignorance, en lieu de y respondre faisant un gros pet, ou marmonnant quelques motz non intelligibles, & de barbare termination.

Les Gastrolatres d’un aultre cousté se tenoient serrez par trouppes & par bandes, ioyeulx, mignars, douilletz aulcuns : aultres tristes, graves, sevères, rechignez : tous ocieux, rien ne faisans, poinct ne travaillans, poys & charge inutile de la Terre, comme dict Hesiode : craignans (scelon qu’on povoit iuger) le Ventre offenser, & emmaigrir. Au reste masquez, desguisez, & vestuz tant estrangement, que c’estoit belle chose. Vous dictez, & est escript par plusieurs saiges & antiques Philosophes, que l’industrie de Nature appert merveilleuse en l’esbatement qu’elle semble avoir prins formant les Coquilles de mer : tant y veoyd on de varieté, tant de figures, tant de couleurs, tant de traictz & formes non imitables par art. Ie vous asceure qu’en la vesture de cas Gastrolatres Coquillons ne veismes moins de diversité & desguisement. Ilz tous tenoient Gaster pour leur grand Dieu : le adoroient comme Dieu : luy sacrifioient comme à leur Dieu omnipotens : ne recongnoissoient aultre DIeu que luy : le servoient, aymoient sus toutes choses, honoroient comme leur Dieu. Vous eussiez dict que proprement d’eulx avoit le sainct Envoyé escript. Philippens. 3. Plusieurs sont des quelz souvent ie vous ay parlé (encores præsentement ie le vous diz les larmes à l’œil) ennnemis de la croix du Christ : des quelz Mort sera la consommation : des quelz Ventre est le Dieu. Pantagruel les comparoit au Cyclope Polyphemus : lequel Euripides faict parler comme s’ensuyt. Ie ne sacrifie que à moy (aux Dieux poinct) & à cestuy mon Ventre le plus grand de tous les Dieux.

De la ridicule statue appellée Manduce : & comment, & quelles choses sacrifient les Gastrolatres à leur Dieu Ventripotent.

Chapitre LIX.



Nous consyderans le minoys & les gestes des poiltrons magnigoules Gastrolastres, comme tous estonnez, ouysmes un son de campane notable, auquel tous se rangèrent comme en bataille, chascun par son office, degré, & antiquité. Ainsi vindrent devers messere Gaster, suyvans un gras, ieune, puissant Ventru, lequel sus un long baston bien doré portoit une statue de boys mal taillée & lourdement paincte, telle que la descrivent Plaute, Iuvenal, & Pomp. Festus. A Lion au carneval on l’appelle Maschecroutte : ilz la nommoient Manduce. C’estoit une effigie monstrueuse, ridicule, hydeuse, & terrible aux petitz enfans : ayant les œilz plus grands que le ventre, & la teste plus grosse que tout le reste du corps, avecques amples, larges, & horrificques maschouères bien endentelées tant au dessus comme au dessoubs : les quelles avecques l’engin d’une petite chorde cachée dedans le baston doré l’on faisoit l’une contre l’aultre terrificquement clicquetter, comme à Metz l’on faict du Dragon de sainct Clemens.

Approchans les Gastrolatres ie veids qu’ilz estoient suyviz d’un grand nombre de gros varletz chargez de corbeilles, de paniers, de balles, de potz, poches & marmites. Adoncques soubs la conduicte de Manduce, chantans ne sçay quelz Dithyrambes, Cræpalocomes, Epænons, offrirent à leur Dieu ouvrans leurs corbeilles & marmites Hippocras blanc avecques la tendre roustie seiche.

Pain blanc. Pain mollet.
Choine. Pain bourgeoys.
Carbonades de six sortes. Cabirotades.
Coscotons. Longes de veau rousty froides sinapisées de pouldre Zinziberine.
Fressures.
Fricassées, neuf espèces. Pastez d’assiette.
Grasses souppes de prime. Souppes de Levrier.
Souppes Lionnoises. Chous cabutz à la mouelle de bœuf.
Hoschepotz. Salmiguondins.

Brevaige eternel parmy, precedent le bon & friant vin blanc, fuyant vin clairet & vermeil frays, ie vous diz froyd comme la glace : servy & offert en grandes tasses d’argent. Puys offroient.

Andouilles capparrassonnées de moustarde fine. Boudins.
Cervelatz.
Saulsisses. Saulcissons.
Langues de bœuf fumées. Hures de Sangliers.
Saumates. Venaison sallée aux naveaulx.
Eschinées aux poys. Hastereaux.
Fricandeaux. Olives colymbades.

Le tout arrosé de brevaige sempiternel. Puys luy enfournoient en gueule.

Esclanches à l’aillade. Risses. Chevreaulx.
Pastez à la saulse chaulde. Espaulles de moutton aux cappres.
Coustelettes de porc à l’oignonnade.
Pièces de bœuf royalles.
Chappons roustiz avecques leur degout. Poictrine de veau.
Poulles boullies & gras chappons au blanc manger.
Hutaudeaux.
Becars. Cabirotz. Gelinottes.
Bischars. Dains. Poulletz.
Perdris, Perdriaux. Lappins, Lappereaux.
Perdris, Perdriaux. Cailles, Cailleteaux.
Faisans, Faisadeaux. Pigeons, Pigeonneaux.
Pans, Panneaux. Herons, Heronneaux.
Ciguoines, Ciguoineaux. Otardes, Otardeaux.
Becasses, Becassins. Becquefigues.
Hortolans. Guynettes.
Cocqs, poulles, & poulletz d’Inde. Pluviers.
Oyes, Oyzons.
Ramiers, Ramerotz. Bizetz.
Cochons au moust. Hallebrans.
Canars à la dodine. Mauluyz.
Merles. Rasles. Flamans. Cignes.
Poulles d’eau. Pochecuillères.
Tadournes. Courtes. Grues.
Aigrettes. Tyransons.
Cercelles. Corbigeaux.
Plongeons. Francourlis.
Butors. Palles. Tourterelles.
Courlis. Connilz.
Gelinotes de boys. Porcespicz.
Foulques aux poureaux. Girardines.

Ranfort de vinaigre parmy. Puys grands

Pastez de venaison. Beignetz.
D’Allouettes. Tourtes de seize façons.
De Lirons. Guauffres. Crespes.
De Stamboucqs. Pastez de Coings.
De Chevreuilz. Caillebotes.
De Pigeons. Neige de Crème.
De Chamoys. Myrobalans confictz.
De Chappons. Gelée.
Pastez de lardons. Hippocras rouge & vermeil.
Pieds de porc au sou.
Croustes de pastez fricassées. Poupelins. Macarons.
Tartes vingt sortes.
Corbeaux de Chappons. Creme.
Formaiges. Confictures seiches & liquides soixante & dix huyt espèces.
Pesches de Corbeil.
Artichaulx.
Guasteaux feueilletez. Dragée, cent couleurs.
Cardes. Ionchées.
Brides à veaux. Mestier au sucre fin.

Vinaigre suyvoit à la queue de paour des Esquinanches.Item rousties.

Comment es iours maigres entrelardez à leur Dieu sacrifioient les Gastrolatres.

Chapitre LX.



Voyant Pantagruel ceste villenaille de sacrificateurs, & multiplicité de leurs sacrifices, se fascha, & feust descendu si Epistemon ne l’eust prié veoir l’issue de ceste farce.

Et que sacrifient, dist il, ces Maraulx à leur Dieu Ventripotent es iours maigres entrelardez ?

Ie le vous diray, respondit le pilot. D’entrée de table ilz luy offrent.

Caviar. Sallades cent diversitez, de cresson, de Obelon, de la couille à l’evesque de responses, d’aureilles de Iudas, (c’est une forme de funges issans des vieulx Suzeaulx), de Aspergez, de Chevrefeuel : tant d’aultres.
Boutargues.
Beurre frays.
Purées de poys.
Espinars.
Arans blancs bouffiz.
Arans sors.
Sardaines.
Anchoys.
Tonnine. Saulmons sallez.
Caules emb’olif. Anguillettes sallées.
Saulgrenées de febves. Huytres en escalles.

Là fault boyre, ou le Diable l’emporteroit. Ilz y donnent bon ordre, & n’y a faultes. Puys luy offrent

Lamproyes à saulse d’Hippocras. Palamides.
Roussettes.
Barbeaulx. Oursins.
Barbillons. Vielles.
Meuilles. Ortigues.
Meuilletz. Crespions.
Rayes. Gracieuxseigneurs.
Casserons. Empereurs.
Esturgeons. Anges de mer.
Balaines. Lampreons.
Macquereaulx. Lancerons.
Pucelles. Brochetons.
Plyes. Carpions.
Huytres frittes. Carpeaux.
Pectoncles. Saulmons.
Languoustes. Saulmonneaux.
Espelans. Daulphins.
Guourneaulx. Porcilles.
Truites. Turbotz.
Lavaretz. Pocheteau.
Guodepies. Soles.
Poulpres. Poles.
Limandes. Moules.
Carreletz. Homars.
Maigres. Chevrettes.
Pageaux. Dards.
Gougeons. Ablettes.
Barbues. Tanches.
Cradotz. Umbres.
Carpes. Merluz frays.
Brochetz. Seiches.
Darceaux.
Tons. Anguilles.
Guoyons. Anguillettes.
Meusniers. Tortues.
Escrevisses. Serpens, id est, Anguilles de boys.
Palourdes.
Liguombeaulx. Dorades.
Chatouilles. Poullardes.
Congres. Perches.
Oyes. Realz.
Lubines. Loches.
Aloses. Cancres.
Murènes. Escargotz.
Umbrettes. Grenoilles.

Ces viandes devorées s’il ne beuvoit, la Mort l’attendoit à deux pas près. L’on y pourvoyoit tresbien. Puys luy estoient sacrifiez.

Merluz sallez. Moulues.
Stocfiz. Papillons.
Œufz fritz, perduz, suffocquez, estuvez, trainnez par les cendres, iectez par la cheminée, barbouillez, gouildronnez, & cet. Adotz.
Lancerons marinez.

Pour les quelz cuyre & digerer facillement, vinaigre estoit multiplié. Sus la fin offroient

Ris. Fisticques.
Mil. Figues.
Gruau. Raisins.
Beurre d’Amendes. Escherviz.
Neige de beurre. Millorque.
Pistaces. Fromentée.
Noizilles.
Dactyles. Pasquenades.
Noix. Artichaulx.
Perennité d’abrevement parmy.

Croyez que par eulx ne tenoit que cestuy Gaster leur Dieu ne feust aptement, precieusement, & en abondance servy en ses sacrifices, plus certes que l’Idole de Heliogaballus, voyre plus que l’Idole Bel en Babilone soubs le roy Balthasar. Ce non obstant Gaster confessoit estre non Dieu, mais paouvre, vile, chetive creature. Et comme le roy Antigonus premier de ce nom respondit à un nommé Hermodotus (lequel en ses poesies l’appelloit Dieu, & filz du Soleil) disant. Mon Lasanophore le nie. Lasanon estoit une terrine & vaisseau approprié à recepvoir les excremens du ventre : ainsi Gaster renvoyoit ces Matagotz à sa selle persée veoir, considerer, philosopher, & contempler quelle divinité ilz trouvoient en sa matière fecale.

Comment Gaster inventa les moyens d’avoir & conserver Grain.

Chapitre LXI.



Ces Diables Gastrolatres retirez, Pantagruel feut attentif à l’estude de Gaster le noble maistre des ars. Vous sçavez que par institution de Nature Pain avecques ses apennaiges, luy a esté pour provision adiugé & aliment, adioincte ceste benediction du ciel que pour Pain trouver & guarder rien ne luy defauldroit, Dès le commencement il inventa l’art fabrile, & agriculture pour cultiver la terre, tendent à fin qu’elle luy produisist Grain. Il inventa l’art militaire & armes pour grain defendre, Medicine & Astrologie avcques les Mathematiques necessaires pour Grain en saulveté par plusieurs siècles guarder : & mectre hors les calamités de l’air : deguast des bestes brutes : larrecins des briguans. Il inventa les moulins à eau, à vent, à bras, à aultres mille engins, pour Grain mouldre & reduire en farine. Le levain pour fermenter la paste, le sel pour luy donner saveur, (car il eut ceste congnoissance, que chose on monde plus les humains ne rendoit à maladies subiectz, que de Pain non fermenté, non salé user) le feu pour le cuyre, les horologes & quadrans pour entendre le temps de la cuycte de Pain creature de Grain.

Est advenu que grain en un pays defailloit, il inventa art & moyen de le tirer d’une contrée en aultre. Il par invention grande mesla deux espèces de animans. Asnes & Iumens pour production d’une tierce, laquelle nous appellons muletz bestes plus puissantes, moins delicates, plus durables au labeur que les aultres. Il inventa chariotz & charettes pour plus commodement le tirer. Si la mer ou rivière ont empesché la traicte, il inventa basteaulx, gualères, & navires (chose de laquelle se sont les Elemens esbahiz) pour oultre mer, oultre fleuves, & rivières naviger, & de nations barbares, incongneues, & loing separées Grain porter & transporter.

Est advenu depuys certaines années que la terre cultivant il n’a eu pluye à propous & en saison, par default de laquelle Grain restoit en terre mort & perdu. Certaines années la pluye a esté excessive, & nayoit le Grain. Certaines aultres années la gresle le guastoit, les gens l’esgrenoient, la tempeste le renversoit. Il ià davant nostre venue avoit inventé art & moyen de evocquer la pluye des Cieulx seulement une herbe decouppant commune par les praeries, mais à peu de gens congneue, laquelle il nous monstra. Et estimoys que feust celle de laquelle une seule branche iadis mectent le pontife Iovial dedans la fontaine Agrie sus le mons Lycien en Arcadie on temps de seicheresse, excitoit les vapeurs, des vapeurs estoient formées grosses nuées : les quelles dissolues en pluye toute la region estoit à plaisir arrousée. Inventoit art & moyen de suspendre & arrester la pluye en l’air, & sus mer la faire tomber. Inventoit art & moyen de aneantir la gresle, supprimer les vens, destourner la tempeste, en la manière usitée entre les Methanensiens de Trezenie.

Aultre infortune est advenu. Les pillars & briguans desroboient Grain & Pain par les champs. Il inventa l’art de bastir villes, forteresses, & chasteaulx pour le reserrer & en sceureté conserver. Est advenu que par les champs ne trouvant Pain entendit qu’il estoit dedans les villes, forteresses, & chasteaulx reserré, & plus curieusement par les habitans defendu & guardé, que ne feurent les pommes d’or des Hesperides par les dracons. Il inventa art & moyen de bastre & desmolir forteresses & chasteaulx par machines & tormens bellicques, beliers, balistes, catapultes, des quelles il nous monstra la figure, assez mal entendue des ingenieux Architectes disciples de Vitruve : comme nous a confessé Messere Philebert de l’Orme grand architecte du roy Megiste. Les quelles quand plus n’ont proficté obstant la maligne subtilité, & subtile malignité des fortificateurs, il avoit inventé recentement des Canons, Serpentines, Couleuvrines, Bombardes, Basilics, iectans boulletz de fer, de plomb, de bronze, pezans plus que grosses enclumes, moyenant une composition de pouldre horrificque, de laquelle Nature mesmes s’est esbahie, & s’est confessée vaincue par art : ayant en mespris l’usaige des Oxydraces, qui à force de fouldres, tonnoires, gresles, esclaires, tempestes vaincoient, & à mort soubdaine mettoient leurs ennemis en plain camp de bataille. Car plus est horrible, plus espoventable, plus diabolique, & plus de gens meurtrist, casse, rompt, & tue : plus estonne les sens des humains : plus de muraille demolist un coup de Basilic, que ne feroient cent coups de fouldre.

Comment Gaster inventoit art & moyen de non estre blessé ne touché par coups de Canon.

Chapitre LXII.



Est advenu que Gaster retirant Grain es forteresses s’est veu assailly des ennemis, ses forteresses demolies par ceste triscaciste & infernale machine : son Grain & Pain tollu & saccaigé par force Titanique, il inventoit lors art & moyen non de conserver ses rempars, bastions, murailles, & defenses de telles canonneries, & que les boulletz ou ne les touchassent, & restassent coy & court en l’air, ou touchans ne portassent nuisance ne es defenses ne aux citoyens defendens. A cestuy inconvenient ia avoit ordre tresbon donné & nous en monstra l’essay : duquel a depuys usé Fronton, & est de present en usaige commun entre les passetemps & exercitations honestes des Telemites. L’essay estoit tel. Et dorenavant soiez plus facile à croire ce que asceuré Plutarche avoit experimenté. Si un trouppeau de Chevres s’en fuyoit courant en toute force, mettez un brin de Erynge en la gueule d’une derniere cheminante, soubdain toutes s’arresteront.

Dedans un faulconneau de bronze il mettoit sus la pouldre de canon curieusement composee, degressee de son soulfre, & proportionnée avecques Camphre fin, en quantité competente, une ballote de fer bien qualibree, & vingt & quatre grains de dragee de fer, uns ronds & sphericques, aultres en forme lachrymale. Puys ayant prins sa mire contre un sien ieune paige, comme s’il le voulut ferir parmy l’estomach, en distance de soixante pas, on mylieu du chemin entre le paige & le Faulconneau en ligne droicte suspendoit sus une potence de bois à une chorde en l’air une bien grosse pierre Siderite, c’est à dire Ferriere, aultrement appellée Herculiane, iadis trouvée en Ide on pays de Phrygie par un nommé Magnes comme atteste Nicander. Nous vulgairement l’appellons Aymant. Puys mettoit le feu on Faulconneau par la bouche du pulverin. La pouldre consommée advenoit que pour eviter vacuité (laquelle n’est toleree en Nature, plus toust seroit la machine de l’Univers, Ciel, Air, Terre, Mer, reduicte en l’antique Chaos, qu’il advint vacuité en lieu du monde) la ballote & dragées estoient impetueusement hors iectez par la gueule du Faulconneau, afin que l’air penetrast en la chambre d’icelluy, laquelle aultrement restoit en vacuité estant la pouldre par le feu tant soubdain consommée. Les ballote & dragees ainsi violentement lancees sembloient bien debvoir ferir le paige : mais sus le poinct qu’elles approchoient de la susdicte pierre, se perdoit leur impetuosité, & toutes restoient en l’air flottantes & tournoyantes à tour de la pierre, & n’en passoit oultre une tant violente feust elle, iusques au paige. Mais il inventoit l’art & manière de faire les boulletz arrière retourner contre les ennemis, en pareille furie & dangier qu’ilz seroient tirez, & en propre parallèle.

Le cas ne trouvoit difficile, attendu que l’herbe nommée Æthiopis ouvre toute les serrures qu’on luy præsente : & que Echineis poisson tant imbecille arreste contre tous les vens & retient en plein fortunal les plus fortes navires qui soient sus mer : & que la chair de icelluy poisson conservée en sel attire l’or hors les puyz tant profonds soyent ilz, qu’on pourroit sonder.

Attendu que Democritus escript, Theophraste l’a creu & esprouvé estre une herbe, par le seul atouchement de laquelle un coin de fer prodondement & par grande violence enfoncé dedans quelque gros & dur boys, subitement sort dehors. De laquelle usent les Pictz Mars (vous les nommez Pivars) quand de quelque puissant coin de fer l’on estouppe le trou de leurs nidz : les quelz ils ont accoustumé industrieusement faire & caver dedans le tronc des fortes arbres.

Attendu que les Cerfz & Bisches navrez profondement par traictz de dards, fleches, ou guarrotz, s’ilz rencontrent l’herbe nommée Dictame frequente en Candie, & en mangent quelque peu, soubdain les flèches sortent hors, & ne leurs en reste mal aulcun. De laquelle Venus guarit son bien aymé filz Æneas blessé en la cuisse dextre d’une flèche tirée par la sœur de Turnus Iuturna.

Attendu qu’au seul flair issant des Lauriers, Figuiers, & veaulx marins, est la fouldre detournée, & iamais ne les ferit. Attendu que au seul aspect d’un Belier les Elephans enraigez retournent à leur bon sens : les Taureaux furieux & forcenez approchans des figuiers saulvaiges dictz Caprifices se apprivoisent, & restent come grappes & immobiles : la furie des Vipères expire par l’attouchement d’un rameau de Fouteau. Attendu aussi qu’en l’isle de Samos avant que le temple de Iuno y feust basty : Euphorion escript avoir veu bestes nommées Neades, à la seule voix des quelles la terre fondoit en chasmates & en abysme. Attendu pareillement que le Suzeau croist plus canore & plus apte au ieu des flustes en pays on quel le chant des Coqs ne seront ouy : ainsi qu’ont escript les anciens sages, scelon le rapport de Theophraste, comme si le chant des Coqs hebetast, amolist & estonnast la matière & le boys du Suzeau : au quel chant pareillement ouy le Lion animant de si grande force & constance devient tout estonné, & consterné. Ie sçay que aultres ont ceste sentence entendu du Suzeau saulvaige, provenent en lieux tant esloignez de villes & villages, que le chant des Coqs n’y pourroit estre ouy. Icelluy sans doubte doibt pour flustes & aultres instrumens de Musicque estre esleu, & preferé au domesticque, lequel provient au tour des chevaulx & masures. Aultres l’ont entendu plus haultement non scelon la letre, mais allegoricquement scelon l’usaige des Pithagoriens. Comme quand il a esté dict que la statue de Mercure ne doibt estre faicte de tous boys indiferentement, ilz l’exposent que Dieu ne doibt estre adoré en façon vulgaire, mais en façon esleue & religieuse : pareillement en ceste sentence nous enseignent que les gens saiges & studieux ne se doibvent adonner à la Musique triviale & vulguaire, mais à la celeste, divine, angelique, plus absconse & de plus loing apportée : sçavoir est d’une region en laquelle n’est ouy des Coqs le chant. Car voulans denoter quelque lieu à l’escart & peu frequenté ainsi disons nous, en icelluy n’avoir esté ouy Coq chantant.

Comment pres l’isle de Chaneph Pantagruel sommeilloit, & les problèmes propouse à son reveil.

Chapitre LXIII.



Au iour subsequent en menuz devis suyvans nostre routte, arrivasmes près l’isle de Chaneph. En laquelle abourder ne peut la nauf de Pantagruel : par ce que le vent nous faillit, & feut calme en mer. Nous ne voguions que par les Valentiennes changeans de tribort en babort, & de babort en tribort : quoy qu’on eust es voiles adioinct les bonnettes trainneresses. Et restions tous pensifz, matagrabolisez, sesolfiez, & faschez, sans mot dire les uns aux aultres. Pantagruel tenent un Heliodore grec en main sus un transpontin au bout des Escoutilles sommeilloit. Telle estoit la coustume, que trop mieulx par livre dormoit, que par cœur. Epistemon reguardoit par son Astrolabe en quelle elevation nous estoit le Pole. Frère Ian s’estoit en la cuisine transporté : & en l’ascendent des broches & horoscope des fricassées consyderoit quelle heure lors povoit estre.

Panurge avecques la langue parmy un tuyau de Pantagruelion faisoit des bulles & guargoulles. Gymnaste apoinctoit des curedens de Lentisce. Ponocrates resvant, resvoit, se chatouilloit pour se faire rire, & avecques un doigt la teste se grattoit. Carpalim d’une coquille de noix groslière faisoit un beau, petit, ioyeulx, & harmonieux moulinet à aesle de quatre belles petites aisses d’un tranchouoir de Vergne. Eusthenes sus une longue Coulevrine iouoit des doigtz, comme si feust un Monochordion. Rhizotome de la coque d’une Tortue de Guarrigues compousoit une escarcelle veloutée. Xenomanes avecques des iectz d’Esmerillon repetassoit une vieille lanterne. Notre pilot tiroit les vers du nez à ses matelotz. Quand frère Ian retournant de la cabane apperceut que Pantagruel estoit resveillé.

Adoncques rompant cestuy tant obstiné silence à haulte voix : en grande alaigresse d’esprit demanda. Manière de haulser le temps en calme ?

Panurge seconda soubdain demandant pareillement. Remède contre fascherie ?

Epistemon tierça en guayeté de cœur demandant. Manière de uriner la personne n’en estant entalentée ?

Gymnaste soy levant en pieds demanda. Remède contre l’esblouyssement des yeulx ?

Ponocrates s’estant un peu frotté le front, & sescoué les aureilles demanda. Manière de ne dormir poinct en Chien ?

Attendez, dist Pantagruel. Par le decret des subtilz philosophes Peripateticques nous est enseigné, que tous problèmes, toutes questions, tous doubtes proposez doibvent estre certains, clairs, & intelligibles. Comment entendez vous, dormir en Chien ?

C’est (respondit Ponocrates) dormir à ieun en hault Soleil, comme font les Chiens.

Rhizotome estoit acropy sus le Coursouoir. Adoncques levant la teste & profondement baislant, si bien qu’il par naturelle sympathie excita tous ses compaignons à pareillement baisler, demanda. Remède contre les oscitations & baislemens ?

Xenomanes comme tout lanterné à l’acoustrement de sa lanterne, demanda. Manière de æquilibrer & balancer la cornemuse de l’estomach, de mode qu’elle ne panche poinct plus d’un cousté que d’aultre ?

Carpalim iouant de son moulinet demanda. Quants mouvemens sont præcedens en Nature avant que la persone soit dicte avoir faim ?

Eusthenes oyant le bruyt acourut sus le tillac, & dès le capestan s’escria, demandant. Pourquoy en plus grand dangier de mort est l’home mords, à ieun d’un Serpent ieun, que après avoir repeu tant l’home que le Serpent ? Pourquoy est la sallive de l’home ieun veneneuse à tous Serpens & Animaulx veneneux ?

Amis, respondit Pantagruel, à tous les doubtes & quæstions par vous propousées compète une seule solution : & à tous telz symptomates & accidens une seule medicine. La response vous sera promptement expousée, non par longs ambages & discours de parolles, l’estomach affamé n’a poinct d’aureilles, il n’oyt goutte. Par signes, gestes, & effectz serez satisfaicts, & aurez resolution à vostre contentement. Comme iadis en Rome Tarquin l’orgueilleux Roy dernier des Romains (ce disant Pantagruel toucha la chorde de la campanelle frère Ian courut à la cuisine) par signes respondit à son filz Sex. Tarquin estant en la ville des Gabins. Lequel luy avoit envoyé home exprès pour entendre, comment il pourroit les Gabins du tout subiuguer, & à perfaicte obeissance reduyre. Le Roy susdict soy defiant de la fidelité du messaigier, ne luy respondit rien. Seulement le mena en son iardin secret : & en sa veue & præsence avecques son bracquemart couppa les haultes testes des Pavotz là estans. Le messaigier

sans response, & au filz racontant ce qu’il avoit veu faire à son père : feut facile par telz signes entendre, qu’il luy conseilloit trancher les testes aux principaux de la ville, pour mieulx en office & en obeissance totale contenir le demourant du menu populaire. 

Comment par Pantagruel ne feut respondu aux problèmes propousez.

Chapitre LXIIII.



Puys demanda Pantagruel. Quelz gens habitent en ceste belle isle de Chien ?

Tous sont, respondit Xenomanes, Hypocrites, Hydropicques, Patenostriers, Chattemittes, Santorons, Cagotz, Hermites. Tous paouvres gens, vivans (comme l’hermite de Lormont entre Blaye & Bourdeaux) des aulmosnes que les voyagiers leurs donnent.

Ie n’y voys pas, dist Panurge, ie vous affie. Si ie y voys, que le diable me souffle au cul. hermittes, Santorons, Chattemittes, Cagotz, Hypocrites, de par tous les Diables ? Oustez vous de là. Il me souvient encores de nos gras Concilipètes de Chesil : que Belzebuz & Astarotz les eussent concilié avecques Proserpine : tant patismes à leur veue de tempestes & Diableries. Escoute mon petit bedon, mon caporal Xenomanes, de grace. Ces Hypocrites Hermites, Marmiteux icy sont ilz vierges ou mariez ? Y a il du feminin genre ? En tireroyt on hypocricquement le petit traict Hypocriticque ?

Vrayement, dist Pantagruel, voylà une belle & ioyeuse demande.

Ouy dea, respondit Xenomanes. Là sont belles & ioyeuses hypocritesses, chattemitesses, hermitesses, femmes de grande religion. Et y a copie de petitz hypocritillons, chattemitillons, hermitillons. (Oustez cela, dist frère Ian interrompant. De ieune Hermite vieil Diable. Notez ce proverbe autenticque.) Aultrement sans multiplication de lignée, feust long temps y a l’isle de Chaneph deserte & desolée.

Pantagruel leurs envoya par Gymnaste dedans l’esquif son aulmosne, soixante & dixhuict mille, beaulx, petitz demys escuz à la lanterne : Puys demanda. Quantes heures sont ?

Neuf, & d’adventaige, respondit Epistemon.

C’est (dist Pantagruel) iuste heure de dipner. Car la sacre ligne tant celebrée par Aristophanes en sa comœdie intitulée les Predicantes, approche : laquelle lors eschoit quand l’umbre est decempedale. Iadis entre les Perses l’heure de prendre refection estoit es Roys seulement præscripte : à un chascun aultre estoit l’appetit & le ventre pour horologe. De faict en Plaute certain Parasite soy complainct & detesté furieusement les inventeurs d’horologes & quadrans, estant chose notoire qu’il n’est horologe plus iuste que le ventre. Diogenes interrogé à quelle heure doibt l’homme repaistre ? respondit. Le Riche, quand il aura faim : Le Paouvre, quand il aura de quoy. Plus proprement disent les medecins l’heure Canonicque estre.

Lever à cinq, dipner à neuf.
Soupper à cinq, coucher à neuf.

La Magie du celèbre Roy Petosiris estoit aultre. Ce mot n’estoit achevé, quand les officiers de gueule dressèrent les tables, & buffetz : les couvrirent de nappes odorantes, assietes, serviettes, salières : apportèrent tanquars, frizons, flaccons, tasses, hanatz, bassins, hydries. Frère Ian associé des maistres d’hostel, escarques, panetiers, eschansons, escuyers tranchans, couppiers, credentiers, apporta quatre horrificques pastez de iambons si grands, qu’il me soubvint des quatre bastions de Turin. Vray Dieu comment il y feut beu & guallé. Ilz n’avoient encores le dessert, quand le vent Ouest Norouest commença enfler les voiles, papefilz, morisques, & trinquetz. Dont tous chantèrent divers Cantiques à la louange du treshault Dieu des Cielz.

Sus le fruict Pantagruel demanda. Advisez amis, si vos doubtes sont à plein resoluz.

Ie ne baisle plus Dieu mercy, dist Rhizotome.

Ie ne dors plus en Chien, dist Ponocrates.

Ie n’ay plus les yeulx esblouiz, respondit Gymnaste.

Ie ne suys plus à ieun, dist Eusthenes. Pour tout ce iour d’huy seront en sceureté de ma sallive.

Aspicz. Ascalabotes.
Amphisbènes. Æmorrhoides.
Anerudutes. Basilicz.
Abedissimons. Belettes ictides.
Alhartasz. Boies.
Ammobates. Buprestes.
Apimaos. Cantharides.
Alharrabans. Chenilles.
Aractes. Crocodiles.
Asterions. Crapaulx.
Alcharates. Catoblepes.
Arges. Cerastes.
Araines. Cauquemarres.
Ascalabes. Chiens enraigez.
Attelabes. Colotes.
Ptyades.
Cafezares. Porphyres.
Cauhares. Pareades.
Couleffres. Phalanges.
Cuharsces. Penphredones.
Chelhydres. Pityocampes.
Cronioscolaptes. Ruteles.
Chersydres. Rimoires.
Cenchrynes. Rhagions.
Coquatris. Rhaganes.
Dipsades. Salamandres.
Domeses. Scytales.
Dryinades. Stellions.
Dracons. Scorpenes.
Elopes. Scorpions.
Enhydrides. Selsirs.
Fanuises. Sclavotins.
Galeotes. Solofuidars.
Harmenes. Sourds.
Handons. Sangsues.
Icles. Salfuges.
Iarraries. Solifuges.
Ilicines. Sepes.
Ichneumones. Stinces.
Kesudures. Stuphes.
Lièvres marins. Sabtins.
Lizars Chalcidiques. Sangles.
Myopes. Sepedons.
Manticores. Scolopendres.
Molures. Tarantoles.
Myagres. Typholopes.
Musarines. Tetragnaties.
Miliares. Teristales.
Megalaunes. Vipères.

Comment Pantagruel haulse le temps avecques ses domesticques.

Chapitre LXV.



En quelle Hierarchie (demanda frère Ian) de telz animaulx veneneux mettez vous la femme future de Panurge ?

Diz tu du mal des femmes (respondit Panurge) Ho guodelureau moine culpelé ?

Par la gogue Cenomanique, dist Epistemon, Euripides escript, & le prononce Andromache, que contre toutes bestes veneneuses a esté par l’invention des Humains, & instruction des Dieux remède profitable trouvé. Remède iusques à present n’a esté trouvé contre la male femme.

Ce guorgias Euripides, dist Panurge, tous iours a mesdict des femmes. Aussi feut il par vengeance divine mangé des Chiens : comme luy reproche Aristophanes. Suivons. Qui ha si parle.

Ie urineray præsentement, dist Epistemon, tant qu’on vouldra.

I’ay maintenant, dist Xenomanes mon estomach sabourré à profict de mesnaige. Ià ne panchera d’un cousté plus que d’aultre.

Il ne me fault, dist Carpalim, ne vin ne pain. Tresves de soif, tresves de faim.

Ie ne suys plus fasché, dist Panurge, Diue mercy & vous. Ie suys guay comme un Papeguay, ioyeulx comme un Esmerillon, alaigre comme un Papillon. Veritablement il est escript par vostre beau Euripides, & le dict Silenus beuveur memorable.

Furieux est, de bons sens ne iouist,
Quiconques boyt, & ne s’en resiouist.

Sans poinct de faulte nous doibvons bien louer le bon Dieu nostre createur, servateur, conservateur, qui par ce bon pain, par ce bon vin & frays, par ces bonnes viandes nous guerist de telles perturbations tant du corps comme de l’ame : oultre le plaisir & volupté que nous avons beuvans & mangeans. Mais vous ne respondez poinct à la question de ce benoist venerable frère Ian, quand il a demandé. Manière de haulser le temps ?

Puys (dist Pantagruel) que de ceste legière solution des doubtes propousez, vous contentez, ainsi soys ie. Ailleurs, & en aultre temps nous en dirons d’adventaige, si bon vous semble. Reste doncques à vuider ce que a frère Ian propousé. Manière de haulser le temps ? Ne l’avons nous à soubhayt haulsé ? Voyez le guabet de la hune. Voyez les siflemens des voiles. Voyez la roiddeur des estailz, des utacques, & des escoutes. Nous haulsans & vuidans les tasses s’est pareillement le temps haulsé par occute sympathie de Nature. Ainsi le haulsèrent Athlas & Hercules, si croyez les saiges Mythologiens. Mais ilz le haulsèrent trop d’un demy degré : Athlas, pour plus alaigrement festoyer Hercules son hoste. Hercules, pour les aterations precedentes par les desers de Lybie. (Vraybis, dist frère Ian interrompant le propous, i’ay ouy de plusieurs venerables docteurs, que Tirelupin sommelier de vostre bon père espargne par chasucn an plus de dixhuyct cens pippes de vin, par faire les sruvenens & domesticques boyre avant qu’ilz ayent soif.) Car, dist Pantagruel continuant, comme les Chameaulx & Dromodaires en la Caravane boyvent pour la soif passée, pour la soif præsente, & pour la soif future, ainsi feist Hercules. De mode que par cestuy excessif haulsement de temps advint au Ciel nouveau mouvement de titubation & trepidation tant controvers & debatu entre les folz Astrologues.

C’est, dist Panurge, ce que l’on dict en proverbe commun.

Le mal temps passe, & retourne le bon,
Pendent qu’on trinque au tour de gras iambon.

Et non seulement, dist Pantagruel, repaissans & beuvans avons le temps haulsé, mais aussi grandement deschargé la navire : non en la façon seulement, que feut deschargée la corbeille de Æsope, sçavoir est vuidans les victuailles, mais aussi nous emancipans de ieusne. Car comme le corps plus est poisant mort que vif, aussi est l’home ieun plus terrestre & poisant, que quand il a beu & repeu. Et ne parlent improprement ceulx qui par lon voyage au matin beuvent & desieunent, puys disent. Nos chevaulx n’en iront que mieulx. Ne sçavez vous que iadis les Amycléens sus tous Dieux reveroient & adoroient le noble père Bacchus, & le nommoient Psila en propre & convenente denomination ? Psila en langue Doricque signifie aesles. Car comme les oyseaulx par ayde de leurs aesles volent hault en l’air legierement : ainsi par l’ayde de Bacchus, c’est le bon vin friant & delicieux, sont hault elevez les espritz des humains : leurs corps evidentement alaigriz : & assouply ce que en eulx estoit terrestre.

Comment près l’isle de Ganabin au commendement de Pantagruel feurent les Muses saluées.

Chapitre LXVI.



Continuant le bon vent, & ces ioyeulx propous, Pantagruel descouvrit au loing, & apperceut quelque terre montueuse : laquelle il monstra à Xenomanes, & luy demanda. Voyez vous cy davant à Orche ce hault rochier à deux crouppes bien ressemblant au mons Parnasse en Phocide ?

Tresbien, respondit Xenomanes.

C’est l’isle de Ganabim, Y voulez vous descendre ?

Non, dist Pantagruel.

Vous faictez bien, dist Xenomanes. Là n’est chose aulcune digne d’estre veue. Le peuple sont tous voleurs, & larrons. Y est toutesfoys vers ceste crouppe dextre la plus belle fontaine du monde, & autour une bien grande forest. Vos chormes y pourront faire aiguade & lignade.

C’est, dist Panurge, bien & doctement parlé. Ha, da, da. Ne descendons iamais en terre des voleurs & larrons. Ie vous asceure que telle est ceste terre icy, quelles aultres foys i’ay veu les isles de Cerq & Herm entre Bretaigne & Angleterre : telle que la Ponerople de Philippe en Thrace, isles des forfans, des larrons, des briguans, des meurtriers, & assassineurs : tous extraictz du propre original des basses fosses de la Conciergie. Ne y descendons poinct ie vous en prie. Croyez, si non moy, au moins le conseil de ce bon & saige Xenomanes. Ilz sont par la mort bœuf de boys, pires que les Caniballes. Ilz nous mangeroient tous vifs. Ne y descendez pas de grace. Mieulx vous seroit en Averne descendre. Escoutez. Ie y oy par Dieu le tocqueceinct horrificque, tel que iadis le souloient les Guascons en Bourdeloys faire contre les guabelleurs & commissaires. Ou bien les aureilles me cornent. Tirons vie de long. Hau. Plus oultre.

Descendez y, dist frère Ian, descendez y. Allons, allons, allons, tousiours. Ainsi ne poyrons nous iamais de giste. Allons. Nous les sacmenterons trestous. Descendons.

Le Diable y ayt part, dist Panurge. Ce Diable de moine icy, ce moine de Diable enraigé ne crainct rien. Il est hazardeux comme tous les Diables, & poinct des aultres ne se soucie. Il luy est advis, que tout le monde est moine comme luy.

Va ladre verd, respondit frère Ian, à tous les millions de Diables, qui te peussent atomizer la cervelle, & en faire des entommeures. Ce Diable de fol est si lasche & meschant, qu’il se conchie à toutes heures de male raige de paour. Si tant tu es de vaine paour consterné, ne y descens pas, reste icy avecques le baguaige. Ou bien va te cacher soubs la cotte hardie de Proserpine à travers tous les millions de Diables. A ces motz Panurge esvanouyt de la compaignie : & se mussa au bas dedans la Soutte, entre les croustes, miettes, & chaplys du pain.

Ie sens, dist Pantagruel, en mon ame retraction urgente, comme si feust une voix de loing ouye : laquelle me dict, que ne y doibvons descendre. Toutes & quantes foys qu’en mon esprit i’ay tel mouvement senty, ie me suys trouvé en heur refusant & laissant la part dont il me retiroit : au contraire en heur pareil ne suys trouvé fuyant la part qu’il me poulsoit : & iamais ne m’en repenty.

C’est, dist Epistemon, comme le Dæmon de Socrates tant celebré entre les Academicques.

Escouttez doncques, dist frère Ian, ce pendent que les chormes y font aiguade. Panurge là-bas contrefaict le Loup en paille. Voulez vous bien rire ? Faictez mettre le feu en ce Basilic que voyez près le chasteau guaillard. Ce sera pour saluer les Muses de cestuy mons Antiparnasse. Aussi bien se guaste la pouldre dedans.

C’est bien dict, respondit Pantagruel. Faictez moy icy le maistre bombardier venir.

Le bombardier promptement comparut. Pantagruel luy commenda mettre feu on Basilic, & de fraisches pouldres en tout evenement le recharger. Ce que feut sus l’instant faict. Les Bombardiers des aultres naufz, Ramberges, Guallions, & Gualleaces du convoy au premier deschargement du Basilic qui estoit en la nauf de Pantagruel, mirent pareillement feu chascun en une de leurs grosses pièces chargées. Croyez qu’il y eut beau tintammare.

Comment Panurge par male paour se conchia, & du grand chat Rodilardus pensoit que feust un Diableteau.

Chapitre LXVII.



Panurge comme un boucq estourdy sort de la Soutte en chemise, ayant seulement un demy bas de chasses en iambes : sa barbe toute mouschetée de miettes de pain tenent en main un grand chat Soubelin attaché à l’aultre demy bas de ces chausses. Et remuant les babines, comme un Cinge qui cherche poulz en teste, tremblant, & clacquetant des dens se tira vers frère Ian, lequel estoit assis sus le poretehaubant de tribort : & devotement le pria avoir de luy compassion : & le tenir en saulveguarde de son, bragmart. Affermant & iurant par sa part de Papimanie, qu’il avoit à heure præsente veu tous les Diables deschainez.

Agua men emy (disoit il) men frère, men père spirituel, tous les Diables sont auiourd’huy de nopces. Tu ne veids oncques tel apprest de bancquet infernal. Voy tu la fumée des cuisines d’Enfer ? (Ce disoit monstrant la fumée des pouldres à canon dessus toutes les naufz.) Tu ne veids oncques tant d’ames damnées. Et sçaiz tu quoy ? Agua men emy, elles sont tant douillerttes, tant blondelettes, tant delicates, que tu diroys proprement que ce feust Ambrosie Stygiale. I’ay cuydé (Dieu me le pardoient) que feussent ames Angloyses. Et pense que à ce matin ayt esté l’isle des chevaulx près Escosse par les seigneurs de Termes & Dessay saccagée & sacmentée avecques tous les Angloys qui l’avoient surprinse.

Frère Ian à l’approcher sentoit ie ne sçay quel odeur aultre que de la pouldre à canon. Dont il tira Panurge en place, & apperceut que sa chemise estoit toute foireuse & embrenée de frays. La vertus retentrice du nerf qui restrainct le muscle nommé Sphincter (c’est le trou du cul) estoit dissolue par la vehemence de paour qu’il avoit eu en ses phantasticques visions. Adioinct le tonnoirre de telles canonnades : lequel plus est horrificque par les chambres basses que n’est sus le tillac. Car un des symptomes & accidens de paour est, que par luy ordinairement se ouvre le guischet du serrail on quel est à temps la matière fecale retenue.

Exemple en messere Pantolfe de la cassine Senoys. Lequel en poste passant par Chambery, & chez le saige mesnagier Vinet descendent print une fourche de l’estable : puys luy dist. Da Roma in qua io non son andato d’el corpo. Di gratia piglia in mano questa forcha, & fa mi paura. Vinet avecques la fourche faisoit plusieurs trous d’escrime, comme faignant le vouloir à bon essyant frapper. Le Senoys luy dist. Se non fai altramenrte, tu non fai nulla. Pero sforzati du adoperar li piu guagliardamente. Adoncques Vinet de la fourche luy donna un si grand coup entre col & collet, qu’il le iecta par terre à iambes redindaines. Puys bavant & riant à pleine gueule luy dist. Feste Dieu Bayart, cela s’appelle, Datum Camberiaci. A bonne heure avoit le Senoys ses chausses destachées. Car soubdain il fianta plus copieusement, que n’eussent faict neuf Beufles & quatorze Archiprebstres de Hostie. En fin le Senoys gracieusement remercia Vinet, & luy dist. Io ti ringratio bel messere. Cosi facendo tu m’hai esparmiata la speza d’un servitiale.

Exemple aultre on roy d’Angleterre Edouart le quint. Maistre François Villon banny de France s’estoit vers luy retiré : il l’avoit en si grande privauté repceu, que rien ne luy celoit des menus negoces de sa maison. Un iour le Roy sudict estant à ses affaires monstra à Villon les armes de France en paincture, & luy dist. Voyds tu quelle reverence ie porte à tes roys François ? Ailleurs n’ay ie leurs armoyries que en en retraict icy près ma scelle persée. Sacre Dieu (respondit Villon) tant vous estez saige, prudent, entendu, & curieux de vostre santé. Et tant bien estez servy de vostre docte medicin Thomas Linacer. Il voyant que naturellement sus vos vieulx iours estiez constippé du ventre : & que iournellement vous failloit au cul fourrer un apothecaire, ie diz un clystère, aultrement ne povyez vous esmentir, vous a faict icy aptement, non ailleurs, paindre les armes de france, par singuliaire & vertueuse providence. Car seulement les voyant vous avez telle vezarde, & paour si horrificque, que soubdain vous fiantez comme dichuyct Bonase de Pæonie. Si painctes estoient en aultre lieu de vostre maison : en vostre chambre, en vostre salle, en vostre chapelle, en vos gualleries ou ailleurs, sacre Dieu vous chiriez par tout sus l’instant que les auriez veues. Et croy que si d’abondant vous aviez icy en paincture la grande Oriflambe de France, à la veue d’icelle vous rendriez les boyaulx du ventre par le fondement. Mais hen, hen, atque iterum hen.

Ne suys ie badault de Paris ?
De Paris diz ie, auprès Pontoise :
Et d’une chorde d’une toise,
Sçaura mon coul, que mon cul poise.

Badault diz ie, mal advisé, mal entendu, mal entendent, quand venant icy avecques vous m’esbahyssoys de ce qu’en vostre chambre vous estez faict vos chausses destacher. Veritablement ie pensoys qu’en icelle darrière la tapisserie, ou en la venelle du lict feust vostre scelle persée. Aultrement me sembloit le cas grandement incongru, soy ainsi destacher en chambre pour si loing aller au retraict lignagier. N’est ce un vray pensement de Badault ? le cas est faict par bien aultre mystère, de par Dieu. Ainsi faisant, vous faictez bien. Ie diz si bien, que mieulx ne sçauriez. Faictez vous à bonne heure, bien loing, bien à poinct destacher. Car à vous entrant icy, n’estant destaché, voyant cestes armoyries : notez bien tout : sacre Dieu le fond de vos chausses feroit office de Lazanon, pital, bassin fecal, & de scelle persée.

Frère Ian estouppant son nez avecques la main guausche, avecques le doigt indice de la dextre monstroit à Pantagruel la chemise de Panurge. Pantagruel le voyant ainsi esmeu, transif, tremblant, hors de propous, conchié, & esgratigné des gryphes du celèbre chat Rodilardus, ne se peut contenir de rire, & luy dist. Que voulez vous faire de ce chat ?

De ce chat, respondit Panurge. Ie me donne au Diable, si ie ne pensoys que feust un Diableteau à poil follet, lequel naguères i’avoys cappiettement happé en Tapinois à belles mouffles d’un bras de chausses, dedans la grande husche d’Enfer. Au Diable soyt le Diable. Il m’a icy deschicqueté la peau en barbe d’Escrevisse. Ce disant iecta bas son chat.

Allez, dist Pantagruel, allez de par Dieu, vous estuver, vous nettoyer, vous asceurer, prendre chemise blanche, & vous revestir. Dictez vous, respondit Panurge, que i’ay paour ? Pas maille. Ie suys par la vertus Dieu plus couraigeux, que si i’eusse autant de mousches avallé, qu’il en est mis en paste dedans Paris, depuys la feste sainct Ian iusques à la Toussains. Ha, ha, ha ? Houay ? Que Diable est cecy ? Appellez vous cecy foyre, bren, crottes, merde, fiant, deiection, matière fecale, excrement, repaire, laisse, esmeut, fumée, estront, scybale, ou spyrathe ? C’est (croy ie) sapphran d’Hibernie. Ho, ho, hie. C’est saphran d’Hibernie. Sela, beuvons.


Fin du quatrieme liure des faicts & dicts Heroïcques du noble Pantagruel.

  1. Reproduction figurée du frontispice de rédition séparée de 1552. Pour la description de cette édition et des précédentes, voir notre bibliographie. En lisant ce livre, il est bon d’avoir continuellement sous les yeux la Briefue declaration d’aucunes dictions plus obſcures… attribuée avec assez de vraisemblance à Rabelais. Voyez t. III, p. 194-207.
  2. Bon. 1548 : Noble.
  3. Venim. Ce mot est orthographié ainsi dans la marque de Fezandat que porte ce volume. Brunet, en la reproduisant, donne venin, qui peut se trouver sur certains ouvrages ; mais venim, seul indiqué dans le Dictionnaire françois-latin de 1539, est plus en rapport avec les dérivés venimeux, envenimer, comme aujourd’hui encore parfum avec parfumer.
  4. Auec priuilege du Roy. Il est en tête du tiers livre imprimé la même année, par le même libraire, et s’applique, non seulement aux livres de Rabelais déjà publiés, mais à « ceulx qu’il delibere de nouuel mettre en lumiere. » (t. II, p. 4). Cette autorisation si étendue et si explicite n’empêcha pas le Parlement de poursuivre le quart livre le 1er mars 1552 (1551 vieux style). Voyez t. III, p. 420, et le Commentaire.
  5. A… Mon Seigneur Odet. Cette dédicace et le prologue qui la suit n’ont paru que dans l’édition de 1552. Celle de 1548 était précédée d’un autre prologue. Voyez t. III, p. 185-193, et le Commentaire.
  6. Comparée à vn combat, & farce. Hippocrate dit seulement (Des Épidémies, VI.) : « L’art se compose de trois termes : la maladie, le malade et le médecin. »
  7. M’eſt ſoubuenu d’vne parolle de Iulia. Voyez Macrobe, Saturnales, II, 5.
  8. Reubarbarif. Équivoque sur le mot rhubarbe écrit reubarbe par Rabelais et ses contemporains. Voyez le Glossaire.
  9. Eſt par Herophilus blaſmé Callianax. Rabelais, qui probablement cite de mémoire, confond un peu les faits. Voici le passage de Galien (liv. IV, commentaire sur le VIe liv. d’Hippocrate Des maladies épidémiques, édit. de Chartier, t. IX, p. 482) : « Quelques médecins tiennent des discours d’une fatuité incroyable semblables à ceux que cite Zeuxis du livre de Bacchius, où cet auteur a rapporté les paroles et les actions d’Hérophile et de ses sectateurs. Il raconte de Callimax l’Hérophilien, que voyant un malade qui lui disait : « Mourrai-je ? — Oui, lui répondit-il par un vers grec, oui sans doute, à moins que vous ne soyez le fils de Latone. » À un autre malade qui lui demandait la même chose, il répondit : « Patrocle est bien mort, qui valait infiniment mieux que vous. » Les vers sur Patrocle sont dits par Achille dans l’Iliade, II, 21. Quant au vers où il est question des enfants de Latone, on ignore d’où il est tiré. Enfin le passage de Pathelin se trouve dans la scène où il s’adresse au drapier que, dans son prétendu délire, il prend pour son médecin (p. 45).
  10. Διάϐολος. Mot qui signifie calomniateur et diable.
  11. Anagnoſte. Ce lecteur de François Ier est Pierre du Châtel, évêque de Tulle, de Mâcon, puis d’Orléans, alors favorable aux doctrines protestantes.
  12. Lon m’en a aulcuns ſuppoſé faulx & infames. Voyez le Priuilege en tête du tiers livre, t. II, p. 3.
  13. Vn N. mis pour vn M. Voyez ci-dessus, p. 240, la note sur la l. dernière de la p. 110.*
    * Son ame s’en va à trente mille panerées de diables. On lit encore à la fin de la page suivante : « ſon ame s’en va à trente mille charrettées de Diables, » et au commencement du chapitre suivant : « qu’il ne damne ſon ame. » Dans tous ces passages l’édition de 1552 donne bien ame, mais il y avait aſne dans celle de 1546. Dans son épitre adressée, le 28 de janvier 1552, à monseigneur Odet, en tête du quart livre (t. II, p. 251), Rabelais ne se reconnaît point responsable de cette facétie, qui avait été prise au tragique, et il dit que François Ier « auoit eu en horreur quelque mangeur de ſerpens, qui fondoit mortelle hæreſie ſus vn N. mis pour vn M. par la faulte & negligence des imprimeurs. »

    Il faut reconnaître que Rabelais était le vrai coupable. Ses imitateurs ne s’y sont pas trompés et ont renouvelé cette dangereuse plaisanterie : « Il ne voulut pas ſe donner au diable apres ſon aſne. » (Moyen de parvenir, p. 67.) — Le Mondain. « Ie ne m’ébahi plus maintenant ſi tu n’as dit gueres de bien de ceus qui conſeruent la ſanté du cors, que meſme tu fais tant peu de comte des autres qui gardent celle de l’ame. Le Democritic. Comment la ſelle de l’aſne, dis-tu ? Quant eſt de moy ie n’ay aſne ni aſneſſe. Le Cosmophile. Ie di celle de l’ame, c’eſt à dire la ſanté de noſtre ame. » (Jacques Tahureau, Premier dialogue du Democritic, p. 93, édit. Lemerre)

  14. Gens de bien… Ie ne vous peuz veoir. Voyez ci-dessus, p. 168, la note sur la l. 3 de la p. 232.* Cette espèce de dicton a été bien souvent répétée : « Ha ! gens de bien, ie ne vous puis voir, mon chappeau eſt percé. » (Du Fail, t. I, p. 297.) — « Bonnes gens, je ne vous puis voir, comme dit Maiſtre François dans ſon livre. » (La Fontaine, Lettres, au prince de Conti, nov. 1689)

    *

  15. Bien & beau s’en va Quareſme. Cette formule est le titre d’un des jeux de Gargantua. Voyez t. I, p. 82.
  16. Meſpris des choſes fortuites. Budé a écrit un traité : De Contemptu rerum fortuitarum.
  17. Ιητρὸς… βρύων. Plutarque, dans son Discours contre l’épicurien Colotès, attribue ce vers à un tragique grec qu’il ne nomme point.
  18. Plus brauement ſe vantoit Aſclepiades. Voyez Pline, VII, 37.
  19. Tant riche royaulme. Il y a un premier tirage de ce prologue, dans lequel après riche on lit : & triumphant, et où les épithètes grand, victorieux & triumphant (l. 25) n’accompagnent pas le nom de Henri II. Elles ont probablement été ajoutées lorsqu’il fut entré victorieux dans Metz le 18 avril.
  20. Demandans reſtabliſſement de leurs cloches. Les habitants de la Guyenne s’étant révoltés contre la gabelle, on leur avait retiré leurs cloches en 1549. Rabelais n’avait garde d’oublier leurs réclamations, qui semblent fournir une suite au discours de Janotus à Gargantua.
  21. Aberkeids. « Vilifiés, » dit la briefue declaration. Les commentateurs n’ont accepté ni ce texte, ni cette traduction, et veulent changer l’un et l’autre ; mais tous, même Régis, y perdent leur… allemand. Ce qu’il y a de sûr c’est que le sens réclame un mot opposé à invincible, et que vilifié, avili, est, à ce point de vue, fort satisfaisant.
  22. Rameau & …Galland. Galland venait de mêler Rabelais à leur querelle en écrivant en 1551, dans sa réponse à une harangue de Ramus (7e ft. vo) : « Melior pars eorum qui haſce nugas lectitant. Rame… non ad fructum aliquem ex iis capiendum, ſed veluti vernaculos ridiculi Pantagruelis libres ad luſum & animi oblectationem lectitant. »
  23. Et habet… mentem. « Et ta mentule a de l’esprit. » Jeu de mots entre mentula et mens, esprit, intelligence. Voy. ci-après la note sur la p. 263.
  24. Le Renard par ſon deſtin ne doibuoit eſtre prins. Voyez Pollux (Onomascicon, V, 5) et Pausanias (IX, 19). Furetière a reproduit ce récit à la fin du Roman bourgeois (liv. II, p. 132, éd. Jannet.) : « Le hazard voulut qu’un jour le chien fée fut laſché ſur le lièvre fée. On demanda là-deſſus quel ſeroit le don qui prévaudroit : ſi le chien prendroit le lièvre, ou ſi le lièvre échapperoit du chien, comme il eſtoit écrit dans la deſtinée de chacun. La réſolution de cette difficulté eſt qu’ils courent encore. »
  25. Pierre du coingnet… pour meſmes cauſez petrifié. Voyez Satyre de maiſtre Pierre du Cuignet ſur la Petromachie de l’Vniuerſité de Paris, Œuvres poétiques de Joachim du Bellay, t. II, p. 408, La Pléiade françoiſe.
  26. O belle mentule. Voyez ci-dessus la note sur la l. 6 de la p. 259.*

    * Et habet… mentem. « Et ta mentule a de l’esprit. » Jeu de mots entre mentula et mens, esprit, intelligence. Voy. ci-après la note sur la p. 263.

  27. En ay ie ? Il disait ce « petit mot » en montrant sa coignée, comme Pathelin (Farce de Pathelin, P. 25) en montrant à sa femme le drap qu’il lui avait promis de se procurer, et qu’il venait de dérober au marchand.
  28. Les mules au talon. Ce sont les engelures. On lit dans la proclamation du roi des fous à Poligny (1494) : « Pauures gens allant à pied, faute de cheual, ayant les mules au talon, faute de ſouliers. » Cette expression entrait souvent dans des imprécations rotesques, grossièrement rimées. Les enfants du Jura criaient jadis aux montagnards :

    Montagnon la rougne,
    Quatre pieds de chougne (crotin)
    La mule aux talons
    Grave montagnon.

    Voyez Toubin, Supplément au dictionnaire des patois jurassiens, aux mots chougne et mule. Mémoires de la Société d’émulation du Jura.

  29. Au iour des feſtes Veſtales. Le 9 juin.
  30. Quand Iſrael. Ps. 113, traduit en vers par Cl. Marot.
  31. Suedes. Il y a : Suèves (Suevorum) dans les auteurs que cite Rabelais.
  32. Vn Tarande, que luy vendit vn Scythien. Il y a veſdit dans notre texte, mais c’est une faute d’impression. Voyez la description du Tarande dans Pline, VIII, 34. On trouve dans le même livre des détails sur la plupart des animaux dont il est question ici. Il faut remarquer que Rabelais a le soin de placer toutes ces merveilles dans l’île de Medamothi. « nulle part. »
  33. Partement. Ainsi dans 1552. 1548 : portement, qui paraît préférable et qui se trouve à la page précédente, l. 26, et à la page suivante, l. dernière.
  34. La moytié du tout. — … πλέον ἤμισυ παντὸς. (Travaux et jours, v. 40.) Rabelais semble avoir eu en vue cette autre maxime : Ἁρχὴ τὸ ἤμισυ παντός, attribuée par erreur à Hésiode.
  35. Chapitre general des Lanternes. Tous les commentateurs, même les plus réservés quant aux interprétations historiques, s’accordent à voir dans ce chapitre général, convoqué pour « la fin de Iuillet, » où l’on devait « profondement lanterner, » et d’où l’on revenait par le mont Cenis (t. II, p. 297, l. 20), le concile de Trente dont la sixième session avait été convoquée pour le 29 juillet 1546.
  36. Comment… Panurge marchande auecques Dindenault vn de ſes moutons. Le récit qui occupe ce chapitre et les deux suivants est connu de tout le monde. La locution proverbiale : « les moutons de Panurge, » appliquée à ceux qui suivent sans réflexion l’exemple qui leur est donné, l’a rendu populaire. L’idée en est empruntée à Merlin Coccaie, qui raconte dans sa XIe macaronée l’expédient de Cingar pour se débarrasser des moutons et des marchands qui encombraient l’embarcation dont il avait besoin :

    Fraudifer ergo loquit paſtorem Cingar ad vnum :
    Vis, compagne, mihi caſtronem vendere graſſum ?…

    Dans le conte de L’Abbesse. La Fontaine met en vers l’histoire des moutons de Panurge, et dans L’Ours & les deux Compagnons, il y fait allusion par ce vers :

    Dindenaut priſoit moins ſes Moutons qu’eux leur Ours.

  37. Si la chorde ne rompt.

    Nous allons voir beau ieu, ſi la corde ne rompt.

  38. De haulte greſſe. Voyez ci-dessus, p. 62, note sur la l. 21 de la p. 5.*

    *

  39. Voire. Selon Le Duchat, c’est ici une raillerie dirigée contre Calvin ; et Burgaud des Marets a cité un passage du catéchisme de ce réformateur pour prouver qu’en effet l’enfant y répond presque toujours au ministre : « voire ou je l’entends ainsi. » Cette critique de détail n’est donc point sans vraisemblance ; mais il faut se garder de partir de là pour identifier Calvin avec Dindenault, comme le fait Éloi Johanneau, et pour voir dans le débat entre Panurge et le marchand de moutons la dispute des catholiques et des calvinistes au sujet de l’agneau divin mangé dans la sainte cène.
  40. Nouueaulx Henricus. « Les Henris, monnaie d’or frappée par Henri II seulement, le furent pour la première fois en vertu d’une ordonnance de 1549 (31 janvier 1548, v. st.) ; une seconde émission eut lieu en 1551. » (Cartier, numismatique, p. 347)
  41. Clericus vel adiſcens. « Clerc ou étudiant. » — « Dindenault, jaloux de montrer sa science, observe Burgaud des Marets, dit que les mots latins ita et vere (oui, vraiment) signifient choux, poireaux. » Il est difficile en effet d’expliquer autrement ce passage ; mais il doit y avoir quelque jeu de mots que nous ne comprenons plus. Vere fait probablement allusion aux poireaux qui sont verts.
  42. Le plus ſot… animant. — Ηάντων ναὶ τῶν τετραπόδων ϰάϰιστον ἐστι.
  43. Thibault l’aignelet ?… Regnauld belin. Le premier est le berger de la farce de Pathelin ; le second est, suivant les commentateurs, le Regnault de la chanson citée par Rabelais, t. I, p. 152, l. dernière ; mais cette conjecture est fort douteuse.
  44. Tour de vieille guerre.

    C’eſt tour de vieille guerre.

  45. Mihi vindictam. « A moi la vengeance… » Allusion à ce passage de S. Paul (Épître aux Hébreux, X, 30) : « Scimus enim qui dixit : Mihi vindicta, et ego retribuam. »
  46. As de treuffles. « Le nez de mon bisaïeul était absolument pareil aux nez de tous les hommes, femmes & enfants que Pantagruel trouva habitant l’île d’Ennasin… il était fait, monsieur, comme un as de trèfle. » (Triſtram Shandy, liv. III, ch. LXXVI)
  47. Maigre. Il s’agit ici du poisson appelé sèche ou ombre. Ce chapitre ne se compose presque que de jeux de mots assez fades et très libres.
  48. N’eſt ce Eſtrille fauueau ? « C’est ici l’ame du vieux rebus composé d’une étrille, d’une faulx & d’un veau… On le trouve dans ces vers de Marot, qui font de sa 2. Épître du Coq à l’âne :

    Vne eſtrille, vne faulx, vn veau,
    C’eſt à dire eſtrille Fauueau,
    En bon rebus de Picardie.

    Mais Durand Gerlier, Libraire à Paris, se l’étoit approprié avec la Devise dès l’an 1489. Voiez la Caille, Hist. de l’Imprimerie, p. 65. » (Le Duchat)

  49. Ma coingnee. Voyez les équivoques du même genre, t. II, p. 262 et 263.
  50. La grande manche. Voyez ci-dessus, p. 226, la note sur la l. 5 de la p. 26.*
    * Plus ayment la manche que le braz. Jeu de mots sur manche, pris au sens de mancia, italien, pour épingles, paragante, présent. Ailleurs (t. II, p. 301) Rabelais parle de « la grande manche que demandent les courtiſanes Romaines. »

  51. Bren, c’eſt merde à Rouan. Bouchet (XIIIe serée) complète ce dicton par : « qui ne la mange aux faux-bourgs. »
  52. Da iurandi. Voy. ci-dessus, p. 167, la note sur la l. 30 de la p. 231.*

  53. L’harmonie des contrehaſtiers. Le ravissement de frère Jean à ce « branlement » et à cette « harmonie » semble une sorte de parodie rabelaisienne de l’harmonie des sphères si éloquemment décrite par Platon, et aussi par Cicéron dans le Songe de Scipion.
  54. Seriuice du vin. Voyez ci-dessus, p. 125, la note sur la l. 2 de la p. 105.*

  55. Beau… via. « Heureux les immaculés dans la voie. » (Ps. 118). Il s’agit ici de ceux qui ont la chance de ne pas se tacher dans le chemin de la cuisine.
  56. Vingt ans. 1548 : Douze. C’est-à-dire vers 1532 ou 1536. Cette dernière date est celle des lettres de Rabelais écrites de Rome. Il est probable que lors de ce voyage en Italie il passa par Florence.
  57. Afriquanes. Expression purement latine : « Senatus consultum fuit vetus, ne liceret Africanas in Italiam advehere. » (Pline VIII, 18). Dans l’édition de 1548 on trouve à la ligne suivante, après le mot semble : ou bien ours lybistide.
  58. Ce qu’ilz appellent Tygres. On voit qu’à cette époque le mot tigre, qui figure pourtant en 1539 dans le Dictonnaire Françoiſlatin d’Estienne, était peu usité. Cela se trouve confirmé par ce passage des Voyages de Montaigne, écrit en 1580, et où se trouve une description de la même ménagerie : « Nous y viſmes (à Florence) l’eſcurie du grand Duc… auſſi vn chameau, des lions, des ours, & vn animal de la grandeur d’vn fort grand matin de la forme d’vn chat, tout martelé de blanc & noir, qu’ils noment vn tigre. » (Édit. in-4o de 1774, p. 109)
  59. Par ſainct Ferreol d’Abbeuille, les ieunes bachelettes de nos pays ſont mille foys plus aduenentes. Saint Ferréol est invoqué ici parce qu’il était regardé comme protégeant l’élève et l’engraissement des oies. « les vns diſent que ſaint Feriol eſt le plus habile du monde à garder les oyes. » (H. Estienne, Apologie pour Hérodote, c. XXXVIII). La Fontaine partageait un peu les opinions de « Bernard lardon » en archéologie :

    Charmans objets y ſont en abondance (à Rheims).
    Par ce point-là je n’entends quant à moy
    Tours ny portaux, mais gentilles Galoiſes.

    (La Fontaine, Les Remois)
  60. Auoir leu. Voyez Plutarque, Apophtegmes, et Propos de table, IV, 4.
  61. Paſſa Procuration. Terme de droit qui forme ici un jeu de mots. Il ne faudrait pas croire que les violentes attaques auxquelles se livre Rabelais contre les Chicanous étaient une nouveauté. Avant lui, non seulement les satiriques, mais les prédicateurs, tels que Menot et Maillard, avaient poursuivi de leurs invectives, gens de justice, juges, avocats, procureurs, sergents. Voyez H. Estienne, Apologie pour Hérodote, c. VI. — Pierre le Loyer, angevin, dans sa Néphélococugie, imitation fort amusante de la comédie des Oiseaux, d’Aristophane, a substitué au sycophante un personnage nommé Chicanoux, inspiré par ce chapitre. Voyez Egger, Hellénisme en France, t. II, p. 12.
  62. Femmes & enfans.

    Frappez. J’ay quatre enfans à nourrir.

  63. La couſtume obſeruee en toutes fianſailles. « Apres les coups de poings de fiançailles, à la mode du païs, Claribel changea le dueil de ſon pere, pour les ioyes d’vn nouueau mariage, « (Yver, poitevin, Le Printemps d’Yver, journée 5)
  64. Anneau d’argent gros & large. Servant de cachet, de sceau.
  65. Eſgue orbe. « Equa orba. » Chicanous parle comme l’écolier limousin. C’est, aux yeux de Rabelais, un nouveau grief contre lui.
  66. La monſtre de la diablerie. « L’exhibition, l’essai, la répétition, comme nous dirions aujourd’hui. » (Burgaud des Marets). Cette remarque n’est pas exacte. Cette « monſtre » eut lieu « parmy la ville & le marché. » Le nom d’« exhibition » peut, à la rigueur, convenir, mais non celui de « répétition. » C’était une annonce et un cortège, ce que les entrepreneurs de cirques forains appellent « le tour de ville. »
  67. Hic… biſacco. « Celui-là est de patrie et de race bélitre, qui a coutume de porter des bribes dans un antique bissac. »
  68. La diablerie de Saulmur, de Doué. Voyez ci-dessus, p. 226, la note sur la l. 2 de la p. 27,* et, p. 227, la note sur la l. 28 de la p. 28.*

    * La paſſion de Saulmur. Cette représentation de la Passion a eu lieu en 1534. Jean Bouchet, l’ami de Rabelais, donne à ce sujet de curieux détails, dans son Epiſtre LXXXIX. Voyez Histoire du théâtre en France : les mystères, par L. Petit de Julleville, t. II, p. 125-127. — Ailleurs (t. II, p. 318), Rabelais cite avec éloge « la diablerie de Saulmur. »

    * Ieuz de Doué. Cette « diablerie » de Doué, petite ville de Maine-et-Loire, à vingt kilomètres de Saumur, faisait partie d’une représentation de la Passion. « Plus hideux & villains que les Diableteaux de la paſſion de Doué, » dit Rabelais dans le Quart livre. (t. II, p. 454)

  69. Saincts OO. Prières qu’on faisait pendant les neuf jours précédant Noël, et qui commençaient par O : « O Sapientia… O Adonaï… O Radix… »
  70. Seigneur de la roche Poſay. « Jean Châtaigner, Seigneur de la Roche-Posay, de S. Georges de la Roche-Faton, & de Bernay, Maître d’Hôtel des Rois François I. & Henri II. Il boitoit depuis l’année 1552, qu’étant guidon de la Compagnie de Gensdarmes du Bâtard de Savoie, il eut la jambe cassée d’un coup de mousquet au siége de Pavie. Voiez les Obséques du Roi François I, p. 39. de l’Hist. généal. de Sainte-Marthe, l. 30, & les Mémoires de Martin du Bellai, l. 2. » (Le Duchat)
  71. Ieu n’eſt ce.

    … Il vauldroit mieulx employer ſa ieuneſſe
    Pour auoir cerfz à force ; car ieu n’eſſe
    De pourſuyuir biches blanches…

    (Guillaume Cretin, Poéſies, édit. Coustelier, p. 109)
  72. Monſieur le Roy (ainſi ſe nomment Chiquanous). Leur titre était « sergents le Roi, » c’est-à-dire sergents du roi. Roche-Boisseau appelle aussi « Monſieur le Roy » un sergent de Douai, dans les Aventures du baron de Fæneſte, liv. III, c. 5 : De la Roche-Boiſſeau & des Sergents.
  73. Le philoſophe Samoſatoys. Lucien de Samosate, dans le dialogue intitulé : Les Lapithes.
  74. Les nopces de Baſché en prouerbe commun. « Là dedans y a bien pis qu’aux noces de Bâché. » (D’Aubigné, Aventures du baron de Fæneſte, liv. III, c. 5.) Cette expression se trouve aussi dans Bouchet (l. I, 3e serée, p. 108, et l. III, 27e serée, p. 203). Lacurne de Sainte-Palaye cite ce dernier passage dans son glossaire. Son éditeur, qui semble n’avoir pas Rabelais fort présent, hasarde, à ce sujet, cette note étrange : « Baſché ne ſeroit-il pas pour bazoche, comme baſchea eſt pour baſilica ? »
  75. L. Neratius. Voyez Aulu-Gelle, XX, 1.
  76. Io, io, io. « Moi, moi, moi. » On ne devine pas bien pourquoi ils emploient ce mot italien.
  77. Il en embourſoit tous iours vingt huict & demy.

    … Et ſi dans la Province
    Il ſe donnoit en tout vingt coups de nerfs de bœuf,
    Mon Pere pour ſa part en embourſoit dix-neuf.

  78. Thohu & Bohu. Ces mots hébreux, expliqués dans la briefue declaration, sont tirés du commencement de la Genèse : « Et terra erat solitudo (tohu) et inanitas (bohu). »
  79. Celtes… François. 1548 : Gymnozophiſtes d’Indie.
  80. Meta ta phyſ. Transcription abrégée du titre grec de la métaphysique d’Aristote, intitulée μετὰ τὰ φυσιϰά simplement parce qu’elle était placée après la physique.
  81. Mort par eſtre mords. Jeu de mots : mort pour avoir été mordu. L’épitaphe mentionnée par Rabelais se lit dans une église de religieux Augustins. Le Duchat nous l’a donnée d’après plusieurs voyageurs :

    Hospes, disce novum mortis genus, improba felis,
    Dura trahitur, digitum mordet, et intereo.

    Elle avait sans doute frappé Rabelais lors de son séjour à Rome.

  82. Quenelaut… tiré. 1548 : Quignemauld, normand medecin, grand aualeur de pois gris & berlandier treſinſigne, lequel ſubitement à Monſpellier treſpaſſa par faute d’auoir payé ſes debtes & pour auec vu trancheplume de biès s’eſtre tiré. La dernière rédaction, beaucoup moins satirique que la première, nous donne probablement le nom véritable de ce médecin, travesti d’abord en Guinemauld, c’est-à-dire qui guigne, qui regarde, qui guette les maux, les maladies.
  83. Philomenes. Voyez ci-dessus, p. 116, note sur la l. 11 de la p. 73.*

    *

  84. Spurius Saufeius. Ce personnage est ainsi nommé par Fulgose, IX, 12. Pline (liv. VII) l’appelle Appius Saufeius.
  85. A la gueule d’vn four chauld. Quolibet populaire, que Rabelais n’a pas inventé et dont on trouve des équivalents :

    Comme elle fiert & tambure !
    Que ne ſont ſes deux poings de beurre,
    Droict au meilleu d’vng four bien chault !

    (Farce des cinq Sens. Anc. Théât. Fran. t. III, p. 311.)
  86. Enig & Euig. Ces deux expressions ont reçu dans la briefue declaration une interprétation inexacte. Enig (einig) signifie aucun ; et ewig, perpétuel.
  87. Comment Pantagruel euada vne forte tempeſte en mer. On trouvera dans le glossaire l’explication de tous les termes de marine contenus dans ce chapitre et dans les suivants. Nous profiterons des explications et des critiques de Jal dans son Glossaire nautique et dans le neuvième mémoire de son archéologie navale, consacré au « nauiguaige » de Pantagruel.
  88. Neuf Orques. 1548 : Vne ; ce qui est d’accord avec ce qu’on trouve au chapitre suivant (p. 340, l. 8) : la Orque. Il est probable que dans l’édition de 1552 Rabelais a changé une en neuf, pour augmenter le nombre des moines, et qu’il a oublié de modifier le second passage.
  89. Toute bonne fortune. Il est plaisant de voir les heureux présages que Panurge tire de la présence des moines rapidement démentis.
  90. Inuocqua… s’eſcria. 1548 : Inuoca les deux enfans beſſons de Leda, & la cocque d’œuf, dont ilz furent eſclouz & s’eſcria.
  91. Nous ne boirons tantouſt que trop. « Quidam orta tempeſtate in mare, cœpit avidiſſime comedere carnes ſalitas, dicens hodie plus ſe habiturum ad bibendum quam nunquam antea. » (Bebelius, Facéties.)
  92. Le declaira bien heureux. Panurge prête ici plaisamment ses pensées au philosophe stoïcien. Plutarque (Comment on pourra apercevoir si l’on profite dans l’exercice de la vertu, II) et Diogène Laërce (Vies des philosophes) racontent seulement que, pendant une tempête, Pyrrhon montra à ses amis un jeune porc qui mangeait tranquillement de l’orge, disant que le sage devait imiter son impassibilité.
  93. Tout eſt frelore bigoth.

    Eſcampe toute frelore
    La tintelore frelore,
    Eſcampe toute frelore, bigot !

    (La Guerre, par Jannequin. Leroux de Lincy, Recueil de Chants historiques français, t. II, p. 67)

    Tallemant des Réaux (t. I, p. 329, note 3) indique « l’air : Biby, tout eſt frelaure, » qu’il attribue à la chanson de la duché de Milan. Frelore, corruption de l’allemand verloren, perdu ; bigoth, par Dieu !

  94. Conſummatum eſt. « Tout est consommé. » Paroles du Christ sur la croix.
  95. Vache ne veau. Le proverbe rimé est :

    Entre Quande & Montſoreau,
    Là n’y paiſtra vache ne veau.

    Voyez, plus loin, p. 357, l. 13, comment Panurge explique son vœu lorsque la tempête est passée.

  96. Hau Tigre. 1548 : Ho, bougre, bredache de tous les diables incubes succubes & tout quand il y a.
  97. Tempeſtatif. 1548 : marin. Ce mot a sans doute été changé pour éviter la répétition avec fol marin deux lignes plus haut.
  98. Talemouze, &… 1548 : Talemont & que… L’abbaye de Talemont est en Touraine. Si dans la seconde édition elle est changée en Talemouze, c’est probablement pour faire par cette finale une sorte d’équivoque au gentil mouſſe à qui frère Jean la destine. Le Duchat entend par l’abbaye de Talemouse celle de Saint-Denis où se font les gâteaux appelés talmouses.
  99. Mon tirouoir. Voyez ci-dessus, p. 77, note sur la l. 15 de la p. 21.*

    *

  100. Sichee,… Deiphobus,… Hector. Ces trois cénotaphes sont indiqués par Virgile dans l’Énéide :

    ....Inhumati venit imago
    Conjugis…
    (I, 353)
    Tunc egomet tumulum Rhæteo in littore inanem
    Constitui…
    (VI, 505)
    Ante urbem (Butroti) in Iuco, falsi Simoentis ad undam,
    Libabat cineri Andromache, Manesque vocabat
    Hectoreum ad tumulum…
    (III, 302)

  101. Hermias & Eubulus. Voyez Diogène Laërce, Vie d’Aristote.
  102. Euripides. Voyez Pausanias, II, et l’Anthologie, VII, 46.
  103. Druſus… Alexandre Seuere. Voyez Suétone, Claude, I, et Lampride, Alexandre Sévère.
  104. Callaiſchre. Pour ce cénotaphe et les suivants, voir l’Anthologie : Callaiſchre, VII, 395 ; Lyſidices, VII, 291 ; Teleutagores, VII, 652 ; Theotimes, VII, 539 ; Timocles, VII, 274.
  105. Sopolis. Voyez Callimaque, Épigr. XIX, et Anthologie, VII, 274.
  106. Catulle à ſon frere. Voyez Épigr. 101.
  107. Statius à ſon pere. Voyez Sylves, V, 3.
  108. Herué. Hervé de Porzmoguer, capitaine breton, commandant le navire La Cordelière, fut cerné le 10 août 1512, à la hauteur du cap Saint-Mathieu, par douze vaisseaux anglais ; son vaisseau devint la proie des flammes ; mais il aima mieux périr que de se rendre. Germain de Brie, ami de Rabelais, composa, à ce sujet, la pièce suivante :
    HERVEI CENOTAPHIVM.

    Magnanimi manes Heruei nomenque verendum
    Hic lapis obſeruat : non tamen oſſa tegit.
    Auſus enim Anglorum numeroſæ occurrere claſſi
    Quæ patrium infeſtans iam prope littus erat,
    Chordigera inuedus regali puppe, Britannis
    Marte prius ſæuo comminus edomitis,
    Arſit Chordigeræ in flamma, extremoque cadentem
    Seruauit moriens excidio patriam.
    Priſca duos ætas Decios miratur : at vnum
    Quem conferre queat, noſtra duobus habet.

    (Germanus Brixius, Chordigeræ nauis conflagratio. Ex ædibus Aſcenſianis, 1513, Lutetiæ Parhiſiorum)

    L’Anglais Thomas Morus, cherchant à diminuer la gloire d’Hervé, répondit à Germain de Brie par cette épigramme :

    Heruea cum Deciis vnum conferre duobus
    Ætas, te, Brixi, iudice, noſtra poteſt.
    Sed tamen hoc distant, illi quod ſponte peribant,
    Hic periit quoniam non potuit fugere.

  109. Nous periſſons. « Domine, salva nos, perimus. » (S. Matthieu, VIII, 25.)
  110. Tirouoir. Voyez, ci-dessus, p. 77, note sur la l. 15 de la p. 21.*

    *

  111. Beatus… abiit. « Heureux l’homme qui n’est point parti. » (Ps. I)
  112. Horrida tempeſtas montem turbauit acutum. « Une horrible tempête a troublé Montaigu. » C’est une parodie de ce vers d’Horace. (Épodes, XIII)

    Horrida tempestas cœlum contraxit

    Elle est dirigée contre Tempeste (Voyez la table des noms), principal du collège de Montaigu : « Il eſtoit rigide correcteur des Eſcolliers delinquans. A raiſon dequoy ils compoſerent pluſieurs carmes contre luy, que i’ay veus. Deſquels le premier eſtoit :

    Horrida tempeſtas montem turbauit acutum. »

    (Claude Malingre, Les Antiquitez de la ville de Paris, liv. II, p. 317)
  113. Nau. « Ceci est pris d’un noël qu’on chante encore en Poitou, & qui commence :

    Au Sainct Nau
    Chanteray ſans point m’y feindre,
    Ie n’en daignerois rien craindre.
    Car le iour eſt feriau,
    Nau, nau, nau. »

    (Le Duchat)

    La Monnoye ajoute (Noels bourguignons, glossaire, au mot Noël) : « Cet endroit eſt tiré indubitablement d’un de ces Noëls que Rabelais, dans l’ancien Prologue du quatrième livre, dit avoir été compoſés en langage poitevin par le ſeigneur de Saint-George, nommé Frapin. » Cela semble au moins douteux.

  114. Caſtor à dextre. Dans l’antiquité, les matelots nommaient Castor et Pollux le météore qu’ils appellent de nos jours feu Saint-Elme. Ils le regardaient comme d’un heureux augure, et redoutaient au contraire celui qu’ils désignaient sous le nom d’Hélène. Pline parlant de Castor et Pollux (II, 37, De stellis Castoribus) s’exprime ainsi : « Geminæ autem salutares, et prosperi cursus prænunciæ : quarum adventu fugari diram illam ac minacem, appeliatamque Helenam ferunt. »
  115. Paſté Iambique : ou Iambonique. Il y a ici, comme plus haut (voyez, p. 163, note sur la l. 23 de la p. 221 du t. I.*) un jeu de mots sur iambe et jambe ; mais la substitution du j à l’i l’a fait disparaître de toutes les éditions modernes, où ce passage est devenu complètement inintelligible.

    *

  116. Cœur de cerf.

    ....ϰυνὸς ὄμματ᾽ ἔχων, ϰραδίην δ᾽ ὲλάφοιο.

    (Homère, Iliade, I, 225)
  117. Perir en mer. C’est Ulysse qui dit cela pendant la tempête (Odyssée, V, 312) :

    Νῦν δέ με λευγαλέῳ θανάτῳ εἴμμαρτο άλῶναι.

    1548 ajoutait : « La raiſon eſt baillée par les Pitagoriens, pour ce que l’ame eſt feu & de ſubſtance ignée. Mourant doncques l’homme en eau (element contraire), leur ſemble (toutefois le contraire eſt verité), l’ame eſtre entierement eſteincte. »

  118. La conflagration de Troie.

    ...O terque quaterque beati,
    Quîs ante ora patrum, Trojæ sub mœnibus altis,
    Contigit oppetere ! o Danaûm fortissime gentis
    Tydide ! mene Iliacis occumbere campis
    Non potuisse tuaque animam hanc effundere dextra ?

    (Virgile, Énéide, I, 94)
  119. Vague decumane. Il y a dans le texte de 1552 d’écumane. Bien que nous ayons rejeté cette leçon comme fautive, nous l’indiquons ici parce qu’on y pourrait voir, à toute force, un jeu de mots avec vague d’écume.
  120. Et comme dict le ſainct Enuoyé, eſtre cooperateurs auecques luy. Voy. saint Paul, 2e épitre aux Corinthiens, VI, 1. En 1548, Rabelais disait : Si ie n’en parle ſelon les decretz des matheologiens, ilz me pardonneront, i’en parle par liure & authorité. Il a jugé plus sûr, dans sa seconde édition, d’alléguer cette autorité.
  121. Que diſt C. Flaminius. — Tite-Live, XXII, 5.
  122. En Saluſte. Voyez Conjuration de Catilina.
  123. Le clous de Seuillé… Voyez t. I, p. 103.
  124. A deux doigtz pres de la mort. Cette réponse est attribuée par Diogène Laërce au Scythe Anacharsis.
  125. Ne crains rien que les dangiers. Panurge dit encore plus loin (p. 464) : « Ie ne crains rien fors les dangiers. Ie le diz touſiours. Auſſi diſoit le Fran archier de Baignolet. »

    Ie ne craignois que les dangers.

    (Villon, Le Monologue du franc-archier)
  126. Celle qui feroit on port. Voyez pour ceci et pour ce qui suit Diogène Laërce, c. 8.
  127. Portius Cato. Voyez Plutarque, Marcus Cato le cenſeur, XVIII.
  128. Guaillard comme vn pere. Nous trouvons plus loin, p. 422 : Aiſes comme peres ; et dans ce dernier passage il s’agit du bon temps que se donnent les moines. C’est ici, selon nous, une locution analogue, mais employée ironiquement : « Tu seras pendu ou brûlé, gai comme un moine. » Selon Le Duchat « gaillard comme vn pere » est un équivalent de :

    ...Cent fois plus gay que Perot.

    (Coquillart, Monologue des perruques)

    ou de « guay comme Perot. » (Henri Eſtienne, Apologie pour Hérodote, c. XVI, t. I, p. 330) ; et ces diverses locutions signifient toutes : « gay comme papeguay, » c’est-à-dire « comme un perroquet, » expression employée plus loin, p. 501, par Panurge. Quant à Burgaud des Marets, s’emparant d’une opinion abandonnée par Le Duchat, il explique la phrase qui nous occupe par : « Hardiment brûlé comme un hérétique, » en prenant gaillard dans le sens adverbial et en expliquant comme un père par « comme un patarin ou hérétique, ainsi nommé du Pater. » « Personne ne croira, dit-il gravement, que les perroquets ou les, pinsons, pas plus que les gens, soient gais quand on les brûle. » Certes, mais il est bien clair que frère Jean ne parle pas sérieusement.

  129. Vne chappelle d’eau Roſe. Sorte d’alambic :

    La chapelle, où ſe ſont eaues odoriferantes
    Donne par ſes liqueurs gueriſons differentes.

    (Cl. Marot, Epigrammes, A Mlle la Chapelle)
    Voyez ci-dessus, p. 279, la note sur la l. 22 de la p. 341.*
    * Vache ne veau. Le proverbe rimé est :

    Entre Quande & Montſoreau,
    Là n’y paiſtra vache ne veau.

    Voyez, plus loin, p. 357, l. 13, comment Panurge explique son vœu lorsque la tempête est passée.
  130. Il y eut beu & guallé.

    Il y aura beu & guallé.

    Les participes beu et guallé sont pris ici substantivement, au sens de boisson et réjouissance.

  131. Æneas. Voyez Virgile, Énéide, III, 707.
  132. Alcman, & autres. Voyez Pline, VII, 51, et XI, 33.
  133. En dueil & lamentation ſera. Josèphe, XVII, 8.
  134. Changea diſant, moy viuent. « Dicente quodam in sermone communi : Ἐμοῦ θανόντος γαῖα μιχθήτω πυρί, imo, inquit, ὲμοῦ ζῶντος. » (Suétone, Néron, 38)
  135. Dion Nicæus, & Suidas. Dion Cassius, Histoire romaine, liv. LVI ; Suidas, Vie de Tibère.
  136. Λ ampliation. Il y a bien ici dans 1552 un Λ, mais c’est Α qu’il faut lire. Θ est l’initiale de θάνατος, mort ; les deux autres lettres ont un sens moins clair. Τ pourrait être l’initiale de τελείωσις, acquittement, Α de ἀναϐολή, ajournement. Ceci, du reste, est traduit de ce passage des adages d’Érasme (chil. I, cent. V, ch. LVI) : « Veroſimilius eſt, quod ſcribit Aſconius Pedianus, ſortes ſcilicet vrnæ immiſſas triplicem habuiſſe notam, Θ damnationis, Τ abſolutionis, Α ampliationis (i. e. quoties ſignificabant parum libi adhuc liquere) ſymbolum fuiſſe. » Mais ce que dit Érasme n’est pas dans Asconius, qui remarque simplement que l’A marque absolution, le C condamnation, et N. L., non liquet, c’est-à-dire, comme le dit Rabelais : « le cas n’eſt encores liquidé. »
  137. Ie vous demande en demandant. Dicton qui forme trois vers. Le premier est répété au commencement du prologue du Ve livre.
  138. En penſaroys. Dans le pays, dans la province des pensées. Rabelais a toute une géographie de ce genre à son usage. C’est ainsi que plus haut (t. I, p. 27) il a appelé Bibaroys le pays des buveurs.
  139. De Callimachus, & de Pauſanias. Voyez l’hymne sur Délos et le Xe livre de Pausanias (32) où il traite de la Phocide.
  140. 9720. ans. Ce total résulte de (4 20 1) 3 8 5.
  141. Epitherſes. Ce récit est tiré du traité de Plutarque, Des oracles qui ont cessé, XXVI. Il est traduit si littéralement que Rabelais a mis Thamoun quand ce nom est complément et, par conséquent, à l’accusatif dans le texte grec, et Thamous quand il est sujet.
  142. Herodote. Voyez liv. II, c. 145.
  143. On tiers liure de la nature des Dieux. Voyez c. 22.
  144. Ses brebis, mais auſſi ſes bergiers.

    ...Pan curat oves oviumque magistros.

    (Virgile, Églogues, II, v. 33)
  145. Noſtre vnique Seruateur. Cette interprétation est ancienne. Du Fail, qui l’expose tout au long dans son Epiſtre de Polygame à vn Gentilhomme contre les athees (t. II, p. 339), commence ainsi : « I’ay ſemblablement penſé eſtre de mon deuoir, vous parler d’vne hiſtoire grande & illuſtre, que Plutarque raconte au liure de la ceſſation des Oracles : laquelle, au iugement d’Euſebe, Pierre le Cheuelu Italien, & Pierre Meſſie Eſpagnol, ſe rapporte & approprie à noſtre propos. »
  146. Quareſmeprenant. Au propre : « qui prend carême. » Ce mot s’applique d’ordinaire aux trois jours gras avant le mercredi des Cendres et particulièrement au mardi. Ici il désigne le carême lui-même, dont ce chapitre et les trois suivants sont une description bouffonne. « Il faut, dit Le Duchat avec assez de vraisemblance, que d’un côté ce portrait regarde la bizarrerie de l’habit des moines en général, à qui leurs règles prescrivent un carême continuel, & de l’autre l’erreur de ceux qui font consister une bonne partie de la religion chrétienne dans l’obſervation du carême & de ſes dévotions. »
  147. Faiſeur de lardoueres & brochettes. « C’est en carême, & principalement sur sa fin, que les bouchers prennent leur tems pour faire des brochettes. » (Le Duchat). Quand Xenomanes dit qu’il en emporta vne groſſe, il faut entendre douze douzaines.
  148. Salades ſallees. Jeu de mots sur salade, casque, et salade, légumes assaisonnés au sel. L’énumération des « aubers, caſquets, morrions, » n’a pour objet que de préparer cette équivoque.
  149. S’en fuyt. Ainsi dans 1552 ; ailleurs : S’en ſuit.
  150. Anneau de peſcheur. Les brefs du pape sont scellés de cire rouge, de l’anneau du pêcheur, c’est-à-dire du cachet où saint Pierre est représenté en pêcheur et qui doit être apposé en présence du pape. Il est dit à la fin des brefs qu’ils sont donnés : « sub annulo piscatoris. »
  151. S’il ronfloit… « Carême-prenant ronfloit des fèves, comme quelques-uns soufflent des pois en dormant. » (Le Duchat)
  152. Saye cramoiſie. Voyez Plutarque, Apophtegmes.
  153. Se iouoyt es cordes des ceincts. Burgaud des Marets voit ici un jeu de mots entre les corps des saints, les reliques sur lesquelles on prêtait serment, et les « cordes des ceincts, » les cordes qui ceignaient les cordeliers
  154. Ce que i’en ay leu parmy les Apologues antiques. « On a juſqu’ici été fort en peine de ſavoir d’où pouvoit avoir été tiré l’Apologue de Phyſis & d’Antiphyſie. La découverte en étoit difficile par deux raiſons. L’une que tout moderne qu’eſt cet Apologue, Rabelais n’a pas laiſſé de le qualifier antique ; ce qui a fait qu’on l’a, mais très-inutilement cherché, dans les écrits des Anciens. L’autre que Cælius Calcagninus, qui l’a inventé, n’eſt pas un auteur qu’on liſe beaucoup. L’Apologue, dont il s’agit, ſe trouve pag. 622. de ſes œuvres imprimées in-fol. à Bâle 1544. Il eſt intitulé Gigantes & commence ainſi : « Natura, ut eſt per ſe ferax, primo partu Decorem, atque Harmoniam edidit, nulla opera viri adjuta. Antiphyſia vero, ſemper Natura ; adverſa, tam pulchrum fœtum protinus invidit, uiaque Tellumonis amplexu, duo ex adverſo monſtra peperit, Admoduntem ac Diſcrepantiam nomine… » & le reſte que Rabelais n’a fait que traduire juſqu’à ces mots excluſivement : Depuis elle engendra les matagots, &c. (La Monnoye, Ménagiana, t. I, p. 371)
  155. Intonation de Guare Serre. Sonnerie indiquant de se garer et de serrer les vaisseaux les uns contre les autres, ou, peut-être, de carguer les voiles.
  156. Perſeus. Perſé ius par moy ſera. « On voit que Rabelais joue ici sur Perſeus et percé jus. » (Éloi Johanneau)
  157. Comme naguieres expoſoit frere Ian. Voyez t. II, p. 357, l. 1 : « N’aye iamais paour de l’eau… Par element contraire ſera ta vie terminée. »
  158. Le facile ſymbole qui eſt entre rouſt & bouilly. « Les cuiſiniers des Diables… mettent ſouuent bouillir ce qu’on deſtinoit pour rouſtir. » (T. II, p. 357)
  159. Celluy milourt Anglois. Georges, duc de Clarence, que, d’après plusieurs historiens, son frère Édouard IV fit périr de la sorte au mois de février 1478. Voyez Commines, liv. I, c. 7.
  160. Sagettes des Scythes. Ce dernier récit est traduit d’Hérodote, liv. IV, c. 131-132.
  161. Nicander. Voyez son Ophiaque ou Traité des serpents.
  162. L’iſle Farouche, manoir antique des Andouilles. Les commentateurs se sont donné beaucoup de mal pour expliquer historiquement ce chapitre et ceux qui le suivent. Les lecteurs qui seront curieux de parcourir toutes ces explications fort précises en apparence, mais entièrement contradictoires, les trouveront dans l’édition d’Eloi Johanneau. Quant à nous, nous nous contenterons de faire remarquer qu’un peu plus loin, p. 404-405), Rabelais s’exprime de la sorte : « Les Souiſſes peuple maintenant hardy & belliqueux, que ſçauons nous ſi iadis eſtoient Saulciſſes ? ie n’en vouldroys pas mettre le doigt on feu. » Ce que Joachim du Bellay (Les Regrets, sonnet 127, t. II, p. 230) a rappelé en ces termes :

    Voila les compagnons & correcteurs des Rois
    Que le bon Rabelais a ſurnommez Saulciſſes.

    Plus loin encore, p. 414, Rabelais a dit : « trancha le Cervelat en deux pieces. Vray Dieu, qu’il eſtoit gras. Il me ſoubuint du gros Taureau de Berne qui feut à Marignan tué à la desfaicte des Souiſſes. » On pourrait ne voir dans le premier passage qu’un mauvais jeu de mots de ſouiſſe à ſauciſſe ; mais ce n’est pas seulement pour amener une pareille équivoque qu’il a rapproché les Suisses des saucisses, puisqu’il les compare aussi aux cervelas. Si les saucisses et les cervelas sont les Suisses, c’est-à-dire des hérétiques adversaires du carême et par conséquent de Quareſmeprenant, les andouilles peuvent bien désigner aussi, soit le même peuple, soit les autres nations protestantes ; mais il faut se garder de voir là des allégories suivies, constantes. À chaque instant Rabelais les interrompt, tant par fantaisie que par la nécessité de n’être point trop clair, et se livre, chemin faisant, à toutes les plaisanteries et à toutes les équivoques auxquelles donne lieu si facilement le récit des étranges combats auxquels il nous fait assister.

  163. Il y perdit la vie. Voyez Hérodien, Vie de Caracalla, IV, 9.
  164. Les Sichimiens. Voyez la Genèse, l. 34.
  165. Le feiſt occire. Voyez Tacite, Annales, II, 3.
  166. Les naufz Brindiere… & Portoueriere. « La neufieme » avait « pour diuiſe vne brinde, » et « l’vnzieme vne portouoire. » (t. II, {{p.|270)
  167. Octauian Auguſte. Voyez Suétone, Vie d’Auguste, 96.
  168. Veſpaſian. Voyez Suétone, Vie de Vespasien, 7.
  169. Cratyle. Le titre complet de ce dialogue de Platon est : Κρατύλος ἢ περὶ ὀνομάτων ὀρθοτητος.
  170. Par ma ſoif. Comme on ne prononçait pas l’f finale, ce juron formait un mauvais jeu de mots avec : par ma foi.
  171. L’invention admirable de Pythagoras. Voyez Pline, XXVIII, 6.
  172. Tiene eſt Tyre. Voyez Plutarque, Vie d’Alexandre.
  173. Ce que aduint à L. Paulus Æmylius. Voyez Cicéron, De la Divination, I, 46. Il y a deux petites inexactitudes dans le texte de Rabelais. Le nom de la fille de Paul Émile est Tertia et non Tratia ; et Persa, malgré la terminaison féminine de son nom, est un petit chien, catellus, et non une chienne.
  174. Scelon la deſcription de Pline. « Himantipodes loripcdes quidam, quibus serpendo ingredi natura est. » (Liv. V, c. 8)
  175. Serpent andouillicque. « Comment elle s’enuolla en forme d’vn ſerpent du chaſteau de Luſignan. » (Jean d’Arras, Hiſtoire de Meluſine)
  176. Erichthonius premier inuenta les coches.

    Primus Erichthonius currus et quatuor ausus
    Jungere equos, rapidusque rotis insistera victor.

    (Virgile, Géorgiques, III, 113)

    Servius, dans un commentaire sur ces vers, indique le motif qui avait guidé l’inventeur.

  177. La nymphe Scythicque Ora.

    Proxima Bisaltæ regio, ductorque Colaxes
    Sanguis et ipse Deum, Scythicis quem Jupiter cris
    Progenuit, viridem Myracen Tibisenaquc juxta
    Ostia, semifero (dignum si credere) captus
    Corpore, nec nymphœ gemiiios exhorruit angues.
    ..............
    Insuper auratos conlegerat ipse dracones
    Matris Orae specimen…

    (Valerias Flaccus, Argonautiques, VI, 48)
  178. Croyez qu’il n’eſt rien ſi vray. Je pense qu’il y a ici une suspension comique qui devrait être marquée par des points. Rabelais semble dire d’abord qu’il n’eſt rien ſi vray… (que les récits qu’il vient de faire), puis il ajoute : que l’Euangile.
  179. Nabuzardan maiſtre cuiſinier du Roy Nabugodonoſor. Dans la Bible (Rois, IV, XXV, 8 et suivants), Nabuzardan est toujours qualifié de « princeps militias » ou « exercitus, » ou de « magister militum. » Toutefois ce n’est pas Rabelais qui a imaginé de le transformer en cuisinier. Il n’a fait en cela que suivre une fort ancienne tradition. On lit dans un poëme allégorique sur le siège de Jérusalem par Nabuchonosor et Nabuzardan, composé en 1180 et dont M. P. Meyer a donné un extrait dans la Romania (VI, 7) :

    Grant mal fit a Iheruſalem,
    A iceſt tens Nabradanz :
    Les oz conduiſt cheualiers,
    Et fut maitres confanoers (sic)
    Prince queurs fut de la coiſine.

    On trouve en outre dans les Anciennes poësies françaises des XVe et XVIe siècles publiées par M. Montaiglon dans la Bibliothèque elzévirienne (t. I, p. 204) : Un Sermon ioyeulx de la vie ſaint Ongnon, comment Nabuzarden, le maiſtre cuiſinier, le fit martirer…

  180. Ioyeuſes reſponſes de Ciceron. Voyez Plutarque, Apophtegmes.
  181. La nauf Bourrabaquiniere. « La ſixieme (pour diuiſe auoit) vn Bourrabaquin monachal. » (t. II, p. 270)
  182. La Truye de la Riole. « Eurent conſeil ceux de l’oſt, pour leur beſogne approcher & pour plus greuer leurs ennemis, que ils enuoieroient querre en la Riolle vn grant engin que on appelle truie, lequel engin eſtoit de telle ordonnance que il ietoit pierres de faix ; & ſe pouuoient bien cent hommes d’armes ordonner dedans & en approchant aſſaillir la ville. » (Froissart, Chroniques, liv. II, c. 5)
  183. Rompit les Andouilles aux genoulx. Il y a ici une sorte de jeu de mots, car rompre l’anguilleau genou, sur le genou, était une locution proverbiale pour désigner une chose impossible : « Les Dieux ont permis la mort de voſtre frere. Ils ont conſerué mon pere, ils veulent vous fruſtrer de vos entrepriſes & fauoriſer aux ſiennes, & vous voulez rompre l’anguille au genoil. » (Amadis, t. VIII, c. 53)
  184. Gradimars. — Dimar, au lieu de mardi, est la forme méridionale.
  185. Son eſpee Baiſe mon cul (ainſi la nommait il) à deux mains. Ce coq-à-l’âne n’est pas de Rabelais. Il se trouve déjà dans les Propos ruſtiques de Du Fail (t. I, p. 98) publiés dès 1547 : « Voyla (diſoit il) la leuce du bouclier de l’eſpee ſeule, & de l’eſpee baiſe mon cul à deux mains. »
  186. Gros Taureau de Berne. Voyez ci-dessus, p. 289, note sur la l. 1 de la p. 393,* et la Table des noms au mot Berne.
    * L’iſle Farouche, manoir antique des Andouilles. Les commentateurs se sont donné beaucoup de mal pour expliquer historiquement ce chapitre et ceux qui le suivent. Les lecteurs qui seront curieux de parcourir toutes ces explications fort précises en apparence, mais entièrement contradictoires, les trouveront dans l’édition d’Eloi Johanneau. Quant à nous, nous nous contenterons de faire remarquer qu’un peu plus loin, p. 404-405), Rabelais s’exprime de la sorte : « Les Souiſſes peuple maintenant hardy & belliqueux, que ſçauons nous ſi iadis eſtoient Saulciſſes ? ie n’en vouldroys pas mettre le doigt on feu. » Ce que Joachim du Bellay (Les Regrets, sonnet 127, t. II, p. 230) a rappelé en ces termes :

    Voila les compagnons & correcteurs des Rois
    Que le bon Rabelais a ſurnommez Saulciſſes.

    Plus loin encore, p. 414, Rabelais a dit : « trancha le Cervelat en deux pieces. Vray Dieu, qu’il eſtoit gras. Il me ſoubuint du gros Taureau de Berne qui feut à Marignan tué à la desfaicte des Souiſſes. » On pourrait ne voir dans le premier passage qu’un mauvais jeu de mots de ſouiſſe à ſauciſſe ; mais ce n’est pas seulement pour amener une pareille équivoque qu’il a rapproché les Suisses des saucisses, puisqu’il les compare aussi aux cervelas. Si les saucisses et les cervelas sont les Suisses, c’est-à-dire des hérétiques adversaires du carême et par conséquent de Quareſmeprenant, les andouilles peuvent bien désigner aussi, soit le même peuple, soit les autres nations protestantes ; mais il faut se garder de voir là des allégories suivies, constantes. À chaque instant Rabelais les interrompt, tant par fantaisie que par la nécessité de n’être point trop clair, et se livre, chemin faisant, à toutes les plaisanteries et à toutes les équivoques auxquelles donne lieu si facilement le récit des étranges combats auxquels il nous fait assister.
  187. Marbre Lucullian. Pline raconte (XXXVI, 8) que Lucullus donna son nom à un marbre de l’île de Milo qu’il introduisit le premier à Rome.
  188. Pourceau Minerue enſeignant. Dans le passage grec enseignant est sous-entendu.
  189. Rue pauee d’Andoullles. Ancien nom de la rue Pavée (Saint André des Arcs) jusqu’en 1676. Voyez Paris sous Philippe Auguste, p. 325.
  190. Par l’eſtoille Pouſſiniere. « Il jure par l’étoile poussinière, ou la constellation des Pléiades, sans doute parce que le lever de cette constellation passait chez les anciens pour exciter les vents et les tempêtes. » (Éloi Johanneau)
  191. Le vent de la chemiſe. Voyez ci-dessus, p. 135, note sur la l. 13 de la p. 146.*
  192. Sonnet. « Ie n’y eus eſté longuement, que la bonne perſonne ne delaſchaſt vn gros pet de menage, Froiſſart diroit, deſcliquaſt vne dondaine, & les aſſettees, vn ſonnet. » (Du Fail, t. II, p. 99)
  193. Rien n’eſt beat de toutes parts.

    ... Nihil est ab omni
    Parte beatum.

    (Horace, Odes, II, 16, v. 27)
  194. Aiſes comme peres. Voyez ci-dessus, p. 284, note sur la l. 17 de la p. 356.*
    * Guaillard comme vn pere. Nous trouvons plus loin, p. 422 : Aiſes comme peres ; et dans ce dernier passage il s’agit du bon temps que se donnent les moines. C’est ici, selon nous, une locution analogue, mais employée ironiquement : « Tu seras pendu ou brûlé, gai comme un moine. » Selon Le Duchat « gaillard comme vn pere » est un équivalent de :

    ...Cent fois plus gay que Perot.

    (Coquillart, Monologue des perruques)

    ou de « guay comme Perot. » (Henri Eſtienne, Apologie pour Hérodote, c. XVI, t. I, p. 330) ; et ces diverses locutions signifient toutes : « gay comme papeguay, » c’est-à-dire « comme un perroquet, » expression employée plus loin, p. 501, par Panurge. Quant à Burgaud des Marets, s’emparant d’une opinion abandonnée par Le Duchat, il explique la phrase qui nous occupe par : « Hardiment brûlé comme un hérétique, » en prenant gaillard dans le sens adverbial et en expliquant comme un père par « comme un patarin ou hérétique, ainsi nommé du Pater. » « Personne ne croira, dit-il gravement, que les perroquets ou les, pinsons, pas plus que les gens, soient gais quand on les brûle. » Certes, mais il est bien clair que frère Jean ne parle pas sérieusement.

  195. Par l’ordonnance des Medicins. Voyez ci-dessus, p. 278, note sur la l. 17 de la p. 334.*
    * A la gueule d’vn four chauld. Quolibet populaire, que Rabelais n’a pas inventé et dont on trouve des équivalents :

    Comme elle fiert & tambure !
    Que ne ſont ſes deux poings de beurre,
    Droict au meilleu d’vng four bien chault !

    (Farce des cinq Sens. Anc. Théât. Fran. t. III, p. 311.)
  196. L’iſle des Papefigues. La Fontaine a imité ce chapitre et les deux suivants dans son Diable de Papefiguière.
  197. Luy feiſt la figue.

    Firent la figue au portrait du ſaint Pere.

  198. Iadis vſa enuers les Milanois. Voyez Albert Krantz, Saxonia, liv. VI, c. 6, et Guillaume Paradin, De antiquo Burgundiæ ſtatu, Lyon, Étienne Dolet, 1542.
  199. Ecco lo fico. « Voilà la figue. »
  200. Touzelle. Richelet, dans son Dictionnaire, renonce à expliquer ce mot, mais raconte à son sujet une anecdote assez curieuse : « J’ai conſulté, dit-il, pluſieurs greniers ou grenetiers & pluſieurs herboriſtes fameux, ils m’ont tous dit qu’ils ne ſavoient ce que c’étoit que la touſelle. Là-deſſus j’ai vu le célèbre Monſieur de la Fontaine à qui, après les premiers complimens, j’ai dit : Vous vous êtes ſervi du mot de touſelle dans vos contes, & qu’eſt-ce que touſelle ? Par Apollon, je n’en fais rien, m’a-t-il répondu, mais je crois que c’eſt une herbe qui vient en Touraine, car Meſſire François Rabelais de qui j’ai emprunté ce mot étoit, à ce que je penſe, Tourangeau. » — Voyez le Glossaire.
  201. Fors ſeulement le Perſil & les choux.

    N’avoit encor tonné que ſur les choux.

  202. Ainſi choiſiſſiez vous le pire. « Talis eligit, qui pejus eligit. »
  203. Donner à leur con vent. Dans l’édition de 1552 con est au bas d’une page, comme dans la nôtre, et vent au commencement de la suivante ; mais il n’y a pas de tiret ; c’est notre imprimeur qui a cru devoir en ajouter un.
  204. En la forme que iadis les femmes Perfides ſe præſenterent à leurs enfans. « En rebourſant ſa robe par deuant & leur montrant ſon ventre. » (Plutarque, Des vertueux faits des femmes)
  205. L’énorme ſolution de continuité. La Fontaine a reproduit textuellement ce passage et a fait des trois derniers mots un vers entier :

    …auſſi-toſt qu’il apperceut l’énorme
    Solution de continuité.

    Cette expression avait déjà été employée (t. I, p. 292) par Rabelais.

  206. Cela. ? Probablement dans le sens de : « qu’est-ce que cela ? » De l’Aulnaye, Johanneau et Burgaud des Marets pensent qu’il faut lire ici, comme plus loin page 510, l. dernière, sela, mot hébreu que la Brieve claration explique par « certainement. »


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