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Le Sol et les Labours/Introduction

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Agriculture Générale
Librairie J.-B. Baillières et Fils (Le Sol et les Laboursp. 13-16).

INTRODUCTION


L’agriculture est l’art de tirer du sol, de la manière la plus économique, la plus grande quantité de matières utiles à l’homme.

Dès la plus haute antiquité, la culture des terres apparaît comme le plus sûr moyen de développer l’activité humaine tout en assurant au travailleur sa subsistance, et l’histoire de l’agriculture n’est que le reflet exact des civilisations successives.


Prospère et florissante, lorsqu’un régime de paix favorisait l’application de ses travaux, elle voyait la routine et la tyrannie s’opposer au perfectionnement de ses méthodes dès que les guerres et les intrigues politiques divisaient le pays.

Au Moyen Age, le système féodal condamna l’agriculture française à l’état le plus misérable. Malgré l’influence heureuse exercée par les Croisades, l’affranchissement des communes, la généreuse protection de Henri IV, la culture reste, en France, dans un état précaire qui s’affirme encore davantage sous les règnes de Louis XIV et de Louis XV.

Les efforts réalisés sous Louis XVI, le mouvement d’émancipation qui suivit la Révolution française, allaient contribuer au relèvement de la première industrie naturelle. Mais c’est surtout au XXe siècle que revient la gloire d’avoir assuré la marche progressive de l’agriculture, en posant les premiers fondements scientifiques de l’agronomie et en dégageant nettement les lois de la production agricole.

La découverte des préceptes primordiaux de la chimie, de la physique, de la physiologie, permettait bientôt d’appliquer les méthodes de recherche et d’expérimentation scientifiques aux phénomènes si complexes de la végétation. Jusqu’en 4830, on admettait que les plantes se nourrissent uniquement d’humus :  ; les travaux de Th. de Saussure, Dumas, Boussingault, etc., montraient bientôt le rôle de l’acide carbonique de l’air et de l’azote du sol dans l’alimentation générale des végétaux ; les sels minéraux nécessaires à la vie des plantes attiraient l’attention de Berthier, Sprengel, Liebig, etc. Peu à peu, grâce au génie de ces savants, se constituaient les premiers éléments de la chimie agricole, et la théorie des « engrais chimiques » transformait complètement la pratique des opérations culturales et des travaux aratoires en indiquant une nouvelle conception de l’agriculture basée sur une juste compréhension des phénomènes chimiques et biologiques.

MM. Schlœsing et Müntz révélaient plus lard le rôle des ferments dans la transformation de l’azote organique en azote nitrique, et leurs célèbres travaux sur la nitrification révélaient le rôle si important des microorganismes dans les réactions accomplies au sein du sol[1].

La démonstration de l’absorption directe de l’azote de l’air par les bactéries des nodosités des légumineuses, établie par Hellriegel et Willfarth, venait donner une nouvelle orientation aux recherches agricoles. Par le travail continu de ces microorganismes, le sol pouvait ainsi s’enrichir en azote, puisant cet élément fertilisant à l’atmosphère, source illimitée et gratuite ; les travaux de Bréal, Prazmowski, Prillieux, Franck, Wuillemin, Marshall, Beijerinck, Schribaux, Kayser, etc., confirmaient ces théories et permettaient de concevoir de nouvelles méthodes culturales basées uniquement sur l'apport d’engrais minéraux aux sols de légumineuses[2]

Une nouvelle évolution s’accentuait également à la suite des recherches de Berthelot, révélant le travail incessant de l'électricité atmosphérique silencieuse et l’action continue des microorganismes du sol, algues, moisissures, champignons, etc., s’emparant de l’azote de l’air pour le fixer au sol.

Les remarquables travaux de E. Risler sur la géologie agricole montraient la relation étroite qui existe entre la constitution d’une terre et les cultures qu’elle supporte ; ainsi s’établissaient les premiers fondements rationnels de l’étude du sol dans ses rapports avec l’agriculture.

Dès le début du XIXe siècle, le dépeuplement des campagnes était signalé comme un danger social. En Angleterre, en Belgique, en Allemagne, on constatait le même mouvement d’exode rural. Notre pays était peut-être moins atteint en raison de la constitution mème de la propriété ; mais le mal se manifestait avec netteté d’une manière générale, et même en Amérique.

De cette centralisation excessive de la main-d’œuvre est résultée une surproduction industrielle, dont l’acuité se révèle aujourd’hui dans toute son ampleur. Cette surproduction déchaîne des crises économiques intenses ; l’industrie, parvenue à son apogée, devra inévitablement restreindre sa puissance, et les travailleurs autrefois occupés à l’usine retourneront fatalement à l’agriculture [3].

IL est loisible de prévoir une époque prochaine où la culture rationnelle du sol se révélera encore comme le mode d’emploi le plus rémunérateur de l’activité humaine.

Le moment est donc bien choisi pour montrer aux nouvelles générations le profit réel qui peut résulter de la mise en valeur du sol, selon les modes les plus progressifs.

À côté de la démonstration éclatante de l’influence exercée par l’introduction des méthodes scientifiques dans l’exploitation du sol, il faut remarquer le développement de l’idée d’association dans les milieux agricoles. Inauguré par l’établissement des Syndicats, le principe de l’association se manifeste sous ses formes les plus hautes et les plus généreuses : mutualité, solidarité, et partout s’établissent des Assurances mutuelles contre la mortalité du bétail, des Caisses de crédit agricole bientôt complétées par des Associations pour la vente des produits agricoles qui viendraient organiser commercialement l’exportation des produits du sol et leur assurer de larges débouchés. L’avenir de l’agriculture peut se résumer en deux mots, qui sont comme les symboles vivants de sa perfection et de sa prospérité, « Science et Association ».

L’agriculture est, à proprement parler, la mise en circulation des richesses foncières du sol par l’intermédiaire des végétaux cultivés. Il importe donc d’étudier avec soin ces deux facteurs de la production agricole : le sol, la plante.

Aussi avons-nous judicieusement distingué, dans l’étude de l'agriculture générale, deux parties différentes, où seront successivement étudiés dans leurs qualités propres, dans leurs propriétés caractéristiques, aussi bien que dans leurs influences réciproques et mutuelles, le sol et les labours, les semailles et les récoltes.


  1. Voy. Microbiologie agricole, par Kayser, 2e édition, 1910 (Encyclopédie agricole).
  2. Le système Solari repose sur l’application de ce principe : les cultures ne reçoivent que des engrais phosphatés, potassiques et calcaires ; l’azote est pris à l’atmosphère par les emblavements de légumineuses intercalaires.
  3. M. Méline, Le retour à la terre.