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LE
TIERS LIVRE
DES FAICTS ET DICTS
Heroïques du bon Pantagruel :
Compoſé par M. Fran.
Rabelais docteur
en Medi-
cine.[1]
Reueu, & corrigé par l’Autheur, ſus
la cenſure antique.
L’AVTHEVR SVSDICT
ſupplie les Lecteurs beneuoles, ſoy
reſeruer à rire au ſoixante
& dixhuytieſme
Liure.[2]
A PARIS,
De l'imprimerie de Michel Fezandat, au mont
S. Hilaire, a l’hoſtel d’Albret.

1552.
Auec priuilege du Roy.[3]

FRANCOIS RABELAIS

à l'eſprit de la royne
de Nauarre.[4]

Eſprit abſtraict, rauy, & ecſtatic,
Qui frequentant les cieulx, ton origine,
As delaiſſé ton hoſte & domeſtic,
Ton corps concords, qui tant ſe morigine
A tes edictz, en vie peregrine
Sans ſentement, & comme en Apathie :
Vouldrois tu poinct faire quelque ſortie
De ton manoir diuin, perpetuel ?
Et ça bas veoir vne tierce partie
Des faictz ioyeux du bon Pantagruel ?


Priuilege du Roy.


Henry par la grace de Dieu Roy de France, au Preuoſt de Paris, Bailly de Rouen, Seneſchaulx de Lyon, Tholouze, Bordeaux, Daulphine, Poictou, & a tous nos autres iuſticiers & officiers, ou a leurs lieutenans, & a chaſcun d’eulx ſi comme a luy appartiendra, ſalut & dilection. De la partie de noſtre cher & bien ayme M. François Rabelais docteur en medicine, nous a eſte expoſe que icelluy ſuppliant ayant par cy deuant baille a imprimer pluſieurs liures : en Grec, Latin, François, & Thuſcan, meſmement certains volumes des faicts & dicts Heroïques de Pantagruel, non moins vtiles que delectables : les Imprimeurs auroient iceulx liures corrompuz, deprauez, & peruertiz en pluſieurs endroictz. Auroient d’auantaige imprimez pluſieurs autres liures ſcandaleux, ou nom dudict ſuppliant, a ſon grand deſplaiſir, preiudice, & ignommie, par iuy totalement deſaduouez comme faulx & ſuppoſez : lesquelz il deſireroit ſoubs noſtre bon plaiſir & volonté ſupprimer. Enſemble les autres ſiens aduouez, mais deprauez & deſguiſez, comme dict eſt, reueoir & corriger & de nouueau reimprimer. Pareillement mettre en lumière & vente la ſuitte des faicts & dicts Heroïques de Pantagruel. Nous humblement requerant ſurce, luy octroyer nos letres a ce neceſſaires & conuenables. Pource eſt il que nous enclinans liberalement a la ſupplication & requeſte dudict M. François Rabelais expoſant, & deſirans le bien & fauorablement traicter en ceſt endroict. A icelluy pour ces cauſes & autres bonnes conſiderations a ce nous mouuans, auons permis accordé & octroyé. Et de noſtre certaine ſcience pleine puiſſance & auctorite Royal, permettons accordons & octroyons par ces preſentes, qu’il puiſſe & luy ſoit loiſible par telz imprimeurs qu’il aduiſera faire imprimer, & de nouueau mettre & expoſer en vente tous & chaſcuns leſdicts liures & ſuitte de Pantagruel par luy compoſez & entreprins, tant ceulx qui ont ia eſte imprimez, qui ſeront pour ceſt effect par luy reueuz & corrigez. Que auſſi ceulx qu’il delibere de nouuel mettre en lumiere. Pareillement ſupprimer ceulx qui faulcement luy font attribuez. Et affin qu’il ayt moyen de ſupporter les fraiz neceſſaires a l’ouuerture de ladicte impreſſion : auons par ces preſentes treſexpreſſement inhibe & deſſendu, inhibons & deſſendons a tous autres libraires & imprimeurs de ceſtuy noſtre Royaulme, & autres nos terres & ſeigneuries, qu’ilz n’ayent a imprimer ne faire imprimer mettre & expoſer en vente aucuns des deſſuſdicts liures, tant vieux que nouueaux, durant le temps & terme de dix ans enſuiuans & conſecutifz, commencans au iour & dacte de l’impreſſion deſdicts liures ſans le vouloir & conſentement dudict expoſant, & ce ſur peine de confiſcation des liures qui ſe trouuerront auoir eſte imprimez au preiudice de celle noſtre preſente permiſſion, & d’amende arbitraire.

Si voulons & vous mandons & a chaſcun de vous endroict ſoy & ſi comme a luy appartiendra, que nos preſens conge licence & permiſſion, inhibitions & deſſenſes, vous entretenez gardez & obſeruez. Et ſi aucuns eſtoient trouuez y auoir contreuenu, procedez & faictes procéder a l’encontre d’eulx, par les peines ſuſdictes & autrement. Et du contenu cy deſſus faictes, ledict ſuppliant iouyr & vſer plainement & paiſiblement durant ledict temps a commencer & tout ainſi que deſſus eſt dict. Ceſſans & faiſans ceſſer tous troubles & empeſchemens au contraire : car tel eſt noſtre plaiſir. Nonobſtant quelzconques ordonnances, reſtrinctions, mandemens, ou deſſenſes a ce contraires. Et pource que de ces preſentes lon pourra auoir a faire en pluſieurs & diuers lieux, Nous voulons que au vidimus d’icelles, faict ſoubs ſeel Royal, ſoy ſoit adiouſtee comme a ce preſent original.

Donne a ſainct Germain en laye le ſixieſme iour d’Aouſt, L’an de grace mil cinq cens cinquante. Et de noſtre regne le quatreieſme.

Par le Roy, le cardinal de Chaſtillon præſent.

Signe Du Thier.

PROLOGVE DE L’AVTHEVR

M. François Rabelais povr le tiers livre
des faicts et dicts heroiqves
dv bon Pantagrvel.


Bonne gens, Beuueurs treſilluſtres, & vous Goutteux treſprecieux[5], veiſtez vous oncques Diogenes le philoſophe Cynic ? Si l’auez veu, vous n’auiez perdu la veue : ou ie ſuis vrayement foriſſu d’intelligence, & de ſens logical. C’eſt belle choſe veoir la clairté du (vin & eſcuz) Soleil. I’en demande à l’aueugle né tant renommé par les treſſacrées bibles[6] : lequel ayant option de requerir tout ce qu’il vouldroit, par le commendement de celluy qui eſt tout puiſſant, & le dire duquel eſt en vn moment par effect repreſenté, rien plus ne demanda que veoir. Vous item n’eſtiez ieunes. Qui eſt qualité competente, pour en vin, non en vain, ainſi plus que phyſicalement philoſopher, & deſormais eſtre du conſeil Bacchicque : pour en lopinant opiner[7] des ſubſtance, couleur, odeur, excellence, eminence, proprieté, faculté, vertus, effect, & dignité du benoiſt & deſiré piot. Si veu ne l’auez (comme facilement ie ſuis induict à croire) pour le moins auez vous ouy de luy parler. Car par l’aër & tout ce ciel eſt ſon bruyt & nom iusques à preſent reſté memorable & celebre aſſez : & puys vous eſtez tous du ſang de Phrygie extraictz[8], (ou ie ne me abuſe) & ſi n’auez tant d’eſcuz comme auoit Midas, ſi auez vous de luy ie ne ſçay quoy, que plus iadis louoient les Perſes en tous leurs Otacuſtes : & que plus ſoubhaytoit l’empereur Antonin : dont depuys feut la ſerpentine de Rohan ſurnommée Belles aureilles. Si n’en auez ouy parler, de luy vous veulx preſentement vne hiſtoire narrer, pour entrer en vin, (beuuez doncques) & propous, (eſcoutez doncques). Vous aduertiſſant (affin que ne ſoyez pippez comme gens meſcreans) qu’en ſon temps il feut philoſphe rare, & ioyeux entre mille. S’il auoit quelques imperfections : auſſi auez vous, auſſi auons nous. Rien n’eſt, ſi non Dieu, perfaict. Si eſt ce que Alexandre le grand, quoy qu’il euſt Ariſtoteles pour Præcepteur & domeſtic, l’auoit en telle eſtimation, qu’il ſoubhaytoit en cas que Alexandre ne feuſt, eſtre Diogenes Sinopien.

Quand Philippe roy de Macedonie entreprint aſſieger & ruiner Corinthe[9], les Corinthiens par leurs eſpions aduertiz, que contre eulx il venoit en grand arroy & exercite numereux, tous feurent non à tort eſpouentez, & ne feurent negligens ſoy ſoigneuſement mettre chaſcun en office & debuoir, pour à ſon hoſtile venue, reſiſter, & leur ville defendre. Les vns des champs es fortereſſes retiroient meubles, beſtail, grains, vins, fruictz, victuailles, & munitions neceſſaires. Les autres remparoient murailles, dreſſoient baſtions, eſquarroient rauelins, cauoient foſſez, eſcuroient contremines, gabionnoient defenſes, ordonnoient plates formes, vuidoient chaſmates, rembarroient faulſes brayes, erigeoient caualliers, reſſapoient contreſcarpes, enduiſoient courtines, taluoient parapetes, enclauoient barbacanes, aſſeroient machicoulis, renouoient herſes Sarrazinesques, & Cataractes, aſſoyoient ſentinelles, foriſſoient patrouilles. Chaſcun eſtoit au guet, chaſcun portoit la hotte. Les vns poliſſoient corſeletz, verniſſoient alecretz, nettoyoient bardes, chanfrains, aubergeons, briguandines, ſalades, bauieres, cappelines, guiſarmes, armetz, mourions, mailles, iazerans, braſſalz, taſſettes, gouſſetz, guorgeriz, hoguines, plaſtrons, lamines, aubers, pauoys, boucliers, caliges, greues, ſoleretz, eſprons. Les autres appreſtoient arcs, fondes, arbaleſtes, glands, catapultes, phalarices, micraines, potz, cercles, & lances à feu : baliſtes, ſcorpions, & autres machines bellicques repugnatoires & deſtructiues des Helepolides. Eſguiſoient vouges, picques, rancons, halebardes, hanicroches, volains, lancers, azes guayes, fourches fières, parthiſanes, maſſues, haſches, dards, dardelles, iauelines, iauelotz, eſpieux. Affiloient cimeterres, brands d’aſſier, badelaires, paſſuz, eſpées, verduns, eſtocz, piſtoletz, viroletz, dagues, mandouſianes, poignars, couſteaulx, allumelles, raillons. Chaſcun exerceoit ſon penard : chaſcun deſrouilloit ſon braquemard. Femme n’eſtoit, tant preude ou vieille feuſt, qui ne feiſt fourbir ſon harnoys : comme vous ſçauez que les antiques Corinthiennes eſtoient au combat couraigeuſes[10].

Diogenes les voyant en telle ferueur meſnaige remuer, & n’eſtant par les magiſtratz enployé à choſe aulcune faire, contempla par quelques iours leur contenence ſans mot dire : puys comme excité d’eſprit Martial, ceignit ſon palle en eſcharpe, recourſa ſes manches iusques es coubtes, ſe trouſſa en cueilleur de pommes, bailla à vn ſien compaignon vieulx ſa bezaſſe, ſes liures, & opiſtographes, feit hors la ville tirant vers la Cranie (qui eſt vne colline & promontoire lez Corinthe) vne belle eſplanade : y roulla le tonneau fictil, qui pour maiſon luy eſtoit contre les iniures du ciel, & en grande vehemence d’eſprit deſployant ſes braz le tournoit, viroit, brouilloit, barbouilloit, herſoit, verſoit, renuerſoit, grattoit, flattoit, barattoit, baſtoit, boutoit, butoit, tabuſtoit, cullebutoit, trepoit, trempoit, tapoit, timpoit, eſtouppoit, deſtouppoit, detraquoit, triquotoit, chapotoit, croulloit, elançoit, chamailloit, branſloit, eſbranloit, leuoit, lauoit, clauoit, entrauoit, bracquoit, bricquoit, blocquoit, tracaſſoit, ramaſſoit, claboſſoit, afeſtoit, baffouoit, enclouoit, amadouoit, goildronnoit, mittonnoit, taſtonnoit, bimbelotoit, claboſſoit, terraſſoit, biſtorioit, vreloppoit, chaluppoit, charmoit, armoit, gizarmoit, enharnachoit, empennachoit, carapaſſonnoit, le deualloit de mont à val, & præcipitoit par le Cranie : puys de val en mont le rapportoit, comme Siſyphus faict ſa pierre : tant que peu s’en faillit, qu’il ne le defonçaſt. Ce voyant quelq’vn de ſes amis, luy demanda, quelle cauſe le mouuoit, à ſon corps, ſon eſprit, ſon tonneau ainſi tormenter ? Auquel reſpondit le philoſophe, qu’à autre office n’eſtant pour la republicque employé, il en ceſte façon ſon tonneau tempeſtoit, pour entre ce peuple tant feruent & occupé, n’eſte veu ſeul ceſſateur & ocieux.

Ie pareillement quoy que ſoys hors d’effroy, ne ſuis toutesfoys hors d’eſmoy : de moy voyant n’eſtre faict aulcun pris digne d’œuure, & conſyderant par tout ce treſnoble royaulme de France, deça, delà les mons, vn chaſcun auiourd’huy ſoy inſtantement exercer & trauailler : part à la ſortification de la patrie, & la defendre : part au repoulſement des ennemis, & les offendre : le tout en police tant belle, en ordonnance ſi mirificque, & à profit tant euident pour l’aduenir (Car deſormais ſera France ſuperbement bournée, ſeront François en repous aſceurez) que peu de choſe me retient, que ie n’entre en l’opinion du bon Heraclitus, affermant guerre eſtre de tous biens père : & croye que guerre ſoit en Latin dicte belle, non par Antiphraſe[11], ainſi comme ont cuydé certains rapetaſſeurs de vieilles ferrailles Latines, par ce qu’en guerre guères de beaulté ne voyoient : mais abſolument, & ſimplement par raiſon qu’en guerre apparoiſſe tout eſpece de bien & beau, ſoit decelée toute eſpece de mal & laidure. Qu’ainſi ſoit, le Roy ſaige & pacific Solomon, n’a ſceu mieulx nous repræſenter la perfection indicible de la ſapience diuine, que la comparant à l’ordonnance d’vne armée en camp[12].

Par doncques n’eſtre adſcript & en ranc mis des noſtres en partie offenſiue, qui me ont eſtimé trop imbecile & impotent : de l’autre qui eſt defenſiue n’eſtre employé aulcunement, feuſt ce portant hotte, cachant crotte, ployant rotte, ou caſſant motte, tout m’eſtoys indifferent : ay imputé à honte plus que mediocre, eſtre veu ſpectateur ocieux de tant vaillans, diuers, & cheualereux perſonnaiges, qui en veue & ſpectacle de toute Europe iouent ceſte inſigne fable & Tragicque comedie : ne me eſuertuer de moy-meſmes, & non y conſommer ce rien mon tout, qui me reſtoit. Car peu de gloire me ſemble accroiſtre à ceulx qui ſeulement y emploient leurs œilz, au demeurant y eſpargnent leurs forces : celent leurs eſcuz, cachent leur argent, ſe grattent la teſte auecques vn doigt, comme landorez deſgouſtez, baiſlent aux mouſches comme Veaulx de diſme, chauuent des aureilles comme aſnes de Arcadie au chant des muſiciens, & par mines en ſilence : ſignifient qu’ilz conſentent à la proſopopée.

Prins ce choys & election, ay penſé ne faire exercice inutile & importun, ſi ie remuois mon tonneau Diogenic, qui ſeul m’eſt reſté du naufrage faict par le paſſé on far de Mal’encontre. A ce triballement de tonneau, que feray ie en voſtre aduis ? Par la Vierge qui ſe rebraſſe[13], ie ne ſçay encores. Attendez vn peu que ie hume quelque traict de ceſte bouteille : c’eſt mon vray & ſeul Helicon : c’eſt ma fontaine Caballine : c’eſt mon unicque Enthuſiaſme. Icy beuuant ie delibère, ie diſcours, ie reſoulz & concluds. Apres l’epilogue ie riz, i’eſcripz, ie compoſe, ie boy. Ennius beuuant eſcripuoit, eſcripuant beuuoit. Æſchylus (ſi à Plutarche foy auez in Sympoſiacis)[14] beuuoit compoſant, beuuant compoſoit. Homere iamais n’eſcriuit à ieun[15]. Caton iamais n’eſcripuit que apres boyre[16]. Affin que ne me dictez ainſi viure ſans exemple des biens louez mieulx priſez. Il eſt bon & frays aſſez, comme vous diriez ſus le commencement du ſecond degré : Dieu le bon Dieu Sabaoth, (c’eſt à dire des armées) en ſoit eternellement loué. Si de meſmes vous autres beuuez vn grand ou deux petitz coups en robbe, ie n’y trouue inconuenient aulcun, pour veu que du tout louez Dieu : vn tantinet.

Puys doncques que telle eſt ou ma ſort ou ma deſtinée : (car à chaſcun n’eſt oultroyé entrer & habiter Corinthe) ma deliberation eſt ſeruir & es vns & es autres : tant s’en fault que ie reſte ceſſateur & inutile. Envers les vaſtadours, pionniers & rempareurs ie feray ce que feirent Neptune & Apollo en Troie ſoubs Laomedon, ce que feit Renaud de Montaulban[17] ſus ſes derniers iours : ie ſeruiray les maſſons, ie mettray bouillir pour les maſſons, & le paſt terminé au ſon de ma muſette meſureray la muſarderie des muſars. Ainſi fonda, baſtit, & edifia Amphion ſonnant de la lyre la grande & celebre cité de Thebes. Enuers les guerroyans ie voys de nouueau percer mon tonneau. Et de la traicte (laquelle par deux præcedens volumes (ſi par l’impoſture des imprimeurs n’euſſent eſté peruertiz & brouillez) vous feuſt aſſez congneue) leurs tirer du creu de nos paſſetemps epicenaires vn guallant tiercin, & conſecutiuement vn ioyeulx quart de ſentences Pantagruelicques. Par moy licite vous ſera les appeler Diogenicques. Et ne auront, puys que compaignon ne peuz eſtre, pour Architriclin loyal refraiſchiſſant à mon petit povoir leur retour des alarmes : & laudateur, ie diz infatigable, de leurs proueſſes & glorieux faicts d’armes. Ie n’y fauldray par Lapathium acutum[18] de Dieu : ſi Mars ne failloit à Quareſme. Mais il s’en donnera bien guarde le paillard.

Me ſouuient toutesfoys auoir leu[19], que Ptoleme filz de Lagus quelque iour entre autres deſpouilles & butin de ſes conqueſtes, præſentant aux Ægyptiens en plain theatre vn chameau Batrian tout noir, & vn eſclaue biguarré, tellement que de ſon corps l’vne part eſtoit noire, l’autre blanche : non en compartiment de latitude par le diaphragme, comme feut celle femme ſacrée à Venus Indicque, laquelle feut recongnue du philoſophe Tyanien[20] entre le fleuue Hydaſpes, & le mont Caucaſe : mais en dimenſion perpendiculaire : choſes non encores veues en Ægypte, eſperoit par offre de ces nouueaultez l’amour du peuple enuers ſoy augmenter. Qu’en aduient il ? A la production du Chameau tous feurent effroyez & indignez : à la veue de l’homme biguarré aulcuns ſe mocquerent, autres le abhominerent comme monſtre infame, créé par erreur de nature. Somme, l’eſperance qu’il auoit de complaire à ſes Ægyptiens, par ce moyen extendre l’affection qu’ilz luy pourtoient naturellement, luy decoulla des mains. Et entendit plus à plaiſir & delices leurs eſtre choſes belles, eleguantes, & perfaictes, que ridicules & monſtrueuſes. Depuys eut tant l’Eſclaue que le Chameau en meſpris : ſi que bien touſt apres par negligence & faulte de commun traictement feirent de Vie à Mort eſchange. Ceſtuy exemple me faict entre eſpoir & craincte varier, doubtant que pour contentement propenſé, ie rencontre ce que ie abhorre : mon theſaur ſoit charbons : pour Venus aduieigne Barbet le chien : en lieu de les ſeruir, ie les faſche : en lieu de les eſbaudir, ie les offenſe : en lieu de leurs complaire : ie deſplaiſe : & ſoit mon aduenture telle que du Coq de Euclion tant celebré par Plaute en ſa Marmite[21], & par Auſone en ſon Gryphon[22], & ailleurs : lequel pour en grattant auoir deſcouuert le theſaur, eut la couppe guorgée[23]. Aduenent le cas, ne ſeroit ce pour cheureter ? Auſtresfoys eſt il aduenu : aduenir encores pourroit. Non fera Hercules. Ie recongnois en eux tous vne forme ſpecificque, & proprieté indiuiduale, laquelle nos maieurs nommoient Pantagrueliſme, moienant laquelle iamais en mauluaiſe partie ne prendront choſes quelconques, ilz congnoiſtront ſourdre de bon, franc, & loyal couraige. Ie les ay ordinairement veuz bon vouloir en payement prendre, & en icelluy acquieſcer, quand debilité de puiſſance y a eſté aſſociée.

De ce poinct expédié, à mon tonneau ie retourne. Sus à ce vin compaings. Enfans beuuez à plein guodetz. Si bon ne vous ſemble, laiſſez le. Ie ne ſuys de ces importuns Lifrelofres, qui par force, par oultraige & violence, contraignent les Lans & compaignons trinquer, voire caros & alluz, qui pis eſt. Tout beuueur de bien, tout Goutteux de bien, alterez, venens à ce mien tonneau, s’ilz ne voulent ne beuuent : s’ilz voulent, & le vin plaiſt au guouſt de la ſeigneurie de leurs ſeigneuries, beuvent franchement, librement, hardiment, ſans rien payer, & ne l’eſpargnent. Tel eſt mon decret. Et paour ne ayez, que le vin faille, comme feiſt es nopces de Cana en Galilée. Autant que vous en tireray par la dille, autant vous en entonneray par le bondon. Ainſi demeurera le tonneau inexpuiſible. Il a fource viue, & vene perpetuelle. Tel eſtoit le brevaige contenu dedans la couppe de Tantalus repreſenté par figures entre les ſaiges Brachmanes : telles eſtoit en Iberie la montaigne de ſel tant celebrée par Caton : tel eſtoit le rameau d’or ſacré à la deeſſe ſoubterraine, tant celebré par Virgile[24]. C’eſt vn vray Cornucopie de ioyeuſeté & raillerie. Si quelque foys vous ſemble eſtre expuyſé iusques à la lie, non pourtant ſera il à ſec. Bon eſpoir y giſt au fond, comme en la bouteille de Pandora : non deſeſpoir, comme on buſſart des Danaïdes.

Notez bien ce que i’ay dict, & quelle manière de gens ie inuite. Car (affin que perſonne n’y ſoit trompé) à l’exemple de Lucillius[25], lequel proteſtoit n’eſcrire que à ſes Tarentins & Conſentinois : ie ne l’ay perſé que pour vous Gens de bien, Beuueurs de la prime cuuée, & Goutteux de franc alleu. Les geans Doriphages aualleurs de frimars, ont au cul paſſions[26] aſſez, & aſſez ſacs au croc pour venaiſon. Y vacquent s’ilz voulent. Ce n’eſt icy leur gibbier. Des cerueaulx à bourlet[27] grabeleurs de corrections ne me parlez, ie vous ſupplie on nom & reuerence des quatre feſſes qui vous engendrerent : & de la viuificque cheuille, qui pour lors les coupploit. Des Caphars encores moins : quoy que tous ſoient beuveurs oultrez : tous verollez crouſteleuez : guarniz de leur alteration inextinguible, & manducation inſatiable. Pourquoy ? Pource qu’ilz ne font de bien, ains de mal : & de ce mal duquel iournellement à Dieu requerons eſtre deliurez : quoy qu’ilz contrefacent quelques foys des gueux. Oncques vieil cinge : ne feit belle moue. Arriere maſtins. Hors de la quarriere : hors de mon Soleil Cahuaille au Diable. Venez vous icy culletans articuler mon vin & compiſſer mon tonneau. Voyez cy le baſton que Diogenes par teſtament, ordonna eſtre près luy porté après ſa mort, pour chaſſer & eſrener ces larues buſtuaires, & maſtins Cerbericques. Pourtant arriere, Cagotz. Aux ouailles, maſtins. Hors d’icy, Caphards de par le Diable, hay. Eſtez vous encores là ? Ie renonce ma part de Papimanie, ſi ie vous happe. G22. g222. g222222[28]. Dauant, dauant. Iront ilz ? Iamais ne puiſſiez vous fianter, que à ſanglades d’eſtriuieres. Iamais piſſer, que à l’eſtrapade : iamais eſchauffer, que à coups de baſton.


Comment Pantagruel tranſporta vne colonie
de Vtopiens en Dipſodie.


Chapitre I.


Pantagrvel auoir entierement conqueſté le pays de Dipſodie, en icelluy tranſporta vne colonie de Vtopiens en nombre de 9876543210. homes, ſans les femmes & petitz enfans[29] : artizans de tous meſtiers, & profeſſeurs de toutes ſciences liberales : pour ledict pays refraichir, peupler, & orner, mal autrement habité, & deſert en grande partie. Et les tranſporta non tant pour l’exceſſiue multitude d’homes & femmes, qui eſtoient en Vtopie multipliez comme locuſtes. Vous entendez aſſez, ia beſoing n’eſt d’aduentaige vous l’expoſer, que les Vtopiens auoient les genitoires tant ſeconds, & les Vtopienes portoient matrices tant amples, gloutes, tenaces, & cellulées par bonne architecture, que au bout de chaſcun neufuieme moys, ſept enfans pour le moins, que maſles que femelles, naiſſoient par chaſcun mariage, à l’imitation du peuple Iudaic en Ægypte : ſi de Lyra ne delyre. Non tant auſſi pour la fertilité du ſol, ſalubrité du ciel, & commodité du pays de Dipſodie, que pour icelluy contenir en office & obeiſſance par nouueau tranſport de ſes antiques & feaulx ſubiectz. Lesquelz de toute memoire autre ſeigneur n’auoient congneu, recongneu, aduoué, ne ſeruy, que luy. Et les quelz des lors que naſquirent & entrerent on monde, auec le laict de leurs meres nourrices auoient pareillement ſugcé la doulceur & debonnaireté de ſon regne, & en icelle eſtoient touſdiz confictz, & nourriz. Qui eſtoit eſpoir certain, que plus toſt defauldroient de vie corporelle, que de ceſte première & vnicque ſubiection naturellement deue à leur prince, quelque lieu que feuſſent eſpars & tranſportez. Et non ſeulement telz ſeroient eulx & les enfans ſucceſſiuement naiſſans de leur ſang, mais auſſi en ceſte feaulté & obeiſſance entretiendroient les nations de nouueau adioinctes à ſon empire. Ce que veritablement aduint, & ne feut aulcunement fruſtré en ſa deliberation. Car ſi les Vtopiens auant ceſtuy tranſport, auoient eſté feaulx & bien recongnoiſſans, les Dipſodes auoir peu de iours auecques eulx conuerſé, l’eſtoient encores d’aduentaige, par ne ſçay quelle ferueur naturelle en tous humains au commencement de toutes œuures qui leur viennent à gré. Seulement ſe plaignoient obteſtans tous les cieulx & intelligences motrices, de ce que plus touſt n’eſtoit à leur notice venue la renommée du bon Pantagruel.

Noterez doncques icy Beuueurs, que la maniere d’entretenir & retenir pays nouuellement conqueſtez, n’eſt (comme a eſté l’opinion erronée de certains eſpritz tyrannicques à leur dam & deſhonneur) les peuples pillant, forçant, angariant, ruinant, mal vexant, & regiſſant auecques verges de fer : brief les peuples mangeant & deuorant, en la façon que Homere appelle le roy inique Demouore[30], c’eſt à dire mangeur de peuple. Ie ne vous allegueray à ce propous les hiſtoires antiques, ſeulement vous reuocqueray en recordation de ce qu’en ont veu vos pères, & vous meſmes, ſi trop ieunes n’eſtez. Comme enfant nouuellement né, les fault alaicter, berſer, eſiouir. Comme arbre nouuellement plantée, les fault appuyer, aſceurer, defendre de toutes vimeres, iniures, & calamitez. Comme perſonne ſaulué de longue & forte maladie, & venent à conualeſcence, les fault choyer, eſpargner, reſtaurer. De ſorte qu’ilz conçoipuent en ſoy ceſte opinion, n’eſtre on monde Roy ne Prince, que moins voulſiſſent ennemy, plus optaſſent amy. Ainſi Oſiris[31] le grand roy des Ægyptiens toute la terre conqueſta : non tant à force d’armes, que par ſoulaigement des angaries, enſeignemens de bien & ſalubrement viure, loix commodes, gratieuſeté & biensfaicts. Pourtant du monde feut il ſurnommé le grand roy Euergetes (c’eſt à dire le bienfaicteur) par le commandement de Iuppiter faict à vne Pamyle. De faict Heſiode en ſa Hierarchie[32] colloque les bons Dæmons (appellez les ſi voulez Anges ou Genies) comme moyens & mediateurs des Dieux & homes : ſuperieurs des homes, inferieurs des Dieux. Et pource que par leurs mains nous aduiennent les richeſſes & biens du Ciel, & ſont continuellement enuers nous bienfaiſans, touſiours du mal nous præſeruent : les dict eſtre en office de Roys : comme bien touſiours faire, iamais mal, eſtant acte vnicquement Royal. Ainſi feut empereur de l’vniuers Alexandre Macedon. Ainſi feut par Hercules tout le continent poſſedé, les humains ſoullageant des monſtres, oppreſſions, exactions, & tyrannies : en bon traictement les gouuernant : en æquité & iuſtice les maintenant : en benigne police & loix conuenentes à l’aſſieté des contrées les inſtituent : ſuppliant à ce que defailloit : ce que abondoit aualluant : & pardonnant tout le paſſé, auecques oubliance ſempiternelle de toutes offenſes præcedentes, comme eſtoit la Amneſtie des Atheniens, lors que feurent par la proueſſe & induſtrie de Thraſybulus les tyrans exterminez : depuys en Rome expoſée par Ciceron[33], & renouuellée ſoubs l’empereur Aurelian.

Ce ſont les philtres, Iynges, & attraictz d’amour, moienans lequelz pacificquement on retient, ce que peniblement on avoit conqueſté. Et plus en heur ne peut le conquerant regner, ſoit roy, ſoit prince ou philoſophe, que faiſant Iuſtice à Vertus ſucceder. Sa Vertu eſt apparue en la victoire & conqueſte : ſa iuſtice apparoiſtra en ce que par la volunté & bonne affection du peuple donnera loix : publiera edictz, eſtablira religions, fera droict à vn chaſcun : comme de Octauian Auguſte dict le noble poëte Maro[34].

Il estoit victeur, par le vouloir
Des gens vaincuz, faiſoit les loix valoir.

C’eſt pourquoy Homere en ſon Iliade[35], les bons princes & grands Roys appelle ϰοσμήτορας λαῶν, c’eſt à dire : ornateurs de peuples. Telle eſtoit la conſideration de Numa Pompilus, Roy ſecond des Romains iuſte, politic, & philoſophe, quand il ordonna au Dieu Terme, le iour de ſa feſte, qu’on nommoit Terminales, rien n’eſtre ſacrifié, qui euſt prins mort : nous enſeignant, que les termes, frontieres, & annexes des royaulmes conuient en paix, amitié, debonnaireté guarder & regir, ſans ſes mains ſouiller de ſang & pillerie. Qui aultrement faict, non ſeulement perdera l’acquis, mais auſſi patira ce ſcandale & opprobre, qu’on le eſtimera mal & à tort auoir acquis : par ceſte conſequence, que l’acqueſt luy eſt entre mains expiré. Car les choſes mal acquiſes, mal deperiſſent[36]. Et ores qu’il euſt toute ſa vie pacificque iouiſſance, ſi toutesfoys l’acqueſt deperit en ſes hoirs, pareil ſera le ſcandale ſus le defunct, & ſa memoire en malediction, comme le conquerant inique. Car vous dictez en prouerbe commun : Des choſes mal acquiſes le tiers hoir ne iouira[37].

Notez auſſi, Goutteux fieffez, en ceſtuy article, comment par ce moyen Pantagruel feit d’vn ange deux, qui eſt accident oppoſite au conſeil de Charles Maigne, lequel feiſt d’vn diable deux, quand il tranſporta les Saxons en Flandre, & les Flamens en Saxe. Car non pouant en ſubiection contenir les Saxons par luy adioincts à l’empire : que à tous momens n’entraſſent en rebellion, ſi par cas eſtoit diſtraict en Heſpaigne, ou autres terres loingtaines : les tranſporta en pays ſien, & obeiſſant naturellement, ſçauoir eſt Flandres : & les Hannuiers & Flamens ſes naturels ſubiectz tranſporta en Saxe, non doubtant de leur feaulté, encores qu’ilz tranſmigraſſent en regions eſtranges. Mais aduint que les Saxons continuerent en leur rebellion & obſtination premiere : & les Flamens habitans en Saxe, embeurent les meurs & contradictions des Saxons.


Comment Panurge feut faict chaſtellain
de Salmiguondin en Dipſodie, & mangeoit
ſon bled en herbe.


Chapitre II.


Donnant Pantagruel ordre au gouuernement de toute Dipſodie, aſſigna la chaſtellenie de Salmiguondin à Panurge, valent par chaſcun an. 6789106789. Royaulx[38] en deniers certains, non comprins l’incertain reuenu des Hanetons, & Cacquerolles, montant bon an mal an de. 2435768. à. 2435769. moutons à la grande laine. Quelques foys reuenoit à. 1234554321. Seraphz : quand eſtoit bonne année de Cacquerolles, & Hanetons de requeſte. Mais ce n’eſtoit tous les ans. Et ſe gouuerna ſi bien & prudentement monſieur le nouueau chaſtellain, qu’en moins de quatorze iours il dilapida le reuenu certain & incertain de ſa Chaſtellenie pour troys ans. Non proprement dilapida, comme vous pourriez dire en fondations de monaſteres, erections de temples, baſtimens de collieges & hoſpitaulx, ou iectant ſon lard aux chiens. Mais deſpendit en mille petitz banquetz & feſtins ioyeulx, ouuers à tous venens, meſmement bons compaignons, ieunes fillettes, & mignonnes gualoiſes[39]. Abaſtant boys, bruſlant les groſſes ſouches pour la vente des cendres, prenent argent d’auance[40], achaptant cher, vendent à bon marché, & mangeant ſon bled en herbe. Pantagruel aduerty de l’affaire, n’en feut en ſoy aulcunement indigné, faſché, ne marry. Ie vous ay ia dict, et encores rediz, que c’eſtoit le meilleur petit & grand bon homet, que oncques ceignït eſpée. Toutes choſes prenoit en bonne partie, tout acte interpretoit à bien. Iamais ne ſe tourmentoit, iamais ne ſe ſcandalizoit. Auſſi euſt il eſté bien foriſſu du Deificque manoir de raiſon, ſi aultrement ſe feuſt contriſté ou alteré. Car tous les biens que le Ciel couure : & que la Terre contient en toutes ſes dimenſions : hauteur, profondité, longitude, & latitude, ne ſont dignes d’eſmouuoir nos affections, & troubler nos ſens & eſpritz.

Seulement tira Panurge à part, & doulcettement luy remonſtra, que ſi ainſi vouloit viure, & n’eſtre aulcunement meſnagier, impoſſible ſeroit, ou pour le moins bien difficile, le faire iamais riche. Riche ? reſpondit Panurge. Auiez vous là fermé voſtre penſée ? Auiez vous en ſoing pris me faire riche en ce monde ? Penſez viure ioyeux de par li bon Dieu, & li bons homs. Autre ſoing, autre ſoucy, ne ſoy receup on ſacroſainct domicile de voſtre celeſte cerueau. La ſerenité d’icelluy iamais ne ſoit troublée par nues quelconques de penſement paſſementé de meſhaing & faſcherie. Vous viuant ioyeulx, guaillard, dehayt, ie ne ſeray riche que trop. Tout le monde crie meſnaige, meſnaige. Mais tel parle de meſnaige, qui ne ſçayt mie que c’eſt. C’eſt de moy que fault conſeil prendre. Et de moy pour ceſte heure prendrez aduertiſſement, que ce qu’on me impute à vice, a eſté imitation des Vniuerſités & Parlement de Paris : lieux esquelz conſiſte la vraye ſource & viue Idée de Pantheologie, de toute iuſtice auſſi. Hæreticque qui en doubte, & fermement ne le croyt. Ilz toutesfoys en vn iour mangent leur euesque, ou le reuenu de l’eueſché (c’eſt tout vn) pour vne année entiere, voyre pour deux aulcunes foys : C’eſt au iour qu’il y faict ſon entrée. Et n’y a lieu d’excuſe, s’il ne vouloit eſtre lapidé ſus l’inſtant. A eſté auſſi acte des quatre vertus principales. De Prudence, en prenent argent d’auance. Car on ne ſçayt qui mord, ne qui rue[41]. Qui ſçayt ſi le monde durera troys ans ? Et ores qu’il duraſt d’aduentaige, eſt il home tant fol qui ſe auſaſt promettre viure troys ans ?

Oncq’homme n’eut les Dieux tant bien à main,
Qu’asseuré feust de viure au lendemain.[42]

De iuſtice : Commutatiue, en achaptant cher (ie diz à credit) vendent à bon marché (ie diz argent comptant). Que dict Caton en ſa meſnagerie ſus ce propos ? Il fault (dict il) que le perefamiles ſoit vendeur perpetuel[43]. Par ce moyen eſt impoſſible qu’en fin riche ne deuieigne, ſi touſiours dure l’apothecque. Diſtributiue : donnant à repaiſtre aux bons (notez bons) & gentilz compaignons : lesquelz Fortune auoit iecté comme Vlyxes, ſus le roc de bon appetit, ſans prouiſion de mangeaille : & aux bonnes (notez bonnes) & ieunes gualoiſes (notez ieunes : Car ſcelon la ſentence de Hippocrates, ieuneſſe eſt impatience de faim : meſmement ſi elle eſt viuace, alaigre, brusque, mouente, voltigeante). Lesquelles gualoiſes voluntiers & de bon hayt font plaiſir à gens de bien[44] : & ſont Platonicques & Ciceronianes iusques là, qu’elles ſe reputent eſtre on monde nées non pour ſoy ſeulement : ains de leurs propres perſonnes font part à leur patrie, part à leurs amis.

De force, en abaſtant les gros arbres, comme vn ſecond Milo : ruinant les obſcures foreſtz, teſnieres de Loups, de Sangliers, de Renards : receptacles de briguans & meurtriers : taulpinieres de aſſaſſinateurs, officines de faulx monnoieurs, retraicte d’hæreticques : & les complaniſſant en claires guarigues & belles bruieres : iouant des haulx boys[45], & præparant les ſieges pour la nuict du iugement.

De Temperance : mangeant mon bled en herbe, comme vn Hermite, viuant de ſallades & racines : me emancipant des appetitz ſenſuelz : & ainſi eſpargnant pour les eſtropiatz & ſouffreteux. Car ce faiſant, i’eſpargne les ſercleurs qui guaignent argent : les meſtiuiers, qui beuuent voluntiers, & ſans eau : les gleneurs, es quelz fault de la fouace : les baſteurs, qui ne laiſſent ail, oignon, ne eſchalote es iardins par l’auctorité de Theſtilis Virgiliane[46] : les meuſniers, qui ſont ordinairement larrons : & les boulangiers, qui ne valent gueres mieulx. Eſt ce petite eſpargne : Oultre la calamité des Mulotz, le deſchet des greniers, & la mangeaille des Charrantons & Mourrins. De bled en herbe vous faictez belle ſaulſe verde, de legiere concoction : de facile digeſtion. Laquelle vous eſbanoiſt le cerueau, eſbaudiſt les eſpritz animaulx, reſiouiſt la veue, ouure l’appetit, delecte le gouſt, aſſere le cœur, chatouille la langue, faict le tainct clair, ſortifie les muſcles, tempere le ſang, alliege le diaphragme, refraiſchit le foye, deſoppile la ratelle, ſoulaige les roignons, aſſoupiſt les reins, deſgourdiſt les ſpondyles, vuide les uretères, dilate les vaſes ſpermaticques, abbreuie les cremaſteres, expurge la veſſie, enfle les genitoires, corrige le prepuce, incruſte le balane, rectifie le membre : vous faict bon ventre, bien rotter, veſſir, peder, fianter, uriner, eſternuer, ſangloutir, touſſir, cracher, vomiter, baiſler, mouſcher, haleiner, inſpirer, reſpirer, ronfler, ſuer, dreſſer le virolet, & mille autres rares aduentaiges. I’entends bien (diſt Pantagruel) vous inferez que gens de peu d’eſprit ne ſçauroient beaucoup en brief temps deſpendre. Vous n’eſtez le premier, qui ayt conceu ceſte hæreſie. Neron le maintenoit, & ſus tous humains admiroit C. Caligula ſon oncle, lequel en peu de iours auoir par inuention mirificque deſpendu tout l’auoir & patrimoine que Tiberius luy auoit laiſſé. Mais en lieu de guarder & obſeruer les loix cœnaires & ſumptuaires des Romains[47], la Orchie, la Fannie, la Didie, la Licinie, la Cornelie, la Lepidiane, la Antie, & des Corinthiens : par les quelles eſtoit rigoureuſement à vn chaſcun defendu, plus par an deſpendre, que portoit ſon annuel reuenu : vous auez faict Proteruie : qui eſtoit entre les Romains ſacrifice tel que de l’aigneau Paſchal entre les Iuifz. Il y conuenoit tout mangeable manger : le reſte iecter on feu : rien ne reſeruer au lendemain. Ie le peuz de vous iuſtement dire, comme le diſt Caton de Albidius, lequel auoit en exceſſiue deſpenſe mangé tout ce qu’il poſſedoit, reſtant ſeulement vne maiſon, y miſt le feu dedans, pour dire, conſummatum eſt, ainſi que depuys diſt ſainct Thomas Dacquin[48], quand il eut la Lamproye toute mangée. Cela non force.


Comment Panurge loue les debteurs & emprunteurs.

Chapitre III.


Mais (demanda Pantagruel) quand ſerez vous hors de debtes ? Es Calendes Grecques, reſpondit Panurge ; lors que tout le monde ſera content, & que ſerez heritier de vous meſmes. Dieu me guarde d’en eſtre hors. Plus lors ne trouuerois qui vn denier me pretaſt. Qui au ſoir ne laiſſe leuain, ia ne fera au matin leuer paſté. Doibuez tous iours à quelq’vn ? par icelluy ſera continuellement Dieu vous donner bonne, longue, & heureuſe vie : craignant ſa debte perdre, touſiours bien de vous dira en toutes compaignies : touſiours nouueaulx crediteurs vous acqueſtera : affin que par eulx vous faciez verſure, & de terre d’aultruy rempliſſez ſon foſſé. Quand iadis en Gaulle par l’inſtitution des Druydes, les ſerfz, varletz, & appariteurs eſtoient tous vifz bruſlez aux funerailles & exeques de leurs maiſtres & ſeigneurs : n’auoient ilz belle paour que leurs maiſtres & ſeigneurs mouruſſent ? Car enſemble force leurs eſtoit mourir. Ne prioient ilz continuellement leur grand Dieu Mercure, auecques Dis[49] le pere aux eſcuz, longuement en ſanté les conſeruer ? N’eſtoient ilz ſoingneux de bien les traicter & ſeruir ? Car enſemble pouoient ilz viure au moins iusques à la mort. Croyez qu’en plus feruente deuotion vos crediteurs priront Dieu que viuez, craindront que mourez, d’autant que plus ayment la manche que le braz[50], & la denare que la vie. Teſmoings les vſuriers de Landerouſſe, qui nagueres ſe pendirent, voyans les bleds & les vins raualler en pris[51], & bon temps retourner. Pantagruel rien ne reſpondent, continua Panurge. Vray bot, quand bien ie y penſe, vous me remettez à poinct en ronfle veue, me reprochant mes debtes & crediteurs. Dea en ceſte ſeule qualité ie me reputois auguſte, reuerend, & redoubtable, que ſus l’opinion de tous Philoſophes (qui diſent rien de rien n’eſtre faict) rien ne tenent, ne matiere premiere, eſtoit facteur & createur. Auois créé. Quoy ? Tant de beaulx & bons crediteurs. Crediteurs ſont (ie le maintiens iusques au feu excluſiuement[52]) creatures belles & bonnes. Qui rien ne preſte, eſt creature laide & mauuaiſe : creature du grand villain diantre d’enfer. Et faict. Quoy ? Debtes. O choſe rare & antiquaire. Debtes, diz ie, excedentes le nombre des ſyllabes reſultantes au couplement de toutes les conſonantes auecques les vocales, iadis proiecté & compté par le noble Xenocrates[53]. A la numeroſité des crediteurs ſi vous eſtimez la perfection des debteurs, vous ne errerez en Arithmetique praticque. Cuidez vous que ie ſuis aiſe quand tous les matins autour de moy ie voy ces crediteurs tant humbles, ſeruiables, & copieux en reuerences ? Et quand ie note que moy faiſant à l’vn viſaige plus ouuert, & chere meilleure que es autres, le paillard penſe auoir ſa depeſche le premier, penſe eſtre le premier en date, & de mon ris cuyde que ſoit argent content. Il m’eſt aduis, que ie ioue encores le Dieu de la paſſion de Saulmur[54], accompaigné de ſes Anges & Cherubins. Ce ſont mes candidatz, mes paraſites, mes ſalueurs, mes diſeurs de bons iours, mes orateurs perpetuelz. Et penſois veritablement en debtes conſiſter la montaigne de Vertus heroicque deſcripte par Heſiode[55], en laquelle ie tenois degré premier de ma licence : à laquelle tous humains ſemblent tirer & aſpirer, mais peu y montent pour la difficulté du chemin : voyant au iourdhuy tout le monde en deſir feruent, & ſtrident appetit de faire debtes, & crediteurs nouueaulx. Toutesfoys il n’eſt debteur qui veult : il ne faict crediteurs qui veult. Et vous me voulez debouter de ceſte felicité ſoubeline ? vous me demandez quand ſeray hors de debtes ?

Bien pis y a, ie me donne à ſainct Babolin le bon ſainct, en cas que toute ma vie ie n’aye eſtimé debtes eſtre comme vne connexion & colligence des Cieulx & Terre : vn entretenement vnicque de l’humain lignaige : ie dis ſans lequel bien toſt tous humains periroient : eſtre par aduenture celle grande ame de l’vniuers, laquelle ſcelon les Academicques, toutes choſes viuifie. Qu’ainſi ſoit, repræſentez vous en eſprit ſerain l’idée & forme de quelque monde, prenez ſi bon vous ſemble, le trentieſme de ceulx que imaginoit le philoſophe Metrodorus : ou le ſoixante & dix huyctieſme de Petron : on quel ne ſoit debteur ne crediteur aulcun. Vn monde ſans debtes. Là entre les aſtres ne ſera cours regulier quiconque. Tous ſeront en deſarroy. Iuppiter ne s’eſtimant debiteur à Saturne, le depoſſedera de ſa ſphære, & auecques ſa chaine Homericque[56] ſuſpendera les intelligences, Dieu, Cieulx, Dæmons, Genies, Heroes, Diables, Terre, mer, tous elemens. Saturne ſe r’aliera auecques Mars, & mettront tout ce monde en perturbation. Mercure ne vouldra ſoy aſſeruir les aultres, plus ne ſera leur Camille, comme langue Hetrusque eſtoit nommé. Car il ne leurs eſt en rien debteur. Venus ne ſera venerée, car elle n’aura rien preſté. La Lune reſtera ſanglante & tenebreuſe. A quel propous luy departiroit le Soleil ſa lumiere ? Il n’y eſtoit en rien tenu. Le Soleil ne luyra ſus leur terre : les Aſtres ne y feront influence bonne. Car la terre deſiſtoit leurs preſter nourriſſement par vapeurs & exhalations : des quelles diſoit Heraclitus, prouuoient les Stoiciens, Ciceron maintenoit eſtre les eſtoilles alimentées. Entre les elemens ne ſera ſymboliſation, alternation, ne tranſmutation aulcune. Car l’vn ne ſe reputera obligé à l’autre, il ne luy auoit rien preſté. De terre ne ſera faicte eau : l’eau en aer[57] ne ſera tranſmuée : de l’aer ne ſera faict feu : le feu n’eſchauffera la terre. La terre rien ne produira que monſtres, Titanes, Aloides[58], Geans : Il n’y pluyra pluye, n’y luyra lumiere, n’y ventera vent, n’y ſera eſté ne automne. Lucifer ſe deſliera, & ſortant du profond d’enfer auecques les Furies, les Poines, & Diables cornuz, vouldra deniger des cieulx tous les dieux tant des maieurs comme des mineurs peuples. De ceſtuy monde rien ne preſtant ne ſera qu’vne chienerie : que vne brigue plus anomale que celle du Recteur de Paris, qu’vne Diablerie plus confuſe que celle des ieuz de Doué[59]. Entre les humains l’vn ne ſaluera l’aultre : il aura beau crier à l’aide, au feu, à l’eau, au meurtre. Perſonne ne ira à ſecours. Pourquoy ? Il n’auoit rien preſté, on ne luy debuoit rien. Perſonne n’a intereſt en ſa conflagration, en ſon naufrage, en ſa ruine, en ſa mort. Auſſi bien ne preſtoit il rien. Auſſi bien n’euſt il par apres rien preſté. Brief de ceſtuy monde ſeront bannies Foy, Eſperance, Charité. Car les homes ſont nez pour l’ayde & ſecours des homes. En lieu d’elles ſuccederont Defiance, Meſpris, Rancune, auecques la cohorte de tous maulx, toutes maledictions, & toutes miſeres. Vous penſerez proprement que là euſt Pandora verſé ſa bouteille[60]. Les homes ſeront loups es homes. Loups guaroux, & lutins, comme feurent Lychaon, Bellerophon, Nabugotdonoſor : briguans, aſſaſſineurs, empoiſonneurs, malfaiſans, malpenſans, malueillans, haine portans vn chaſcun contre tous, comme Iſmael, comme Metabus, comme Timon Athenien, qui pour ceſte cauſe feut ſurnommé μισάνθρωπος[61]. Si que choſe plus facile en nature ſeroit, nourrir en l’aër les poiſſons, paiſtre les cerfz on fond de l’Ocean, que ſupporter ceſte truandaille de monde, qui rien ne preſte. Par ma foys ie les hays bien.

Et ſi au patron de ce faſcheux & chagrin monde rien ne preſtant, vous figurez l’autre petit monde, qui eſt l’home, vous y trouuerez vn terrible tintamarre. La teſte ne vouldra preſter la veue de ſes œilz, pour guider les piedz & les mains. Les piedz ne la daigneront porter : les mains ceſſeront de trauailler pour elle. Le cœur ſe faſchera de tant ſe mouuoir pour les pouls des membres, & ne leurs preſtera plus. Le poulmon ne luy fera preſt de ſes ſouffletz. Le foye en luy enuoyra ſang pour ſon entretien. La veſſie ne vouldra eſtre debitrice aux roignons : l’vrine ſera ſupprimée. Le cerueau conſiderant ce train deſnaturé, ſe mettra en reſuerie, & ne baillera ſentement es nerfz, ne mouuement es muſcles. Somme, en ce monde deſrayé, rien ne debuant, rien ne preſtant, rien ne empruntant, vous voirez vne conſpiration plus pernicieuſe, que n’a figuré Æſope en ſon Apologue[62]. Et perira ſans doubte : non perira ſeulement : mais bien toſt perira, feuſt ce Æſculapius meſmes[63]. Et ira ſoubdain le corps en putrefaction : l’ame toute indignée prendra courſe à tous les Diables, apres mon argent.


Continuation du diſcours de Panurge, à la louange
des preſteurs & debteurs.


Chapitre IIII.


Av contraire repreſentez vous vn monde autre, on quel vn chaſcun preſte, vn chaſcun doibue, tous ſoient debteurs, tous ſoient preſteurs. O quelle harmonie ſera parmy les reguliers mouuemens des Cieulz. Il m’eſt aduis que ie l’entends auſſi bien que feiſt oncques Platon[64]. Quelle ſympathie entre les elemens. O comment Nature ſe y delectera en ſes œuures & productions. Ceres chargée de bleds : Bacchus de vins : Flora de fleurs : Pomona de fruictz : Iuno en ſon aër ſerain ſeraine, ſalubre, plaiſante. Ie me pers en ceſte contemplation. Entre les humains Paix, Amour, Dilection, Fidelité, repous, banquetz, feſtins, ioye, lieſſe, or, argent, menue monnoie, chaiſnes, bagues, marchandiſes, troteront de main en main. Nul proces, nulle guerre, nul debat : nul n’y ſera vſurier, nul leſchart, nul chichart, nul refuſant. Vray Dieu, ne ſera ce l’aage d’or, le regne de Saturne ? L’idée des regions Olympicques : es quelles toutes autres vertus ceſſent : Charité ſeule regne, regente, domine, triumphe. Tous ſeront bons, tous ſeront beaulx, tous ſeront iuſtes. O monde heureux. O gens de ceſtuy monde heureux. O beatz troys & quatre foys. Il m’eſt aduis que ie y ſuis. Ie vous iure le bon Vraybis, que ſi ceſtuy monde, beat monde ainſi à vn chaſcun preſtant, rien ne refuſant euſt Pape foizonnant en Cardinaulx, & aſſocié de ſon ſacre colliege, en peu d’années vous y voiriez les ſainctz plus druz, plus miraclificques, à plus de leçons, plus de veuz, plus de baſtons, & plus de chandelles, que ne ſont tous ceulx des neufz eueſchez de Bretaigne. Exceptez ſeulement ſainct Iues. Ie vous prie conſiderez comment le noble Patelin voulant deifier & par diuines louenges mettre iusques au tiers ciel le pere de Guillaume Iouſſeaulme, rien plus ne diſt ſinon,

Et ſi preſtoit,
Ses denrées, à qui en vouloit.[65]

O le beau mot. A ce patron figurez vous noſtre microcoſme, id eſt, petit monde, c’eſt l’home, en tous ſes membres, preſtans, empruntans, doibuans, c’eſt à dire en ſon naturel. Car nature n’a créé l’home que pour preſter & emprunter. Plus grande n’eſt l’harmonie des cieux, que ſera de ſa police. L’intention du fondateur de ce microcoſme, eſt y entretenir l’ame, laquelle il y a miſe comme hoſte : & la vie. La vie conſiſte en ſang. Sang eſt le ſiege de l’ame. Pourtant vn ſeul labeur poine en ce monde, c’eſt forger ſang continuellement. En ceſte forge ſont tous membres en office propre : & eſt leur hierarchie telle que ſans ceſſe l’vn de l’autre emprunte, l’vn à l’autre preſte, l’vn à l’autre eſt debteur. La matiere & metal conuenable pour eſtre en ſang tranſmué, eſt baillée par nature : Pain & Vin. En ces deux ſont comprinſes toutes eſpeces des alimens. Et de ce eſt dict le companage en langue Goth. Pour icelles trouuer, præparer, & cuire, trauaillent les mains, cheminent les piedz, & portent toute ceſte machine : les œilz tout conduiſent. L’appetit en l’orifice de l’eſtomach moyennant vn peu de melancholie aigrette, que luy eſt tranſmis de la ratelle, admonneſte de enfourner viande. La langue en faict l’eſſay : les dens la maſchent : l’eſtomach la reçoit, digere & chylifie. Les venes meſaraïcques en ſugcent ce qu’eſt bon & idoine : delaiſſent les excremens. Les quelz par vertu expulſiue ſont vuidez hors par expres conduictz : puys la portent au foye. Il la tranſmue derechef, & en faict ſang. Lors quelle ioye penſez vous eſtre entre ces officiers, quand ils ont veu ce ruiſſeau d’or, qui eſt leur ſeul reſtaurant ? Plus grande n’eſt la ioye des Alchymiſtes, quand apres longs trauaulx, grand ſoin & deſpenſe, ilz voyent les metaulx tranſmuez dedans leurs fourneaulx. Adoncques chaſcun membres ſe præpare & s’eſuertue de nouueau à purifier & affiner ceſtuy theſaur. Les roignons par les venes emulgentes en tirent l’aiguoſité, que vous nommez vrine, & par les vreteres la decoullent en bas. Au bas trouue receptacle propre, c’eſt la veſſie, laquelle en temps oportun la vuide hors. La ratelle en tire le terreſtre, & la lie, que vous nommez melancholie. La bouteille du fiel en ſoubſtrait la cholere ſuperflue. Puys eſt tranſporté en vne autre officine pour mieulx eſtre affiné, c’eſt le Cœur. Lequel par ces mouuemens diaſtolicques & ſyſtolicques le ſubtilie & enflambe, tellement que par le ventricule dextre le met à perfection, & par les venes l’enuoye à tous les membres. Chaſcun membre l’attire à ſoy, & s’en alimente à ſa guiſe : pieds, mains, œilz, tous : & lors ſont faictz debteurs, qui parauant eſtoient preſteurs. Par le ventricule gauſche il le faict tant ſubtil, qu’on le dict ſpirituel : & l’enuoye à tous les membres par ſes arteres, pour l’autre ſang des venes eſchauffer & eſuenter. Le poulmon ne ceſſe auecques es lobes & souffletz le refraiſchir. En recongnoiſſance de ce bien le Cœur luy en depart le meilleur par la uene arteriale. En fin tant eſt affiné dedans le retz merueilleux, que par à preſent ſont faictz les eſpritz animaulx, moyenans les quelz elle imagine, diſcourt, iuge, reſouſt, delibere, ratiocine, & rememore. Vertus guoy ie me naye, ie me pers, ie m’eſguare, quand ie entre on profond abiſme de ce monde ainſi preſtant, ainſi doibuant. Croyez que choſe diuine eſt preſter : debuoir eſt vertus Heroïcque.

Encores n’eſt ce tout. Ce monde preſtant, doibuant, empruntant, eſt ſi bon, que ceſte alimentation paracheuée, il penſe deſia preſter à ceulx qui ne ſont encores nez : & par preſt ſe perpetuer s’il peult, & multiplier en images à ſoy ſemblables, ce ſont enfans. A ceſte fin chaſcun membre du plus precieux de ſon nourriſſement decide & roigne vne portion, & la renuoye en bas : nature y a præparé vaſes & receptacles opportuns, par les quelz deſcendent es genitoires en longs ambages & flexuoſitez : reçoit forme competente, & trouue lieux idoines tant en l’homme comme en la femme, pour conſeruer & perpetuer le genre humain. Ce faict le tout par preſtz & debtes de l’vn à l’autre : dont eſt dict le debuoir de mariage. Poine par nature eſt au refuſant interminée, acre vexation parmy les membres, & furie parmy les ſens : au preſtant loyer conſigné, plaiſir, alaigreſſe, & volupté.


Comment Pantagruel deteſte les debteurs
& emprunteurs.


Chapitre V.


I’entends (reſpondit Pantagruel) & me ſemblez bon topicqueur & affecté à voſtre cauſe. Mais preſchez & patrocinez d’icy à la Pentecoſte[66], en fin vous ſerez eſbahy, comment rien ne me aurez perſuadé, & par voſtre beau parler, ia ne me ferez entrer en debtes. Rien (dict le ſainct Enuoyé[67]) à perſonne en doibuez, fors amour & dilection mutuelle.

Vous me vſez icy de belles graphides & diatypoſes, & me plaiſent treſbien : mais ie vous diz, que ſi figurez vn affronteur efronté, & importun emprunteur entrant de nouueau en vne ville ia aduertie de ſes meurs, vous trouuerez que à ſon entrée plus ſeront les citoyens en effroy & trepidation, que ſi la Peſte y entroit en habillement tel que la trouua le Philoſophe Tyanien[68] dedans Epheſe. Et ſuys d’opinion que ne erroient les Perſes, eſtimans le ſecond vice eſtre mentir : le premier eſtre debuoir. Car debtes & menſonges ſont ordinairement enſemble ralliez. Ie ne veulx pourtant inferer, que iamais ne faille debuoir, iamais ne faille preſter. Il n’eſt ſi riche qui quelques foys ne doibue. Il n’eſt ſi paouure, de qui quelques foys on ne puiſſe emprunter. L’ocaſion ſera telle que la dict Platon en ſes loix[69], quand il ordonne qu’on ne laiſſe chez ſoy les voyſins puiſer eau, ſi premierement ilz n’auoient en leurs propres paſtifz fouſſoyé & beché iusques à trouuer celle eſpece de terre qu’on nomme Ceramite (c’eſt terre à potier) & là n’euſſent rencontré ſource ou degout d’eaux. Car icelle terre par ſa ſubſtance qui eſt graſſe, forte, lize, & denſe, retient l’humidité, & n’en eſt facilement fait eſcours ne exhalation. Ainſi eſt ce grande vergouigne, touiſours, en tous lieux, d’vn chaſcun emprunter, plus touſt que trauailler & guaingner. Lors ſeulement deburoit on (ſelon mon iugement) preſter, quand la perſonne trauaillant n’a peu par ſon labeur faire guain : ou quand elle eſt ſoubdainement tombée en perte inopinée de ſes biens. Pourtant laiſſons ce propos, & dorenauant ne vous atachez à crediteurs : du paſſé ie vous deliure.

Le moins de mon plus (diſt Panurge) en ceſtuy article ſera vous remercier : & ſi les remerciemens doibuent eſtre meſurez par l’affection des biensfaicteurs, ce ſera infiniment, ſempiternellement : car l’amour que de voſtre grace me portez, eſt hors le dez d’eſtimation, il tranſcende tout poix, tout nombre, toute meſure, il eſt infiny, ſempiternel. Mais le meſurant au qualibre des biensfaictz, & contentement des recepuans, ce ſera aſſez laſchement. Vous me faictez des biens beaucoup, & trop plus que m’appartient, plus que n’ay enuers vous deſeruy, plus que ne requeroient mes merites, force eſt que le confeſſe : mais non mie tant que penſez en ceſtuy article. Ce n’eſt là que me deult, ce n’eſt là que me cuiſt & demange. Car dorenauant eſtant quitte quelle contenence auray ie ? Croiez que ie auray mauluaiſe grace pour les premiers moys, veu que ie n’y ſuis ne nourry ne accouſtumé. I’en ay grand paour. D’aduentaige deſormais ne naiſtra ped en tout Salmiguondinoys, qui ne ayt ſon renuoy vers mon nez. Tous les peteurs du monde petans diſent. Voy la pour les quittes. Ma vie finera bien touſt, ie le præuoy. Ie vous recommande mon Epitaphe : Et mourray tout confict en pedz. Si quelque iour pour reſtaurant à faire peter les bonnes femmes, en extreme paſſion de colicque venteuſe, les medicamens ordinaires ne ſatisfont aux medicins, la momie de mon paillard & empeté corps leur fera remede præſent. En prenent tant peu que direz, elles peteront plus qu’ilz n’entendent. C’eſt pourquoy ie vous prirois voluntiers que de debtes me laiſſez quelque centurie : comme le roy Loys vnzieme iectant hors de proces Miles d’Illiers euesque de Chartres[70], feut importuné luy en laiſſer quelque vn pour ſe exercer. I’ayme mieux leur donner toute ma Cacquerolière, enſemble ma Hannetonnière : rien pourtant ne deduiſant du ſort principal. Laiſſons (diſt Pantagruel) ce propos, ie vous l’ay ia dict vne foys.


Pourquoy les nouueaulx mariez eſtoient exemptz
d’aller en guerre.


Chapitre VI.


Mais (demanda Panurge) en quelle loy eſtoit ce conſtitué & eſtably, que ceulx qui vigne nouuelle planteroient : ceulx qui logis neuf baſtiroient : & les nouueaulx mariz ſeroient exemptz d’aller en guerre pour la premiere année ? En la loy (reſpondit Pantagruel) de Moſes[71]. Pour quoy (demanda Panurge) les nouueaulx mariez ? Des planteurs de vigne, ie ſuis trop vieulx pour me ſoucier : ie acquieſce on ſoucy des vendangeurs : & les beaulx baſtiſſeurs nouueaux de pierres mortes ne ſont eſcriptz en mon liure de vie. Ie ne baſtis que pierres viues, ce ſont homes. Scelon mon iugement (reſpondit Pantagruel) c’eſtoit, affin que pour la premiere année, ilz iouiſſent de leurs amour à plaiſir, vacaſſent à production de lignage, & feiſſent prouiſion de heritiers. Ainſi pour le moins, ſi l’année ſeconde eſtoient en guerre occis, leur nom & armes reſtat en leurs enfans. Auſſi que leurs femmes on congneuſt certainement eſtre brehaignes ou ſecondes (car l’eſſay d’vn an leur ſembloit ſuffiſant, attendu la maturité de l’aage en laquelle ilz faiſoient nopces) pour mieulx apres le decés des mariz premiers les colloquer en ſecondes nopces : les ſecondes, à ceulx qui vouldroient multiplier en enfans : les brehaignes, à ceulx qui n’en appeteroient : & les prendroient pour leurs vertus, ſçauoir, bonnes graces, ſeulement en conſolation domeſticque, & entretenement de meſnaige. Les preſcheurs de Varenes (diſt Panurge) deteſtent les ſecondes nopces, comme folles & deſhonneſtes. Elles ſont (reſpondiſt Pantagruel) leurs fortes fiebures quartaines. Voire (diſt Panurge) & à frere Enguainnant auſſi, qui en plain ſermon preſchant à Parillé, & deteſtant les nopces ſecondes, iuroit, & ſe donnoit au plus viſte Diable d’enfer, en cas que mieulx n’aymaſt depuceller cent filles[72], que biſcoter vne vefue. Ie trouue voſtre raiſon bone & bien fondée. Mais que diriez vous, ſi ceſte exemption leurs eſtoit oultroyée, pour raiſon que tout le decours d’icelle prime année, ilz auroient tant taloché leurs amours de nouueau poſſedez (comme c’eſt l’æquité & debuoir) & tant eſgoutté leurs vaſes ſpermaticques, qu’ilz en reſtoient tous effilez, tous euirez, tous eneruez, & flatriz. Si que aduenent le iour de bataille plus toſt ſe mettroient au plongeon comme canes, auecques le baguaige, que auecques les combatans & vaillans champions on lieu on quel par Enyo eſt meu le hourd, & ſont les coups departiz. Et ſoubs l’eſtandart de Mars ne frapperoient coup qui vaille. Car les grands coups auroient ruez ſoubs les courtines de Venus s’amie. Qu’ainſi ſoit nous voyons encores maintenant entre autres reliques & monumens d’antiquité, qu’en toutes bonnes maiſons apres ne ſçay quantz iours l’on enuoye ces nouueaux mariez veoir leur oncle : pour les abſenter de leurs femmes, & ce pendent ſoy repoſer, & de rechief ſe auitailler pour mieux au retour combatre : quoy que ſouuent ilz n’ayent ne oncle ne tante. En pareille forme que le roy Petault apres la iournée des Cornabons, ne nous caſſa proprement parlant, ie diz moy & Courcaillet, mais nous enuoya refraiſchir en nos maiſons. Il eſt encores cherchant la ſienne[73]. La marraine de mon grand pere me diſoit, quand i’eſtois petit, que

Patenoſtres & oraiſons,
Sont pour ceulx là qui les retiennent
Vn fiffre allans en fenaiſons
Eſt plus fort que deux qui en viennent.

Ce que me induict en ceſte opinion, eſt que les planteurs de vigne, à poine mangeoient raiſins, ou beuuoient vin de leur labeur durant la premiere année : & les baſtiſſeurs pour l’an premier, ne habitoient en leurs logiz de nouueau faictz, sur poine de y mourir : ſuffocquez par deffault de expiration, comme doctement a noté Galen. lib.  de la difficulté de reſpirer. Ie ne l’ay demandé ſans cauſe bien cauſée : ne ſans raiſon bien reſonnante. Ne vous deſplaiſe.


Comment Panurge auoit la puſſe en l’aureille,
& deſiſta porter ſa magnificque braguette.


Chapitre VII.


Av lendemain Panurge ſe feit perſer l’aureille dextre[74] à la Iudaicque, & y attacha vn petit anneau d’or à ouuraige de tauchie, on caſton duquel eſtoit vne puſſe enchaſſée. Et eſtoit la puſſe noire, affin que rien ne doubtez. C’eſt belle choſe, eſtre en tout cas bien informé. La deſpence de laquelle raportée à ſon bureau ne montoit par quartier gueres plus que le mariage d’vne Tigreſſe Hircanicque, comme vous pourriez dire 600000. maluedis. De tant exceſſiue deſpence ſe faſcha lors qu’il feut quitte, & depuis la nourrit en la faczon des tyrans & aduocatz, de la ſueur et du ſang de ſes ſubiectz. Print quatre aulnes de bureau : s’en acouſtra comme d’vne robbe longue à ſimple couſture : deſiſta porter le hault de ſes chauſſes : & attacha des lunettes à ſon bonnet. En tel eſtat ſe præſenta dauant Pantagruel : lequel trouua le deſguiſement eſtrange, meſmement ne voyant plus la belle & magnificque braguette, en laquelle il ſouloit comme en l’ancre ſacre conſtituer ſon dernier refuge contre tous naufraiges d’aduerſité. N’entendent le bon Pantagruel ce myſtère, le interrogea demandant que prætendoit ceſte nouuelle proſopopée. I’ay (reſpondit Panurge) la puſſe en l’aureille. Ie me veulx marier. En bonne heure ſoit, diſt Pantagruel, vous m’en auez bien reſiouy. Vrayement ie n’en vouldrois pas tenir vn fer chauld[75]. Mais ce n’eſt la guiſe des amoureux, ainſi auoir bragues aualades, & laiſſé pendre ſa chemiſe ſur les genoilx ſans hault de chauſſes : auecques robbe longue de bureau, qui eſt couleur inuſitée en robbes talares entre gens de bien & de vertus. Si quelques perſonaiges de hæreſies & ſectes particuliaires s’en ſont autres fois acouſtrez, quoy que pluſieurs l’ayent imputé à piperie, impoſture, & affectation de tyrannie ſus le rude populaire, ie ne veulx pourtant les blaſmer, & en cela faire d’eulx iugement ſiniſtre. Chaſcun abonde en ſon ſens : meſmement en choſes foraines, externes, & indifferentes, lesquelles de ſoy ne ſont bonnes ne mauluaiſes : pource qu’elles ne ſortent de nos cœurs & penſées, qui eſt l’officine de tout bien & tout mal : bien, ſi bonne eſt, & par le eſprit munde reiglée l’affection : mal, ſi hors æquité par l’eſprit maling eſt l’affection deprauée. Seulement me deſplaiſt la nouueaulté & meſpris du commun viſaige.

La couleur, reſpondit Panurge, eſt aſpre aux potz, à propos[76], c’eſt mon bureau[77], ie le veulx dorenauant tenir, & de près reguarder à mes affaires. Puys qu’vne foys ie ſuis quitte, vous ne veiſtes oncques home plus mal plaiſant que ie ſeray, ſi Dieu ne me ayde. Voiez cy mes bezicles. A me veoir de loing vous diriez proprement que c’eſt frere Ian Bourgeoys. Ie croy bien que l’année qui vient ie preſcheray encores vne foys la croyſade. Dieu guard de mal les pelotons. Voiez vous ce bureau ? Croiez qu’en luy conſiſte quelque occulte proprieté à peu de gens congneue. Ie ne l’ay prins qu’à ce matin, mais deſia i’endeſue, ie deguene, ie grezille d’eſtre marié, & labourer en diable bur, deſſus ma femme, ſans craincte des coups de baſton. O le grand meſnaiger que ie ſeray. Apres ma mort on me fera bruſler en buſt honorificque : pour en auoir les cendres en memoire & exemplaire du meſnaiger perfaict. Corbieu, ſus ceſtuy mien bureau ne ſe ioue mon argentier d’allonger les.ſs. Car coups de poing troteroient en face. Voyez moy dauant & darriere : c’eſt la forme d’vne Toge, antique habillement des Romains en temps de paix. I’en ay prins la forme en la colonne de Traian à Rome, en l’arc triumphal auſſi de Septimius Seuerus. Ie ſuis las de guerre : las des ſages[78] & hocquetons. I’ay les eſpaules toutes vſées à force de porter harnois. Ceſſent les armes, regnent les Toges. Au moins pour toute ceſte ſubſequente année ſi ie ſuis marié, comme vous me allegaſtez hier par la loy Moſaïque.

Au reguard du hault de chauſſes, ma grand tante Laurence iadis me diſoit, qu’il eſtoit faict pour la braguette. Ie le croy, en pareille induction, que le gentil falot Galen. lib. 9. De l’vſage de nos membres, dict la teſte eſtre faicte pour les œilz. Car nature euſt peu mettre nos teſtes aux genoulx ou au coubtes : mais ordonnant les œilz pour deſcouurir au loing, les fixa en la teſte comme en vn baſton au plus hault du corps : comme nous voyons les Phares & haultes tours ſus les haures de mer eſtre erigées, pour de loing eſtre veue la lanterne. Et pource que ie vouldrois quelque eſpace de temps, vn an pour le moins, reſpirer de l’art militaire, c’eſt à dire, me marier, ie ne porte plus de braguette, ne par conſequent hault de chauſſes. Car la braguette eſt premiere piece de harnoys pour armer l’homme de guerre. Et maintiens iusques au feu (excluſiuement entendez[79]) que les Turcs ne ſont aptement armez, veu que braguettes porter eſt choſe en leurs loix defendue.


Comment la braguette eſt premiere piece de harnois[80]
entre gens de guerre.


Chapitre VIII.


Vovlez vous, diſt Pantagruel, maintenir que la braguette eſt piece premiere de harnois militaire ? C’eſt doctrine moult paradoxe & nouuelle. Car nous diſons que par eſprons on commence ſoy armer. Ie le maintiens, reſpondit Panurge : & non à tord ie le maintiens. Voyez comment nature[81] voulant les plantes, arbres, arbriſſeaulx, herbes, & Zoophytes vne fois par elles creez, perpetuer & durer en toute ſucceſſion de temps, ſans iamais deperir les eſpeces, encores que les indiuidus periſſent, curieuſement arma leurs germes & ſemences, es quelles conſiſte icelle perpetuité, & les a muniz & couvers par admirable induſtrie de gouſſes, vagines, teſtz, noyaulx, calicules, coques, eſpiz, pappes, eſcorces, echines poignans : qui leur font comme belles & fortes braguettes naturelles. L’exemple y eſt manifeſte en Poix, Febues, Faſeolz, Noix, Alberges, Cotton, Colocynthes, Bleds, Pauot, Citrons, Chaſtaignes : toutes plantes generalement. Es quelles voyons apertement le germe & la ſemence plus eſtre ouuerte, munie, & armée, qu’autre partie d’icelles. Ainſi ne pourueut nature à la perpetuité de l’humain genre. Ainſi crea l’homme nud, tendre, fragile, ſans armes ne offenſiues, ne defenſiues, en eſtat d’innocence & premier aage d’or, comme animant, non plante : comme animant (diz ie) né à paix non à guerre : animant né à iouiſſance mirificque de tous fruictz & plantes vegetables, animant né à domination pacificque ſus toutes beſtes. Aduenent la multiplication de malice entre les humains en ſucceſſion de l’aage de fer, & regne de Iuppiter la terre commença à produire Orties, Chardons, Eſpines, & telle autre maniere de rebellion contre l’homme entre les vegetables : d’autre part, presque tous animaulx par fatale diſpoſition ſe emanciperent de luy, & enſemble tacitement conſpirerent plus ne le ſeruir, plus ne luy obeir, en tant que reſiſter pourroient, mais luy nuire ſcelon leur faculté & puiſſance. L’homme adoncques voulant la premiere iouiſſance maintenir & ſa premiere domination continuer : non auſſi pouant ſoy commodement paſſer du ſervice de pluſieurs animaulx, eut neceſſité ſoy armer de nouueau. Par la diue Oye guenet (s’eſcria Pantagruel) depuys les dernieres pluyes tu es devenu grand lifrelofre, voyre diz ie Philoſophe.

Conſiderez (diſt Panurge) comment nature l’inſpira ſoy armer, & quelle partie de ſon corps il commença premier armer. Ce feut (par la vertus Dieu) la couille, & le bon meſſer Priapus, quand eut faict ne la pria plus[82]. Ainſi nous le teſmoigne le capitaine & philoſophe Hebrieu Moſes, affermant qu’il ſe arma d’une braue & gualante braguette, faicte par moult inuention de feueilles de figuier : les quelles ſont naïfues, & du tout commodes en dureté, inciſure, frizure, poliſſure, grandeur, couleur, odeur, vertus, faculté pour couurir & armer couilles : Exceptez moy les horrificques couilles de Lorraine[83], les quelles à bride auallée deſcendent au fond des chauſſes, abhorrent le mannoir des braguettes haultaines : & ſont hors toute methode : teſmoing Viardiere le noble Valentin, lequel vn premier iour de May, pour plus guorgias eſtre, ie trouuay à Nancy, deſcrotant ſes couilles extendues ſur vne table comme vne cappe à l’Heſpaignole. Doncques ne fauldra dorenauant dire, qui ne vouldra improprement parler, quand on enuoyra le franc taulpin en guerre, Saulue Teuot le pot au vin[84], c’eſt le cruon. Il fault dire, Saulue Teuot le pot au laict, ce ſont les couilles : de par tous les diables d’enfer. La teſte perdue, ne periſt que la perſone : les couilles perdues, periroit toute l’humaine nature. C’eſt ce que meut le gualant Cl. Galen[85], lib. I. de ſpermate[86], à brauement conclure, que mieulx (c’eſt à dire moindre mal) ſeroit, poinct de cœur n’auoir, que poinct n’auoir de genitoires. Car là conſiſte comme en vn ſacre repoſitoire le germe conſeruatif de l’humain lignage. Et croieroys pour moins de cent francs, que ce ſont les propres pierres, moyenans les quelles Deucalion & Pyrrha reſtituerent le genre humain aboly par le deluge Poëtique. C’eſt ce qui meut me vaillant Iuſtinian lib. 4. de cagotis tollendis[87], à mettre summum bonum in braguibus & braguetis[88].

Pour ceſte & aultres cauſes le ſeigneur de Meruille eſſayant quelque iour vn harnoys neuf, pour ſuyure ſon Roy en guerre (car du ſien antique & demy rouillé plus bien ſeruir ne pouoit, à cauſe que depuys certaines années la peau de ſon ventre s’eſtoit beaucoup eſloingnée des roignons) ſa femme conſydera en eſprit contemplatif, que peu de ſoing avoit du pacquet & baſton commun de leur mariage, veu qu’il ne l’armoit que de mailles, & feut d’aduis qu’il le muniſt treſbien & gabionnaſt d’vn gros armet de iouſtes, lequel eſtoit en ſon cabinet inutile. D’icelle ſont eſcriptz ces vers on tiers liure du Chiabrena des pucelles[89].

Celle qui veid ſon mary tout armé,
Fors la braguette aller à l’eſcarmouche,
Luy diſt. Amy, de paour qu’on ne vous touche,
Armez cela, qui eſt le plus aymé.
Quoy ? tel conſeil doibt il eſtre blaſmé ?
Ie diz que non : Car ſa paour la plus grande
De perdre eſtoit, le voyant animé,
Le bon morceau, dont elle eſtoit friande.

Deſiſtez doncques vous eſbahir de ce nouueau mien acouſtrement.


Comment Panurge ſe conſeille à Pantagruel
pour ſçauoir s’il ſe doibt marier.
[90]

Chapitre IX.


Pantagrvel rien ne replicquant, continua Panurge, & diſt auecques vn profond ſoupir. Seigneur, vous auez ma deliberation entendue, qui eſt me marier, ſi de mal encontre n’eſtoient tous les trouz fermez, clous, & bouclez. Ie vous ſupply par l’amour, que ſi longtemps m’auez porté, dictez m’en voſtre aduis. Puis (reſpondit Pantagruel) qu’vne foys en auez iecté le dez, & ainſi l’auez decreté, & prins en ferme deliberation, plus parler n’en fault, reſte ſeulement la mettre à execution.

Voyre mais (diſt Panurge) ie ne la vouldrois executer ſans voſtre conſeil & bon aduis. I’en ſuis (reſpondit Pantagruel) d’aduis, & vous le conſeille. Mais (diſt Panurge) ſi vous congnoiſſiez, que mon meilleur feuſt tel que ie ſuys demeurer, ſans entreprendre cas de nouuelleté, i’aymerois mieulx ne me marier poinct. Point doncques ne vous mariez, reſpondit Pantagruel. Voire mais (diſt Panurge) vouldriez vous qu’ainſi ſeulet ie demeuraſſe toute ma vie ſans compaignie coniugale ? Vous ſçauez qu’il eſt eſcript, Veh ſoli[91]. L’homme ſeul n’a iamais tel ſoulas qu’on veoyd entre gens mariez. Mariez vous doncq, de par Dieu, reſpondit Pantagruel.

Mais ſi (diſt Panurge) ma femme me faiſoit coqu, comme vous ſçauez qu’il en eſt grande année, ce ſeroit aſſez pour me faire treſpaſſer hors les gonds de patience. I’ayme bien les coquz, & me ſemblent gens de bien, & les hante voluntiers : mais pour mourir ie n’en vouldroys eſtre. C’eſt vn poinct qui trop me poingt[92]. Poinct doncques ne vous mariez : (reſpondit Pantagruel) Car la ſentence de Senecque[93] eſt veritable hors toute exception. Ce qu’à aultruy tu auras faict, ſoys certain qu’aultruy te fera. Dictez vous, demanda Panurge, cela ſans exception ? Sans exception il le dict, reſpondit Pantagruel. Ho ho (diſt Panurge) de par le petit diable. Il entend en ce monde, ou en l’aultre.

Voyre mais puis que de femme ne me peuz paſſer en plus qu’vn aueugle de baſton (Car il faut que le virolet trote, aultrement viure ne ſçauroys) n’eſt ce le mieulx que ie me aſſocie quelque honneſte & preude femme, qu’ainſi changer de iour en iour auecques continuel dangier de quelque coup de baſton, ou de la verolle pour le pire ? Car femme de bien oncques ne me feut rien. Et n’en deſplaiſe à leurs mariz. Mariez vous doncq de par Dieu, reſpondit Pantagruel.

Mais ſi, diſt Panurge, Dieu le vouloit, & aduint que i’eſpoſaſſe quelque femme de bien, & elle me baſtiſt, ie ſeroys plus que tiercelet de Iob, ſi ie n’enrageois tout vif. Car l’on m’a dict, que ces tant femmes de bien ont communement mauluaiſe teſte, auſſi ont elles bon vinaigre en leur meſnaige. Ie l’auroys encore pire, & luy batteroys tant & treſtant ſa petite oye, ce ſont braz, iambes, teſte, poulmon, foye, & ratelle : tant luy deſchicqueterois ſes habillemens à baſtons rompuz, que le grand Diole en attendroit l’ame damnée à la porte. De ces tabus ie me paſſerois bien pour ceſte année, & content ſerois n’y entrer poinct. Point doncques ne vous mariez, reſpondit Pantagruel.

Voire mais, diſt Panurge, eſtant en eſtat tel que ie ſuis, quitte, & non marié. Notez que ie diz quitte en la male heure. Car eſtant bien fort endebté, mes crediteurs ne ſeroient que trop ſoigneux de ma paternité. Mais quitte, & non marié, ie n’ay perſonne qui tant de moy ſe ſouciaſt, & amour tel me portaſt, qu’on diſt eſtre amour coniugal. Et ſi par cas tombois en maladie, traicté ne ſerois qu’au rebours. Le ſaige dict. Là où n’eſt femme, i’entends mere familes[94], & en mariage legitime, le malade eſt en grand eſtris. I’en ay veu claire experience en papes, legatz, cardinaulx, euesques, abbez, prieurs, prebſtres, & moines. Or là iamais ne m’auriez. Mariez vous doncq de par Dieu, reſpondit Pantagruel.

Mais ſi, diſt Panurge, eſtant malade & impotent au debuoir de mariage, ma femme impatiente de ma langueur, à aultruy ſe abandonnoit, & non ſeulement ne me ſecouruſt au beſoing, mais auſſi ſe mocquaſt de ma calamité, & (que pis eſt) me deſrobaſt, comme i’ay veu ſouuent aduenir : ce ſeroit pour m’acheuer de paindre, & courir les champs en pourpoinct. Poinct doncques ne vous mariez, reſpondit Pantagruel.

Voire mais, diſt Panurge, ie n’aurois iamais aultrement filz ne filles legitimes, es quelz i’euſſe eſpoir mon nom & armes perpetuer[95] : es quelz ie puiſſe laiſſer mes heritaiges & acquetz, (i’en feray de beaulx vn de ces matins, n’en doubtez, & d’abondant ſeray grand retireur de rantes) auecques les quelz ie me puiſſe eſbaudir, quand d’ailleurs ſerois meſhaigné, comme ie voys iournellement voſtre tant bening & debonnaire pere faire auecques vous, & font tout gens de bien en leur ſerrail & priué. Car quite eſtant, marié non eſtant, eſtant par accident faſché, en lieu de me conſoler, aduis m’eſt que de mon mal riez. Mariez vous doncq de par Dieu, reſpondit Pantagruel.


Comment Pantagruel remonſtre à Panurge difficile
choſe eſtre le conſeil de mariage, & des ſors
Homeriques & Virgilianes[96].


Chapitre X.


Vostre conſeil (diſt Panurge) ſoubs correction, ſemble à la chanſon de Ricochet : Ce ne ſont que ſarcaſmes, mocqueries, & redictes contradictoires. Les vnes deſtruiſent les aultres. Ie ne ſçay es quelles me tenir. Auſſi (reſpondit Pantagruel) en vos propoſitions tant y a de Si, & de Mais, que ie n’y ſçaurois rien fonder ne rien reſouldre. N’eſtez vous aſceuré de voſtre vouloir ? Le poinct principal y giſt : tout le reſte eſt fortuit & dependent des fatales diſpoſitions du Ciel. Nous voyons bon nombre de gens tant heureux à ceſte rencontre, qu’en leur mariage ſemble reluire quelque Idée & repræſentation des ioyes de paradis. Aultres y ſont tant malheureux, que les Diables qui tentent les Hermites par les deſers de Thebaide & Monſſerrat, ne le ſont d’aduentaige. Il ſe y conuient mettre à l’aduenture, les œilz bandez, baiſſant la teſte, baiſant la terre, & ſe recommandant à Dieu au demourant, puys qu’vne foys l’on ſe y veult mettre. Aultre aſceurance ne vous en ſçauroys ie donner.

Or voyez cy que vous ferez, ſi bon vous ſemble. Aportez moy les œuures de Virgile, & par troys foys auecques l’ongle les ouurant, explorerons par les vers du nombre entre nous conuenu, le ſort futur de voſtre mariage. Car comme par ſors Homericques ſouuent on a rencontré ſa deſtinée, teſmoing Socrates, lequel oyant en priſon reciter ce metre de Homere dict de Achille 9. Iliad.

Ἥματί ϰὲν τριτάτῳ Φθίην ἐρίϐωλον ἱϰοίμην.
Ie paruiendray ſans faire long ſeiour,
En Phthie belle & fertile, au tiers iour.

præueid qu’il mourroit le tiers ſubſequent iour, & le aſceura à Æſchines : comme eſcripuent Plato in Critone, Ciceron primo de diuinatione, & Diogenes Laertius. Teſmoing Opilius Macrinus au quel conuoitant ſçauoir s’il ſeroit Empereur de Rome aduint en ſort ceſte ſentence. 8. Iliad. :

ὦ γέρον, ἦ μάλα δή σε νέοι τείρουσι μαχηταί
Σὴ δὲ βίη λέλυται, χαλεπόν δέ σε γῆρας ὀπάζει.

O home vieulx, les ſoubdars deſormais
Ieunes & fors te laſſent certes, mais
Ta vigueur eſt reſolüe, & vieilleſſe
Dure & moleſte accourt & trop te preſſe.

De faict il eſtoit ia vieulx, & ayant obtenu l’Empire ſeulement vn an & deux mois, feut par Heliogabalus ieune & puiſſant depoſſedé & occis. Teſmoing Brutus[97], lequel voulant explorer le ſort de la bataille Pharſalicque[98], en laquelle il feut occis, rencontra ce vers dict de Patroclus, Iliad. 16.

Ἀλλά με μοῖρ’ ὀλοὴ, ϰαὶ Αητοῦς ἔϰτανεν ὑἱός.
Par mal engroin de la Parce felonne
Ie feuz occis, & du filz de Latonne.

C’eſt Apollo, qui feut pour mot du guet le iour d’icelle bataille. Auſſi par ſors Virgilianes ont eſté congneues anciennement & preueues choſes inſignes, & cas de grande importance : voire iuſques à obtenir l’empire Romain, comme aduint à Alexandre Seuere, qui rencontra en ceſte maniere de ſort ce vers eſcript, Æneid. 6.

Tu regere imperio populos, Romane, memento.
Romain enfant quand viendras à l’Empire,
Regiz le monde en ſorte qu’il n’empire.

Puys feut apres certaines années realement & de faict créé Empereur de Rome. En Adrian empereur Romain, lequel eſtant en doubte & poine de ſçauoir quelle opinion de luy auoit Traian, & quelle affection il luy portoit, print aduis par ſors Virgilianes, & rencontra ces vers, Eneid. 6.

Quid procul ille autem ramis inſignis oliuæ
Sacra ferens ? noſco crines, incanaque menta
Regis Romani.

Qui eſt ceſtuy qui là loing en ſa main,
Porte rameaulx d’oliue, illuſtrement ?
A ſon gris poil & ſacré acouſtrement,
Ie recongnois l’antique Roy Romain.

Puys feut adopté de Traian, & luy ſucceda à l’Empire.

En Claude ſecond empereur de Rome bien loué : auquel aduint par ſort ce vers, eſcript. 6. Æneid.

Tertia dum Latio regnantem viderit æſtas.
Lors que t’aura regnant manifeſté
En Rome & veu tel le troizieſme æſté.

De faict il ne regna que deux ans. A icelluy meſmes s’enquerant de ſon frere Quintel, lequel il vouloit prendre au gouuernement de l’Empire, aduint ce vers. 6. Æneid.

Oſtendent terris hunc tantum fata.
Les Deſtins ſeulement le monſtreront es terres.

Laquelle choſe aduint. Car il feut occis dix & ſept iours apres qu’il eut le maniment de l’Empire. Ce meſmes ſort eſcheut à l’empereur Gordian le ieune. A Clode Albin ſoucieux d’entendre ſa bonne aduenture aduint ce qu’eſt eſcript. Æneid. 6.

Hic rem Romanam magno turbante tumultu
Siſtet eques, &c.

Ce cheuallier grand tumulte aduenent,
L’eſtat Romain ſera entretenent
Des Cartagiens victoires aura belles :
Et des Gaulois, s’ilz ſe montrent rebelles.

En D. Claude empereur predeceſſeur de Aurelian, auquel ſe guementant de ſa poſterité, aduint ce vers en ſort, Æneid. 1.

His ego nec metas rerum, nec tempora pono.
Longue durée à ceulx cy ie pretends,
Et à leurs biens ne metz borne ne temps.

Auſſi eut il ſucceſſeurs en longues genealogies.

En M. Pierre Amy : quand il explora pour ſçauoir s’il eſchapperoit de l’embuſche des Farfadetz, & rencontra ce vers, Æneid. 3.

Heu fuge crudeles terras, fuge littus auarum.
Laiſſe ſoubdain ces nations Barbares,
Laiſſe ſoubdain ces riuages auares.

Puys eſchappa de leurs mains ſain & ſaulue. Mille aultres, des quelz trop prolix ſeroit narrer les aduentures aduenues ſcelon la ſentence du vers par tel ſort rencontré. Ie ne veulx toutesfoys inferer, que ce ſort vniuerſellement ſoit infaillible, affin que ne y ſoyez abuſé.


Comment Pantagruel remonſtre le ſort
des dez eſtre illicite.


Chapitre XI.


Ce ſeroit (dis Panurge) plus toult faict & expedié à troys beaulx dez. Non, reſpondit Pantagruel. Ce ſort eſt abuſif, illicite, & grandement ſcandaleux. Iamais ne vous y fiez. Le mauldict liure du paſſetemps des dez feut long temps a inuenté par le calumniateur ennemy en Achaïe pres Boure : & dauant la ſtatue de Hercules Bouraïque y faiſoit iadis, de præſent en pluſieurs lieux faict, maintes ſimples ames errer, & en ſes lacz tomber. Vous ſçauez comment Gargantua mon pere par tous ſes royaulmes l’a defendu, bruſlé auecques les moules & protraictz, & du tout exterminé, ſupprimé & aboly, comme peſte treſdangereuſe. Ce que des dez ie vous ay dict, ie diz ſemblablement des tales. C’eſt ſort de pareil abus. Et ne m’alleguez pas au contraire le fortuné iect des tales que feit Tibere[99] dedans la fontaine de Apone à l’oracle de Gerion. Ce ſont hameſſons par les quelz le calumniateur tire les ſimples ames à perdition eternelle.

Pour toutesfoys vous ſatisfaire, bien ſuys d’aduis que iectez troys des dez ſus ceſte table. Au nombre des poinctz aduenens nous prendrons les vers du feuillet que aurez ouuert. Auez vous icy dez en bourſe ? Pleine gibeſſiere, reſpondit Panurge. C’eſt le verd du Diable, comme expoſe Merl. Coccaius, libro ſecundo de patria Diabolorum[100]. Le Diable me prendroit ſans verd, s’il me rencontroit ſans dez. Les dez feurent tirez & iectez, & tomberent es poinctz de cinq, ſix, cinq. Ce ſont, diſt Panurge, ſeze. Prenons les vers ſeziemes du feueillet. Le nombre me plaiſt, & croy que nos rencontres ſeront heureuſes. Ie me donne à trauers tous les Diables, comme vn coup de boulle à trauers vn ieu de quilles, ou comme vn coup de canon à trauers vn bataillon de gens de pied : guare Diables qui vouldra, en cas que autant de foys ie ne belute ma femme future la premiere nuyct de mes nopces. Ie ne en fays doubte, reſpondit Pantagruel, ia beſoing n’eſtoit en faire ſi horrificque deuotion. La premiere foys ſera vne faulte, & vauldra quinze[101] : au deſiucher vous l’amenderez : par ce moyen ſeront ſeze. Et ainſi (dict Panurge) l’entendez ? Oncques ne feut faict ſolœciſme[102] par le vaillant champion, qui pour moy faict ſentinelle au bas ventre. Me auez vous trouué en la confrerie des faultiers ? Iamais, iamais, au grand fin iamais. Ie le fays en pere & en beat pere ſans faulte. I’en demande aux ioueurs.

Ces parolles acheuées feurent aportez les œuures de Virgile. Auant les ouurir, Panurge diſt à Pantagruel. Le cœur me bat dedans le corps comme vne mitaine. Touchez vn peu mon pouls en ceſte artere du bras guauſche. A ſa frequence & eleuation vous diriez qu’on me pelaude en tentatiue de Sorbonne. Seriez vous poinct d’aduis, auant proceder oultre, que inuocquions Hercules, & les déeſſes Tenites, les quelles on dict præſider en la chambre des Sors ? Ne l’vn (reſpondit Pantagruel) ne les aultres. Ouurez ſeulement auecques l’ongle.


Comment Pantagruel explore par ſors Virgilianes,
quel ſera le mariage de Panurge.


Chapitre XII.


Adoncqves ouurant Panurge le liure, rencontra on ranc ſezieme ce vers.

Nec Deus hunc menſa, Dea nec dignata cubili eſt.[103]
Digne ne feut d’eſtre en table du Dieu,
Et n’eut on lict de la Déeſſe lieu.

Ceſtuy (diſt Pantagruel) n’eſt à voſtre aduentaige. Il denote que voſtre femme ſera ribaulde, vous coqu par conſequent. La Déeſſe que aurez fauorable, eſt Minerue vierge treſredoubtée, Déeſſe puiſſante, fouldroiante, ennemie des coquz, des muguetz, des adulteres : ennemie des femmes lubricques, non tenentes la foy promiſe à leurs mariz, & à aultruy ſoy abandonnantes. Le Dieu eſt Iuppiter tonnant, & fouldroyant des cieulx. Et noterez par la doctrine des anciens Ethrusques, que les manubies (ainſi appeloient ilz les iectz des fouldres Vulcanicques) competent à elle ſeulement : exemple de ce feut donné en la conflagration des nauires de Aiax Oileus, & à Iuppiter ſon pere capital. A aultres dieux Olympicques n’eſt licite fouldroier. Pourtant ne ſont ilz tant redoubtez des humains. Plus vous diray, & le prendrez comme extraict de haulte mythologie. Quand les Geantz entreprindrent guerre contre les Dieux, les Dieux au commencement ſe mocquerent de telz ennemis, & diſoient qu’il n’y en auoit pas pour leurs pages. Mais quand ilz veirent par le labeur des Geantz le mons Pelion poſé deſſus le mons Oſſe, & ia eſbranlé le mons Olympe pour eſtre mis au deſſus des deux, feurent[104] tous effrayez. Adoncques tint Iuppiter chapitre general. Là feut conclud de tous les Dieux, qu’ilz ſe mettroient vertueuſement en defence. Et pource qu’ilz auoient pluſieurs foys veu les batailles perdues par l’empeſchement des femmes qui eſtoient parmy les armées, feut decreté, que pour l’heure on chaſſeroit des cieulx en Ægypte & vers les confins du Nil, toute ceſte veſſaille des Déeſſes deſguiſées en Beletes, Fouines, Ratepenades, Muſeraignes, & aultres Metamorphoſes. Seule Minerue feut de retenue pour fouldroier auecques Iuppiter, comme Déeſſe des lettres & de guerre, de conſeil & execution : Déeſſe née armée, Déeſſe redoubtée on ciel, en l’air, en la mer, & en terre.

Ventre guoy (diſt Panurge) ſeroys ie bien Vulcan, duquel parle le poëte ? Non. Ie ne ſuys ne boiteux, ne faulx monnoieur, ne forgeron, comme il eſtoit. Par aduenture ma femme ſera auſſi belle & aduenente comme ſa Venus : mais non ribaulde comme elle : ne moy coqu comme luy. Le villain iambe torte ſe feiſt declairer coqu par arreſt & en veute figure de tous les Dieux. Pource entendez au rebours. Ce ſort denote que ma femme ſera preude, pudicque, & loyalle, non mie armée, rebouſſe, ne eceruelée & extraicte de ceruelle[105], comme Pallas : & ne me ſera corriual ce beau Iuppin, & ia ne ſaulſera ſon pain en ma ſouppe[106], quand enſemble ſerions à table. Conſiderez ſes geſtes & beaulx faictz. Il a eſté le plus fort ruffien, & plus infame Cor, ie diz Bordelier[107], qui oncques feut : paillard touſiours comme vn Verrat : auſſi feut il nourry par vne Truie en Dicte de Candie, ſi Agathocles Babylonien ne ment[108] : & plus boucquin que n’eſt vn Boucq : auſſi diſent les autres, qu’il feut alaicté d’vne cheure Amalthée. Vertus de Acheron, il belina pour vn iour la tierce partie du monde, beſtes & gens, fleuues, & montaignes : ce feut Europe. Pour ceſtuy belinaige les Ammoniens le faiſoient protraire en figure de belier belinant, belier cornu. Mais ie ſçay comment guarder ſe fault de ce cornart. Croyez qu’il n’aura trouué vn ſot Amphitrion, vn niais Argus auecques ſes cent bezicles : vn couart Acriſius, vn lanternier Lycus de Thebes, vn reſueur Agenor, vn Aſope phlegmaticq, vn Lychaon patepelue, vn modourre Corytus de la Toſcane, vn Atlas à la grande eſchine. Il pourroit cent & cent foys ſe transformer en Cycne, en Taureau, en Satyre, en Or, en Coqu, comme feiſt quand il depucella Iuno ſa ſœur : en Aigle, en Belier, en Pigeon, comme feiſt eſtant amoureux de la pucelle Phtie, laquelle demouroit en Ægie : en Feu, en Serpent, voire certes en Puſſe, en Atomes Epicureicques, ou magiſtronoſtralement[109] en ſecondes intentions. Ie vous grupperay au cruc. Et ſçauez que luy feray ? Cor bieu, ce que feiſt Saturne au Ciel ſon pere. Senecque l’a de moy predict, & Lactance confirmé. Ce que Rhea feiſt à Athys. Ie vous luy coupperay les couillons tout raſibus du cul. Il ne s’en fauldra vn pelet. Par ceſte raiſon ne fera il iamais Pape, car testiculos non habet[110]. Tout beau, fillol (diſt Pantagruel) tout beau. Ouurez pour la ſeconde foys. Lors rencontra ce vers.

Membra quatit, geliduſque coït formidine ſanguis.[111]
Les os luy rompt, & les membres luy caſſe,
Dont de la paour le ſang on corps luy glaſſe.

Il denote (diſt Pantagruel) qu’elle vous battera dos & ventre. Au rebours (repondiſt Panurge). C’eſt de moy qu’il prognoſticque, & dict, que ie la batteray en Tigre ſi elle me faſche. Martin baſton[112] en fera l’office. En faulte de baſton, le Diable me mange, ſi ie ne la mangeroys toute viue : comme la ſienne mangea Cambles, roy des Lydiens. Vous eſtez (diſt Pantagruel) bien couraigeux. Hercules ne vous combatteroit en ceſte fureur : mais c’eſt ce que lon dict, que le Ian en vault deux[113], & Hercules ſeul n’auza contre deux combattre. Ie ſuis Ian ? diſt Panurge. Rien, rien, repondiſt Pantagruel. Ie penſois au ieu de l’ourche & tricquetrac.

Au tiers coup rencontra ce vers.

Fæmino prædæ & ſpoliorum ardebat amore.[114]
Bruſloit d’ardeur en feminin vſaige
De butiner, & robber le baguaige.

Il denote (diſt Pantagruel) qu’elle vous deſrobera. Et ie vous voy bien en poinct, ſcelon ces troys ſors. Vous ſerez coqu, vous ſerez batu, vous ſerez deſrobbé. Au rebours, (repondiſt Panurge) ce vers denote, qu’elle m’aymera d’amour perfaict. Oncques n’en mentit le Satyricque[115], quand il dict : que femme bruſlant d’amour ſupreme, prent quelquefoys plaiſir à deſrobber ſon amy. Sçauez quoy ? Vn guand, vne aiguillette, pour la faire chercher. Peu de choſe, rien d’importance. Pareillement ces petites noiſettes, ces riottes qui par certain temps ſourdent entre les amans, ſont nouueaulx refraiſchiſſemens, & aiguillons d’amour. Comme nous voyons par exemple les couſtelleurs leurs coz quelque foys marteler, pour mieulx aiguiſer les ferremens. C’eſt pourquoy ie prens ces troys ſors à mon grand aduantaige. Aultrement i’en appelle. Appeller (diſt Pantagruel) iamais on ne peult des iugemens decidez par Sort & Fortune, comme atteſtent nos antiques Iuriſconſultes : & le dict Balde. L. vlt. C. de leg.[116] La raiſon eſt : pource que Fortune ne recongnoiſt poinct de ſuperieur, auquel d’elle & de ſes ſors on puiſſe appeller. Et ne peult en ce cas le mineur eſtre en ſon entier reſtitué, comme apertement il dict in L. Ait prætor. §. vlt. ff. de minor.


Comment Pantagruel conſeille Panurge preuoir l’heur
ou malheur de ſon mariage par ſonges.


Chapitre XIII.


Or puys que ne conuenons enſemble en l’expoſition des ſors Virgilianes, prenons aultre voye de divination. Quelle ? (demanda Panurge). Bonne, (reſpondit Pantagruel) antique, & authenticque, c’eſt par ſonges. Car en ſongeant auecques conditions les quelles deſcriuent Hippocrates lib. περί ἑνπνίων[117], Platon, Plotin, Iamblicque, Syneſius, Ariſtoteles, Xenophon, Galen, Plutarche, Artemidorus Daldianus, Herophilus, Q. Calaber, Theocrite, Pline, Athenæus, et aultres, l’ame ſouuent prevoit les choſes futures. Ia n’eſt beſoing plus au long vous le prouuer. Vous l’entendez par exemple vulguaire, quand vous voyez lors que les enfans bien nettiz, bien repeuz, & alaictez, dorment profondement, les nourrices s’en aller eſbatre en liberté, comme pour icelle heure licentiées à faire ce que vouldront : car leur preſence au tour du bers ſembleroit inutile. En ceſte façon noſtre ame lors que le corps dort, & que la concoction eſt de tous endroictz paracheuée, rien plus n’y eſtant neceſſaire iusques au reueil, s’eſbat & reueoit ſa patrie, qui eſt le ciel. De là reçeoit participation inſigne de ſa prime & diuine origine, & en contemplation de ceſte infinie & intellectuale ſphære[118], le centre de laquelle eſt en chaſcun lieu de l’vniuers, la circunference poinct (c’eſt Dieu ſcelon la doctrine de Hermes[119] triſmegiſtus) à laquelle rien ne aduient, rien ne paſſe, rien ne dechet, tous temps ſont præſens : note non ſeulement les choſes paſſées en mouuement inferieurs, mais auſſi les futures : & les raportent à ſon corps, & par les ſens & organes d’icelluy les expoſant aux amis, eſt dicte vaticinatrice & prophete. Vray eſt qu’elle ne les raporte en telle ſyncerité, comme les auoit veues, obſtant l’imperfection & fragilité de ſens corporelz : comme la Lune receuant du Soleil ſa lumiere, ne nous la communicque telle, tant lucide, tant pure, tant viue & ardente comme l’auoit receue. Pourtant reſte à ces vaticinations ſomniales interprete, qui ſoit dextre, ſaige, induſtrieux, expert, rational, & abſolu Onirocrite, & Oniropole : ainſi ſont appelez des Græcs. C’eſt pourquoy Heraclitus diſoit[120] rien par ſonge ne nous eſtre expoſé, rien auſſi ne nous eſtre celé : ſeulement nous eſtre donnée ſignification & indice des choſes aduenir ou pour l’heur & malheur noſtre, ou pour l’heur & malheur d’aultruy. Les ſacres letres le teſmoignent, les hiſtoires prophanes l’aſceurent : nous expoſant mille cas aduenuz ſcelon les ſonges tant de la perſone ſongeante, que d’aultruy pareillement. Les Atlanticques & ceulx qui habitent en l’iſle de Thaſos l’une des Cyclades, ſont priuez de ceſte commodité, on pays desquelz iamais perſone ne ſongea. Auſſi feurent Cleon de Daulie, Thraſymedes, & de noſtre temps le docte Villanouanus François, lesquelz oncques ne ſongerent. Demain doncques ſus l’heure que la ioyeuſe Aurore aux doigtz roſatz dechaſſera les tenebres nocturnes, adonnez vous à ſonger parfondement. Ce pendent deſpouillez vous de toute affection humaine : d’amour, de haine, d’eſpoir, & de craincte. Car comme iadis le grand vaticinateur Proteus eſtant deſguiſé & transformé en feu, en eau, en tigre, en dracon, & aultres masques eſtranges ne prædiſoit les choſes aduenir : pour les prædire force eſtoit, qu’il feuſt reſtitué en ſa propre & naïfue forme : auſſi ne peult l’home recepuoir diuinité, & art de vaticiner, ſinon lors que la partie qui en luy plus eſt diuine (c’eſt Νοῦς & Mens) ſoit coye, tranquille, paiſible, non occupée ne diſtraicte par paſſions & affections foraines.

Ie le veulx, diſt Panurge. Fauldra il peu ou beaucoup ſoupper à ce ſoir ? Ie ne le demande ſans cauſe. Car ſi bien & largement ie ne ſouppe, ie ne dors rien qui vaille, la nuict ne foys que rauaſſer, & autant ſonge creux que pour lors reſtoit mon ventre. Poinct ſoupper (reſpondit Pantagruel) ſeroit le meilleur, attendu voſtre bon en poinct & habitude. Amphiaraus vaticinateur antique vouloit ceulx qui par ſonges recepuoient les oracles, rien tout celluy iour ne manger, & vin ne boyre troys iours dauant. Nous ne vſerons de tant extreme, & rigoureuſe diæte. Bien croy ie l’homme replet de viandes & crapule, difficilement concepuoir notice des choſes ſpirituelles : ne ſuys toutesfoys en l’opinion de ceulx qui apres longs & obſtinez ieuſnes cuydent plus auant entrer en contemplation des choſes celeſtes. Souuenir aſſez vous peut comment Gargantua mon pere (lequel par honneur ie nomme) nous a ſouuent dict, les eſcriptz de ces hermites ieuſneurs autant eſtre fades, ieiunes, & de mauluaiſe ſaliue, comme eſtoient leurs corps lors qu’ilz compoſoient : & difficile choſe eſtre, bons & ſerains reſter les eſpritz, eſtant le corps en inanition : veu que les Philoſophes & Medicins afferment les eſpritz animaulx ſourdre, naiſtre, & practiquer par le ſang arterial purifié & affiné à perfection dedans le retz admirable, qui giſt ſoubs les ventricules du cerueau. Nous baillans exemple d’un Philoſophe, qui en ſolitude penſant eſtre, & hors la tourbe pour mieulx commenter, diſcourir, & compoſer : ce pendent toutesfoys au tour de luy abayent les chiens, vllent les loups, rugient les Lyons, hanniſſent les cheuaulx, barrient les elephans, ſiflent les ſerpens, braiſlent les aſnes, ſonnent les cigalles, lamentent les tourterelles : c’eſt à dire plus eſtoit troublé, que s’il feuſt à la foyre de Fontenay, ou Niort : car la faim eſtoit on corps : pour à laquelle remedier, abaye l’eſtomach, la veue eſblouit, les venes ſugcent de la propre ſubſtance des membres carniformes : & retirent en bas ceſtuy eſprit vaguabond, negligent du traictement de ſon nourriſſon & hoſte naturel, qui eſt le corps : comme ſi l’oizeau ſus le poing eſtant, vouloit en l’aër ſon vol prendre, & incontinent par les longes ſeroit plus bas deprimé. Et à ce propous nous alleguant l’auctorité de Homere pere de toute Philoſophie, qui dict les Gregeoys lors, non plus toſt, auoir mis à leurs larmes fin du dueil de Patroclus le grand amy de Achilles, quand la faim ſe declaira[121], & leurs ventres proteſterent plus de larmes ne les fournir. Car en corps exinaniz par long ieuſne plus n’eſtoit de quoy pleurer & larmoier. Mediocrité eſt en tous cas louée : & icy la maintiendrez. Vous mangerez à ſoupper non febues, non lieures, ne aultre chair, non Poulpre (qu’on nomme Polype) non choulx, ne aultres viandes qui peuſſent vos eſpritz animaulx troubler & obſusquer. Car comme le mirouoir ne peult repræſenter les ſimulachres des choſes obiectées & à luy expoſées, ſi ſa poliſſure eſt par halaines ou temps nubileux obſuſquée, auſſi l’eſprit ne receoit les formes de diuination par ſonges, ſi le corps eſt inquieté & troublé par les vapeurs & fumées des viandes præcedentes, à cauſe de la ſympathie, laquelle eſt entre eulx deux indiſſoluble. Vous mangerez bonnes poyres Cruſtumenies, & Berguamottes, vne pome de Court pendu, quelques pruneaulx de Tours, quelques Cerizes de mon verger. Et ne ſera pourquoy doibuez craindre que vos ſonges en prouiennent doubteux, fallaces, ou ſuſpectz, comme les ont declairez aulcuns Peripateticques on temps de Automne : lors ſçauoir eſt que les humains plus copieuſement vſent de fructaiges qu’en aultre ſaiſon. Ce que les anciens prophetes & poëtes myſticquement nous enſeignent, diſans les vains & fallacieux ſonges geſir & eſtre cachez ſoubs les feuilles cheutes en terre. Par ce qu’en Automne les feuilles tombent des arbres. Car ceſte ferueur naturelle laquelle abonde es fruictz nouueaulx, & laquelle par ſon ebullition facillement euapore es parties animales (comme nous voyons faire le moult) eſt long temps a, expirée & reſolüe. Et boyrez belle eau de ma fontaine. La condition (diſt Panurge) eſt quelque peu dure. Ie y conſens toutesfois. Couſte & vaille[122]. Proteſtant deſieuner demain à bonne heure, incontinent apres mes ſongeailles. Au ſurplus ie me recommende aux deux portes de Homere[123], Morpheus, à Icelon, à Phantaſus & Phabetor. Si au beſoing ilz me ſecourent, ie leurs erigeray vn autel ioyeux tout compoſé de fin dumet. Si en Laconie i’eſtois dedans le temple de Ino entre Oetyle & Thalames, par elle ſeroit par perplexité reſolüe en dormant à beaulx & ioyeulx ſonges.

Puys demanda à Pantagruel. Seroit ce poinct bien faict ſi ie mettoys deſſoubs mon coiſſin quelques branches de Laurier ? Il n’eſt (reſpondit Pantagruel) ia beſoing. C’eſt choſe ſuperſtitieuſe : & n’eſt que abus ce qu’en eſcript Serapion Aſcalonites, Antiphon, Philochorus, Artemon, & Fulgentius Placiades. Autant vous en diroys ie de l’eſpaule guauſche du Crocodile & du Chameleon, ſauf l’honneur du vieulx Democrite. Autant de la pierre des Bactrians nommée Eumetrides. Autant de la corne de Hammon. Ainſi nomment les Æthiopiens vne pierre precieuſe à couleur d’or & forme d’vne corne de belier, comme eſt la corne de Iuppiter Hammonien : affirmans autant eſtre vrays & infallibles les ſonges de ceulx qui la portent, que ſont les oracles diuins. Par aduenture eſt ce que eſcripuent Homere & Virgile des deux portes de ſonge[123], es quelles vous eſtes recommendé. L’vne eſt de Iuoyre, par laquelle entrent les ſonges confus, fallaces, & incertains, comme à trauers l’iuoire, tant ſoit deliée que vouldrez, poſſible n’eſt rien veoir : ſa denſité & opacité empeſche la penetration des eſpritz viſifz & reception des eſpeces viſibles. L’aultre eſt de corne, par laquelle entrent les ſonges certains, vrays, & infallibles, comme à trauers la corne par ſa reſplendeur & diaphaneïté apparoiſſent toutes eſpeces certainement & diſtinctement. Vous voulez inferer (diſt frere Ian) que les ſonges des coquz cornuz, comme ſera Panurge, Dieu aydant & la femme ſon touſiours vrays & infallibles.


Le ſonge de Panurge & interpretation d’icelluy.

Chapitre XIIII.


Svs les ſept heures du matin ſubſequent Panurge ſe præſenta dauant Pantagruel, eſtans en la chambre Epiſtemon, frere Ian des entommeures, Ponocrates, Eudemon, Carpalim, & aultres : es quelz à la venue de Panurge diſt Pantagruel. Voyez cy noſtre ſongeur[124]. Ceſte parolle, dict Epiſtemon, iadis couſta bon, & feut cherement vendue es enfans de Iacob. Adoncques diſt Panurge, i’en ſuys bien ches Guillot le ſongeur. I’ay ſongé tant & plus, mais ie n’y entends note. Exceptez que par mes ſongeries i’auoys vne femme ieune, gualante, belle en perfection : laquelle me traitoit & entretenoit mignonnement, comme vn petit dorelot. Iamais home ne feut plus aiſe, ne plus ioyeux. Elle me flattoit, me chatouilloit, me taſtonnoit, me teſtonnoit, me baiſoit, me accolloit, & par eſbattement me faiſoit deux belles petites cornes au deſſus du front. Ie luy remonſtroys en folliant qu’elle me les debuoit mettre au deſſoubz des œilz, pour mieulx veoir ce que i’en vouldroys ferir : affin que Momus ne trouuaſt en elle choſe aulcune imperfaicte, & digne de correction, comme il feiſt en poſition des cornes bouines[125]. La follaſtre non obſtant ma remonſtrance me les fiſchoyt encore plus auant. Et en ce ne me faiſoit mal quiconques, qui eſt cas admirable. Peu apres me ſembla que ie feuz ne ſçay comment transformé en tabourin, & elle en Chouette. Là feut mon ſommeil interrompu, & en ſurſault me reſueiglay tout faſché, perplex, & indigné. Voyez là vne belle platelée de ſonges, faictez grand chere là deſſus. Et l’expoſez comme l’entendez. Allons deſieuner Carpalim.

I’entends (diſt Pantagruel) ſi i’ay iugement aulcun en l’art de diuination par ſonges, que voſtre femme ne vous fera realement & en apparence exterieure cornes au front, comme portent les Satyres : mais elle ne vous tiendra foy ne loyauté coniugale, ains à aultruy ſe abandonnera, & vous fera coqu. Ceſtuy poinct eſt apertement expoſé par Artemidorus comme le diz. Auſſi ne vous ſera de vous faicte metamorphoſe en tabourin, mais d’elle vous ſerez battu comme tabour à nopces : ne d’elle en Chouette : mais elle vous deſrobbera, comme eſt le naturel de la chouette. Et voyez vos ſonges conformes es ſors Virgilianes. Vous ſerez coqu : vous ſerez battu : vous ſerez deſrobbé. Là s’eſcria frere Ian, & diſt. Il dict par Dieu vray, tu ſeras coqu home de bien, ie t’en aſceure : tu auras belles cornes. Hay, hay, hay, noſtre maiſtre de cornibus, Dieu te guard, faiz nous deux motz de prædication, & ie feray la queſte parmy la paroece.

Au rebours (diſt Panurge) mon ſonge preſagiſt qu’en mon mariage, i’auray planté de tous biens, auecques la corne d’abondance. Vous dictez que ſeront cornes de Satyres. Amen, amen, fiat[126], fiatur, ad differentia papæ. Ainſi auroys ie eternellement le virolet en poinct & infatiguable, comme l’ont leſ Satyres. Choſe que tous deſirent, & peu de gens l’impetrent des cieulx. Par conſequent, coqu iamais : car faulte de ce eſt cauſe ſans laquelle non, cauſe vnicque, de faire les mariz coquz. Qui faict les coquins mandier ? C’eſt qu’ilz n’ont en leurs maiſons de quoy leur ſac emplir. Qui faict le loup ſortir du bois ? Default de carnage. Qui faict les femmes ribauldes ? Vous m’entendez aſſez. I’en demande à meſſieurs les clers, à meſſieurs les preſidens, conſeillers, aduocatz, proculteurs & aultres gloſſateurs de la venerable rubricque de frigidis et maleficiatis[127].

Vous (pardonnez moy ſi ie meſprens) me ſemblez euidentement errer interpretant cornes pour cocuage. Diane les porte en teſte à forme de beau croiſſant. Eſt elle coqüe pourtant ? Comment diable ſeroyt elle coquüe, qui ne feut oncques mariée ? Parlez de grace correct, craignant qu’elle vous en face au patron que feiſt à Acteon. Le bon Bacchus porte cornes ſemblablement : Pan : Iuppiter Ammonien, tant d’aultres. Sont ilz coquz ? Iuno ſeroit elle putain ? Car il s’enſuiuroyt par la figure dicte Metalepſis. Comme appelant vn enfant en præſence de pere & mere, champis ou auoiſtre, c’eſt honneſtement, tacitement dire le pere coqu, & ſa femme ribaulde. Parlons mieulx. Les cornes que me faiſoit ma femme ſont cornes d’abondance, & planté de tous biens. Ie le vous affie. Au demourant ie ſeray ioyeulx comme vn tabour à nopces, touſiours ſonnant, touſiours ronflant, touſiours bourdonnant & petant. Croyez que c’eſt l’heur de mon bien. Ma femme ſera coincte & iolie : comme vne belle petite Chouette. Qui ne le croid, d’enfer aille au gibbet. Noel nouuelet[128].

Ie note (diſt Pantagruel) le poinct dernier que auez dict, & le confere auecques le premier. Au commencement vous eſtiez tout confict en delices de voſtre ſonge. En fin vous eſueiglaſtez en ſurſault faſché, perplex & indigné. (Voire, diſt Panurge, car ie n’auoys poinct dipné) Tout ira en deſolation, ie le preuoy. Sçaichez pour vray, que tout ſommeil finiſſant en ſurſault, & laiſſant la perſone faſchée & indignée, ou mal ſignifie, ou mal præſagiſt. Mal ſignifie, c’eſt à dire maladie cacoethe, maligne, peſtilente, oculte, & latente dedans le centre du corps : laquelle par ſommeil, qui touſiours renforce la vertu concoctrice (ſcelon les theoremes de medicine) commenceroit ſoy declairer, & mouuoir vers la ſuperficie. Au quel triſte mouuement ſeroyt le repous diſſolu, & le premier ſenſitif admonneſté de y compatir & pourueoir. Comme en prouerbe lon dict, irriter les freſlons, mouuoir la Camarine, eſueigler le chat qui dort. Mal præſagiſt, c’eſt à dire, quant au faict de l’ame en matiere de diuination ſomnialle, nous donne entendre que quelque malheur y eſt deſtiné & preparé, lequel de brief ſortira en ſon effect. Exemple on ſonge & reſueil eſpouantable de Hecuba. On ſonge de Eurydice femme de Orpheus, lequel parfaict, les dict Ennius[129] s’eſtre eſueiglées en ſurſault & eſpouantées. Auſſi apres veid Hecuba ſon mary Priam, ſes enfans, ſa patrie occis & deſtruictz : Eurydice bien toſt apres mourut miſerablement. En Æneas[130] ſongeant qu’il parloit à Hector defunct : ſoubdain en ſurſault s’eſueiglant. Auſſi feut celle propre nuict Troie ſacagée & bruſlée. Aultre foys ſongeant qu’il veoyt ſes dieux familiers & Penates, & en eſpouuantement s’eſueiglant, patit au ſubſequent iour horrible tormente ſus mer. En Turnus, lequel eſtant incité par viſion phantaſticque de la furie infernale à commencer guerre contre Æneas, s’eſueigla en ſurſault tout indigné : puis feut apres longues deſolations occis par icelluy Æneas. Mille aultres. Quand ie vous compte de Æneas, notez que Fabius pictor dict rien par luy n’auoir eſté faict ne entreprins, rien ne luy eſtre aduenu, que preallablement il n’euſt congneu[131] & præueu par diuination ſomniale. Raiſon ne default es exemples. Car ſi le ſommeil & repous eſt don & benefice ſpecial des Dieux, comme maintiennent les philoſophes, & atteſte le poete diſant.

Lors l’heure eſtoit, que ſommeil, don des Cieulx,
Vient aux humains fatiguez, gracieux.[132]

Tel don en faſcherie & indignation ne peut eſtre terminé, ſans grande infelicité prætendue. Aultrement ſeroit repous non repous : don non don. Non des dieux amis prouenent, mais des diables ennemis, iouxte le mot vulgaire : ἐχθρῶν ἄδωρα δῶρα[133]. Comme ſi le perefamile eſtant à table opulente, en bon appetit, au commencement de ſon repas, on voyoit en ſurſault eſpouenté ſoy leuer. Qui n’en ſçauroit la cauſe s’en pourroit eſbahir. Mais quoy ? il auoit ouy ſes ſeruiteurs crier au feu : ſes ſeruantes crier au larron : ſes enfans crier au meurtre. Là failloit, le repas laiſſé, accourir, pour y remedier, & donner ordre. Vrayment ie me recorde, que les Caballiſtes & Maſſorethz interpretes des ſacres letres, expoſans en quoy lon pourroit par diſcretion congnoiſtre la verité des apparitions angelicques[134] (car ſouuent l’Ange de Sathan ſe transfigure en Ange de lumiere) diſent la difference de ces deux eſtres en ce, que l’Ange bening & conſolateur apparoiſſant à l’home, l’eſpouante au commencement, le conſole en la fin, le rend content & ſatisfaict : l’Ange maling & ſeducteur au commencement reſiouiſt l’home, en fin le laiſſe perturbé, faſché, & perplex.


Excuſe de Panurge, & expoſition de Caballe
monaſticque en matiere de beuf ſallé.


Chapitre XV.


Diev (diſt Panurge) guard de mal qui void bien & n’oyt[135] goutte. Ie vous voy treſbien, mais ie ne vous oy poinct. Et ne ſçay que vous dictez. Le ventre affamé n’a poinct d’aureilles. Ie brame par Dieu de mal rage de faim. I’ay faict couruée trop extraordinaire. Il ſera plus que maiſtre mouſche, qui de ceſtuy an me fera[136] eſtre de ſongeailles. Ne ſouper poinct, de par le Diable ? Cancre. Allons, frere Ian deſieuner. Quand i’ay bien à poinct deſieuné, & mon ſtomach eſt bien à poinct affené & agrené, encores pour vn beſoing & en cas de neceſſité me paſſeroys ie de dipner. Mais ne ſoupper poinct ? Cancre. C’eſt erreur. C’eſt ſcandale en nature. Nature a faict le iour pour ſoy exercer, pour trauailler, & vacquer chaſcun en ſa neguociation : & pour ce plus aptement faire, elle nous fourniſt de chandelle, c’eſt la claire & ioyeuſe lumiere du Soleil. Au ſoir elle commence nous la tollir : & nous dict tacitement. Enfans, vous eſtez gens de bien. C’eſt aſſez trauaillé. La nuyct vient : il conuient ceſſer du labeur : & ſoy reſtaurer par bon pain, bon vin, bonnes viandes : puys ſoy quelque peu eſbaudir, coucher, & repoſer, pour au lendemain eſtre frays & alaigres au labeur comme dauant. Ainſi font les Faulconniers : quand ilz ont peu leurs oyzeaulx, ilz ne les font voler ſus leurs guorges : ilz les laiſſent enduire ſus la perche. Ce que treſbien entendit le bon Pape premier inſtituteur des ieuſnes[137]. Il ordona qu’on ieuſnaſt iusques à l’heure de Nones : le reſte du iour feut mis en liberté de repaiſtre. On temps iadis peu de gens dipnoient, comme vous diriez les moines & chanoines, auſſi bien n’ont ilz autre occupation, tous les iours leurs ſont feſtes : & obſeruent diligemment vn prouerbe clauſtral, de miſſa ad menſam : & ne differeroient ſeulement attendans la venue de l’Abbé, pour ſoy enfourner à table : là en baufrant attendent les moines l’Abbé, tant qu’il vouldra, non aultrement ne en aultre condition : mais tout le monde ſouppoit, exceptez quelques reſueurs ſongears, dont eſt dicte la cene comme cœne[138], c’eſt à dire à tous commune. Tu le ſçaiz bien, frere Ian. Allons, mon amy, de par tous les Diables, allons. Mon ſtomach abboye de male faim comme vn Chien. Iectons luy force ſouppes en gueule pour l’appaiſer : à l’exemple de la Sibylle enuers Cerberus[139]. Tu aymes les ſouppes de prime : plus me plaiſent les ſouppes de Leurier, aſſociées de quelque piece de laboureur ſallé à neuf leçons.

Ie te entends (reſpondit frere Ian). Ceſte metaphore eſt extraicte de la marmite clauſtrale. Le laboureur c’eſt le beuf, qui laboure ou a labouré : à neuf leçons, c’eſt à dire cuyct à perfection. Car les bons peres de religion par certaine Caballiſticque inſtitution des anciens, non eſcripte, mais baillée de main en main, ſoy leuans, de mon temps, pour matines, faiſoient certains præambules notables auant entrer en l’ecliſe. Fiantoient aux fiantouoirs, piſſoient aux piſſouoirs, crachoient aux crachouoirs, touſſoient aux touſſouoirs melodieuſement, reſuoient aux reſuoirs, affin de rien immonde ne porter au ſeruice diuin. Ces choſes faictes, deuotement ſe tranſportoient en la ſaincte Chapelle (ainſi eſtoit en leurs Rebus nommée la cuiſine clauſtrale) & deuotement ſollicitoient que des lors feuſt au feu le beuf mis pour le deſieuner des religieux freres de noſtre Seigneur. Eulx meſmes ſouuent allumoient le feu ſoubs la marmite. Or eſt que matines ayant neuf leçons, plus matin ſe leuoient par raiſon. Plus auſſi multiplioient en appetit & alteration aux abboys du parchemin : que matines eſtantes ourlées d’vne, ou trois leçons ſeulement. Plus matin ſe leuans, par la dicte Caballe, plus toſt eſtoit le beuf au feu : plus y eſtant, plus cuict reſtoit : plus cuyct reſtant, plus tendre eſtoit, moins vſoit les dens, plus delectoit le palat : moins greuoit le ſtomach, plus nourriſſoit les bons religieux. Qui eſt la fin vnicque & intention premiere des fondateurs : en contemplation de ce qu’ilz ne mangent mie pour viure, ils viuent pour manger, & ne ont que leur vie en ce monde. Allons Panurge.

A ceſte heure (diſt Panurge) te ay ie entendu, couillon velouté, couillon clauſtral & Cabalicque. Il me y va du propre cabal. Le fort, l’vſure, & les intereſtz ie pardonne. Ie me contente des deſpens : puys que tant diſertement nous as faict repetition ſus le chapitre ſingulier de la Caballe culinaire & monaſticque. Allons, Carpalim. Frere Ian, mon baudrier, allons. Bon iour, tous mes bons ſeigneurs. I’auoys aſſez ſongé pour boyre. Allons.

Panurge n’auoit ce mot acheué, quand Epiſtemon à haulte voix s’eſcria, diſant. Choſe bien commune & vulguaire entre les humains eſt, le malheur d’aultruy entendre, præuoir, congnoiſtre, & prædire. Mais ô que choſe rare eſt ſon malheur propre prædire, congnoiſtre, præuoir & entendre. Et que prudentement le figura Æſope en ſes Apologes, diſant chaſcun home en ce monde naiſſant vne bezace au coul porter : on ſachet de laquelle dauant pendent ſont les faultes & malheurs d’aultruy touſiours expoſées à noſtre veue & congnoiſſance : on ſachet darriere pendent ſont les faultes & malheurs propres : & iamais ne ſont veues ne entendues, fors de ceulx qui des cieulx ont le beneuole aſpect.


Comment Pantagruel conſeille à Panurge de conferer
auecques vne Sibylle de Panzouſt[140].


Chapitre XVI.


Pev de temps apres Pantagruel manda querir Panurge, & luy diſt. L’amour que ie vous porte inueteré par ſucceſſion de longs temps me ſollicite de penſer à voſtre bien & profict. Entendez ma conception : On m’a dict que à Panzouſt pres le Croulay eſt vne Sibylle treſinſigne, laquelle prædict toutes choſes futures : prenez Epiſtemon de compaignie, & vous tranſportez deuers elle, & oyez de ce que vous dira. C’eſt (diſt Epiſtemon) par aduenture vne Canidie, vne Sagane, vne Phitoniſſe & ſorciere. Ce que me le faict penſer, eſt que celluy lieu eſt en ce nom diffamé, qu’il abonde en ſorcieres plus que ne feit oncques Theſſalie. Ie ne iray pas voluntiers. La choſe eſt illicite & defendue en la loy de Moſes[141]. Nous (diſt Pantagruel) ne ſommez mie Iuifz, & n’eſt choſe confeſſée ne auerée que elle ſoit ſorciere. Remettons à voſtre retour le grabeau & belutement de ces matieres. Que ſçauons nous ſi c’eſt une vnzième Sibylle : vne ſeconde Caſſandre ? Et ores que Sibylle ne feuſt, & de Sibylle ne meritaſt le nom, quel intereſt encourrez vous auecques elle conferent de voſtre perplexité ? entendu meſmement qu’elle eſt en exiſtimation de plus ſçauoir, plus entendre, que ne porte l’vſance ne du pays, ne du ſexe. Que nuiſt ſçauoir touſiours, & tous iours aprendre, feuſt ce d’vn ſot, d’vn pot, d’vne guedoufle, d’vne moufle, d’vne pantoufle ? Vous ſoubuieigne que Alexandre le grand : ayant obtenu victoire du roy Darïe en Arbelles, præſens ſes Satrapes quelque foys refuſa audience à vn compaignon, puys en vain mille & mille foys s’en repentit. Il eſtoit en Perſe victorieux, mais tant eſloigné de Macedonie ſon royaulme hæreditaire, que grandement ſe contriſtoit, par non pouoir moyen aulcun inuenter d’en ſçauoir nouuelles : tant à cauſe de l’enorme diſtance des lieux, que de l’interpoſition des grands fleuues, empeſchement des deſers, & obiection des montaignes. En ceſtuy eſtris & ſoigneux penſement, qui n’eſtoit petit, (Car on euſt peu ſon pays & royaulme occuper, & là inſtaller Roy nouueau & nouuelle colonie long temps dauant que il en euſt aduertiſſement pour y obuier) dauant luy ſe præſenta vn home de Sidoine, marchant perit, & de bon ſens, mais au reſte aſſez pauure & de peu d’apparence, luy denonceant & affermant auoir chemin & moyen inuenté, par lequel ſon pays pourroit de ſes victoires Indianes, luy de l’eſtat de Macedonie & Ægypte eſtre en moins de cinq iours aſçauanté. Il eſtima la promeſſe tant abhorrente & impoſſible, qu’oncques l’aureille preſter ne luy voulut, ne donner audience. Que luy euſt couſté ouyr & entendre ce que l’home auoit inuenté. Quelle nuiſance, quel dommaige euſt il encouru pour ſçauoir quel eſtoit le moyen, quel eſtoit le chemin, que l’home luy vouloit demonſtrer ? Nature me ſemble non ſans cauſe nous avoir formé aureilles ouuertes, n’y appouſant porte ne clouſture aulcune, comme a faict es œilz, langue, & aultres iſſues du corps. La cauſe ie cuide eſtre, affin que tous iours toutes nuyctz, continuellement, puiſſions ouyr : & par ouye perpetuellement aprendre : car c’eſt le ſens ſus tous aultres plus apte es diſciplines. Et peut eſtre : que celluy home eſtoit ange, c’eſt à dire meſſagier de Dieu enuoyé, comme feut Raphael à Thobie. Trop ſoubdain le contemna trop long temps apres s’en repentit.

Vous dictez bien, reſpondit Epiſtemon : mais ia ne me ferez entendre, que choſe beaucoup aduentaigeuſe ſoit, prendre d’vne femme, & d’vne telle femme, en tel pays, conſeil & aduis. Ie (diſt Panurge) me trouue fort bien du conſeil des femmes, & meſmement des vieilles. A leur conſeil ie foys tous iours vne ſelle ou deux extraordinaires. Mon amy, ce ſont vrays chiens de monſtre, vrays rubricques de droict. Et bien proprement parlent ceulx qui les appellent Sages femmes. Ma couſtume & mon ſtyle eſt les nommer Præſages femmes. Sages ſont elles : car dextrement elles congnoiſſent. Mais ie les nomme Præſages, car diuinement elles præuoyent, & prædiſent certainement toutes choſes aduenir. Aulcunesfoys ie les appelle non Maunettes, mais Monettes[142], comme la Iuno des Romains. Car de elles touſiours nous viennent admonitions ſalutaires & profitables. Demandez en à Pythagoras, Socrates, Empedocles, & noſtre maiſtre Ortuinus. Enſemble ie loue iusques es haulx cieulx l’antique inſtitution des Germains, les quelz priſoient au poix du Sanctuaire & cordialement reueroient le conſeil des vieilles : par leurs aduis & reſponſes tant heureuſement proſperoient, comme les auoient prudentement receues. Teſmoings la vieille Aurinie, & la bonne mere Vellede[143] on temps de Vaſpaſian. Croyez que vieilleſſe feminine eſt touſiours foiſonnante en qualité ſoubeline : ie vouloys dire Sybilline[144]. Allons par l’ayde, allons par la vertus Dieu, allons. Allons, frere Ian, ie te recommande ma braguete. Bien (diſt Epiſtemon) ie vous ſuiuray, proteſtant que ſi i’ay aduertiſſement qu’elle vſe de ſort ou enchantement en ſes reſponſes, ie vous laiſſeray à la porte, & plus de moy acompaigné ne ſerez.


Comment Panurge parle à la Sibylle de Panzouſt.

Chapitre XVII.


Levr chemin feut de troys iournées. La troizieme à la croppe de vne montaigne ſoubs vn grand & ample Chaſtaignier leurs feut monſtrée la maiſon de la vaticinatrice. Sans difficulté ilz entrerent en la caſe chaumine, mal baſtie, mal meublée, toute enfumée. Baſte, diſt Epiſtemon, Heraclitus grand Scotiſte[145] & tenebreux philoſophe ne s’eſtonna entrant en maiſon ſemblable, expoſant à ſes ſectateurs & diſciples, que là auſſi bien reſidoient les Dieux, comme en palais pleins de delices. Et croy que telle eſtoit la caſe de la tant celebrée Hecale, lors qu’elle y feſtoya le ieune Theſeus : telle auſſi cele de Hireus ou Oenopion, en laquelle Iuppiter, Neptune, & Mercure enſemble ne prindrent à deſdaing entrer, repaiſtre, & loger : en laquelle officialement pour l’eſcot forgerent Orion. Au coing de la cheminée trouverent la vieille. Elle eſt (s’eſcria Epiſtemon) vraye Sibylle & vray protraict naïfuement repræſenté par τῇ ϰαμινοῖ[146] de Homere. La vieille eſtoit mal en poinct, mal veſtue, mal nourrie, edentée, chaſſieuſe, courbaſſée, roupieuſe, languoureuſe, & faiſoit vn potaige de choux verds, auecques vne couane de lard iauſne, & vn vieil ſauorados. Verd & bleu (diſt Epiſtemon) nous auons failly. Nous ne aurons d’elle reſponce aulcune. Car nous n’auons le rameau d’or[147]. Ie y ay (reſpondit Panurge) pourueu. Ie l’ay icy dedans ma gibbeſiere en vne verge d’or acompaigné de beaulx & ioyeulx Carolus.

Ces motz dictz, Panurge la ſalüa profondement, luy præſenta ſix langues de beuf fumées, vn grand pot beurrier plein de coſcotons, vn bourrabaquin guarny de breuaige, une couille de belier pleine de Carolus nouuellement forgez : en fin auecques profonde reuerence luy miſt on doigt medical vne verge d’or bien belle : en laquelle eſtoit vne Crapaudine de Beuſſe magnificquement enchaſſée. Puys en briefues parolles luy expoſa le motif de ſa venue, la priant courtoiſement luy dire ſon aduis & bonne fortune de ſon mariage entreprins.

La vieille reſta quelque temps en ſilence penſiue & richinante des dens, puys s’aſſit ſus le cul d’vn boiſſeau, print en ſes mains troys vieulx fuſeaulx, les tourna & vira entre ſes doigtz en diuerſes manieres : puys eſprouua leurs poinctes, le plus poinctu retint en main, les deux aultres iecta ſoubs vne pille à mil. Apres print ſes deuidoueres, & par neuf foys les tourna, au neuſuieme tour conſydera ſans plus toucher le mouuement des deuidoueres, & attendit leur repous perfaict. Depuys ie veidz qu’elle deſchauſſa vn de ſes eſclos, (nous les nommons Sabotz) miſt ſon dauantau ſus ſa teſte, comme les prebſtres mettent leur amict quand ilz voulent meſſe chanter : puys auecques vn antique tiſſu riolé, piolé, le lia ſoubs la guorge. Ainſi affeublée, tira vn grand traict du bourrabaquin, print de la couille beliniere trois carolus, les miſt en trois coques de noix, & les poſa ſus le cul d’vn pot à plume, feiſt trois tours de balay par la cheminée, iecta on feu demy fagot de bruiere, & vn rameau de laurier ſec. Le conſydera bruſler en ſilence, & veid que bruſlant ne faiſoit griſlement ne bruyt aulcun. Adoncques s’eſcria eſpouantablement, ſonnant entre les dens quelques motz barbares & d’eſtrange termination, de mode que Panurge dit à Epiſtemon. Par la vertus Dieu ie tremble, ie croy que ie ſuys charmé, elle ne parle poinct Chriſtian[148]. Voyez comment elle me ſemble de quatre empans plus grande, que n’eſtoit lors qu’elle ſe capitonna de ſon dauantau. Que ſignifie ce remuement de badiguoinces ? Que pretend ceſte iectigation des eſpaulles ? A quelle fin fredonne elle des babines, comme vn Cinge demembrant Eſcreuiſſes ? Les aureilles me cornent, il m’eſt aduis que ie oy Proſerpine bruyante : les Diables bien touſt en place ſortiront. O les laydes beſtes. Fuyons. Serpe Dieu, ie meurs de paour. Ie n’ayme poinct les Diables. Ilz me faſchent & ſont mal plaiſans. Fuyons. Adieu, ma Dame, grand mercy de vos biens. Ie ne me marieray poinct, non. Ie y renonce des à præſens comme allors. Ainſi commençoit eſcamper de la chambre, mais la vieille anticipa, tenente le fuſeau en ſa main : & ſortis en vn courtil pres ſa maiſon. Là eſtoit vn Sycomore antique : elle l’eſcrouſla par troys fois, & ſus huyct feueilles qui en tomberent, ſommairement auecques le fuſeau eſcriuit quelques briefz vers. Puys les iecta au vent, & leurs diſt. Allez les chercher ſi voulez, trouuez les ſi pouez, le ſort fatal de voſtre mariage y eſt eſcript.

Ces parolles dictes, ſe retira en ſa teſniere, & ſus le perron de la porte ſe recourſa robbe, cotte, & chemiſe iusques aux eſcelles, & leurs monſtroit ſon cul. Panurge l’aperceut, & diſt à Epiſtemon. Par le ſambre guoy de boys, voy là le trou de la Sibylle[149]. Soubdain elle barra ſus ſoy la porte : depuys ne feut veue. Ilz coururent apres les feueilles, & les recueillerent, mais non ſans grand labeur. Car le vent les auoit eſquartées par les buiſſons de la vallée. Et les ordonnans l’vne apres l’aultre, trouuerent ceſte ſentence en metres.

T’eſgouſſera
de renom.
Engroiſſera
de toy non.
Te ſugſera
le bon bout.
T’eſcorchera
mais non tout.


Comment Pantagruel & Panurge diuerſement expoſent
les vers de la Sibylle de Panzouſt.


Chapitre XVIII.


Les feueilles recueillies, retournerent Epiſtemon & Panurge en la court de Pantagruel, part ioyeulx, part faſchez. Ioyeulx pour le retour : faſchez pour le trauail du chemin, lequel trouuerent raboteux, pierreux, & mal ordonné. De leur voyage feirent ample raport à Pantagruel, & de l’eſtat de la Sibylle. En fin luy præſenterent les feueilles de Sycomore, & monſtrerent l’eſcripture en petitz vers. Pantagruel auoir leu le totaige diſt à Panurge en ſouſpirant. Vous eſtez bien en poinct. La prophetie de la Sibyle apertement expoſe ce que ia nous eſtoit denoté tant par les ſors Virgilianes, que par vos propres ſonges, c’eſt que par voſtre femme ſerez deſhonoré : que elle vous fera coqu ſe abandonant à aultruy, & par aultruy deuenent groſſe : que elle vous deſrobbera par quelque bonne partie, & qu’elle vous battera eſcorchant & meurtriſſant quelque membre du corps.

Vous entendez autant (reſpondit Panurge) en expoſition de ces recentes propheties, comme faict Truye en eſpices. Ne vous deſplaiſe ſi ie le diz. Car ie me ſens vn peu faſché. Le contraire eſt veritable. Prenez bien mes motz. La vieille le dict. Ainſi comme la febue n’eſt veue ſe elle ne eſt eſgouſſée, auſſi ma vertu & ma perfection iamais ne ſeroit miſe en renom, ſi marié ie n’eſtoys. Quantes foys vous ay ie ouy diſant que le magiſtrat, & l’office deſcœuure l’home, & mect en euidence ce qu’il auoit dedans le iabot ? C’eſt à dire que lors on congnoiſt certainement, quel eſt le perſonaige, & combien il vault, quand il eſt appellé au maniment des affaires. Parauant, ſçauoir eſt eſtant l’home en ſon priué, on ne ſçait pour certain quel il eſt, non plus que d’une febue en gouſſe. Voylà quant au premier article. Aultrement vouldriez vous maintenir que l’honneur & bon renom d’vn home de bien pendiſt au cul d’vne pvtain ?

Le ſecond dict. Ma femme engroiſſera, (entendez icy la prime felicité de mariage) mais non de moy. Cor Bieu, ie le croy. Ce ſera d’vn beau petit enfantelet qu’elle ſera groſſe. Ie l’ayme deſia tout plein, & ia en ſuys tout aſſoty. Ce ſera mon petit bedault. Faſcherie du monde tant grande & vehemente n’entrera deſormais à mon eſprit, que ie ne paſſe, ſeulement le voyant & le oyant iargonner en ſon iargonnoys pueril. Et benoiſte ſoit la vieille. Ie luy veulx vraybis conſtituer en Salmigondois quelque bonne rente, non courante comme bacheliers inſenſez, mais aſſiſe comme beaulx docteurs regens. Aultrement vouldriez vous que ma femme dedans ſes flans me portaſt ? me conceuſt ? me enfantaſt ? & qu’on diſt, Panurge eſt vn ſecond Bacchus. Il eſt deux foys né. Il eſt René, comme feut Hippolytus, comme feut Proteus, vne foys de Thetis, & ſecondement de la mere du Philoſophe Apollonius. Comme feurent les deux Palices pres le fleuve Symethos en Sicile. Sa femme eſtoit groſſe de luy. En luy eſt renouuellée l’antique Palintocie des Megariens, & la Palingeneſie de Democritus. Erreur. Ne m’en parlez iamais.

Le tiers dict. Ma femme me ſugſera le bon bout. Ie m’y diſpoſe. Vous entendez aſſez que c’eſt le baſton à vn bout, qui me pend entre les iambes. Ie vous iure & promectz que touſiours le maintiendray ſuccullent & bien auitaillé. Elle ne me le ſugſera poinct en vain. Eternellement y ſera le petit picotin[150] ou mieulx. Vous expoſez allegoricquement ce lieu, & le interpretez à larrecin & furt. Ie loue l’expoſition, l’allegorie me plaiſt, mais non à voſtre ſens. Peut eſtre que l’affection ſyncere que me portez, vous tire en partie aduerſe & refraictaire, comme diſent les clercs choſe merueilleuſement crainctiue eſtre amour, & iamais le bon amour eſtre ſans craincte. Mais (ſcelon mon iugement) en vous meſmes vous entendez que furt en ce paſſaige, comme en tant d’aultres des ſcipteurs Latins & antiques, ſignifie le doulx fruict de amourettes : lequel veult Venus eſtre ſecretement & furtiuement cuilly. Pourquoy, par voſtre foy ? Pour ce que la choſette faicte à l’emblée, entre deux huys, à trauers les degrez, darriere la tapiſſerie, en tapinois, ſus vn fagot deſroté, plus plaiſt à la déeſſe de Cypre, (& en ſuys là, ſans præiudice de meilleur aduis) que faicte en veue du Soleil, à la Cynique, ou entre les precieulx conopées, entre les courtines dorées, à longs interualles, à plein guogo, auec vn eſmouchail de ſoye cramoiſine, & vn panache de plumes Indicques chaſſant les mouſches d’autour, & la femelle s’eſcurante les dens auecques vn brin de paille, qu’elle ce pendent auroit deſraché du fond de la paillaſſe. Aultrement vouldriez vous dire qu’elle me deſrobbaſt en ſugſant comme on aualle les huytres en eſcalle, & comme les femmes de Cilicie (teſmoing Dioſcorides) cuillent la graine de Alkermes ? Erreur. Qui deſrobbe, ne ſugſe, mais gruppe : ne aualle, mais emballe, rauiſt & ioue de paſſe paſſe.

Le quart dict. Ma femme me l’eſcorchera, mais non tout. O le beau mot. Vous l’interpretez à batterie & meurtriſſure. C’eſt bien à propous truelle, Dieu te guard de mal maſſon. Ie vous ſupply leuez vn peu vos eſpritz de terriene penſée en contemplation haultaine des merueilles de Nature : & icy condemnez vous vous meſmes, pour erreurs qu’auez commis peruerſement expoſant les dictz propheticques de la Diue Sibylle. Poſé, mais non admis ne concedé le cas, que ma femme par l’inſtigation de l’ennemy d’enfer vouluſt & entreprint me faire vn mauluais tour, me diffamer, me faire coqu iusqu’au cul, me deſrober & oultrager : encores ne viendra elle à fin de ſon vouloir & entreprinſe.

La raiſon qui à ce me meut, eſt en ce poinct dernier fondée, & eſt extraicte du fond de Pantheologie monaſticque. Frere Artus Culletant me l’a aultres foys dict, & feut par vn Lundy matin, mangeans enſemble vn boiſſeau de guodiueaulx, & ſi pleuuoit, il m’en ſouuient, Dieu luy doint le bon iour.

Les femmes au commencement du monde, ou peu apres, enſemblement conſpirerent eſcorcher les homes tous vifz, par ce que ſus elles maiſtriſer vouloient en tous lieux. Et feut ceſtuy decret promis, confermé, & iuré entre elles par le ſainct ſang breguoy. Mais ô vaines entreprinſes des femmes, ô grande fragilité du ſexe feminin. Elles commencerent eſcorcher l’home, ou gluber, comme le nomme Catulle, par la partie qui plus leurs hayte, c’eſt ce membre nerueulx, cauerneulx, plus de ſix mille ans a, & toutesfoys iusques à præſent n’en ont eſcorché que la teſte. Dont par fin deſpit les Iuifz eulx meſmes en circunciſion ſe le couppent & retaillent, mieulx aymans eſtre dictz recutitz & retaillatz marranes, que eſcorchez par femmes, comme les aultres nations. Ma femme non degenerante de ceſte commune entreprinſe, me l’eſcorchera, s’il ne l’eſt. Ie y conſens de franc vouloir, mais non tout : ie vous en aſceure mon bon Roy.

Vous (diſt Epiſtemon) ne reſpondez à ce que le rameau de laurier nous voyans, elle conſyderant & exclamante en voix furieuſe & eſpouantable, bruſloit ſans bruyt ne griſlement aulcun. Vous ſçauez que c’eſt triſte augure & ſigne grandement redoutable, comme atteſtent Properce, Tibulle, Porphyre philoſophe argut, Euſtathius ſus l’iliade Homericque, & aultres. Vrayement (diſt Panurge) vous me alleguez de gentilz veaulx. Ils feurent folz comme poëtes, & reſueurs comme philoſophes : autant pleins de fine follie, comme eſtoit leur philoſophie.


Comment Pantagruel loue le conſeil des muetz.

Chapitre XIX.


Pantagrvel, ces motz acheuez, ſe teut aſſez longtemps, & ſembloit grandement penſif. Puys diſt à Panurge. L’eſprit maling vous ſeduyt : mais eſcoutez. I’ay leu qu’on temps paſſé les plus veritables & ſceurs oracles n’eſtoient ceulx que par eſcript on bailloit, ou par parolle on proferoit. Maintes foys y ont faict erreur ceulx voyre qui eſtoient eſtimez fins & ingenieux, tant à cauſe des amphibologies, equiuocques, & obſcuritez des motz, que de la briefueté des ſentences. Pourtant feut Apollo dieu de vaticination ſurnommé Λοξίας[151]. Ceulx que l’on expoſoit par geſtes & par ſignes, eſtoient les plus veritables & certains eſtimez. Telle eſtoit l’opinion de Heraclitus. Et ainſi vaticinoit Iuppiter en Amon : ainſi prophetiſoit Apollo entre les Aſſyriens. Pour ceſte raiſon le paingnoient ilz auecques longue barbe, & veſtu comme perſonaige vieulx, & de ſens raſſis : non nud, ieune, & ſans barbe, comme faiſoient les Grecz. Vſons de ceſte maniere : & par ſignes ſans parler, conſeil prenez de quelque Mut. I’en ſuys d’aduis (reſpondit Panurge). Mais (diſt Pantagruel) il conuiendroit que le Mut feuſt ſourd de ſa naiſſance : & par conſequent Mut. Car il n’eſt Mut plus naïf, que celluy qui oncques ne ouyt.

Comment (reſpondit Panurge) l’entendez ? Si vray feuſt que l’home ne parlaſt, qui n’euſt ouy parler, ie vous menerois à logicalement inferer vne propoſition bien abhorrente & paradoxe. Mais laiſſons la. Vous doncques ne croyez ce qu’eſcript Herodote[152] des deux enfans guardez dedans vne caſe par le vouloir de Pſammetic roy des Ægyptiens, & nourriz en perpetuelle ſilence ? les quelz apres certain temps prononcerent ceſte parolle Becus, laquelle en langue Phrygienne ſignifie pain ? Rien moins, reſpondit Pantagruel. C’eſt abus dire que nous ayons languaige naturel. Les languaiges ſont par inſtitutions arbitraires & conuenences des peuples : les voix (comme diſent les Dialecticiens) ne ſignifient naturellement, mais à plaiſir. Ie ne vous diz ce propous ſans cauſe. Car Barthole[153] l. prima de verb. oblig. raconte que de ſon temps, feut en Eugube vn nommé meſſer Nello de Gabrielis, lequel par accident eſtoit ſourd deuenu : ce non obſtant entendoit tout homme Italian parlant tant ſecretement que ce feuſt, ſeulement à la veue de ſes geſtes, & mouuement des bauleures. I’ay d’aduentaige leu en autheur docte & eleguant[154], que Tyridates roy de Armenie, on temps de Neron, viſita Rome, & feut receu en ſolennité honorable, & pompes magnificques affin de l’entretenir en amitié ſempiternelle du Senat & peuple Romain : & n’y eut choſe memorable en la cité, qui ne luy feuſt monſtrée & expoſée. A ſon departement l’empereur luy feiſt dons grands, & exceſſifz : oultre, luy feiſt option, de choiſir ce que plus en Rome luy plairoit, auecques promeſſe iurée de non l’eſconduire quoy qu’il demandaſt. Il demanda ſeulement vn ioueur de farces, lequel il auoit veu on theatre, & ne entendent ce qu’il diſoit, entendoit ce qu’il exprimoit par ſignes & geſticulations : alleguant que ſoubs ſa domination eſtoient peuples de diuers languaiges, pour es quelz reſpondre & parler luy conuenoit vſer de pluſieurs truchemens : il ſeul à tous ſuffiroit. Car en matiere de ſignifier par geſtes eſtoit tant excellent, qu’il ſembloit parler des doigtz. Pourtant vous fault choiſir vn mut ſourd de nature, affin que ſes geſtes & ſignes vous ſoient naïfuement propheticques : non ſaincts, fardez, ne affectez. Reſte encores ſçauoir ſi tel aduis voulez ou d’home ou de femme prendre.

Ie (reſpondit Panurge) voluntiers d’vne femme le prendroys, ne feuſt que ie crains deux choſes. L’vne, que les femmes quelques choſes qu’elles voyent, elles ſe repræſentent en leurs eſpritz, elles penſent, elles imaginent, que ſoit l’entrée du ſacre Ithyphalle. Quelques geſtes, ſignes, & maintiens que l’on face en leur veue & præſence, elles les interpretent & referent à l’acte mouuent de belutaige. Pourtant y ſerions nous abuſez. Car la femme penſeroit tous nos ſignes, eſtre ſignes Veneriens. Vous ſouuieigne de ce que aduint[155] en Rome deux cens lx. ans apres la fondation d’icelle. Vn ieune gentil home Romain rencontrant on mons Cœlion vne dame Latine nommée Verone mute & ſourde de nature, luy demanda auecques geſticulations Italicques en ignorance d’icelle ſurdité, quelz ſenateurs elle auoit rencontré par la montée ? Elle non entendent ce qu’il diſoit, imagina eſtre ce qu’elle pourpenſoit, & ce que vn ieune home naturellement demande d’vne femme. Adoncques par ſignes (qui en amour ſont incomparablement plus attractifz, efficaces, & valables que parolles) le tira à part en ſa maiſon, ſignes luy feiſt que le ieu luy plaiſoit. En fin ſans de bouche mot dire, feirent beau bruit de culletis.

L’aultre : qu’elles ne feroient à nos ſignes reſponce aulcune : elles ſoubdain tomberoient en arriere comme reallement conſententes à nos tacites demandes. Ou ſi ſignes aulcuns nous faiſoient reſponſifz à nos propoſitions, ilz ſeroient tant follaſtres & ridicules, que nous meſmes eſtimerions leurs penſemens eſtre Venereicques. Vous ſçauez comment à Croquignoles[156] quand la nonnain ſeur Feſſue[157], feut par le ieune briffault dam Royddimet engroiſſée, & la groiſſe congnue, appellée par l’abbeſſe en chapitre & arguée de inceſte, elle s’excuſoit, alleguante que ce n’auoit eſté de ſon conſentement, ce auoit eſté par violence & par la force du frere Royddimet. L’abbeſſe replicante & diſante, meſchante, c’eſtoit on dortouoir, pourquoy ne crioys tu à la force ? Nous toutes euſſions couru à ton ayde ? Reſpondit qu’elle ne auſoit crier on dortouoir[158] : pource qu’on dortouoir y a ſilence ſempiternelle. Mais (diſt l’abbeſſe) meſchante que tu es, pourquoy ne faiſois tu ſignes à tes voiſines de chambre ? Ie (reſpondit la Feſſue) leurs faiſois ſignes du cul[159] tant que pouois, mais perſone ne me ſecourut. Mais (demanda l’abbeſſe) meſchante, pourquoy incontinent ne me le veins tu dire, & l’accuſer reguliairement ? Ainſi euſſe ie faict, ſi le cas me feuſt aduenu, pour demonſtrer mon innocence. Pource (reſpondit la feſſue) que craignante demourer en peché & eſtat de damnation, de paour que ne feuſſe de mort ſoubdaine præuenue, ie me confeſſay à luy auant qu’il departiſt de la chambre : & il me bailla en penitence non le dire ne deceler à perſone. Trop enorme euſt eſté le peché, reueler ſa confeſſion, & trop deteſtable dauant Dieu & les anges. Par aduenture euſt ce eſté cauſe que le feu du Ciel euſt ars toute l’abbaye : & toutes feuſſions tombées en abiſme auecques Dathan & Abiron.

Vous (diſt Pantagruel) ia ne m’en ferez rire. Ie ſçay aſſez que toute moinerie moins crainct les commandemens de Dieu tranſgreſſer, que leurs ſtatutz provinciaulx. Prenez doncques vn homme. Nazdecabre me ſemble idoine. Il eſt mut & ſourd de naiſſance.


Comment Nazdecabre par ſignes reſpond à Panurge.

Chapitre XX.


Nazdecabre feut mandé, & au lendemain arriua. Panurge à ſon arrivée luy donna vn veau gras, vn demy pourceau, deux buſſars de vin, vne charge de bled, & trente francs en menue monnoye : puis le mena dauant Pantagruel & en præſence des gentilz homes de chambre luy feiſt tel ſigne. Il baiſla aſſez longuement, & en baiſlant faiſoit hors la bouche auecques le poulce de la main dextre la figure de la lettre Grecque dicte Tau, par frequente reiterations. Puis leua les œilz au Ciel, & les tournoyoit en la teſte comme vne chevre qui auorte : touſſoit ce faiſant & profondement ſouſpiroit. Cela faict monſtroit le default de ſa braguette : puys ſoubs ſa chemiſe print ſon piſtolandier à plein poing, & le faiſoit melodieuſement clicquer entre ſes cuiſſes : ſe enclina flechiſſant le genoil guauſche, & reſta tenent les deux braz ſus la poictrine laſſez l’vn ſus l’aultre.

Nazdecabre curieuſement le reguardoit, puys leua la main guauſche en l’aër, & retint clous en poing tous les doigtz d’icelle, excepté le poulce & le doigt indice, des quelz il acoubla mollement les deux ongles enſemble. I’entends (diſt Pantagruel) ce qu’il prætend par ceſtuy ſigne. Il denote mariage : & d’abondant le nombre trentenaire ſcelon la profeſſion des Pythagoriens. Vous ſerez marié. Grand mercy (diſt Panurge ſe tournant vers Nazdecabre) mon petit architriclin, mon comite, mon algouſan, mon ſbire, mon barizel.

Puis leua en l’aër plus hault la dicte main guauſche, extendent tous les cinq doigtz d’icelle, & les eſloignant vns des aultres, tant que eſloigner pouoit. Icy (diſt Pantagruel) plus amplement nous inſinue par ſignification du nombre quinaire, que ſerez marié. Et non ſeulement effiancé, eſpouſé, & marié, mais en oultre que habiterez & ſerez bien auant de feſte. Car Pythagoras appelloit le nombre quinaire, nombre nuptial[160], nopces, & mariage conſommé : pour ceſte raiſon qu’il eſt compoſé de Trias, qui eſt nombre premier impar & ſuperflu : & de Dyas, qui eſt nombre premier par : comme de maſle & de femelle coublez enſemblement. De faict à Rome iadis au iour des nopces on allumoit cinq flambeaulx de cire, & n’eſtoit licite d’en allumer plus, feuſt es nopces des plus riches : ne moins, feuſt es nopces des plus indigens. D’aduentaige on temps paſſé les Payens imploroient cinq Dieux, ou vn Dieu en cinq benefices, ſus ceulx que l’on marioit : Iuppiter nuptial : Iuno præſidente de la feſte : Venus la belle : Pitho déeſſe de perſuaſion & beau parler : & Diane pour ſecours on travail d’enfantement.

O (s’eſcria Panurge) le gentil Nazdecabre. Ie luy veulx donner vne metairie pres Cinay, & vn moulin à vent en Mirebalais. Ce faict, le mut eſternua en inſigne vehemence & concuſſion de tout le corps ſe deſtournant à guauſche. Vertus beuf de boys (diſt Pantagruel) qu’eſt ce là ? Ce n’eſt à voſtre aduentaige. Il denote que voſtre mariage ſera infauſte & malheureux. Ceſtuy eſternuement (ſcelon la doctrine de Terpſion) eſt le dæmon Socraticque[161] : lequel faict à dextre ſignifie qu’en aſceurance & hardiment on peut faire & aller ce & la part qu’on a deliberé, les entrée, progrés, & ſuccés ſeront bons & heureux : faict à guauſche, au contraire. Vous (diſt Panurge) tous iours prenez les matieres au pis, & tous iours obturbez, comme vn aultre Dauus[162]. Ie n’en croy rien. Et ne congneuz oncques ſinon en deception ce vieulx trepelu Terpſion. Toutesfoys (diſt Pantagruel) Ciceron en dict ie ne ſçay quoy, on ſecond liure de diuination[163].

Puys ſe tourne vers Nazdecabre, & luy faict tel ſigne. Il renuerſa les paulpieres des œilz contre mont, tortoit les mandibules de dextre en ſeneſtre, tira la langue à demy hors la bouche. Ce faict, poſa la main guauſche ouuerte, exceptez le maiſtre doigt, lequel retint perpendiculairement ſus la paulme, & ainſi l’aſſiſt au lieu de ſa braguette : la dextre retint clauſe en poing, exceptez le poulce, lequel droict il retourna arriere ſoubs l’eſcelle dextre, & l’aſſiſt au deſſus des feſſes on lieu que les Arabes appellent Al Katim. Soubdain apres changea, & la main dextre tint en forme de la ſeneſtre, & la poſa ſus le lieu de la braguette, la guauſche tint en forme de la dextre, & la poſa ſus l’Al Katim. Ceſtuy changement de main reïtera par neuf foys. A la neufieſme remiſt les paupieres des œilz en leur poſition naturelle : auſſi feiſt les mandibules, & la langue : puys iecta ſon reguard biſcle ſus Nazdecabre, branlant les bauleures, comme font les Cinges de ſeiour, & comme font les Connins mangeans auoine en gerbe.

Adoncques Nazdecabre eleua en l’aër la main dextre toute ouuerte, puys miſt le poulce d’icelle iusques à la premiere articulation entre la tierce ioincture du maiſtre doigt & du doigt medical, les reſſerrant aſſez fort au tour du poulce : le reſte des ioinctures d’iceulx retirant on poing, & droictz extendent les doigtz Indice & Petit. La main ainſi compoſée poſa ſus le nombril de Panurge mouuent continuellement le poulce ſuſdict, & appuyant icelle main ſus les doigtz Petit & Indice, comme ſus deux iambes. Ainſi montoit d’icelle main ſucceſſiuement à trauers le ventre, le ſtomach, la poictrine, & le coul de Panurge : puys au menton, & dedans la bouche luy miſt le ſuſdict poulce branſlant : puys luy en frota le nez, & montant oultre aux œilz faignoit les luy couloir creuer auecques le poulce. A tant Panurge ſe faſcha, & taſchoit ſe defaire & retirer du Mut. Mais Nazdecabre continuoit luy touchant auecques celuy poulce branſlant, maintenant les œilz, maintenant le front, & les limittes de ſon bonnet. En fin Panurge s’eſcria, diſant. Par Dieu, maiſtre fol, vous ſerez battu ſi ne me laiſſez, ſi plus me faſchez, vous aurez de ma main vn Masque ſus voſtre paillard viſaige. Il eſt (diſt lors frere Ian) ſourd. Il n’entend ce que tu luy diz, couillon. Faictz luy en ſigne vne greſle de coups de poing ſus le mourre. Que Diable (diſt Panurge) veult prætendre ce maiſtre Alliboron ? Il m’a presque poché les œilz au beurre noir. Par Dieu, da iurandi[164], ie vous feſtoiray d’vn banquet de Nazardes, entrelardé de doubles Chinquenaudes. Puys le laiſſa luy faiſant la petarrade. Le Mut voyant Panurge demarcher, guaingna le dauant, l’arreſta par force, & luy feiſt tel ſigne. Il baiſſa le braz dextre vers le genoil tant que pouoit l’extendre, clouant tous les doigtz en poing, & paſſant le poulce entre les doigtz Maiſtre & Indice. Puys auecques la main guauſche frottoit le deſſus du coubte du ſuſdict braz dextre, & peu à peu ce frottement leuoit en l’aër la main d’icelluy iusques au coubte & au deſſus, ſoubdain la rabaiſſoit comme dauant : puys à interualles la releuoit, la rabaiſſoit, & la monſtroit à Panurge.

Panurge de ce faſché leua le poing pour frapper le Mut : mais il reuera la præſence de Pantagruel & ſe retint. Alors diſt Pantagruel. Si les ſignes vous faſchent, ô quant vous faſcheront les choſes ſignifiées. Tout vray à tout vray conſone[165]. Le Mut prætend & denote, que ſerez marié, coqu, battu, & deſrobbé. Le mariage (diſt Panurge) ie concede, ie nie le demourant. Et vous prie me faire ce bien de croyre, que iamais home n’eut en femme & en chevaulx heurt tel que m’eſt predeſtiné.


Comment Panurge prent conſeil d’vng vieil Poëte
François nommé Raminagrobis.


Chapitre XXI.


Ie ne penſoys (diſt Pantagruel) iamais rencontrer homme tant obſtiné à ſes apprehenſions comme ie vous voy. Pour toutesfoys voſtre doubte eſclarcir, ſuys d’aduis que mouuons toute pierre[166]. Entendez ma conception. Les Cycnes, qui ſont oyſeaulx ſacrez à Apollo, ne chantent iamais, ſi non quand ilz approchent de leur mort : meſmement en Meander fleuue de Phrygie (ie le diz pource que Ælianus, & Alexander Myndius eſcriuent en auoir ailleurs veu pluſieurs mourir, mais nul chanter en mourant) de mode que chant de Cycne eſt præſaige certain de ſa mort prochaine, & ne meurt que præalablement n’ayt chanté. Semblablement les poëtes qui ſont en protection de Apollo, approchans de leur mort ordinairement deuiennent prophetes, & chantent par Apolline inſpiration vaticinans des choſes futures.

I’ay d’aduentaige ſouuent ouy dire que tout home vieulx, decrepit, & pres de ſa fin, facilement diuine des cas aduenir. Et me ſouuient que Ariſtophanes en quelque comedie appelle les gens vieulx Sibylles, Ὁ δὲ γέρων σίϐυλλιᾷ[167]. Car comme nous eſtans ſur le moule, & de loing voyans les mariniers & voyagiers dedans leurs naufz en haulte mer, ſeulement en ſilence les conſiderons, & bien prions pour leur proſpere abourdement : mais lors qu’ilz approchent du haure, & par parolles & par geſtes les ſalüons, & congratulons de ce que à port de ſaulueté ſont auecques nous arriuez : auſſi les Anges, les Heroes, les bons Dæmons (ſcelon la doctrine des Platonicques) voyans les humains prochains de mort, comme de port treſceur & ſalutaire : port de repous, & de tranquilité, hors les troubles & ſollicitudes terrienes, les ſalüent, les conſolent, parlent auecques eulx, & ia commencent leurs communicquer art de diuination. Ie ne vous allegueray exemples antiques, de Iſaac, de Iacob[168], de Patroclus enuers Hector, de Hector enuers Achilles[169], de Polyneſtor[170] enuers Agamemnon & Hecuba : du Rhodien celebré par Poſidonius[171], de Calanus Indian[172] enuers Alexandre le grand, de Orodes[173] enuers Mezentius, & aultres : ſeulement vous veulx ramenteuoir le docte & preux cheuallier Guillaume du Bellay, ſeigneur iadis de Langey, lequel on mont de Tarare mourut le 10. de Ianuier l’an de ſon aage le climatere & de noſtre ſupputation l’an 1543. en compte Romanicque. Les troys & quatre heures auant ſon decés il employa en parolles viguoureuſes, en ſens tranquil & ſerain nous prædiſant ce que depuys part avons veu, part attendons aduenir. Combien que pour lors nous ſemblaſſent ces propheties aulcunement abhorrentes & eſtranges, par ne nous apparoiſtre cauſe ne ſigne aulcun præſent pronoſtic de ce qu’il prædiſoit. Nous auons icy pres la Villaumere, vn home & vieulx & poëte, c’eſt Raminagrobis, lequel en ſeconde nopces eſpouſa la grande Guorre, dont naſquit la belle Bazoche. I’ay entendu qu’il eſt en l’article & dernier moment de ſon decés : tranſportez vous vers luy, & oyez ſon chant. Pourra eſtre que de luy aurez ce que prætendez, & par luy Apollo voſtre doubte diſſouldra. Ie le veulx (reſpondit Panurge). Allons y, Epiſtemon, de ce pas : de paour que mort ne le præuieigne. Veulx tu venir, frere Ian ? Ie le veulx (reſpondit frere Ian) bien voluntiers, pour l’amour de toy, couillette. Car ie t’ayme du bon du foye.

Sus l’heure feut par eulx chemin prins, & arriuans au logis poëticque trouuerent le bon vieillart en agonie, auecques maintient ioyeulx, face ouuerte, & reguard lumineux. Panurge le ſalüant luy miſt on doigt Medical de la main guauſche en pur don vn anneau d’or, en la palle duquel eſtoit vn ſapphyr oriental beau & ample : puys à l’imitation de Socrates luy offrit vn beau coq blanc, lequel incontinent poſé ſus ſon lict la teſte eleuée en grande alaigreſſe ſecoua ſon pennaige, puys chanta en bien hault ton. Cela faict, Panurge requiſt courtoiſement dire & expoſer ſon iugement ſus le doubte du mariage prætendu. Le bon vieillard commenda luy eſtre apporté ancre, plume, & papier. Le tout feut promptement liuré. Adoncques eſcriuit ce que s’enſuyt.

Prenez la, ne la prenez pas.[174]
Si vous la prenez, c’eſt bien faict.
Si ne la prenez en effect,
Ce ſera œuuré par compas.

Guallopez, mais allez le pas.
Recullez, entrez y de faict.
Prenez-la, ne.
.

Ieuſnez, prenez double repas.
Defaictez ce qu’eſtoit refaict.
Refaictez ce qu’eſtoit defaict.
Soubhaytez luy vie & treſpas.
Prenez la, ne.

Puys leurs bailla en main, & leurs diſt. Allez enfans en la guarde du grand Dieu des cieulx, & plus de ceſtuy affaire ne de aultre que ſoit, ne me inquietez. I’ay ce iourd’huy, qui eſt le dernier & de May & de moy, hors ma maiſon à grande fatigue & difficulté chaſſé vn tas de villaines, immondes, & peſtilentes beſtes, noires, guarres, fauues, blanches, cendrées, griuolées : les quelles laiſſer ne me vouloient à mon aiſe mourir : & par fraudulentes poinctures, gruppemens harpyiacques, importunitez freſlonnicques, toutes forgées en l’officine de ne ſçay quelle inſatiabilité, me euocquoient du doulx penſement on quel ie acquieſçois contemplant, & voyans & ia touchant & guouſtant le bien, & felicité, que le bon Dieu a præparé à ſes fideles & eſleuz en l’aultre vie & eſtat de immortalité. Declinez de leur voye, ne ſoyez à elles ſemblables : plus ne me moleſtez, & me laiſſez en ſilence, ie vous ſupply.


Comment Panurge patrocine à l’ordre
des fratres Mendians.


Chapitre XXII.


Issant de la Chambre de Raminagrobis, Panurge comme tout effrayé diſt. Ie croy, par la vertus Dieu, qu’il eſt Hæreticque, ou ie me donne au Diable. Il meſdict des bons peres mendians Cordeliers, & Iacobins, qui ſont les deux hemiſphæres de la Chriſtianté, & par la gyrognomonique circumbiliuagination des quelz comme par deux filopendoles cœliuages, tout l’Antonomatic matagraboliſme de l’ecliſe Romaine, ſoy ſentente emburelucoquée d’aulcun baraguouïnage d’erreur ou de hæreſie, homocentricalement ſe tremouſſe. Mais que tous les Diables luy ont faict les paouures Diables de Capuſſins, & Minimes ? Ne ſont ilz aſſés meſhaignez les paouures diables ? Ne ſont ilz aſſés enfumez & perfumez de miſere & calamité les paouures haires extraictz de Ichthyophagie ? Eſt il, frere Ian, par ta foy, en eſtat de ſaluation ? Il s’en va, par Dieu, damné comme vne ſerpe à trente mille hottées de Diables. Meſdire de ces bons & vaillans piliers d’ecliſe ? Appellez vous cela fureur poëticque ? Ie ne m’en peuz contenter : il peche villainement, il blaſpheme contre la religion. I’en ſuys fort ſcandaliſé. Ie (diſt frere Ian) ne m’en ſoucie d’vn bouton. Ilz meſdiſent de tout le monde : ſi tout le monde meſdit d’eulx, ie n’y pretends aulcun intereſt. Voyons ce qu’il a eſcript.

Panurge leut attentement l’eſcripture du bon vieillart : puys leurs diſt. Il reſue le paouure Beuueur. Ie l’excuſe toutesfoys. Ie croy qu’il eſt pres de ſa fin. Allons faire ſon epitaphe. Par la reſponſe qu’il nous donne, ie ſuys auſſi ſaige que oncques puys ne fourneaſmes nous. Eſcoute ça, Epiſtemon, mon bedon. Ne l’eſtimez tu pas bien reſolu en ſes reſponſes ? Il eſt, par Dieu, ſophiſte argut, ergoté, & naïf. Ie guaige qu’il eſt Marrabais. Ventre beuf, comment il ſe donne guarde de meſprendre en ſes parolles. Il ne reſpond que par diſionctiues. Il ne peult dire vray. Car à la verité d’icelles ſuffiſt l’vne partie eſtre vraye. O quel Patelineux. Sainct Iago de Breſſuire, en eſt il encores de l’eraige ? Ainſi (reſpondit Epiſtemon) proteſtoit Tireſias le grand Vaticinateur au commencement de toutes ſes diuinations, diſant apertement à ceulx qui de luy prenoient aduis. Ce que ie diray, aduiendra, ou ne aduiendra poinct[175]. Et eſt le ſtyle des prudens prognoſticqueurs. Toutesfoys (diſt Panurge) Iuno luy creua les deux œilz. Voyre (reſpondit Epiſtemon) par deſpit de ce que il auoit mieulx ſententié que elle, ſus le doubte propouſé par Iuppiter. Mais (diſt Panurge) quel Diable poſſede ce maiſtre Raminagrobis, qui ainſi ſans propous, ſans raiſon, ſans occaſion, meſdict des paouures beatz peres Iacobins, Mineurs, & Minimes ? Ie en ſuys grandement ſcandaliſé, ie vous aſſie, & ne me en peuz taire. Il a grefuement peché. Son ame s’en va à trente mille panerées de Diables[176]. Ie ne vous entends poinct (reſpondit Epiſtemon). Et me ſcandaliſez vous meſmes grandement, interpretant peruerſement des fratres Mendians, ce que le bon Poëte diſoit des beſtes noires, fauues, & aultres. Il ne l’entend (ſcelon mon iugement) en telle ſophiſticque & phantaſticque allegorie. Il parle abſolument & proprement des puſſes, punaiſes, cirons, mouſches, culices, & aultres telles beſtes : les quelles ſont vnes noires, aultres fauues, aultres cendrées, aultres tannées & baſanées : toutes importunes, tyrannicques, & moleſtes, non es malades ſeulement, mais auſſi à gens ſains & viguoureux. Par aduenture a il des Aſcarides, Lumbriques, & Vermes dedans le corps. Par aduenture patiſt il (comme eſt en Ægypte, & lieux confins de la mer Erithrée, choſe vulgaire & vſitée) es bras & iambes quelque poincture de Draconneaulx griuolez, que les Arabes appellent Meden. Vous faictez mal aultrement expouſant ſes parolles. Et faictez tord au bon Poëte par detraction, & es dictz Fratres par imputation de tel meſhain. Il fault touſiours de ſon preſme interpreter toutes choſes à bien.

Aprenez moy (diſt Panurge) à congnoiſtre mouſches en laict. Il eſt, par la vertus Dieu, hæreticque. Ie diz hæreticque formé, hæreticque clauelé[177], hæreticque bruſlable, comme vne belle petite horologe. Son ame s’en va à trente mille charretées de Diables. Sçauez vous où ? Cor Bieu, mon amy, droict deſſoubs la ſcelle perſée de Proſerpine, dedans le propre baſſin infernal, on quel elle rend l’operation fecale de ſes clyſteres, à couſté guauſche de la grande chauldiere, à trois toiſes pres les gryphes de Lucifer, tirant vers la chambre noire de Demiourgon. Ho le villain.


Comment Panurge faict diſcours pour
retourner à Raminagrobis.


Chapitre XXIII.


Retovrnons (diſt Panurge continuant) l’admoneſter de ſon ſalut. Allons on nom, allons en la vertus de Dieu. Ce ſera œuure charitable à nous faicte : au moins s’il perd le corps & la vie, qu’il ne damne ſon ame. Nous le induirons à contrition de ſon peché : à requerir pardon es dictz tant beatz peres abſens comme præſens. Et en prendrons acte, affin qu’apres ſon treſpas ilz ne le declairent hæreticque & damné : comme les Farfadetz feirent de la præuoſte d’Orleans[178] : & leurs ſatisfaire de l’oultrage, ordonnant par tous les conuens de ceſte prouince aux bons peres religieux force bribes, force meſſes, force obitz & anniuerſaires. Et que au iour de ſon treſpas ſempiternellement ilz ayent tous quintuple pitance : & que le grand bourrabaquin plein du meilleur trote de ranco par leurs tables, tant des Burgotz, Layz, & Briffaulx, que des preſbtres & des clercs : tant des Nouices, que des Profés. Ainſi pourra il de Dieu pardon auoir.

Ho, ho, ie me abuſe, & me eſguare en mes diſcours. Le Diable me emport ſi ie y voys. Vertus Dieu, la chambre eſt deſia pleine de Diables. Ie les oy deſia ſoy pelaudans & entrebattans en Diable, à qui humera l’ame Raminagrobidicque, & qui premier de broc en bouc la portera à meſſer Lucifer. Houſtez vous de là. Ie ne y voys pas. Le Diable me emport ſi ie y voys. Qui ſçait s’ilz vſeroient de qui pro quo, & en lieu de Raminagrobis grupperoient le paouure Panurge quitte ? Ilz y ont maintes foys failly eſtant ſafrané & endebté. Houſtez vous de là. Ie ne y voys pas. Ie meurs, par Dieu, de male raige de paour. Soy trouuer entre Diables affamez ? entre Diables de faction ? entre Diables negocians ? Houſtez vous de là. Ie guage que par meſmes doubte à ſon enterrement n’aſſiſtera Iacobin, Cordelier, Carme, Capuſſin, Theatin, ne Minime. Et eulx ſaiges. Auſſi bien ne leurs a il rien ordonné par teſtament. Le Diable me emport ſi ie y voys. S’il eſt damné, à ſon dam. Pour quoy meſdiſoit il des bons peres de religion ? Pour quoy les auoit il chaſſé hors ſa chambre, ſus l’heure que il auoit plus de beſoing de leur ayde, de leurs deuotes prieres, de leurs ſainctes admonitions ? Pour quoy par teſtament ne leurs ordonnoit il au moins quelques bribes, quelque bouffaige, quelque carreleure de ventre, aux paouufres gens qui n’ont que leur vie en ce monde ? Y aille qui vouldra aller. Le Diable me emport ſi ie y voys. Si ie y allois, le Diable me emporteroit. Cancre. Houſtez vous de là.

Frere Ian, veulx tu que præſentement mille charretées de Diables t’emportent[179] ? Fays trois choſes. Baille moy ta bourſe[180]. Car la croix eſt contraire au charme. Et te aduiendroit ce que nagueres aduint à Ian Dodin[181] recepueur du Couldray au gué de Vede, quand les gens d’armes rompirent les planches. Le pinart rencontrant ſus la riue frere Adam Couſcoil Cordelier obſeruantin de Myrebeau, luy promiſt vn habit en condition qu’il le paſſaſt oultre l’eau à la cabre morte ſus ſes eſpaules. Car c’eſtoit vn puiſſant ribault. Le pacte feut accordé. Frere Couſcoil ſe trouſſe iusques aux couilles, & charge à ſon dours comme vn beau petit ſainct Chriſtophle, ledict ſuppliant Dodin. Ainſi le portoit guayement, comme Æneas porta ſon pere Anchiſes hort la conflagration de Troie, chantant vn bel Aue maris stella[182]. Quand ilz feurent au plus parfond du gué, au deſſus de la roue du moulin, il luy demanda, s’il auoit poinct d’argent ſus luy. Dodin reſpondit, qu’il en auoit pleine gibbeſſière, & qu’il ne ſe desfiaſt de la promeſſe faicte d’vn habit neuf. Comment (diſt frere Couſcoil) tu ſçaiz bien que par chapitre expres de noſtre reigle il nous eſt riguoureuſement defendu de porter argent ſus nous. Malheureux es tu bien certes : qui me as faict pecher en ce poinct. Pourquoy ne laiſſas tu ta bourſe au meuſnier ? Sans faulte tu en ſeras præſentement puny. Et ſi iamais ie te peuz tenir en noſtre chapitre à Myrebeau, tu auras du Miſerere iusques à Vitulos[183]. Soubdain ſe deſcharge, & vous iecte Dodin en pleine eau la teſte au fond. A ceſtuy exemple, frere Ian mon amy doulx, affin que les Diables t’emportent mieulx à ton aiſe, baille moy ta bourſe : ne porte croix aulcune ſus toy. Le danger y eſt euident. Ayant argent, portant croix, ilz te iecteront ſus quelques rochiers, comme les aigles iectent les tortues pour les caſſer, teſmoing la teſte pelée du poëte Æſchylus. Et tu te ferois mal, mon amy. I’en ſeroys bien fort marry : ou te laiſſeront tomber dedans quelque mer ie ne ſçay où, bien loing, comme tomba Icarus. Et ſeroit par apres nommée la mer Entommericque. Secondement fois quitte. Car les Diables ayment fort les quictes. Ie le fçay bien quant eſt de moy. Les paillars ne ceſſent me mugueter, & me faire la court. Ce que ne ſouloient eſtant ſafrané & endebté. L’ame d’vn home endebté eſt toute hectique & diſcraſiée. Ce n’eſt viande à Diables. Tiercement auecques ton froc & ton domino de grobis retourne à Raminagrobis. En cas que trente mille batelées de Diables ne t'emportent ainſi qualifié, ie payeray pinthe & fagot. Et ſi pour ta ſceureté, tu veulx compaignie auoir, ne me cherchez pas, non. Ie t'en aduiſe. Houſtez vous de là. Ie n’y voys pas. Le Diable m’emport ſi ie y voys.

Ie ne m'en ſouciroys (reſpondiſt frere Ian) pas tant par aduenture que lon diroyt, ayant mon bragmard on poing. Tu le prens bien (diſt Panurge) & en parle comme docteur ſubtil en lard. On temps que j’eſtudiois à l'eſchole de Tolete, le reuerend pere en Diable Picatris recteur de la faculté diabolologicque, nous diſoit que naturellement les Diables craignent la ſplendeur des eſpées, auſſi bien que la lueur du Soleil. Defaict Hercules deſcendent en enfer à tous les Diables, ne leurs feiſt tant de paour ayant ſeulement ſa peau de Lion, & ſa maſſue, comme par apres feiſt Æneas eſtant couuert d’vn harnoy reſplendiſſant, & guarny de ſon bragmard bien à poinct fourby & deſrouillé à l’ayde & conſeil de la Sibylle Cumane. C’eſtoit (peut eſtre) la cauſe pourquoy le ſeigneur Ian Iacques Triuolſe mourant à Chartres[184], demanda ſon eſpée, & mourut l’eſpée nue on poing, s’eſcrimant tout au tour du lict, comme vaillant & cheualeureux, & par ceſte eſcrime mettant en fuyte cous les Diables qui le gueſtoient au paſſaige de la mort. Quand on demande aux Maſſorethz & Caballiſtes, pourquoy les Diables n’entrent iamais en paradis terreſtre ? Ilz ne donnent aultre raiſon, ſi non que à la porte eſt un Cherubin tenent en main une eſpée flambante. Car parlant en vraye diabolologie de Tolete, ie confeſſe que les Diables vrayment ne peuuent par coups d’eſpée mourir : mais ie maintiens ſcelon la dicte diabolologie, qu’ilz peuuent patir ſolution de continuité. Comme ſi tu couppois de trauers auecques ton bragmard vne flambe de feu ardent, ou vne groſſe & obſcure fumée. Et crient comme Diables à ce ſentement de ſolution, laquelle leurs eſt doloreuſe en Diable.

Quand tu voyds le hourt de deux armées, penſe tu, Couillaſſe, que le bruyt ſi grand & horrible que lon y oyt, prouiene des voix humaines ? du hurtis des harnoys ? du clicquetis des bardes, du chaplis des maſſes ? du froiſſis des picques, du bris des lances, du cris des naurez ? du ſon des tabours & trompettes ? du hanniſſement des cheuaulx ? du tonnoire des eſcouppettes & canons ? Il en eſt veritablement quelque choſe : force eſt que le confeſſe. Mais le grand effroy, & vacarme principal prouient du dueil & vlement des Diables : qui là gueſtans pelle melle les paouures ames des bleſſez, reçoiuent coups d’eſpée à l’improuiſte, & patiſſent ſolution en la continuité de leurs ſubſtances aërées & inuiſibles : comme ſi à quelque lacquais crocquant les lardons de la broche, maiſtre Hordoux donnoit vn coup de baſton ſus les doigts. Puys crient & vlent comme Diables : comme Mars, quand il feut bleſſé par Diomedes dauant Troie, Homere dict[185] auoir crié en plus hault ton & plus horrificque effroy, que ne feroient dix mille homes enſemble. Mais quoy ? Nous parlons de harnoys fourbiz, & d’eſpées reſplendentes. Ainſi n’eſt il de ton bragmard. Car diſcontinuation de officier, & par faulte de operer, il eſt par ma foy plus rouillé, que la claueure d’vn vieil charnier[186]. Pourtant faiz de deux choſes l’vne. Ou le deſrouille bien apoinct & guaillard : ou maintenant ainſi rouillé, guarde que ne tourne en la maiſon de Raminagrobis. De ma part ie n’y voys pas. Le Diable m’emport ſi ie y voys.


Comment Panurge prend conſeil de Epiſtemon.

Chapitre XXIIII.


Laissans la Villaumere, & retournans vers Pantagruel, par le chemin Panurge s’adreſſa à Epiſtemon, & luy diſt. Compere mon antique amy, vous voyez la perplexité de mon eſprit. Vous ſçauez tant de bons remedes. Me ſçauriez vous ſecourir ? Epiſtemon print le propous, & remonſtroit à Panurge comment la voix publicque eſtoit toute conſommée en mocqueries de ſon deſguiſement : & luy conſeilloit prendre quelque peu de Ellebore, affin de purger ceſtuy humeur en luy peccant, & reprendre ſes accouſtremens ordinaires. Ie ſuys (diſt Panurge) Epiſtemon mon compere, en phantaſie de me marier. Mais ie crains eſtre coqu & infortuné en mon mariage. Pourtant ay ie faict veu à ſainct François le ieune, lequel eſt au Pleſſis lez Tours reclamé de toutes femmes en grande deuotion (car il eſt premier fondateur des bons homes, lesquelz elles appetent naturellement) porter lunettes au bonnet, ne porter braguette en chauſſes, que ſus ceſte mienne perplexité d’eſprit ie n’aye eu reſolution aperte. C’eſt (diſt Epiſtemon) vrayement vn beau & ioyeulx veu. Ie me eſbahys de vous, que ne retournez à vous meſmes, & que ne reuocquez vos ſens de ce farouche eſguarement en leur tranquillité naturelle. Vous entendent parler, me faictez ſouuenir du veu des Argiues[187] à la large perrucque, les quelz ayans perdu la bataille contre les Lacedæmoniens en la controuerſe de Tyrée, feirent veu cheueux en teſte ne porter, iusques à ce qu’ilz euſſent recouuert leur honneur & leur terre : du veu auſſi du plaiſant Heſpaignol Michel Doris, qui porta le trançon de greue en ſa iambe. Et ne ſçay lequel des deux ſeroit plus digne & meritant porter chapperon verd & iauſne à aureilles de lieure, ou icelluy glorieux champion, ou Enguerrant[188] qui en faict le tant long, curieux, & faſcheux compte, oubliant l’art & maniere d’eſcrire hiſtoires, baillée par le philoſophe Samoſatoys[189]. Car liſant icelluy long narré, lon penſe que doibue eſtre commencement, & occaſion de quelque forte guerre, ou inſigne mutation des Royaulmes : mais en fin de compte on ſe mocque & du benoiſt champion, & de l’Angloys qui le deſſia, & de Enguerrant leur tabellion plus baueux qu’vn pot à mouſtarde. La mocquerie eſt telle que de la montaigne d’Horace, laquelle crioyt & lamentoyt enormement, comme femme en trauail d’enfant. A ſon cris & lamentation accourut tout le voiſinaige en expectation de veoir quelque admirable & monſtrueux enfantement, mais en fin ne naſquit d’elle qu’vne petite ſouriz[190].

Non pourtant (diſt Panurge) ie m’en ſoubrys[191]. Se mocque qui clocque. Ainſi ſeray comme porte mon veu. Or long temps a que auons enſemble vous & moy, foy & amitié iurée, par Iuppiter Philios : dictez m’en voſtre aduis. Me doibz ie marier, ou non ? Certes (reſpondit Epiſtemon) le cas eſt hazardeux, ie me ſens par trop inſuffiſant à la reſolution. Et ſi iamais feut vray en l’art de medicine le dict du vieil Hippocrates de Lango, ivgement difficile[192], il eſt en ceſtuy endroict veriſſime. I’ay bien en imagination quelques diſcours moiennans les quelz nous aurions determination ſus voſtre perplexité. Mais ilz ne me ſatisfont poinct apertement. Aulcuns Platonicques diſent que qui peut veoir ſon Genius, peut entendre ſes deſtinées. Ie ne comprens pas bien leur diſcipline, & ne ſuys d’aduis que y adhærez. Il y a de l’abus beaucoup. I’en ay veu l’experience en vn gentil homme ſtudieux & curieux on pays d’Eſtangourre. C’eſt le poinct premier. Vn aultre y a. Si encores regnoient les oracles de Iuppiter en Amon : de Apollo en Lebadie, Delphes, Delos, Cyrrhe, Patare, Tegyres, Preneſte, Lycie, Colophon : en la fontaine Caſtallie pres Antioche en Syrie : entre les Branchides : de Bacchus, en Dodone : de Mercure, en Phares pres Patras : de Apis, en Ægypte : de Serapis, en Canobe : de Faunus, en Mænalie & en Albunée pres Tiuoli : de Tyreſias, en Orchomene : de Mopſus, en Cilicie : de Orpheus, en Leſbos : de Trophonius, en Leucadie. Ie ſeroys d’aduis (paraduanture non ſeroys) y aller & entendre quel ſeroit leur iugement ſus voſtre entreprinſe. Mais vous ſçauez que tous ſont deuenuz plus mutz que poiſſons, depuys la venue de celluy Roy ſeruateur on quel ont prins fin tous oracles & toutes propheties : comme aduenente la lumiere du clair Soleil diſparent tous Lutins, Lamies, Lemures, Guaroux, Farfadetz, & Tenebrions. Ores toutesfoys qu’encores feuſſent en regne, ne conſeilleroys ie facillement adiouſter ſoy à leurs reſponſes. Trop de gens y ont eſté trompez. D’aduentaige ie me recorde que Agripine miſt ſus à Lollie la belle, auoir interrogué l’oracle de Apollo Clarius pour entendre ſi mariée elle ſeroit auecques Claudius l’empereur. Pour ceſte cauſe feut premierement banie, & depuys à mort ignominieuſement miſe.

Mais (diſt Panurge) faiſons mieulx. Les iſles Ogygies ne ſont loing du Port Sammalo, faiſons y vn voyage apres qu’aurons parlé à noſtre Roy. En l’vne des quatre, laquelle plus a ſon aſpect vers Soleil couchant, on dict, ie l’ay leu en bons & antiques autheurs[193], habiter pluſieurs diuinateurs, vaticinateurs, & prophetes : y eſtre Saturne lié de belles chaines d’or, dedans vne roche d’or, alimenté de Ambroſie & Nectar diuin, les quelz iournellement luy ſont des cieulx tranſmis en abondance par ne ſçay quelle eſpece d’oizeaulx (peut eſtre que ſont les meſmes Corbeaulx, qui alimentoient es defers ſainct Paul premier hermite) & apertement prædire à vn chaſcun qui veult entendre ſon ſort, ſa deſtinée, & ce que luy doibt aduenir. Car les Parces rien ne fillent, Iuppiter rien ne propenſe & rien ne delibere, que le bon pere en dormant ne congnoiſſe. Ce nous ſeroit grande abbreuiation de labeur, ſi nous le oyons vn peu ſus celle mienne perplexité. C’eſt (reſpondit Epiſtemon) abus trop euident, & fable trop fabuleuſe. Ie ne iray pas.


Comment Panurge ſe conſeille à Her Trippa.[194]

Chapitre XXV.


Voyez cy (diſt Epiſtemon continuant) toutesfoys que ferez, auant que retournons vers noſtre Roy, ſi me croyez. Icy pres l’iſle Bouchart demeure Her Trippa, vous ſçauez comment par art de Aſtrologie, Geomantie, Chiromantie, Metopomantie[195], & aultres de pareille farine il prædict toutes choſes futures : conferons de voſtre affaire auecques luy. De cela (reſpondit Panurge) ie ne ſçay rien. Bien ſçay ie que luy vn iour parlant au grand Roy des choſes celeſtes & tranſcendentes, les lacquais de court par les degrez, entre les huys, ſabouloient ſa femme à plaiſir, laquelle eſtoit aſſés bellaſtre. Et il voyant toutes choſes ætherées & terreſtres ſans bezicles, diſcourant de tous cas paſſés & præſens, prædiſant tout l’aduenir, ſeulement ne voioit ſa femme brimballante, & oncques n’en ſceut les nouuelles. Bien allons vers luy, puys qu’ainſi le voulez. On ne ſçauroit trop apprendre.

Au lendemain arriuerent au logis de Her Trippa. Panurge luy donna vne robbe de peau de loup, vne grande eſpée baſtarde bien dorée à fourreau de velours, & cinquante beaulx angelotz[196] : puis familiairement auecques luy confera de ſon affaire. De première venue Her Trippa le reguardant en face diſt. Tu as la metopoſcopie & phyſionomie d’vn coqu. Ie diz coqu ſcandalé & diffamé. Puys conſyderant la main dextre de Panurge en tous endroictz, diſt. Ce faulx traict que ie voy icy au deſſus du mons Iouis, oncques ne feut qu’en la main d’vn coqu. Puys auecques vn ſtyle feiſt haſtiuement certain nombre de poinctz diuers, les accoubla par Geomantie, & diſt. Plus vraye n’eſt la vérité, qu’il eſt certain que ſeras coqu, bien toſt apres que ſeras marié. Cela faict, demanda à Panurge l’horoſcope de ſa natiuité. Panurge luy ayant baillé, il fabrica promptement ſa maiſon du ciel en toutes ſes parties, & conſyderant l’aſſiete, & les aſpectz en leurs triplicitez, ieſta vn grand ſouſpir, & diſt. I’auois ia prædict apertement que tu ſerois coqu, à cela tu ne pouoys faillir : icy i’en ay d’abondant aſceurance nouuelle. Et te afferme que tu ſeras coqu. D’aduentaige ſeras de ta femme battu, & d’elle ſeras deſrobbé. Car ie trouue la ſeptieſme maiſon en aſpectz tous malings, & en batterie de tous ſignes portans cornes, comme Aries, Taurus, Capricorne, & aultres. En la quarte ie trouue decadence de Iouis, enſemble aſpect tetragone de Saturne, aſſocié de Mercure. Tu ſeras bien poyuré, home de bien.

Ie ſeray (reſpondit Panurge) tes fortes fiebures quartaines, vieulx fol ſot mal plaiſant que tu es. Quand tous coqus s’aſſembleront, tu porteras la baniere[197]. Mais dont me vient ce Cyron icy entre ces deux doigtz ? Cela diſoit tirant droict vers Her Trippa les deux premiers doigtz ouuers en forme de deux cornes, & fermant on poing tous les aultres. Puys dict à Epiſtemon. Voyez cy le vray Ollus de Martial. Lequel tout ſon eſtude adonnoit à obſeruer & entendre les maulx & miſeres d’aultruy. Ce pendent ſa femme tenoit le brelant[198]. Il de ſon couſté paouure plus que ne feut Irus. Au demeurant glorieux, oultrecuydé, intolerable plus que dix ſept diables, en vn mot, πτωχαλάζων[199] comme bien proprement telle peaultraille de beliſtrandiers nommoient les anciens. Allons. Laiſſons icy ce fol enraigé, mat de cathene, rauaſſer tout ſon ſaoul auecques ſes diables priuez. Ie croirois tantoſt que les diables vouluſſent ſeruir vn tel marault. Il ne ſçait le premier traict de philoſophie, qui eſt, congnois toy[200], & ſe glorifiant veoir vn feſtu en l’œil d’aultruy, ne void vne groſſe ſouche laquelle luy poche les deux œilz. C’eſt vn tel Polypragmon, que deſcript Plutarche[201]. C’eſt vne aultre Lamie, laquelle en maiſons eſtranges, en public, entre le commun peuple, voyant plus penetramment qu’vn Oince, en ſa maiſon propre eſtoit plus aueugle qu’vne Taulpe : chés ſoy rien ne voioyt. Car retournant du dehors en ſon priué, ouſtoit de ſa teſte ſes œilz exemptiles comme lunettes, & les cachoit dedans vn ſabot attaché darriere la porte de ſon logis. A ces motz print Her Trippa vn rameau de Tamarix. Il prend bien (diſt Epiſtemon) Nicander[202] la nomme diuinatrice.

Voulez vous (diſt Her Trippa) en ſçauoir plus amplement la verité par Pyromantie, par Aëromantie celebrée par Ariſtophanes en ſes nuées, par Hydromantie, par Lecanomantie, tant iadis celebrée entre les Aſſyriens & exprouee par Hermolaus Barbarus ? Dedans vn baſſin plein d’eaue ie te monſtreray ta femme future brimballant auecques deux ruſtres. Quand (diſt Panurge) tu mettras ton nez en mon cul, ſoys recors de deſchauſſer tes lunettes. Par Catoptromancie (diſt Her Trippa continuant) moyenant laquelle Didius Iulianus empereur de Rome præuoyoit tout ce que luy doibuoit aduenir, il ne te fauldra poinct de lunettes. Tu la voyras en vn mirouoir briſgoutant auſſi apertement, que ſi ie te la monſtrois en la fontaine du temple de Minerue pres Patras. Par Coſcinomantie iadis tant religieuſement obſeruée entre les cerimonies des Romains. Ayons vn crible & des forcettes, tu voyras Diables. Par Alphitomantie deſignée par Theocrite en ſa Pharmaceutrie[203], & par Aleuromantie, meſlant du froment auecques de la farine. Par Aſtragalomantie. I’ay ceans les proiectz tous preſtz. Par Tyromantie. I’ay vn fromaige de Brehemont à propous. Par Gyromantie : ie te feray icy tournoyer force cercles, les quelz tous tomberont à gauſche ie t’en aſceure. Par Sternomantie : par ma foy, tu as le pictz aſſés mal proportionné. Par Libanomantie. Il ne fault qu’vn peu d’encent. Par Gaſtromantie, de la quelle en Ferrare longuement vſa la dame Iacoba Rhodogine[204] Engaſtrimythe. Par Cephaleonomantie, de laquelle vſer ſouloient les Alemans, routiſſans la teſte d’vn Aſne ſus des charbons ardens. Par Ceromantie. Là par la cire fondue en eaue tu voiras la figure de ta femme & de ſes taboureurs. Par Capnomantie. Sus des charbons ardens nous mettrons de la ſemence de Pauot & de Siſame. O choſe gualante ! Par Axinomantie. Fois icy prouiſion ſeulement d’vne coingnée & d’vne pierre Gagate, laquelle nous metterons ſus la braze. O comment Homere en vſe brauement enuers les amoureux de Penelope. Par Onymantie. Ayons de l’huylle & de la cire. Par Tephramantie. Tu voiras la cendre en l’aër figurante ta femme en bel eſtat. Par Botanomantie. I’ay icy des feuilles de Saulge à propos. Par Sycomantie. O art diuine en feuielle de figuier ! Par Ichthyomantie tant iadis celebrée & practiquee par Tireſias & Polydamas. Auſſi certainement que iadis eſtoit faict en la foſſe Dina on boys ſacré à Apollo en la terre des Lyciens. Par Chœromantie. Ayons force pourceaulx, tu en auras la veſcie. Par Cleromantie, comme l’on trouue la febue on guaſteau la vigile de l’Epiphanie. Par Anthropomantie, de laquelle vſa Heliogabalus empereur de Rome. Elle eſt quelque peu faſcheuſe. Mais tu l’endureras aſſés, puis que tu es deſtiné coqu. Par Stichomancie Sibylline. Par Onomatomantie. Comment as tu nom ? (Maſchemerde, reſpondit Panurge) ou bien par Alectryomantie. Ie feray icy vn cerne gualantement, lequel ie partiray, toy voyant & conſiderant en vingt & quatre portions equales. Sus chaſcune ie figureray vne letre de l’alphabet : ſus chaſcune letre ie poſeray vn grain de froment : puys laſcheray vn beau coq vierge à trauers. Vous voirez (ie vous affie) qu’il mangera les grains poſez ſus les letres C. O. Q. V. S. E. R. A. auſſi fatidicquement, comme ſoubs l’empereur Valens eſtant en perplexité de ſçauoir le nom de ſon ſucceſſeur, le coq vaticinateur & Aledryomantic mangea ſus les letres Θ. Ε. Ο. Δ. Voulez vous en ſçauoir par l’art de Aruſpicine ? par Extiſpicine ? par Augure prins du vol des oizeaulx ? du chant des Oſcines ? du bal ſoliſtime des canes ? (par Eſtronſpicine, reſpondit Panurge) ou bien par Necromantie ? Ie vous feray ſoubdain reſuſciter quelqu’vn peu cy deuant mort, comme feiſt Apollonius de Tyane[205] enuers Achilles, comme feiſt la Phitoniſſe en præſence de Saul[206] : lequel nous en dira le totage, ne plus ne moins que à l’inuocation de Erictho vn deſſunct prædiſt à Pompée tout le progres & iſſue de la bataille Pharſalicque. Ou ſi auez paour des mors, comme ont naturellement tous coquz, ie vſeray ſeulement de Sciomantie.

Va (reſpondit Panurge) fol enraigé, au Diable : & te faiz lanterner à quelque Albanoys, ſi auras vn chapeau poinctu. Diable, que ne me conſeillez tu auſſi bien tenir vne Eſmeraulde, ou la pierre de Hyene ſoubs la langue ? ou me munir de langues de Puputz, & de cœurs de Ranes verdes ? ou manger du cœur & du foye de quelque Dracon, pour à la voix & au chant des Cycnes & oizeaulx entendre mes deſtinées, comme faiſoient iadis les Arabes on pays de Meſopotamie ? A trente Diables ſoit le coqu, cornu, marrane, ſorcier au Diable, enchanteur de l’Antichriſt. Retournons vers noſtre Roy. Ie ſuys aſceuré que de nous content ne ſera, s’il entend vne foys que ſoyons icy venuz en la teſniere de ce Diable engiponné. Ie me repens d’y eſtre venu. Et donnerois voluntiers cent nobles[207] & quatorze roturiers, en condition que celluy qui iadis ſouffloit on fond de mes chauſſes, præſentement de ſon crachatz luy enluminaſt les mouſtaches. Vray Dieu, comment il m’a perfumé de faſcherie & diablerie, de charme & de ſorcellerie ! Le Diable le puiſſe emporter. Dictez amen, & allons boyre. Ie ne feray bonne chere de deux, non de quatre iours.


Comment Panurge prent conſeil de frere
Ian des Entommeures.


Chapitre XVI.


Panvrge eſtoit faſché des propous de Her Trippa, & avoir paſſé la bourgade de Huymes, s’addreſſa à frere Ian, & luy diſt becguetant & ſoy gratant l’aureille guauſche. Tien moy vn peu ioyeulx, mon bedon. Ie me ſens tout matagraboliſé en mon eſprit, des propous de ce fol endiablé. Eſcoute, couillon mignon[208].


Couillon moignon.

c. paté.

c. plombé

c. feutré.

c. madré.

c. de ſtuc.

c. Arabeſque.

c. trouſſé à la leureſque.

c. aſceuré.

c. calandré.

c. diapré.

c. martelé.

c. iuré.

c. grené.

c. endeſué.

c. palletoqué.

c. lyripipié.

c. verniſſé.

c. de Breſil.

c. organizé.

c. de paſſe.

c. d’eſtoc.

c. forcené.

c. entaſſé.

c. farcy.

c. polly.

c. poudrebif.

c. poſitif.

c. genitif.

c. gigantal.

c. oual.

c. clauſtral.

c. viril.

c. de reſpect.

c. de ſeiour.

c. maſſif.

c. manuel.

c. abſolu.

c. membru.

c. gemeau.

c. turquoys.

c. briſlant.

c. eſtrillant.

c. vrgent.

c. duiſant.

c. prompt.

c. fortuné.

c. coyrault.

c. de hault liſſe.

c. requis.

c. cullot.

c. de raphe.

c. Vrfin.

c. de paraige.

c. patronymicque.

c. gueſpin.

c. d’algamala.

c. robuſte.

c. d’appetit.

c. ſecourable.

c. redoubtable.

c. affable.

c. memorable.

c. palpable.

c. bardable.

c. Tragicque.

c. tranſpontin.

c. digeſtif.

c. incarnatif.

c. ſigillatif.

c. ronſſinant.

c. refaict.

c. tonnant.

c. martelant.

c. ſtrident.

c. timpant.

c. pimpant.

c. paillard.

c. guaillard.

c. brochant.

c. auorté.

c. ſyndicqué.

c. belutant.


c. de renom.

c. naté.

c. laicté.

c. calfaté.

c. releué.

c. de crotesque.

c. aſſeré.

c. antiquaire.

c. guarancé.

c. requamé.

c. eſtamé.

c. entrelardé.

c. bourgeois.

c. d’eſmorche.

c. goildronné.

c. apoſté.

c. deſiré.

c. d’Ebene.

c. de Bouys.

c. Latin.

c. à croc.

c. effrené.

c. affecté.

c. compaſſé.

c. bouffy.

c. iolly.

c. brandif.

c. gerondif.

c. actif.

c. vital.

c. magiſtral.

c. monachal.

c. ſubtil.

c. de relés.

c. d’audace.

c. laſcif.

c. guoulu.

c. reſolu.

c. cabus.

c. courtoys.

c. ſecond.

c. ſifflant.

c. gent.

c. banier.

c. bruſquet.

c. prinſaultier.

c. clabault.

c. vſual.

c. exquis.

c. fallot.

c. picardent.

c. Guelphe.

c. de triage.

c. de meſnage.

c. pouppin.

c. d’alidada.

c. d’algebra.

c. venuſte.

c. inſuperable.

c. agreable.

c. espouantable.

c. profitable.

c. notable.

c. muſculeux.

c. ſubſidiaire.

c. Satyricque.

c. repercuſſif.

c. conuulſif.

c. reſtauratif.

c. maſculinant.

c. baudouinant.

c. fulminant.

c. eſtincelant.

c. arietant.

c. aromatiſant.

c. diaſpermatiſant.

c. ronflant.

c. pillard.

c. hochant.

c. talochant.

c. eſchalloté.

c. farfouillant.

c. culbutant.

Couillon hacquebutant, couillon culletant frere Ian mon amy, ie te porte reuerence bien grande, & te reſeruoys à bonne bouche : ie te prie, diz moy ton aduis. Me doibs ie marier ou non ? Frere Ian luy reſpondit en alaigreſſe d’eſprit, diſant. Marie toy de par le Diable, marie toy, & carrillonne à doubles carrillons de couillons. Ie diz & entends le plus touſt que faire pourras. Des huy au ſoir faiz en crier les bancs[209] & le challit. Vertus Dieu, à quand te veulx tu reſeruer ? Sçaiz tu pas bien, que la fin du monde approche ? Nous en ſommes huy plus pres de deux trabutz & demie toiſe, que n’eſtions auant hier. L’Antichriſt eſt deſia né, ce m’a lon dict. Vray eſt que il ne faict encores que eſgratigner ſa nourriſte & ſes gouuernantes : & ne monſtre encores les theſaurs. Car il eſt encores petit. Creſcite. Nos qui viuimus. Multiplicamini[210], il eſt eſcript. C’eſt matiere de breuiaire. Tant que le ſac de bled ne vaille trois patacz, & le buſſart de vin, que ſix blancs. Vouldrois tu bien qu’on te trouuaſt les couilles pleines au iugement ? dum venerit iudicare[211]. Tu as (diſt Panurge) l’eſprit moult limpide & ſerain, frere Ian couillon Metropolitain, & parlez pertinemment, C’eſt ce dont Leander de Abyde en Aſie, nageant par la mer Helleſponte pour viſiter s’amie Hero de Seſte en Europe, prioit Neptune & tous les Dieux marins.

Si en allant ie ſuys de vous choyé,
Peu au retour me chault d’eſtre noyé.[212]

Il ne vouloit poinct mourir les couilles pleines. Et ſuys d’aduis que dorenauant en tout mon Salmigondinoys quand on vouldra par iuſtice executer quelque malfaiteur, vn iour ou deux dauant on le face briſgoutter en Onocrotale, ſi bien que en tous les vaſes ſpermaticques ne reſte de quoy protraire vn Y Gregoys. Choſe ſi precieuſe ne doibt eſtre follement perdue. Par aduenture engendrera il vn home. Ainſi mourra il ſans regret, laiſſant home pour home.


Comment frere Ian ioyeuſement conſeille Panurge.

Chapitre XXVII.


Par ſainct Rigomé (dict frere Ian) Panurge mon amy doulx, ie ne te conſeille choſe que ie ne feiſſe, ſi i’eſtoys en ton lieu. Seulement ayez eſguard & conſyderation de tous iours bien lier & continuer tes coups. Si tu y fays intermiſſion, tu es perdu, paouuret : & t’aduiendra ce que aduient es nourriſſes. Si elles deſiſtent alaicter enfans, elles perdent leur laict. Si continuellement ne exercez ta mentule, elle perdra ſon laict, & ne te ſeruira que de piſſotiere : les couilles pareillement ne te ſeruiront que de gibbeſſiere. Ie t’en aduiſe, mon amy. I’en ay veu l’experience en pluſieurs : qui ne l’ont peu quand ilz vouloient : car ne l’auoient faict quand le pouoient[213]. Auſſi par non vſaige ſont perduz tous priuileges, ce diſent les clercs. Pourtant, fillol, maintien tout ce bas & menu populaire Troglodyte, en eſtat de labouraige ſempiternel. Donne ordre qu’ilz ne viuent en gentilz homes : de leurs rantes, ſans rien faire[214].

Ne dea[215] (reſpondit Panurge) frere Ian mon couillon guauſche, ie te croiray. Tu vas rondement en beſoigne. Sans exception ne ambages tu m’as apertement diſſolu toute craincte qui me pouoit intimider. Ainſi te ſoit donné des cieulx, touſiours bas & roydde operer. Or doncques à ta parolle ie me mariray. Il n’y aura poinct de faulte. Et ſi auray touſiours belles chambrieres, quand tu me viendras veoir, & ſeras protecteur de leur ſororité. Voy là quand à la premiere partie du ſermon. Eſcoute (diſt frere Ian) l’oracle des cloches de Varenes[216]. Que diſent elle ? Ie les entends, (reſpondit Panurge). Leur ſon eſt par ma ſoif plus fatidicque que des chauldrons de Iuppiter en Dodone. Eſcoute. Marie toy, marie toy : marie, marie. Si tu te marie, marie, marie, treſbien t’en trouueras, veras, veras. Marie, marie. Ie te aſceure que ie me mariray : tous les elemens me y inuitent. Ce mot te ſoit comme vne muraille de bronze[217].

Quant au ſecond poinct, tu me ſemblez aulcunement doubter, voyre deſſier de ma paternité : comme ayant peu fauorable le roydde Dieu des iardins. Ie te ſupply me faire ce bien de croire, que ie l’ay à commandement, docile, beneuole, attentif, obeiſſant en tout & par tout. Il ne luy fault que laſcher les longes, ie diz l’aiguillette, luy monſtrer de pres la proye : & dire, hale, compaignon. Et quand ma femme future ſeroit auſſi gloutte du plaiſir Venerien que fut oncques Meſſalina, ou la marquiſe de Oinſeſtre en Angleterre, ie te prie croire, que ie l’ay encores plus copieux au contentement. Ie ne ignore que Solomon dict[218], & en parloit comme clerc & ſçauant : depuys luy Ariſtoteles[219] a declairé l’eſtre des femmes eſtre de ſoy inſatiable : mais ie veulx qu’on ſaiche que de meſmes qualibre i’ay le ferrement infatiguable. Ne me allegue poinct icy en paragon les fabuleux ribaulx Hercules, Proculus Cæſar[220], & Mahumet, qui ſe vente en ſon Alchoran auoir en ſes genitoires la force de ſoixante guallefretiers. Il a menty, le paillard. Ne me alleguez poinct l’Indian tant celebré par Theophraſte, Pline, & Athenæus[221], lequel auecques l’ayde de certaine herbe le faiſoit en vn iour ſoixante & dix fois & plus. Ie n’en croy rien, le nombre eſt ſuppoſé. Ie te prie ne le croyre. Ie te prie croyre (& ne croyras choſe que ne ſoit vraye) mon naturel le ſacre Ithyphalle meſſer Cotal d’Albingues, eſtre le prime del monde[222]. Eſcoute ça, couillette. Veidz tu oncques le froc du moine de Caſtres[223] ? Quand on le poſoit en quelque maiſon, feuſt à deſcouuert, feuſt à cachettes, ſoubdain par ſa vertus horrificque tous les manens & habitans du lieu entroient en ruyt beſtes & gens : homes & femmes, iusques aux ratz & aux chatz. Ie te iure qu’en ma braguette i’ay aultres foys congneu certaine energie encores plus anomale. Ie ne te parleray de maiſon ne de buron : de ſermon ne de marché : mais à la paſſion qu’on iouoit à ſainct Maixent[224] entrant vn iour dedans le parquet ie veidz par la vertus & occulte proprieté d’icelle ſoubdainement tous tant ioueurs que ſpectateurs entrer en tentation ſi terrificque, qu’il ne y eut Ange, Home, Diable, ne Diableſſe, qui ne vouluſt biſcoter. Le Portecole abandonna ſa copie : celluy qui iouoit ſainct Michel, deſcendit par la volerie : les Diables ſortirent d’enfer, & y emportoient toutes ces paoures femmelettes : meſme Lucifer ſe deſchayna. Somme, voyant le deſarroy, ie deparquay du lieu : à l’exemple de Caton le Cenſorin[225] : lequel voyant par ſa præſence les feſtes Floralies en deſordre, deſiſta eſtre ſpectateur.


Comment frere Ian reconforte Panurge
ſus le doubte de Coquage.


Chapitre XXVIII.


Ie t’entends (diſt frere Ian) mais le temps matte toutes choſes. Il n’eſt le Marbre ne le Porphyre, qui n’ayt ſa vieilleſſe & decadence. Si tu ne en es là pour ceſte heure, peu d’années apres ſubſequentes ie te oiray confeſſant, que les couilles pendent à pluſieurs par faulte de gibeſſiere. Deſia voy ie ton poil griſonner en teſte. Ta barbe par les diſtinctions du gris, du blanc, du tanné, & du noir, me ſemble vne Mappemonde. Reguarde icy. Voy là Aſie. Icy ſont Tigris & Euphrates. Voy là Afrique. Icy eſt la montaigne de la Lune. Voydz tu les paluz du Nil ? Deça eſt Europe. Voydz tu Theleme ? Ce touppet icy tout blanc, ſont les mons Hyperborées. Par ma ſoif, mon amy, quand les neiges ſont es montaignes : ie diz la teſte & le menton, il n’y a pas grand chaleur par les valées de la braguette.

Tes males mules (reſpondit Panurge). Tu n’entends pas les Topiques. Quand la neige eſt ſus les montaignes : la fouldre, l’eſclair, les lanciz, le mau lubec, le rouge grenat, le tonnoirre, la tempeſte, tous les Diables, ſont par les vallées. En veulx tu veoir l’experience ? Va on pays de Souiſſe : & conſydere le lac de VVunderberlich à quatre lieues de Berne, tirant vers Sion. Tu me reproches mon poil griſonnant, & ne conſydere poinct comment il eſt de la nature des pourreaux, es quelz nous voyons la teſte blanche, & la queue verde droicte & viguoureuſe. Vray eſt que en moy ie recongnois quelque ſigne indicatif de vieilleſſe. Ie diz verde vieilleſſe : ne le diz à perſonne. Il demeurera ſecret entre nous deux. C’eſt que ie trouue le vin meilleur & plus à mon gouſt ſauoureux, que ne ſoulois : plus que ne ſoulois, ie crains la rencontre du mauuais vin. Note que cela argüe ie ne ſçay quoy du ponent, & ſignifie que le midy eſt paſſé. Mais quoy ? Gentil compaignon touſiours, autant ou plus que iamais. Ie ne crains pas cela, de par le Diable. Ce n’eſt là où me deult. le crains que par quelque longue abſence de noſtre roy Pantagruel, au quel force eſt que ie face compaignie, voire allaſt il à tous les Diables, ma femme me face coqu. Voy là le mot peremptoire. Car tous ceulx à qui i’en ay parlé, me en menaſſent. Et afferment qu’il me eſt ainſi prædeſtiné des cieulx. Il n’eſt (reſpondit frere Ian) coqu, qui veult[226]. Si tu es coqu, ergò ta femme ſera belle : ergò tu ſeras bien traicté d’elle : ergò tu auras des amis beaucoup : ergò tu ſeras ſaulué. Ce ſont Topicques monachales. Tu ne en vauldras que mieulx, pecheur. Tu ne feuz iamais ſi aiſe. Tu n’y trouueras rien moins. Ton bien acroiſtra d’aduentaige. S’il eſt ainſi prædeſtiné, y vouldrois tu contreuenir ? diz, Couillon flatry[227], C. moiſy.


c. rouy.

c. poitry d’eaue froyde.

c. tranſy.

c. auallé.

c. fené.

c. eſrené.

c. de faillance.

c. hallebrené.

c. proſterné.

c. engroué.

c. ecremé.

c. ſupprimé.

c. retif.

c. moulu.

c. diſſolu.

c. morfondu.

c. dyſcraſié.

c. diſgratié.

c. flacque.

c. eſgoutté.

c. acrauanté.

c. eſcharbotté.

c. mitré.

c. baratté.

c. bimbelotté.

c. entouillé.

c. vuidé.

c. chagrin.

c. demanché.

c. vereux.

c. veſneux.

c. malandré.

c. thlaſié.

c. ſpadonicque.

c. biſtorié.

c. farineux.

c. hergneux.

c. gangreneux.

c. crouſteleué.

c. depenaillé.

c. matté.

c. guoguelu.

c. trepelu.

c. trepané.

c. baſané.

c. euiré.

c. feueilleté.

c. eſtiomené.

c. etrippé.

c. nieblé.

c. ſyncopé.

c. ripoppé.

c. dechicqueté.

c. ventouſé.

c. effructé.

c. gerſé.

c. pantois.

c. fuſté.

c. de godalle.

c. fiſtuleux.

c. languoureux.

c. maleficié.

c. hectique.

c. vſé.

c. quinault.

c. matagraboliſé.

c. maceré.

c. paralyticque.

c. degradé.

c. perclus.

c. de Ratepenade.

c. de petarrade.

c. hallé.

c. deſſiré.

c. hebeté.

c. cornant.

c. appellant.

c. barré.

c. aſſaſſiné.

c. deualizé.

c. anonchaly.

c. de mataſain.

c. badelorié.

c. deſchalandé.


c. chaumeny.

c. pendillant.

c. appellant.

c. guauaſche.

c. eſgrené.

c. incongru.

c. forbeu.

c. lanterné.

c. embrené.

c. amadoué.

c. exprimé.

c. chetif.

c. putatif.

c. vermoulu.

c. courbatu.

c. malautru.

c. biſcarié.

c. liegé.

c. diaphane.

c. deſgouſté.

c. chippoté.

c. hallebotté.

c. chapitré.

c. chicquané.

c. eſchaubouillé.

c. barbouillé.

c. riddé.

c. haue.

c. morné.

c. peſneux.

c. forbeu.

c. meſhaigné.

c. thlibié.

c. ſphacelé.

c. deſhinguangé.

c. farcineux.

c. varicqueux.

c. vereux.

c. eſclopé.

c. franfreluché.

c. frelatté.

c. farfelu.

c. mitonné.

c. boucané.

c. effilé.

c. vietdazé.

c. mariné.

c. extirpé.

c. conſtippé.

c. greſlé.

c. ſoufleté.

c. buffeté.

c. corneté.

c. talemouſé.

c. balafré.

c. eruyté.

c. putois.

c. poulſé.

c. frilleux.

c. ſcrupuleux.

c. fellé.

c. rance.

c. diminutif.

c. tintaloriſé.

c. marpault.

c. rouillé.

c. indague.

c. antidaté.

c. manchot.

c. confus.

c. Mauſſade.

c. acablé.

c. aſſablé.

c. deſolé.

c. decadent.

c. ſolœciſant.

c. mince.

c. vlecré.

c. bobeliné.

c. engourdely.

c. aneanty.

c. de zero.

c. frippé.

c. febricitant.

Couillonnas au diable, Panurge mon amy : puys qu’ainſi t’eſt prædeſtiné, vouldroys tu faire retrograder les planetes ? demarcher toutes les ſphaeres celeſtes ? propouſer erreur aux Intelligences motrices ? eſpoinder les fuzeaulz, articuler les vertoilz, calumnier les bobines, reprocher les detrichoueres, condempner les frondrillons, defiller les pelotons des Farces ? Tes fiebures quartaines, Couillu. Tu ferois pis que les Geans. Vien ça, couillaud. Aimerois tu mieulx eſtre ialous ſans cauſe, que coqu ſans congnoiſſance ? Ie ne vouldrois (reſpondit Panurge) eſtre ne l’vn ne l’autre. Mais ſi l’en ſuys vne fois aduerty, ie y donneray bon ordre, ou baſtons fauldront on monde. Ma foy, frere Ian, mon meilleur ſera poinct ne me marier. Eſcoute que me diſent les cloches à ceſte heure que ſommes plus pres. Marie poinct, marie poinct, poinct, poinct, poinct, poinct. Si tu te marie : marie poinct, marie poinct, poinct, poinct, poinct, poinct : tu t’en repentiras, tiras, tiras : coqu ſeras. Digne vertus de Dieu, ie commence entrer en faſcherie. Vous aultres cerueaulx enfrocquez, n’y ſçauez vous remede aulcun ? Nature a elle tant deſtitué les humains, que l’home marié ne puiſſe paſſer ce monde ſans tomber es goulphres & dangiers de Coqüage ?

Ie te veulx (diſt frère Ian) enſeigner vn expedient, moyenant lequel iamais ta femme ne te fera coqu ſans ton ſceu & ton conſentement. Ie t’en prie (diſt Panurge) couillon velouté. Or diz, mon amy. Prens (diſt frère Ian) l’anneau de Hans Carüel[228] grand lapidaire du Roy de Melinde. Hans Carüel eſtoit home docte, expert, ſtudieux, home de bien, de bon ſens, de bon iugement, debonnaire, charitable, aulmonſnier, philoſophe : ioyeulx au reſte, bon compaignon, & raillart, ſi oncques en feut : ventru quelque peu, branſlant de teſte, & aulcunement mal aiſé de ſa perſone. Sus ſes vieulx iours il eſpouſa la fille du baillif Concordat, ieune, belle, frisque, guallante, aduenente, gratieuſe par trop enuers ſes voiſins & ſeruiteurs. Dont aduint en ſucceſſion de quelques hebdomades, qu’il en deuint ialous, comme vn Tigre : & entra en ſoubſon, qu’elle ſe faiſoit tabourer les feſſes d’ailleurs. Pour à laquelle choſe obuier, luy faiſoit tout plein de beaulx comptes touchant les deſolations aduenues par adultere : luy liſoit ſouuent la legende des preudes femmes[229] : la preſchoit de pudicité, luy feiſt vn liure des louanges de fidelité coniugale, deteſtant fort & ferme la meſchanceté des ribauldes mariées : & luy donna vn beau carcan tout couuert de Sapphyrs orientaulx. Ce non obſtant, il la voioyt tant deliberée, & de bonne chere auecques ſes voiſins, que de plus en plus croiſſoit ſa ialouſie. Vne nuyct entre les aultres eſtant auecques elle couché en telles paſſions, ſongea qu’il parloit au diable & qu’il luy comptoit ſes doleances. Le diable le reconfortoit, & luy miſt vn anneau on maiſtre doigt, diſant. Ie te donne ceſtuy anneau : tandis que l’auras on doigt ta femme ne ſera d’aultruy charnellement congneue ſans ton ſceu & conſentement. Grand mercy (diſt Hans Carüel) monſieur le diable. Ie renye Mahon, ſi iamais on me l’oſte du doigt. Le diable diſparut : Hans Carüel tout ioyeulx s’eſueigla, & trouua qu’il auoit le doigt on comment a nom ? de ſa femme. Ie oubliois à compter comment ſa femme le ſentent, reculloit le cul arriere, comme diſant ouy nenny, ce n’eſt ce qu’il y fault mettre : & lors ſembloit à Hans Carüel qu’on luy vouluſt deſrobber ſon anneau. N’eſt ce remede infallible ? A ceſtuy exemple faiz, ſi me croys, que continuellement tu ayez l’anneau de ta femme on doigt. Icy feut fin & du propous & du chemin[230].


Comment Pantagruel faict aſſemblée d’vn Theologien
d’vn medicin, d’vn Legiſte & d’vn Philoſophe,
pour la perplexité de Panurge.


Chapitre XXIX.


Arrivez au palais, compterent à Pantagruel le diſcours de leur voyage, & luy monſtrerent le dicté de Raminagrobis. Pantagruel, l’auoir leu & releu, diſt. Encores n’ay ie veu reſponſe, que plus me plaiſe. Il veult dire ſommairement, qu’en l’entreprinſe de mariage chaſcun doibt eſtre arbitre de ſes propres penſées, & de ſoy meſmes conſeil prendre. Telle a touſiours eſté mon opinion : & autant vous en diz la premiere foys que m’en parlaſtez. Mais vous en mocquiez tacitement, il m’en ſoubuient, & congnois que Philautie & amour de ſoy vous deçoit. Faiſons aultrement. Voicy quoy. Tout ce que ſommes & qu’auons, conſiſte en trois choſes, En l’ame, on corps, es biens. A la conſeruation de chaſcun des trois reſpectiuement ſont au iourdhuy deſtinées troys manieres de gens. Les Theologiens à l’ame, les Medicins au corps, les Iuriſconſultes aux biens. Ie ſuys d’aduis que dimanche nous ayons icy à dipner vn Theologien, vn Medicin, & vn Iuriſconſulte. Auecques eulx enſemble nous confererons de voſtre perplexité. Par ſainct Picault (reſpondit Panurge) nous ne ſerons rien qui vaille, ie le voy deſia bien. Et voyez comment le monde eſt viſtempenardé. Nous baillons en guarde nos ames aux Théologiens, les quelz pour la plus part ſont hæreticques : Nos corps es medicins, qui tous abhorrent les medicamens, iamais ne prennent medicine : Et nos biens es Aduocatz, qui n’ont iamais procés enſemble. Vous parlez en Courtiſan (diſt Pantagruel). Mais le premier poinct ie nie, voyant l’occupation principale, voyre vnicque & totale des bons Theologiens, eſtre emploictée par faictz, par dictz, par eſcriptz, à extirper les erreurs & hæreſies, (tant s’en fault qu’ilz en ſoient entachez) & planter profundement es cueurs humains la vraye & viue foy catholicque. Le ſecond ie loue, voyant les bons Medicins donner tel ordre à la partie prophylaſtice & conſeruatrice de ſanté en leur endroict, qu’ilz n’ont beſoing de la therapeutice & curatiue par medicamens. Le tiers ie concede, voyant les bons aduocatz tant diſtraictz en leurs patrocinations & reſponſes du droict d’aultruy, qu’ilz n’ont temps ne loiſir d’entendre à leur propre. Pourtant dimanche prochain ayons pour Theologien noſtre pere Hippothadée : pour medicin, noſtre maiſtre Rondibilis[231] : pour Legiſte, noſtre amy Bridoye. Encores ſuys ie d’aduis que nous entrons en la tetrade Pythagoricque, & pour ſoubrequart ayons noſtre feal le Philoſophe Trouillogan, attendu meſmement que le Philoſophe perfaict, & tel qu’eſt Trouillogan, reſpond aſſertiuement de tous doubtes propoſez. Carpalim donnez ordre que les ayons tous quatre dimanche prochain à dipner.

Ie croy (diſt Epiſtemon) qu’en toute la patrie vous ne euſſiez mieulx choiſy. Ie ne diz ſeulement touchant les perfections d’vn chaſcun en ſon eſtat, les quelles ſont hors tout dez de iugement : mais d’abondant en ce que Rondibills marié eſt, ne l’auoit eſté : Hippothadée oncques ne le feut, & ne l’eſt : Bridoye l’a eſté, & ne l’eſt : Trouillogan l’eſt, & l’a eſté. Ie releueray Carpalim d’vne peine. Ie iray inuiter Bridoye, (ſi bon vous ſemble) lequel eſt de mon antique congnoiſſance : & au quel i’ay à parler pour le bien & aduencement d’vn ſien honeſte & docte filz, lequel eſtudie à Tholoſe ſoubs l’auditoire du treſdocte & vertueux Boiſſoné. Faictez (diſt Pantagruel) comme bon vous ſemblera. Et aduiſez ſi ie peuz rien pour l’aduencement du filz, & dignité du ſeigneur Boiſſoné, lequel ie ayme & reuere comme l’vn des plus ſuffiſans qui ſoit huy en ſon eſtat. Ie me y emploiray de bien bon cœur.


Comment Hippothadée Theologien donne conſeil
à Panurge ſus l’entreprinſe de mariage.


Chapitre XXX.


Le dipner au dimanche ſubſequent ne feut ſi toſt preſt, comme les inuitez comparurent, excepté Bridoye lieutenant de Fonſberon. Sus l’apport de la ſeconde table Panurge en parfonde reuerence diſt. Meſſieurs, il n’eſt queſtion que d’vn mot. Me doibs ie marier, ou non ? Si par vous n’eſt mon doubte diſſolu, ie le tiens pour inſoluble comme ſont Inſolubilia de Alliaco[232]. Car vous eſtes tous eſleuz, choiſiz, & triez chaſcun reſpectiuement en ſon eſtat, comme beaulx Pois ſus le volet.

Le pere Hippothadée à la ſemonce de Pantagruel, & reuerence de tous les aſſiſtans reſpondit en modeſtie incroyable. Mon amy, vous nous demandez conſeil, mais premier fault que vous meſmes vous conſeillez. Sentez vous importunement en voſtre corps les aiguillons de la chair ? Bien fort, (reſpondit Panurge) ne vous deſplaiſe, noſtre pere. Non faict il (diſt Hippothadée) mon amy. Mais en ceſtuy eſtris auez vous de Dieu le don & grace ſpeciale de continence ? Ma foy non, reſpondit Panurge. Mariez vous donc, mon amy, diſt Hippothadée. Car trop meilleur eſt ſoy marier, que ardre[233] on feu de concupiſcence. C’eſt parlé cela (s’eſcria Panurge) gualantement, ſans circumbiliuaginer au tour du pot. Grand mercy, monſieur noſtre pere. Ie me mariray ſans poinct de faulte & bien toſt. Ie vous conuie à mes nopces. Corpe de galline, nous ferons chere lie. Vous aurez de ma liurée, & ſi mangerons de l’oye, cor beuf, que ma femme ne rouſtira poinct[234]. Encores vous priray ie mener la premiere dance des pucelles, s’il vous plaiſt me faire tant de bien & d’honneur, pour la pareille. Reſte vn petit ſcrupule à rompre. Peut diz ie, moins que rien. Seray ie poinct coqu ? Nenny dea, mon amy (reſpondit Hippothadée) ſi Dieu plaiſt. O la vertus de Dieu (s’eſcria Panurge) nous ſoit en ayde. Où me renuoyez vous, bonnes gens ? Aux conditionales, les quelles en Dialectique reçoiuent toutes contradictions & impoſſibilitez. Si mon mulet Tranſalpin voloit, mon mulet Tranſalpin auroit æſles. Si Dieu plaiſt, ie ne ſeray poinct coqu : ie ſeray coqu, ſi Dieu plaiſt. Dea, ſi feuſt condition à laquelle ie peuſſe obuier, ie ne me deſeſpererois du tout. Mais vous me remettez au conſeil priué de Dieu : en la chambre de ſes menuz plaiſirs. Où prenez vous le chemin pour y aller, vous aultres François ? Monſieur noſtre pere, ie croy que voſtre mieulx ſera ne venir pas à mes nopces. Le bruyt & la triballe des gens de nopces vous romperoient tout le teſtament[235]. Vous aymez repous, ſilence, & ſolitude. Vous n’y viendrez pas, ce croy ie. Et puys vous danſez aſſés mal, & ſeriez honteux menant le premier bal. Ie vous enuoiray du rillé en voſtre chambre, de la liurée nuptiale auſſy. Vous boirez à nous s’il vous plaiſt.

Mon amy (diſt Hippothadée) prenez bien mes parolles, ie vous en prie. Quand ie vous diz, s’il plaiſt à Dieu, vous fays ie tord ? Eſt ce mal parlé ? Eſt ce condition blaſpheme ou ſcandaleuſe ? N’eſt ce honorer le ſeigneur, createur, protecteur, ſeruateur ? N’eſt ce le recongnoiſtre vnicque dateur de tout bien ? N’eſt ce nous declairer tous dependre de ſa benignité ? Rien ſans luy n’eſtre, rien ne valoir, rien ne pouoir : ſi ſa ſaincte grace n’eſt ſus nous infuſe ? N’eſt ce mettre exception canonicque à toutes nos entreprinſes ? & tout ce que propoſons remettre à ce que ſera diſpoſé par ſa ſaincte volunté, tant es cieulx comme en la terre ? N’eſt ce veritablement ſanctifier ſon benoiſt nom ? Mon amy, vous ne serez[236] poinct coqu, ſi Dieu plaiſt. Pour ſçauoir ſur ce quel eſt ſon plaiſir, ne fault entrer en deſeſpoir, comme de choſe abſconſe, & pour laquelle entendre, fauldroit conſulter ſon conſeil priué, & voyager en la chambre de ſes treſſainctz plaiſirs. Le bon Dieu nous a faict ce bien, qu’il nous les a reuelez, annoncez, declairez, & apertement deſcriptz par les ſacres bibles. Là vous trouuerez que iamais ne ſerez coqu, c’eſt à dire que iamais voſtre femme ne ſera ribaulde, ſi la prenez iſſue de gens de bien, inſtruicte en vertus & honeſteté, non ayant hanté ne frequenté compaignie que de bonnes meurs, aymant & craignant Dieu, aymant complaire à Dieu par foy & obſeruation de ſes ſainctz commandemens : craignant l’offenſer & perdre ſa grace par default de foy & tranſgreſſion de ſa diuine loy, en laquelle eſt rigoureuſement defendu adultere, & commendé adhærer vnicquement à ſon mary, le cherir, le ſeruir, totalement l’aymer apres Dieu. Pour renfort de ceſte diſcipline vous de voſtre couſté l’entretiendrez en amitié coniugale, continuerez en preud’homie, luy monſtrerez bon exemple, viurez pudicquement, chaſtement, vertueuſement en voſtre meſnaige, comme voulez qu’elle de ſon couſté viue. Car comme le mirouoir[237] eſt dict bon & perfaict, non celluy qui plus eſt orné de dorures & pierreries, mais celluy qui véritablement repræſente les formes obiectes : auſſi celle femme n’eſt la plus à eſtimer, laquelle ſeroit riche, belle, elegante, extraicte de noble race : mais celle qui plus s’efforce auecques Dieu ſoy former en bonne grace, & conformer aux meurs de ſon mary. Voyez comment la Lune ne prent lumiere ne de Mercure, ne de Iuppiter, ne de Mars, ne d’aultre planette ou eſtoille qui ſoyt on ciel. Elle n’en reçoit que du Soleil ſon mary, & de luy n’en reçoit poinct plus qu’il luy en donne par ſon infuſion & aſpectz. Ainſi ſerez vous à voſtre femme en patron & exemplaire de vertus & honeſteté. Et continuement implorerez la grace de Dieu à voſtre protection. Vous voulez doncques (diſt Panurge fillant les mouſtaches de ſa barbe) que i’eſpouſe la femme forte deſcripte par Salomon[238]. Elle eſt morte ſans poinct de faulte. Ie ne la veid oncques, que ie ſaiche, Dieu me le veuille pardonner. Grand mercy toutesfoys, mon pere. Mangez ce taillon de maſſepain. Il vous aydera à faire digeſtion : puys boirez vne couppe de Hippocras clairet : il eſt ſalubre & ſtomachal. Suyuons.


Comment Rondibilis medicin conſeille Panurge.

Chapitre XXXI.


Panvrge continuant ſon propous, diſt. Le premier mot que diſt celluy qui eſcouilloit les moines beurs à Sauſſignac, ayant eſcouillé le frai Cauldaureil, feut : aux aultres. Ie diz pareillement : aux aultres. Cza, monſieur noſtre maiſtre Rondibilis, depeſchez moy. Me doibz ie marier ou non ? Par les ambles de mon mulet (reſpondit Rondibilis) ie ne ſçay que ie doibue reſpondre à ce probleme. Vous dictez que ſentez en vous les poignans aiguillons de ſenſualité. Ie trouue en noſtre faculté de Medicine, & l’auons prins de la reſolution des anciens Platonicques, que la concupiſcence charnelle eſt refrenée par cinq moyens. Par le vin. Ie le croy, diſt frere Ian. Quand ie ſuys bien yure, ie ne demande qu’à dormir. I’entends (diſt Rondibilis) par vin prins intemperamment. Car par l’intemperance du vin aduient au corps humain refroidiſſement de ſang, reſolution des nerfs, diſſipacion de ſemence generatiue, hebetation des ſens, peruerſion des mouuemens. Qui ſont toutes impertinences à l’acte de generation. Defaict vous voyez painct Bacchus Dieu des Yuroignes, ſans barbe, & en habit de femme, comme tout effœminé, comme eunuche & eſcouillé. Aultrement eſt du vin prins temperement. L’antique prouerbe nous le deſigne, on quel eſt diſt : que Venus ſe morfond ſans la compaignie de Ceres & Bacchus[239]. Et eſtoit l’opinion des anciens, ſcelon le recit de Diodore Sicilien[240], meſmement des Lampſaciens : comme atteſte Pauſanias[241], que meſſer Priapus feut filz de Bacchus & Venus.

Secondement par certaines drogues & plantes, les quelles rendent l’home refroidy, maleficié, & impotent à generation. L’experience y eſt en Nymphæa Heraclia, Amerine, Saule, Cheneué, Periclymenos, Tamarix, Vitex, Mandragore, Cigüe, Orchis le petit, la peau d’vn Hippopotame, & aultres : les quelles dedans les corps humains tant par leurs vertus elementaires, que par leurs proprietez ſpecificques glaſſent & mortifient le germe prolificque : ou diſſipent les eſpritz, qui le doibuoient conduire aux lieux deſtinez par nature : ou oppilent les voyes & conduictz, par les quelz pouoit eſtre expulſé. Comme au contraire nous en auons qui eſchauffent, excitent, & habilitent l’home à l’acte Venerien. Ie n’en ay beſoing (diſt Panurge) Dieu mercy, & vous, noſtre maiſtre. Ne vous deſplaiſe toutesfoys. Ce que i’en diz, n’eſt par mal que ie vous veuille.

Tiercement (diſt Rondibilis) par labeur aſſidu. Car en icelluy eſt faicte ſi grande diſſolution du corps, que le ſang qui eſt par icelluy eſpars pour l’alimentation d’vn chaſcun membre, n’a temps, ne loiſir, ne faculté de rendre celle reſudation ſeminale, & ſuperfluité de la tierce concoction. Nature particuliairement ſe la reſerue, comme trop plus neceſſaire à la conſeruation de ſon indiuidu, qu’à la multiplication de l’eſpece & genre humain. Ainſi eſt dicte Diane chaſte, laquelle continuellement trauaille à la chaſſe. Ainſi iadis eſtoient dictz les Caſtres, comme caſtes[242] : es quelz continuellement trauailloient les Athletes & ſoubdars. Ainſi eſcript Hippocrates lib. de aëre, aqua, & locis, de quelques peuples en Scythie, les quelz de ſon temps plus eſtoient impotens que Eunuches, à l’eſbatement Venerien : par ce que continuellement ilz eſtoient à cheual & au trauail. Comme au contraire diſent les Philoſophes, Oyſiueté eſtre mere de Luxure. Quand lon demandoit à Ouide, quelle cauſe feut parquoy Ægiſtus deuint adultere[243] ? rien plus ne reſpondoit, ſi non, parce qu’il eſtoit ocieux. Et qui houſteroit Oyfiueté du monde, bien touſt periroient les ars de Cupido : ſon arc, ſa trouſſe, & ſes fleches, luy ſeroient en charge inutile : iamais n’en feriroit perſone. Car il n’eſt mie ſi bon archier, qu’il puiſſe ferir les Grues volans par l’aër, & les Cerfz relancez par les boucaiges, comme bien faiſoient les Parthes : c’eſt à dire les humains tracaſſans & trauaillans. Il les demande quoys, aſſis, couchez, & à ſeiour. De faict Theophraſte quelques foys interrogé, quelle beſte, quelle choſe il penſoit eſtre Amourettes ? reſpondit que c’eſtoient paſſions des eſpritz ocieux. Diogenes pareillement diſoit Paillardiſe eſtre l’occupation des gens non aultrement occupez. Pourtant Canachus Sicyonien ſculpteur voulent donner entendre que Oyſiueté, Pareſſe, non chaloir, eſtoient les gouuernantes de rufſiennerie, feiſt la ſtatue de Venus, aſſiſe, non de bout, comme auoient faict tous ſes predeceſſeurs.

Quartement, par feruente eſtude. Car en icelle eſt faicte incredible reſolution des eſpritz, tellement qu’il n’en reſte de quoy poulſer aux lieux deſtinez ceſte reſudation generatiue, & enfler le nerf cauerneux : duquel l’office eſt hors la proiecter pour la propagation d’humaine Nature. Qu’ainſi ſoit, contemplez la forme d’vn home attentif à quelque eſtude. Vous voirez en luy toutes les arteres du cerueau bendées comme la chorde d’vne arbaleſte, pour luy fournir dextrement eſpritz ſuffiſans à emplir les ventricules du ſens commun, de l’imagination & apprehenſion, de la ratiocination & reſolution, de la memoire & recordation : & agilement courir de l’vn à l’aultre par les conduictz manifeſtes en anatomie ſus la fin du retz admirable, on quel ſe terminent les arteres : les quelles de la ſeneſtre armoire du cœur prenoient leur origine, & les eſpritz vitaulx affinoient en longs ambages, pour eſtre faictz animaulx. De mode que en tel perſonnaige ſtudieux vous voirez ſuſpendues toutes les facultez naturelles : ceſſer tous ſens exterieurs : brief, vous le iugerez n’eſtre en ſoy viuent, eſtre hors ſoy abſtraict par ecſtaſe : & direz que Socrates n’abuſoit du terme, quand il diſoit Philoſophie n’eſtre aultre choſe que meditation de mort. Par aduenture eſt ce pour quoy Democritus ſe aueugla, moins eſtimant la perte de ſa veue, que diminution de ſes contemplations : les quelles il ſentoit interrompues par l’eſguarement des œilz. Ainſi eſt vierge dicte Pallas Déeſſe de Sapience, tutrice des gens ſtudieux. Ainſi ſont les Muſes vierges. Ainſi demeurent les Charités en pudicité eternelle. Et me ſoubuient auoir leu[244], que Cupido quelques foys interrogé de ſa mere Venus, pour quoy il n’aſſailloit les Muſes ? reſpondit, qu’il les trouuoit tant belles, tant nettes, tant honeſtes, tant pudicques, & continuellement occupées : l’vne à contemplation des aſtres, l’autre à ſupputation des nombres, l’autre à dimenſion des corps Geometricques, l’aultre à inuention Rhetoricque, l’aultre à compoſition Poëticque, l’aultre à diſpoſition de Muſique : que approchant d’elles, il deſbandoit ſon arc, fermoit ſa trouſſe, & extaignoit ſon flambeau par honte & craincte de leurs nuire. Puys houſtoit le bandeau de ſes œilz pour plus apertement les veoir en face, & ouyr leurs plaiſans chantz & odes Poëticques. Là prenoit le plus grand plaiſir du monde. Tellement que ſouuent il ſe ſentoit tout rauy en leurs beaultez & bonnes graces, & s’endormoit à l’harmonie. Tant s’en fault qu’il les voulſiſt aſſaillir, ou de leurs eſtudes diſtraire. En ceſtuy article ie comprens ce que eſcript Hippocrates on liure ſuſdict, parlant des Scythes, & au liure intitulé, De geniture, diſant tous humains eſtre à generation impotens, es quelz l’on a vne foys couppé les arteres parotides, les quelles ſont à couſté des aureilles, par la raiſon cy dauant expoſée, quand ie vous parlois de la reſolution des eſpritz, & du ſang ſpirituel, du quel les arteres ſont receptacles : auſſi qu’il maintient grande portion de la geniture ſourdre du cerueau, & de l’eſpine du dours.

Quintement, par l’acte Venerien. Ie vous attendois là (diſt Panurge) & le prens pour moy. Vſe des præcedens qui vouldra. C’eſt (diſt frere Ian) ce que Fray Scyllino prieur de ſainct Victor lez Marſeille appelle maceration de la chair. Et ſuys en ceſte opinion : auſſi eſtoit l’Hermite de ſaincte Radegonde au deſſus de Chinon : que plus aptement ne porroient les hermites de Thebaïde macerer leurs corps, dompter certe paillarde Senſualité, deprimer la rebellion de la chair, que le feiſant vingt & cinq ou trente foys par iour. Ie voy Panurge (diſt Rondibilis) bien proportionné en ſes membres, bien temperé en ſes humeurs, bien complexionné en les eſpritz, en aage competent, en temps oportun, en vouloir equitable de ſoy marier : s’il rencontre femme de ſemblable temperature, ilz engendreront enſemble enfans dignes de quelque monarchie Tranſpontine. Le plus touſt ſera le meilleur, s’il veult veoir ſes enfans pourueuz. Monſieur noſtre maiſtre (diſt Panurge) ie le ſeray, n’en doublez & bien touſt. Durant voſtre docte diſcours ceſte Puſſe que i’ay en l’aureille, m’a plus chatouillé que ne feiſt oncques. Ie vous retiens de la feſte. Nous y ferons chere & demie, ie le vous prometz. Vous y amenerez voſtre femme, s’il vous plaiſt, auecques ſes voiſines, cella s’entend. Et ieu ſans villenie.


Comment Rondibilis declaire Coquage eſtre naturellement
des apennages de mariage.


Chapitre XXXII.


Reste (diſt Panurge continuant) vn petit poinct à vuider. Vous auez aultres foys veu on confanon de Rome. S. P. Q. R.[245] Si peu que rien. Seray ie poinct coqu ? Haure de Grace (s’eſcria Rondibilis) que me demandez vous ? Si ſerez coqu ? Mon amy, ie ſuys marié, vous le ſerez par cy apres. Mais eſcriuez ce mot en voſtre ceruelle auecques vn ſtyle de fer, que tout home marié, eſt en dangier d’eſtre coqu. Coquage eſt naturellement des apennages de mariage. L’vmbre plus naturellement ne ſuyt le corps, que Coquage ſuyt les gens mariez. Et quand vous oirez dire de quelqu’vn ces trois motz : Il eſt marié, ſi vous dictez, il eſt doncques, ou a eſté, ou ſera, ou peult eſtre coqu : vous ne ſerez dict imperit architecte de conſequences naturelles. Hypochondres de tous les Diables (s’eſcria Panurge) que me dictez vous ! Mon amy (reſpondit Rondibilis) Hippocrates allant vn iour de Lango en Polyſtylo viſiter Democritus le philoſophe, eſcriuit vnes letres[246] à Dionys ſon antique amy, par les quelles le prioit que pendent ſon abſence il conduiſt ſa femme chés ſes pere & mere, les quelz eſtoient gens honorables & bien famez, ne voulant qu’elle ſeule demouraſt en ſon meſnaige. Ce neantmoins qu’il veiglaſt ſus elle ſoingneuſement, & eſpiaſt quelle part elle iroit auecques ſa mere, & quelz gens la viſiteroient chés ſes parens. Non (eſcriuoit il) que ie me defie de ſa vertus & pudicité, laquelle par le paſſé m’a elle explorée & congnue : mais elle eſt femme. Voy là tout. Mon amy, le naturel des femmes nous eſt figuré par la Lune, & en aultres choſes, & en ceſte : qu’elles ſe muſſent, elles ſe conſtraignent, & diſſimulent en la veue & præſence de leurs mariz. Iceulx abſens elles prenent leur aduentaige, ſe donnent du bon temps, vaguent, trotent, depoſent leur hypocriſie, & ſe declairent : comme la Lune en coniunction du Soleil n’apparoiſt en ciel, ne en terre. Mais en ſon oppoſition, eſtant au plus du Soleil eſloingnée, reluiſt en ſa plenitude, & apparoiſt toute, notamment on temps de nuyct. Ainſi ſont toutes femmes femmes[247].

Quand ie diz femme, ie diz vn ſexe tant fragil, tant variable, tant muable, tant inconſtant, & imperfaict, que nature me ſemble (parlant en tout honneur & reuerence) s’eſtre eſguarée de ce bon ſens, par lequel elle auoit créé & formé toutes choſes, quand elle a baſty la femme. Et y ayant penſé cent & cinq cens foys, ne ſçay à quoy m’en reſouldre : ſi non que forgeant la femme, elle a eu eſguard à la ſociale delectation de l’home, & à la perpetuité de l’eſpece humaine : plus qu’à la perfection de l’indiuiduale muliebrité. Certes Platon ne ſçait en quel ranc il les doibue colloquer, ou des animans raiſonnables, ou des beſtes brutes. Car Nature leurs a dedans le corps poſé en lieu ſecret & inteſtin vn animal, vn membre, lequel n’eſt es homes : on quel quelques foys ſont engendrées certaines humeurs ſalſes, nitreuſes, bauracineuſes, acres, mordicantes, lancinantes, chatouillantes amerement : par la poincture & fretillement douloureux des quelles (car ce membre eſt tout nerueux, & de vif ſentement) tout le corps eſt en elles eſbranlé, tous les ſens rauiz, toutes affections interinées, tous penſemens confonduz. De maniere, que ſi Nature ne leurs euſt arrouſé le front d’vn peu de honte, vous les voiriez comme forcenées courir l’aiguillette plus eſpouantablement que ne feirent oncques les Prœtides, les Mimallonides, ne les Thyades Bacchicques au iour de leurs Bacchanales. Par ce que ceſtuy terrible animal a colliguance à toutes les parties principales du corps, comme eſt euident en l’Anatomie.

Ie le nomme animal, ſuyuant la doctrine tant des Academicques, que des Peripateticques. Car ſi mouuement propre eſt indice certain de choſe animée, comme eſcript Ariſtoteles[248] : & tout ce qui de ſoy ſe meut, eſt diſt animal : à bon droict Platon[249] le nomme animal, recongnoiſſant en luy mouuemens propres de ſuffocation, de præcipitation, de corrugation, de indignation : voire ſi violens, que bien ſouuent par eulx eſt tollu à la femme tout aultre ſens & mouuement, comme ſi feuſt Lipothymie, Syncope, Epilepſie, Apoplexie, & vraye reſemblance de mort. Oultre plus, nous voyons en icelluy diſcretion des odeurs manifeſte, & le ſentent les femmes fuyr les puantes, ſuyure les Aromaticques. Ie ſçay que Cl. Galen[250] s’efforce prouuer que ne ſont mouuemens propres & de ſoy, mais par accident : & que aultres de ſa ſecte trauaillent à demonſtrer, que ne ſoit en luy discretion ſenſitiue des odeurs : mais efficace diuerſe procedente de la diuerſité des ſubſtances odorées. Mais ſi vous examinez ſtudieuſement & peſez en la balance de Critolaus[251] leurs propous & raiſons, vous trouuerez que & en ceſte matiere, & beaucoup d’aultres ilz ont parlé par guayeté de cœur, & affection de reprendre leurs maieurs, plus que par recherchement de Verité. En cette diſputation ie ne entreray plus auant. Seulement vous diray que petite ne eſt la louange des preudes femmes, les quelles ont veſcu pudicquement & ſans blaſme, & ont eu la vertus de ranger ceſtuy effrené animal à l’obeiſſance de raiſon. Et ſeray fin ſi vous adiouſte, que ceſtuy animal aſſouy (ſi aſſouy peut eſtre) par l’aliment que Nature luy a preparé en l’home, ſont tous ſes particuliers mouuemens à but : ſont tous ſes appetitz aſſopiz : ſont toutes ſes furies appaiſées. Pourtant ne vous eſbahiſſez, ſi ſommes en dangier perpetuel d’eſtre coquz, nous qui n’auons pas tous iours bien de quoy payer, & ſatisfaire au contentement.

Vertus d’aultre que d’vn petit poiſſon, (diſt Panurge) n’y ſçauez vous remede aulcun en voſtre art ? Ouy dea, mon amy, (reſpondit Rondibilis) & treſbon, du quel ie vſe : & eſt eſcript en autheur celebre paſſé a dix huyct cens ans. Entendez. Vous eſtez (diſt Panurge) par la vertus Dieu, home de bien, & vous ayme tout mon benoiſt ſaoul. Mangez vn peu de ce paſté de Coins : ilz ferment proprement l’orifice du ventricule à cauſe de quelque ſtypticité ioyeuſe qui eſt en eulx, & aydent à la concoction premiere. Mais quoy ? Ie parle Latin dauant les clercs. Attendez que ie vous donne à boyre dedans ceſtuy hanat Neſtorien. Voulez vous encores vn traict de Hippocras blanc ? Ne ayez paour de l’Eſquinance, non Il n’y a dedans ne Squinanthi, ne Zinzembre, ne graine de Paradis. Il n’y a que la belle cinamome triée, & le beau ſucre fin, auecques le bon vin blanc du cru de la Deuiniere, en la plante du grand Cormier, au deſſus du Noyer groſlier.


Comment Rondibilis medicin
donne remede à Coquage.


Chapitre XXXIII.


On temps (diſt Rondibilis) que Iuppiter feiſt l’eſtat de la maiſon Olympicque, & le calendrier de tous ſes Dieux & Déeſſes : ayant eſtably à vn chaſcun, iour & ſaiſon de la feſte : aſſigné lieu pour les oracles & voyages : ordonné de leurs ſacrifices : Feiſt il poinct (demanda Panurge) comme Tinteuille euesque d’Auxerre ? Le noble Pontife aymoit le bon vin, comme faict tout home de bien ; pourtant auoit il en ſoing & cure ſpeciale le bourgeon pere ayeul de Bacchus. Or eſt que pluſieurs années il veid lamentablement le bourgeon perdu par les gelées, bruines, frimatz, verglatz, froidures, greſles & calamitez aduenues par les feſtes des S. George, Marc, Vital, Eutrope, Philippe, ſaincte Croix, l’Aſcenſion, & aultres, qui ſont on temps que le Soleil paſſe ſoubs le ſigne de Taurus. Et entra en ceſte opinion, que les ſaincts ſuſditz eſtoient ſaincts greſleurs, geleurs, & guaſteurs du bourgeon. Pourtant vouloit il leurs feſtes tranſlater en hyuer, entre Noël & l’Epiphanie[252] : les licentiant en tout honneur & reuerence, de greſler lors, & geler tant qu’ilz vouldroient. La gelée lors en rien ne ſeroit dommageable, ains euidentement profitable au bourgeon. En leurs lieux mettre les feſtes des ſainct Chriſtophle, ſainct Ian decollaz, ſaincte Magdalene, ſaincte Anne, ſainct Dominicque, ſainct Laurens, voire la Myouſt colloquer en May. Es quelles tant s’en fault qu’on ſoit en dangier de gelée, que lors meſtier on monde n’eſt, qui tant ſoit de requeſte : comme eſt des faiſeurs de friſcades, compoſeurs de ioncades, agenſeurs de feueillades, & refraiſchiſſeurs de vin.

Iuppiter (diſt Rondibilis) oublia le paouure Diable Coqüage, lequel pour lors ne feut præſent : il eſtoit à Paris on Palais ſollicitant quelque paillard procés pour quelqu’vn de ſes tenanciers & vaſſaulx. Ne ſçay quans iours après Coqüage entendit la forbe qu’on luy auoit faict : deſiſta de ſa ſollicitation par nouuelle ſollicitude de n’eſtre forclus de l’eſtat : & comparut en perſone dauant le grand Iuppiter, alleguant ſes merites præcedens, & les bons & agreables ſeruices que aultres foys luy auoit faict, & inſtantement requerant qu’il ne le laiſſaſt ſans feſte, ſans ſacrifices, ſans honneur. Iuppiter ſe excuſoit remonſtrant, que tous ces benefices eſtoient diſtribuez, & que ſon eſtat eſtoit clous. Feut toutesfoys tant importuné par meſſer Coqüage, que en fin le miſt en l’eſtat & catalogue, & luy ordonna en terre honneur, ſacrifices & feſte. Sa feſte feut, pource que lieu vuide & vacant n’eſtoit en tout le calendrier, en concurrence & au iour de la Déeſſe Ialouſie : ſa domination, ſus les gens mariez, notamment ceulx qui auroient belles femmes : ſes ſacrifices, ſoubſon, defiance, malengroin, guet, recherche, & eſpies des mariz ſus leurs femmes. Auecques commendement riguoureux à vn chaſcun marié, de le reuerer & honorer, celebrer ſa feſte à double : & luy faire les ſacrifices ſuſdictz. Sus peine & intermination, que à ceulz ne ſeroit meſſer Coqüage en faueur, ayde, ne ſecours, qui ne l’honoreroient comme eſt dict : iamais ne tiendroit de eulx compte : iamais n’entreroit en leurs maiſons : iamais ne hanteroit leurs compaignies : quelques inuocations qu’ilz luy feiſſent : ains les laiſſeroit eternellement pourrir ſeulz auecques leurs femmes ſans corriual aulcun : & les refuyroit ſempiternellement comme gens Hæreticques & ſacrileges. Ainſi qu’eſt l’vſance des aultres Dieux, entiers ceulx qui deuement ne les honorent : de Bacchus, enuers les vignerons : de Ceres, enuers les laboureux : de Pomona, enuers les fruictiers : de Neptune, enuers les nautonniers : de Vulcan, enuers les forgerons : & ainſi des aultres. Adioincte feut promeſſe au contraire infallible, qu’à ceulx, qui (comme eſt dict) chommeroient ſa feſte, ceſſeroient de toute negociation, mettroient leurs affaires propres en non chaloir, pour eſpier leurs femmes, les referrer & mal traicter par Ialouſie, ainſi que porte l’ordonnance de ſes ſacrifices, il ſeroit continuellement fauorable : les aymeroit, les frequenteroit, ſeroit iour & nuyct en leurs maiſons : iamais ne ſeroient deſtituez de ſa præſence. I’ay dict.

Ha, ha, ha, (diſt Carpalim en riant) voyla vn remede encores plus naïf que l’anneau de Hans Carüel. Le Diable m’emport, ſi ie ne le croy. Le naturel des femmes eſt tel. Comme la fouldre[253] ne briſe & ne bruſle, ſinon les matieres dures, ſolides, reſiſtentes : elle ne ſe arreſte es choſes molles, vuides, & cedentes : elle bruſlera l’eſpée d’aſſier, ſans endommaiger le fourreau de velours : elle conſumera les os des corps ſans entommer la chair qui les couure : ainſi ne bendent les femmes iamais la contention, ſubtilité, & contradidion de leurs eſpritz, ſi non enuers ce que congnoiſtront leurs eſtre prohibé & defendu. Certes (diſt Hippothadée[254]) aulcuns de nos docteurs diſent, que la premiere femme du monde, que les Hebrieux noment Eue, à poine euſt iamais entré en tentation de manger le fruict de tout ſcauoir, s’il ne luy euſt eſté defendu. Qu’ainſi ſoit, conſyderez comment le Tentateur cauteleux luy remembra on premier mot la defenſe ſus ce faicte, comme voulent inferer : il t’eſt defendu, tu en doibs doncques manger : ou tu ne ſerois pas femme.


Comment les femmes ordinairement
appetent choſes defendues.


Chapitre XXXIIII.


On temps (diſt Carpalim) que i’eſtois ruffien à Orléans, ie n’auois couleur de Rhetoricque plus valable, ne argument plus perſuaſif enuers les dames, pour les mettre aux toilles, & attirer au ieu d’amours, que viuement, apertement, deteſtablement remonſtrant comment leurs mariz eſtoient d’elles ialous. Ie ne l’auois mie inuenté. Il eſt eſcript. Et en auons loix, exemples, raiſons, & experiences quotidianes. Ayans ceſte perſuaſion en leurs caboches, elles feront leurs mariz coquz infalliblement par Dieu, ſans iurer, deuſſent elles faire ce que feirent Semyramis, Paſiphaé, Egeſta, les femmes de l’iſle Mandés en Ægypte blaſonées par Herodote & Strabo[255] : & aultres telles maſtines.

Vrayement (diſt Ponocrates) i’ay ouy compter[256], que le Pape Ian. XXII. paſſant vn iour par l’abbaye de Coingnaufond[257], feut requis par l’Abbeſſe, & meres diſcretes, leurs conceder vn indult, moyenant lequel ſe peuſſent confeſſer les vnes es aultres, alleguantes que les femmes de religion ont quelques petites imperfections ſecretes, les quelles honte inſupportable leurs eſt deceler aux homes confeſſeurs : plus librement, plus familierement les diroient vnes aux aultres ſoubs le ſceau de confeſſion. Il n’y a rien (reſpondit le Pape) que voluntiers ne vous oultroye, mais ie y voy vn inconuenient. C’eſt que la confeſſion doibt eſtre tenue ſecrette. Vous aultres femmes à poine la celeriez. Treſbien, (dirent elles) & plus que ne font les homes. Au iour propre le pere ſainct leur bailla vne boyte en guarde, dedans laquelle il auoit faict mettre vne petite Linote : les priant doulcement qu’elles la ſerraſſent en quelque lieu ſceur & ſecret, leurs promettant en foy de Pape, oultroyer ce que portoit leur requeſte, ſi elles la guardoient ſecrette : ce neantmoins leurs faiſant defenſe riguoreuſe, qu’elles ne euſſent à l’ouurir en façon quelconques ſus poine de cenſure eccleſiaſticque & de excommunication eternelle. La defenſe ne feut ſi toſt faiſte, qu’elles grilloient en leurs entendemens d’ardeur de veoir qu’eſtoit dedans : & leurs tardoit que le Pape ne feut ia hors la porte, pour y vacquer. Le pere ſainct auoir donné ſa benediction ſus elles, ſe retira en ſon logis. Il n’eſtoit encores trois pas hors l’Abbaye, quand les bonnes dames toutes à la foulle accoururent pour ouurir la boyte defendue, & veoir qu’eſtoit dedans. Au lendemain le Pape les viſita en intention, ce leurs ſembloit, de leurs depeſcher l’indult. Mais auant entrer en propous, commanda qu’on luy apportaſt ſa boyte. Elle luy feut apportée. Mais l’oizillet n’y eſtoit plus. Adoncques leur remontra, que choſe trop difficile leurs ſeroit receller les confeſſions, veu que n’auoient ſi peu de temps tenu en ſecret la boyte tant recommandée.

Monſieur noſtre maiſtre, vous ſoyez le treſbien venu. I’ay prins moult grand plaiſir vous oyant. Et loue Dieu de tout. Ie ne vous auois oncques puys veu que iouaſtez à Monſpellier auecques nos antiques amys Ant. Saporta, Guy Bouguier, Balthaſar Noyer, Tollet, Ian Quentin, François Robinet, Ian perdrier, & François Rabelais, la morale comœdie de celluy qui auoit eſpouſé vne femme mute[258]. Ie y eſtois (diſt Epiſtemon). Le bon mary voulut qu’elle parloit. Elle parla par l’art du Medicin & du Chirurgien, qui luy coupperent vn encyliglotte qu’elle auoit ſoubs la langue. La parolle recouuerte, elle parla tant, & tant, que ſon mary retourna au Medicin pour remede de la faire taire. Le Medicin reſpondit en ſon art bien auoir remedes propres pour faire parler les femmes : n’en auoir pour les faire taire[259]. Remede vnicque eſtre ſurdité du mary, contre ceſtuy interminable parlement de femme. Le paillard deuint ſourd par ne ſçay quelz charmes qu’ilz feirent. Sa femme voyant qu’il eſtoit ſourd deuenu, qu’elle parloit en vain, de luy n’eſtoit entendue, deuint enraigée. Puys le Medicin demandant ſon ſalaire, le mary reſpondit qu’il eſtoit vrayement ſourd : & qu’il n’entendoit ſa demande. Le Medicin luy ieda on dours ne ſçay quelle pouldre, par vertus de laquelle il deuint fol. Adoncques le fol mary & la femme enragée ſe raſlierent enſemble & tant baſtirent les Medicin & Chirurgien qu’ilz les laiſſerent à demy mors. Ie ne riz oncques tant, que ie feis à ce Patelinage.

Retournons à nos moutons[260] (diſt Panurge). Vos parolles tranſlatées de Barragouin en François voulent dire, que ie me marie hardiment, & que ne me ſoucie d’eſtre coqu. C’eſt bien rentré de treufles[261] noires. Monſieur noſtre maiſtre, ie croy bien qu’au iour de mes nopces vous ſerez d’ailleurs empeſché à vos pratiques, & que n’y pourrez comparoiſtre. Ie vous en excuſe.

Stercus & vrina Medici ſunt prandia prima.
Ex aliis paleas, ex iſtis collige grana.
[262]

Vous prenez mal, (diſt Rondibilis) le vers ſubſequent eſt tel :

Nobis ſunt ſigna, vobis ſunt prandia digna.

Si ma femme ſe porte mal : I’en vouldrois veoir l’vrine, (diſt Rondibilis) toucher le pouls : & veoir la diſpoſition du baſuentre, & des parties vmbilicares, comme nous commende Hippo. 2. Apho. 35. auant oultre proceder. Non, non, (diſt Panurge) cela ne faict à propous. C’eſt pour nous aultres Legiſtes, qui auons la rubricque, De ventre inſpiciendo[263]. Ie luy appreſte vn clyſtere barbarin. Ne laiſſez vos affaires d’ailleurs plus vrgens. Ie vous enuoiray du riſlé en voſtre maiſon. Et ſerez tous iours noſtre amy. Puys s’approcha de luy, & luy miſt en main ſans mot dire quatre Nobles à la roſe. Rondibilis les print treſtbien : puys luy diſt en effroy comme indigné. He, he, he, monſieur, il ne failloit rien[264]. Grand mercy toutesfoys. De meſchantes gens iamais ie ne prens rien. Rien iamais des gens de bien ie ne refuſe. Ie ſuys touſiours à voſtre commendement. En poyant, diſt Panurge. Cela s’entend, reſpondit Rondibilis.


Comment Trouillogan Philoſophe traicte
la difficulté de mariage.


Chapitre XXXV.


Ces parolles acheuées, Pantagruel diſt à Trouillogan le philoſophe. Noſtre feal, de main en main vous eſt la lampe baillée[265]. C’eſt à vous maintenant de reſpondre, Panurge ſe doibt il marier, ou non ? Tous les deux, reſpondit Trouillogan. Que me dictez vous ? demanda Panurge. Ce que auez ouy, reſpondit Trouillogan. Que ay ie ouy ? demanda Panurge. Ce que i’ay dict, reſpondit Trouillogan. Ha, ha. En ſommes nous là ! diſt Panurge. Paſſe ſans fluz. Et doncques me doibz ie marier ou non ? Ne l’vn ne l’aultre, reſpondit Trouillogan. Le Diable m’emport (diſt Panurge) ſi ie ne deuiens reſueur : & me puiſſe emporter, ſi ie vous entends. Attendez : ie mettray mes lunettes à celle aureille guauſche, pour vous ouyr plus clair.

En ceſtuy inſtant Pantagruel aperceut vers la porte de la ſalle le petit chien de Gargantua, lequel il nommoit Kyne[266], pource que tel fut le nom du chien de Thobie. Adoncques diſt à toute la compaignie. Noſtre Roy n’eſt pas loing d’icy : leuons nous. Ce mot ne feut acheué, quand Gargantua entra dedans la ſalle du bancquet. Chaſcun ſe leua pour luy faire reuerence. Gargantua ayant debonnairement ſalüé toute l’aſſiſtence, diſt. Mes bons amys, vous me ferez ce plaiſir, ie vous en prie, de non laiſſer ne vos lieux ne vos propous. Apportez moy à ce bout de table vne chaire. Donnez moy que ie boyue à toute la compaignie. Vous ſoyez les treſbien venuz. Ores me dictez. Sur quel propous eſtiez vous ? Pantagruel luy reſpondit, que ſus l’apport de la ſeconde table Panurge auoit propouſé vne matiere problematicque, à ſçauoir s’il ſe doibuoit marier ou non ? & que le pere Hippothadée & maiſtre Rondibilis eſtoient expediez de leurs reſponſes : lors qu’il eſt entré reſpondoit le feal Trouillogan. Et premierement quand Panurge luy a demandé, me doibz ie marier ou non ? auoit reſpondu : Tous les deux enſemblement : à la ſeconde foys auoit dict : Ne l’vn ne l’aultre. Panurge ſe complainct : de telles repugnantes & contradictoires reſponſes : & proteſte n’y entendre rien. Ie l’entends (diſt Gargantua) en mon aduis. La reſponſe eſt ſemblable à ce que diſt vn ancien philoſophe[267] interrogé s’il auoit quelque femme qu’on luy nommoit ? Ie l’ay (diſt il) amie, mais elle ne me a mie. Ie la poſſede, d’elle ne ſuys poſſedé. Pareille reſponſe (diſt Pantagruel) feiſt vne fantesque de Sparte[268]. On luy demanda ſi iamais elle auoit eu affaire à home ? Reſpondit que non iamais : bien que les homes quelques foys auoient eu affaire à elle. Ainſi (diſt Rondibilis) mettons nous neutre en Medicine, & moyen en philoſophie : par participation de l’vne & l’aultre extremité : par abnegation de l’vne & l’aultre extremité : & par compartiment du temps, maintenant en l’vne, maintenant en l’aultre extremité. Le ſainct Enuoyé[269] (diſt Hippothadée) me ſemble l’auoir plus apertement declairé, quand il diſt. Ceulx qui ſont mariez, ſoient comme non mariez : ceulx qui ont femme, ſoient comme non ayans femme. Ie interprete (diſt Pantagruel) auoir & n’auoir femme en ceſte façon : que femme auoir, eſt l’auoir à vſaige tel que nature la créa, qui eſt pour l’ayde, eſbatement, & ſocieté de l’home : n’auoir femme, eſt ne ſoy apoiltronner autour d’elle : pour elle ne contaminer celle vnicque & ſupreme affection que doibt l’home à Dieu : ne laiſſer les offices qu’il doibt naturellement à ſa patrie, à la Republicque, à ſes amys : ne mettre en non chaloir ſes eſtudes & négoces, pour continuellement à ſa femme complaire. Prenant en ceſte maniere auoir & n’auoir femme, ie ne voids repugnance ne contradiction es termes.


Continuation des reſponſes de Trouillogan
philoſophe Ephectique & Pyrrhonien.


Chapitre XXXVI.


Vovs dictez d’orgues, reſpondit Panurge. Mais ie croy que ie ſuis deſcendu on puiz tenebreux, onquel diſoit Heraclytus[270] eſtre Verité cachée. Ie ne voy goutte : ie n’entends rien : ie ſens mes ſens tous hebetez. Et doubte grandement que ie ſoye charmé. Ie parleray d’aultre ſtyle. Noſtre feal, ne bougez. N’embourſez rien. Muons de chanſe, & parlons ſans diſiunctiues. Ces membres mal ioinctz vous faſchent, à ce que ie voy. Or çà, de par Dieu. Me doibz ie marier ? trovillogan. Il y a de l’apparence. panvrge. Et ſi ie ne me marie poinct ? trov. Ie n’y voy inconuenient aulcun. panvr. Vous n’y en voyez poinct ? tro. Nul, ou la veue me deçoit. pan. Ie y en trouue plus de cinq cens. tro. Comptez les. pan. Ie diz improprement parlant : & prenent nombre certain pour incertain : determiné, pour indeterminé. C’eſt à dire beaucoup. trovil. I’eſcoute. panvr. Ie ne peuz me paſſer de femme, de par tous les diables. trovil. Houſtez ces villaines beſtes. panvr. De par Dieu ſoit. Car mes Salmiguondinoys diſent coucher ſeul ou ſans femme, eſtre vie brutale, & telle la diſoit Dido en ſes lamentations[271]. trovil. A voſtre commandement. panvr. Pe le quau Dé, i’en ſuis bien. Doncques me mariray ie ? trovil. Par aduenture[272]. pan. M’en trouueray ie bien ? tro. Scelon la rencontre. pan. Auſſi ſi ie rencontre bien, comme i’eſpoire, ſeray ie heureux ? tro. Allez. pan. Tournons à contrepoil. Et ſi rencontre mal ? tro. Ie m’en excuſe. pan. Mais conſeillez moy, de grâce. Que doibs ie faire ? tro. Ce que vouldrez. pan. Tarabin tarabas. tro. Ne inuocquez rien, ie vous prie. pa. On nom de Dieu ſoit, Ie ne veulx ſinon ce que me conſeillerez. Que m’en conſeillez vous ? tro. Rien. pan. Me mariray ie ? trov. Ie n’y eſtois pas. pan. Ie ne me mariray doncques poinct ? tro. Ie n’en peu mais. pan. Si ie ne ſuys marié, ie ne ſeray iamais coqu ? tro. Ie y penſois. pan. Mettons le cas que ie ſois marié. tro. Où le mettrons nous ? pa. Ie dis, Prenez le cas que marié ie ſoys. tro. Ie ſuys d’ailleurs empeſché. pa. Merde en mon nez, Dea, ſi ie oſaſſe iurer quelque petit coup en cappe[273], cela me ſoulageroit d’autant. Or bien. Patience. Et doncques, ſi ie ſuys marié, ie ſeray coqu ? tro. On le diroit. pa. Si ma femme eſt preude & chaſte, ie ne feray iamais coqu ? tro. Vous me ſemblez parler correct. pa. Eſcoutez. tro. Tant que vouldrez. pan. Sera elle preude & chaſte ? Reſte ſeulement ce poinct. trovil. I’en doubte. pan. Vous ne la veiſtez iamais ? tro. Que ie ſache. pan. Pour quoy doncques doubtez vous d’vne choſe que ne congnoiſſez ? tro. Pour cauſe. pa. Et ſi la congnoiſſiez ? tro. Encores plus. panv. Paige mon mignon, tien icy mon bonnet, ie le te donne, ſaulue les lunettes, & va en la baſſe court iurer vne petite demie heure pour moy[274]. Ie iureray pour toy quand tu vouldras. Mais qui me fera coqu ? trovil. Quelqu’vn. panvr. Par le ventre beuf de boys, ie vous froteray bien monſieur le quelqu’vn. trov. Vous le dictez. pan. Le diantre, celluy qui n’a poinct de blanc en l’œil m’emporte doncques : enſemble ſi ie ne boucle ma femme[275] à la Bergamasque, quand ie partiray hors mon ſerrail. tr. Diſcourez mieulx. pa. C’eſt bien chien chié chanté[276] pour les diſcours. Faiſons quelque reſolution. tr. Ie n’y contrediz. pa. Attendez. Puis que de ceſtuy endroict ne peuz ſang de vous tirer, ie vous ſaigneray d’aultre vene. Eſtez vous marié ou non ? tr. Ne l’vn ne l’aultre, & tous les deux enſemble. pa. Dieu nous ſoit en ayde. Ie ſue par la mort beuf d’ahan : & ſens ma digeſtion interrompue. Toutes mes phrenes, metaphrenes, & diaphragmes ſont ſuſpenduz & tenduz pour incorniſiſtibuler en la gibbeſſiere de mon entendement[277] ce que dictez & reſpondez. tr. Ie ne m’en empeſche. pa. Trut auant. Noſtre feal, eſtez vous marié ? tr. Il me l’eſt aduis. pa. Vous l’auiez eſté vne aultre foys ? tr. Poſſible eſt. pa. Vous en trouuaſtez vous bien la premiere fois ? tr. Il n’eſt pas impoſſible. pa. A ceſte ſeconde fois comment vous en trouuez vous ? tr. Comme porte mon ſort fatal. panvr. Mais quoy, à bon eſſiant, vous en trouuez vous bien ? trovil. Il eſt vray ſemblable. panv. Or ça, de par Dieu. I’aymeroys, par le fardeau de ſainct Chriſtofle, autant entreprendre tirer vn pet d’vn Aſne mort, que de vous vne reſolution. Si vous auray ie à ce coup. Noſtre feal, faiſons honte au diable d’enfer, confeſſons verité. Feuſtez vous iamais coqu ? Ie diz vous qui eſtez icy : ie ne diz pas vous qui eſtez là bas au ieu de paulme. trovil. Non, s’il n’eſtoit prædeſtiné. pan. Par la chair, ie renie : par le ſang, ie renague : par le corps, ie renonce. Il m’eſchappe. A ces motz Gargantua ſe leua, & diſt. Loué ſoit le bon Dieu en toutes choſes. A ce que ie voy, le monde eſt deuenu beau filz depuys ma congnoiſſance premiere. En ſommes nous là ? Doncques ſont huy les plus doctes & prudens philoſophes entrez on phrontiſtere & eſcholle des Pyrrhoniens, Aporrheticques, Scepticques, & Ephectiques. Loué ſoit le bon Dieu. Vrayement on pourra dorenauant prendre les Lions par les Iubes : les cheuaulx par les crains : les bœufz par les cornes : les bufles, par le muſeau : les loups, par la queue : les cheures, par la barbe : les oiſeaux, par les piedz. Mais ia ne ſeront telz Philoſophes par leurs parolles pris[278]. Adieu, mes bons amys. Ces motz prononcez, ſe retira de la compaignie. Pantagruel & les aultres le vouloient ſuyure : mais il ne le voulut permettre.

Iſſu Gargantua de la ſalle, Pantagruel diſt es inuitez. Le Timé de Platon au commencement de l’aſſemblée compta les inuitez : nous au rebours les compterons en la fin. Vn, deux, trois : où eſt le quart ? N’eſtoit ce noſtre amy Bridoye ? Epiſtemon reſpondit, auoir eſté en ſa maiſon pour l’inuiter : mais ne l’auoir trouué. Vn huiſſier du parlement Myrelinguoys en Myrelingues, l’eſtoit venu querir & adiourner pour perſonellement comparoiſtre, & dauant les Senateurs raiſon rendre de quelque ſentence par luy donnée. Pourtant eſtoit il au iour præcedent departy affin de ſoy repræſenter au iour de l’aſſignation, & ne tomber en deſſault ou contumace. Ie veulx (diſt Pantagruel) entendre que c’eſt. Plus de quarante ans y a qu’il eſt iuge de Fonſbeton : icelluy temps pendent a donné plus de quatre mille ſentences definitiues. De deux mille trois cens & neuf ſentences par luy données feut appellé par les parties condemnées en la Court ſouueraine du parlement Mirelinguoys en Mirelingues : toutes par arreſtz d’icelle ont eſté ratifiées, approuuées, & confirmées : les appeaulx renuerſez, & à neant mis. Que maintenant doncques ſoit perſonellement adiourné ſur ſes vieulx iours : il qui par tout le paſſé a veſcu tant ſainctement en ſon eſtat, ne peut eſtre ſans quelque deſaſtre. Ie luy veulx de tout mon pouoir eſtre aidant en æquité. Ie ſçay huy tant eſtre la malignité du monde aggrauée, que bon droict a bien beſoing d’aide. Et præſentement delibere y vacquer de paour de quelque ſurprinſe. Allors feurent les tables leuées. Pantagruel feiſt es inuitez dons precieux & honorables de bagues, ioyaulx, & vaiſſele tant d’or comme d’argent : & les auoir cordialement remercié, ſe retira vers ſa chambre.


Comment Pantagruel perſuade à Panurge prendre
conſeil de quelque fol.


Chapitre XXXVII.


Pantagrvel ſoy retirant, aperceut par la guallerie Panurge en maintien de vn reſueur rauaſſant, & dodelinant de la teſte, & luy diſt. Vous me ſemblez à vne ſouriz empegée : tant plus elle s’efforce ſoy depeſtrer de la poix, tant plus elle s’en embrene. Vous ſemblablement efforſant iſſir hors les lacs de perplexité, plus que dauant y demourez empeſtré, & n’y ſçay remede fors vn. Entendez. I’ay ſouuent ouy en prouerbe vulguaire, Qu’vn fol enſeigne bien vn ſaige. Puys que par les reſponſes des ſaiges n’eſtez à plein ſatisfaict, conſeillez vous à quelque fol. Pourra eſtre que ce faiſant, plus à voſtre gré ſerez ſatisfaict & content. Par l’aduis, conſeil, & prædiction des folz vous ſçauez quans princes, roys, & republicques ont eſté conſeruez, quantes batailles guaingnées, quantes perplexitez diſſolues. Ia beſoing n’eſt vous ramenteuoir les exemples. Vous acquieſcerez en ceſte raiſon. Car come celluy qui de prés regarde à ſes affaires priuez & domeſticques, qui eſt vigilant & attentif au gouuernement de la maiſon, duquel l’eſprit n’eſt poinct eſguaré, qui ne pert occaſion queconques de acquérir & amaſſer biens & richeſſes, qui cautement ſçayt obuier es inconueniens de paoureté, vous appeliez Saige mondain, quoy que fat ſoit il en l’eſtimation des Intelligences cœleſtes : ainſi faut il pour dauant icelles ſaige eſtre, ie diz ſage & præſage par aſpiration diuine, & apte à recepuoir benefice de diuination, ſe oublier ſoymeſmes, iſſir hors de ſoymeſmes, vuider ſes ſens de toute terrienne affection, purger ſon eſprit de toute humaine ſollicitude, & mettre tout en non chaloir. Ce que vulguairement eſt imputé à follie. En ceſte maniere feut du vulgue imperit appellé Fatuel[279] le grand vaticinateur Faunus filz de Picus roy des Latins. En ceſte maniere voyons nous entre les Iongleurs à la diſtribution des rolles le perſonaige du Sot & du Badin eſtre tous iours repreſenté par le plus perit & perfaict loueur de leur compaignie. En ceſte maniere diſent les Mathematiciens vn meſmes horoſcope eſtre à la natiuité des Roys & des Sotz. Et donnent exemple de Æneas, & Chorœbus, lequel Euphorion dict auoir eſté fol, qui eurent vn meſme genethliaque. Ie ne ſeray hors de propous, ſi ie vous raconte ce que diſt Io. André ſus vn canon de certain reſcript papal addreſſé au Maire & Bourgeoys de la Rochelle : & apres luy Panorme en ce meſmes canon : Barbatia ſus les Pandedes, & recentement Iaſon en ſes conſeilz, de Seigny Ioan[280] fol inſigne de Paris, biſayeul de Caillette. Le cas eſt tel.

A Paris en la rouſtiſſerie du petit Chaſtelet, au dauant de l’ouurouoir d’vn Rouſtiſſeur vn Faquin mangeoit ſon pain à la fumée du rouſt, & le trouuoit ainſi perfumé grandement ſauoureux. Le Rouſtiſſeur le laiſſoit faire. En fin quand tout le pain feut baufré, le Rouſtiſſeur happe le Faquin au collet, & vouloit qu’il luy payaſt la fumée de ſon rouſt. Le Faquin diſoit en rien n’auoir les viandes endommaigé : rien n’auoir du ſien prins : en rien ne luy eſtre debiteur. La fumée dont eſtoit queſtion, euaporoit par dehors : ainſi comme ainſi ſe perdoit elle : iamais n’auoit eſté ouy que dedans Paris on euſt vendu fumée de rouſt en rue. Le Rouſtiſſeur replicquoit que de fumée de ſon rouſt n’eſtoit tenu nourrir les Faquins : & renïoit en cas qu’il ne le payaſt, qu’il luy houſteroit ſes crochetz. Le Faquin tire ſon tribart, & ſe mettoit en defenſe. L’altercation feut grande. Le badault peuple de Paris accourut au debat de toutes pars. Là ſe trouua à propous Seigny Ioan le fol Citadin de Paris. L’ayant apperceu le Rouſtiſſeur, demanda au Faquin. Veulx tu ſus noſtre different croire ce noble Seigny Ioan ? Ouy par le ſambreguoy, reſpondit le Faquin. Adoncques Seigny Ioan auoir leur diſcord entendu, commenda au Faquin, qu’il luy tiraſt de ſon baudrier quelque piece d’argent. Le Faquin luy miſt en main vn Tournoys Philippus. Seigny Ioan le print, & le miſt ſus ſon eſpaule guaulche, comme explorant s’il eſtoit de poys : puys le timpoit ſus la paulme de ſa main guauſche, comme pour entendre s’il eſtoit de bon alloy : puys le poſa lus la prunelle de ſon œil droict, comme pour veoir s’il eſtoit bien marqué. Tout ce feut faict en grande ſilence de tout le badault peuple, en ferme attente du Rouſtiſſeur, & deſeſpoir du Faquin. En fin le feiſt ſus l’ouuroir ſonner par pluſieurs foys. Puys en maieſté Præſidentale tenent ſa marote on poing, comme ſi feuſt vn ſceptre, & affeublant en teſte ſon chapperon de martres cingeſſes à aureilles de papier, fraizé à poincts d’orgues, touſſant prealablement deux ou trois bonnes foys, diſt à haulte voix. La court vous dict que le Faquin qui a ſon pain mangé à la fumée du rouſt, ciuilement a payé le Rouſtiſſeur au ſon de ſon argent. Ordonne ladicte court que chaſcun ſe retire en ſa chaſcuniere : ſans deſpens, & pour cauſe. Ceſte ſentence du fol Pariſien tant a ſemblé equitable, voire admirable es docteurs ſuſdictz, qu’ilz font doubte en cas que la matiere euſt eſté on Parlement dudict lieu, ou en la rotte à Rome, voire certes entre les Areopagites decidée, ſi plus iuridicquement euſt elle par eulx ſententié. Pourtant aduiſez ſi conſeil voulez de vn fol prendre.


Comment par Pantagruel & Panurge eſt Triboullet blaſonné[281].

Chapitre XXXVIII.


Par mon ame (reſpondit Panurge) ie le veulx. Il m’eſt aduis que le boyau m’eſlargit. Ie l’auois nagueres bien ſerré & conſtipé. Mais ainſi comme auons choizy la fine creme de Sapience pour conſeil, auſſi vouldrois ie qu’en noſtre conſultation præſidaſt quelqu’vn qui feuſt fol en degré ſouuerain. Triboulet (diſt Pantagruel) me ſemble competentement fol. Panurge reſpond. Proprement & totalement fol.

.pantagrvel. Pantagruel f. fatal.
f. de nature.
f. Iouial.
f. Mercurial.
f. Lunaticque.
f. erraticque.
f. ecentricque.
f. æteré & Iunonien.
f. arctique.
f. heroicque.
f. Genial.
f. prædeſtiné.
f. Auguſte.
f. Cæſarin.
f. Imperial.
f. Royal.
f. Patriarchal.
f. Original.
f. loyal.
f. ducal.
f. banerol.
f. ſeigneurial.
f. palatin.
f. principal.
f. pretorial.
f. total.
f. eleu.
f. curial.
f. primipile.
f. triumphant.
f. vulguaire.
f. domeſtique.
f. exemplaire.
f. rare & peregrin.
f. aulicque.
f. ciuil.
f. populaire.
f. familier.
f. inſigne.
f. fauorit.
f. Latin.
f. ordinaire.
f. redoubté.
f. tranſcendent.
f. ſouuerain.
f. ſpecial.
f. Metaphyſical.
f. ecſtaticque.
f. Categoricque.
f. predicable.
f. decumane.
f. officieux.
f. de perſpectiue.
f. d’Algoriſme.
f. d’Algebra.
f. de Caballe.
f. Talmudicque.
f. d’Alguamala.
f. compendieux.
f. abreuié.
f. hyperbolicque.
f. antonomaticque.
f. allegoricque.
f. tropologicque.
f. pleonaſmicque.
f. capital.
f. cerebreux.
f. cordial.
f. inteſtin.
f. epaticque.
f. ſpleneticque.
f. venteux.
f. legitime.
f. d’Azimut.
f. d’Almicantarath.
f. proportionné.
f. d’architraue.
f. de pedeſtal.
f. parraguon.
f. celebre.
f. alaigre.
f. ſolennel.[282]
f. annuel.
f. feſtiual.
f. recreatif.
f. villaticque.
f. plaiſant.
f. priuilegié.
f. ruſticque.
f. ordinaire.
f. de toutes heures.
f. en diapaſon.
f. reſolu.
f. hieroglyphicque.
f. autenticque.
f. de valleur.
f. precieux.
f. fanaticque.
f. fantaſticque.
f. lymphaticque.
f. Panicque.
f. alambicqué.
f. non faſcheux.
f. caché.
.panvrge. Pa. f. de haulte game.[283]
f. de b quarre & de b mol.
f. terrien.
f. ioyeulx & folaſtrant.
f. iolly & folliant.
f. à pompettes.
f. à pilettes.
f. à ſonnettes.
f. riant & Venerien.
f. de ſoubſtraicte.
f. de mere goutte.
f. de la prime cuuée.
f. de montaiſon.
f. original.
f. Papal.
f. conſiſtorial.
f. conclauiſte.
f. buliſte.
f. ſynodal.
f. Epiſcopal.
f. Doctoral.
f. Monachal.
f. fiſcal.
f. extrauaguant.
f. à bourlet.
f. à ſimple tonſure.
f. cotal.
f. gradué nommé en follie.
f. commenſal.
f. premier de ſa licence.
f. caudataire.
f. de ſupererogation.
f. collateral.
f. alateré alteré.
f. niais.
f. paſſagier.
f. branchier.
f. aguard.
f. gentil.
f. maillé.
f. pillart.
f. reuenu de queue.
f. griays.
f. radotant.
f. de ſoubarbade.
f. bourſouflé.
f. ſupercoquelicantieux.
f. corollaire.
f. de leuant.
f. ſoubelin.
f. cramoiſy.
f. tainct en graine.
f. bourgeoys.
f. viſtempenard.
f. de gabie.
f. modal.
f. de ſeconde intention.
f. Tacuin.
f. heteroclite.
f. Sommiſte.
f. Abreuiateur.
f. de morisque.
f. bien bullé.
f. mandataire.
f. capuſſionnaire.
f. titulaire.
f. Tapinois.
f. rebarbatif.
f. bien mentulé.
f. mal empieté.
f. couilart.
f. grimault.
f. eſuenté.
f. culinaire.
f. de haulte fuſtaie.
f. contrehaſtier.
f. marmiteux.
f. catarrhé.
f. braguart.
f. à xxiiij caratz.
f. bigearre.
f. guinguoys.
f. à la Martingualle.
f. à baſtons.
f. à marotte.
f. de bons bies.
f. à la grande laiſe.
f. trabuchant.
f. ſuſanné.
f. de ruſtrie.
f. à plain buſt.
f. guourrier.
f. guourgias.
f. d’arrachepied.
f. de Rebus.
f. à patron.
f. à chapron.
f. à double rebras.
f. à la Damaſquine.
f. de tauchie.
f. d’azemine.
f. barytonnant.
f. mouſcheté.
f. à eſpreuue de hacquebutte.

Pant. Si raiſon eſtoit pourquoy iadis en Rome les Quirinales on nommoit la feſte des folz, iuſtement en France on pourroit inſtituer les Triboulletinales. Pan. Si tous folz portoient cropiere, il auroit les feſſes bien eſcorchées. Pant. S’il eſtoit Dieu Fatuel, du quel auons parlé, mary de la diue Fatue[284], ſon pere ſeroit Bonadies, ſa grande mere Bonedée. Pan. Si tous folz alloient les ambles, quoy qu’il ayt les iambes tortes, il paſſeroit de vne grande toiſe. Allons vers luy ſans ſeiourner. De luy aurons quelque belle reſolution, ie m’y attends. Ie veulx (diſt Pantagruel) aſſiſter au iugement de Bridoye. Ce pendent que ie iray en Myrelingues, (qui eſt dela la riuiere de Loyre) ie depeſcheray Carpalim pour de Bloys icy amener Triboullet. Lors feut Carpalim depeſché. Pantagruel acompaigné de ſes domeſticques Panurge, Epiſtemon, Ponocrates, frere Ian, Gymnalle, Rhizotome, & aultres print le chemin de Myrelingues.


Comment Pantagruel aſſiſte au iugement du iuge
Bridoye, lequel ſententioit les procés
au fort des dez.
[285]

Chapitre XXXIX.


Av iour ſubſequent à heure de l’aſſignation Pantagruel arriua en Myrelingues. Les Preſident, Senateurs, & Conſeilliers le prierent entrer auecques eulx, & ouyr la deciſion des cauſes & raiſons que allegueroit Bridoye, pourquoy auroit donné certaine ſentence contre l’eſleu Toucheronde, laquelle ne ſembloit du tout æquitable à icelle Court centumuirale[286]. Pantagruel entre voluntiers : & là trouue Bridoye on mylieu du parquet aſſis : & pour toutes raiſons & excuſes rien plus ne reſpondent, ſi non qu’il eſtoit vieulx deuenu, & qu’il n’auoit la veue tant bonne comme de coultume : alleguant pluſieurs miſeres & calamitez que vieilleſſe apporte auecques ſoy, les quelles not. per Archid. d. lxxxvj. c. tanta. Pourtant ne congnoiſſoit il tant diſtinctement les poinctz des dez, comme auoit faict par le paſſé. Dont pouoit eſtre, qu’en la façon que Iſaac vieulx & mal voyant print Iacob pour Eſaü[287] : ainſi à la deciſion du procés, dont eſtoit queſtion, il auroit prins vn quatre pour vn cinq : notamment referent que lors il auoit vſé de ſes petits dez. Et que par diſpoſition de droict les imperfections de Nature ne doibuent eſtre imputées à crime, comme apert ff. de re milit. l. qui cum vno. ff. de reg. iur. l. fere. ff. de edil. ed. per totum. ff. de term. mo. l. Diuus Adrianus reſolu. per Lud. Ro. in l. ſi verò. ff. ſolu. matri. Et qui aultrement ſeroit, non l’home accuſeroit, mais Nature, comme eſt euident in l. maximum vitium. C. de lib. præter.

Quelz dez (demandoit Trinquamelle grand Præſident d’icelle court) mon amy, entendez vous ? Les dez (reſpondit Bridoye) des iugemens, Alea iudiciorum[288], des quelz eſt eſcript par doct. 26. q. ij. c. Sors l. nec emptio. ff. de contrah. empt. l. quod debetur. ff. de pecul. & ibi Barthol. Et des quelz dez vous aultres meſſieurs ordinairement vſez en ceſte voſtre court ſouueraine, auſſi font tous aultres iuges en deciſion des procés, ſuyuans ce qu’en a noté D. Henr. Ferrandat. & no. gl. in c. fin. de ſortil. & l. fed cum ambo. ff. de iudi. vbi doct. notent que le ſort eſt fort bon, honeſte, vtile & neceſſaire à la vuidange des procés & diſſentions. Plus encores apertement l’ont dict Bal. Bart. & Alex. C. communia de l. Si duo.

Et comment (demandoit Trinquamelle) faictez vous, mon amy ? Ie (reſpondit Bridoye) reſponderay brieſuement ſcelon l’enſeignement de la l. Ampliorem. §. in refutatoriis. C. de appella. & ce que dit Gl. l. j. ff. quod met. eau. Gaudent breuitate moderni[289]. Ie fays comme vous aultres meſſieurs, & comme eſt l’vſance de iudicature : à laquelle nos droictz commendent touſiours deferer, vt no. extra, de conſuet. c. ex literis. & ibi Innoc. Ayant bien veu, reueu, leu, releu, paperaſſé, & feueilleté les complaintes, adiournemens, comparitions, commiſſions, informations, auant procedez, productions, alleguations, intendictz, contredictz, requeſtes, enqueſtes, repliques, dupliques, tripliques, eſcriptures, reproches, griefz, ſaluations, recollemens, confrontations, acarations, libelles, apoſtoles, letres royaulx, compulſoires, declinatoires, anticipatoires, euocations, enuoyz, renuoyz, concluſions, fins de non proceder, apoinctemens, reliefs, confeſſions, exploictz & aultres telles dragées & eſpiſſeries d’vne part & d’aultre, comme doibt faire le bon iuge ſcelon qu’en a no. Spec. de ordinario. §. iij. & tit. de offi. om. iu. §. ſi. & de reſcriptis præſenta. §. j. Ie poſe ſus le bout de table en mon cabinet tous les ſacs du defendeur : & luy liure chanſe premierement, comme vous aultres meſſieurs. Et eſt not. l. Fauorabiliores. ff. de reg. iur. & in c. cum ſunt eod. tit. lib. vj. qui dict. Cum ſunt partium iura obſcura, reo fauendum eſt potius quàm actori.[290] Cela faict, ie poſe les ſacs du demandeur, comme vous aultres meſſieurs, ſus l’aultre bout viſum viſu. Car, oppoſita iuxta ſe poſita magis eluceſcunt[291], vt not. in l. j. §. videamus. ff. de his qui ſunt ſui vel alie. iur. & in l. munerum. j. mixta. ff. de muner. & honor. Pareillement & quant & quand ie luy liure chanſe.

Mais (demandoit Trinquamelle) mon amy, à quoy congnoiſſez vous l’obſcurité des droictz prætenduz par les parties playdoiantes ? Comme vous aultres meſſieurs, (reſpondit Bridoye) ſçauoir eſt, quand il y a beaucoup de ſacs d’vne part & de aultre. Et lors ie vſe de mes petiz dez, comme vous aultres meſſieurs, ſuyuant la loy. Semper in ſtipulationibus. ff. de reg. iur. & la loy verſale verſiſiéeq[292] ; eod. tit. Semper in obſcuris quod minimum eſt ſequimur.[293] canonizée in c. in obſcuris eod. tic. lib. vi. I’ay d’aultres gros dez bien beaulx & harmonieux, des quelz ie vſe, comme vous aultres meilleurs, quand la matiere eſt plus liquide, c’eſt à dire, quand moins y a de ſacs.

Cela faict, (demandoit Trinquamelle) comment ſentenciez vous, mon amy ? Comme vous aultres meſſieurs, reſpondit Bridoye, pour celluy ie donne ſentence duquel la chanſe liurée par le ſort du dez iudiciaire, Tribunian, prætorial, premier aduient. Ainſi commendent nos droictz. ff. qui po. in pig. l. potior. leg. creditor. C. de conſul. l. j. Et de reg. iur. in vj. Qui prior eſt tempore, potior eſt iure.[294]


Comment Bridoye expoſe les cauſes pourquoy
il viſitoit les procés qu’il decidoit
par le fort des dez.


Chapitre XL.


Voyre mais (demandoit Trinquamelle) mon amy, puis que par ſort & iect des dez vous faictez vos iugemens, pourquoy ne liurez vous ceſte chanſe le iour & heure propre que les parties controuerſes comparent par dauant vous, ſans aultre delay ? De quoy vous ſeruent les eſcriptures & aultres procedures contenues dedans les ſacs ? Comme à vous aultres meſſieurs (reſpondit Bridoye) elles me ſeruent de trois choſes exquiſes, requiſes, & autenticques. Premierement pour la forme, en omiſſion de laquelle ce qu’on a faict n’eſtre valable prouue treſbien Spec. tit. de inſtr. edi. & tit. de reſcrip. præſent. D’aduantaige vous ſçauez trop mieux que ſouuent en procedures iudiciaires les formalitez deſtruiſent les materialitez & ſubſtances. Car forma mutata mutatur ſubstantia.[295] ff. ad exhib. l. Iulianus ff. ad leg. falcid. l. Si is qui quadringenta. Et extra, de deci. c. ad audientiam, & de celebra, miſs. c. in quadam.

Secondement comme à vous aultres meſſieurs, me ſeruent d’exercice honeſte & ſalutaire. Feu M. Othoman Vadare grand Medicin, comme vous diriez. C. de comit. & archi. lib. xij. m’a dict maintes foys que faulte d’exercitation corporelle eſt cauſe vnicque de peu de ſanté & briefueté de vie de vous aultres meſſieurs, & tous officiers de iuſtice. Ce que treſbien auant luy eſtoit noté par Bart. in l. j. C. de ſenten. quæ pro eo quod. Pourtant ſont comme à vous aultres meſſieurs, à nous conſecutiuement, quia accessorium naturam sequitur principalis[296], de reg. iur. lib. vj. & l. cum principalis. & l. nihil dolo. ff. eod. titu. ff. de fideiuſſo. l. fideiuſſor. & extra de offi. de leg. c. j. concedez certains ieuz d’exercice honeſte & recreatif, ff. de al. lus. & aleat. l. ſolent. & autent. vt omnes obediant, in princ coll. vij. & ff. de præſcript. verb. l. ſi gratuitam. & l. j. C. de ſpect. lib. xj. Et telle eſt l’opinion D. Thomæ in ſecunda ſecundæ quæſt. clxviij bien à propous alleguée per D. Alber. de Rof. lequel ſuit magnus practicus & docteur ſolennel, comme atteſte Barbatia in prin. conſil. La raiſon eſt expoſée per gl. in proœmio. ff. §. ne autem tertij.

Interpone tuis interdum gaudia curis.[297]

De faict vn iour en l’an. 1489. ayant quelque affaire burſal en la chambre de meſſieurs les Generaulx, & y entrant par permiſſion pecuniaire de l’huiſſier, comme vous aultres meſſieurs ſçauez que pecuniæ obediunt omnia[298], & l’a dict Bald. in l. Singularia. ff. ſi certum pet. & Salic, in l. recepticia. C. de conſtit, pecun. & Card. in Cle. j. de baptis. Ie les trouuay tous iouans à la mouſche par exercice ſalubre auant le paſt, ou apres : il m’eſt indifferent pourueu que hic no.[299] que le ieu de la mouſche eſt honeſte, ſalubre, antique, & legal à Muſco[300] inuentore. de quo. C. de petit, hæred. l. ſi poſt motam : & Muſcarii[301] i. ceulx qui iouent à la mouſche ſont excuſables de droict l. j. C. de excus. artif. lib. x. Et pour lors eſtoit de mouſche M. Tielman Picquet, il m’en ſoubuient : & rioyt de ce que meſſieurs de la dicte chambre guaſtoient tous leurs bonnetz à force de luy dauber ſes eſpaules : les diſoit ce nonobſtant n’eſtre de ce deguaſt de bonnetz excuſables au retour du palais enuers leurs femmes par c. i. extra de præſump. & ibi gl. Or reſolutoriè loquendo[302] ie diroys comme vous aultres meilleurs, qu’il n’eſt exercice tel, ne plus aromatiſant en ce monde Palatin, que vuider ſacs, feueilleter papiers, quotter cayers, emplir paniers, & viſiter procés, ex Bart. & Io. de pra. in l. falſa. de condit. & demon, ff.

Tiercement, comme vous aultres meſſieurs, ie conſydere que le temps meuriſt toutes choſes : par temps toutes choſes viennent en euidence : le temp eſt pere de Verité, gl. in l. j. C. de ſeruit. Autent. de reſtit. & ea quæ pa. & Spec. tit. de requis. cons. C’eſt pourquoy, comme vous aultres meſſieurs ie ſurſoye, delaye, & differe le iugement : affin que le procés bien ventilé, grabelé, & debatu vieigne par ſucceſſion de temps à ſa marurité : & le ſort par apres aduenent ſoit plus doulcettement porté des parties condemnées, comme no. glo. ff. de excu. tut. l. Tria onera. Portatur leuiter quod porcat quiſque libenter.[303] Le iugeant crud, verd, & au commencement, dangier ſeroit de l’inconuenient que diſent les Medicins aduenir, quand on perſe vn apoſteme auant qu’il ſoit meur, quand on purge du corps humain quelque humeur nuyſant auant ſa concoction. Car comme eſt eſcript in Autent. Hæc conſtit, in inno. conſt. prin. & le repete gl. in c. Cæterum. extra de iura. calum. Quod medicamenta morbis exhibent, hoc iura negotiis.[304] Nature d’aduentaige nous inſtruict cuillir & manger les fruictz quand ilz ſont meurs. Inſtit. de re. di. §. is ad quem. &. ff. de acti. empt. l. Iulianus. Marier les filles, quand elles ſont meures, ff. de donat. int. vir. & vxo. l. cùm hic ſtatus. §. ſi quia ſponſa. & 27. q. j. c. Sicut dict gl. Iam matura thoris plenis adoleuerat annis Virginitas[305], Rien ne faire qu’en toute maturité, xxiij. q. ij. §. vlt. & xxxiij. d. c. vlt.


Comment Bridoye narre l’hiſtoire
de l’apoincteur de procés.


Chapitre XLI.


Il me ſouuient à ce propos (diſt Bridoye continuant) que on temps que i’eſtudiois à Poiſtiers en droict ſoubs Brocadium iuris[306], eſtoit à Semerue vn nommé Perrin Dendin[307], home honorable, bon laboureur, bien chantant au letrain, home de credit, & aagé autant que le plus de vous aultres meſſieurs : lequel diſoit auoir veu le grand bon home Concile de Latran auecques ſon gros Chappeau rouge, enſemble la bonne dame Pragmaticque Sanction[308] ſa femme auecques ſon large tiſſu de ſatin pers, & ſes groſſes patenoſtres de Gayet. Ceſtuy home de bien apoinctoit plus de procés, qu’il n’en eſtoit vuidé en tout le palais de Poiſtiers, en l’auditoire de Monſmorillon, en la halle de Parthenay le vieulx. Ce que le faiſoit venerable en tout le voiſinage. De Chauuigny, Noüaillé, Croutelles, Aiſgne, Legugé, La motte, Luſignan, Viuonne, Mezeaulx, Eſtables, & lieux confins tous les debatz, procés & differens, eſtoient par ſon deuis vuidez, comme par iuge ſouuerain, quoy que iuge ne feuſt, mais home de bien. Arg. in l. ſed ſi vnius[309]. ff. de iureiu. & de verb. oblig. l. continuus. Il n’eſtoit tué pourceau en tout le voiſinage, dont il n’euſt de la haſtille & des boudins. Et eſtoit presque tous les iours de banquet, de feſtin, de nopces, de commeraige, de releuailles, & en la tauerne : pour faire quelque apoinctement, entendez. Car iamais n’apoinctoit les parties, qu’il ne les feiſt boyre enſemble par ſymbole de reconciliation, d’accord perfaict, & de nouuelle ioye. vt no. per doct. ff. de peri. & comm. rei vend. l. i.

Il eut vn filz nommé Tenot Dendin, grand hardeau, & gualant home, ainſi m’aiſt Dieu, lequel ſemblablement voulut s’entremettre d’appoincter les plaidoians : comme vous ſçauez que,

Sæpe ſolet ſimilis filius eſſe patri,
Et ſequitur leuiter filia matris iter.
[310]

vt ait gl. vj. q. j c. Si quis. g. de conf. d. v. c. j. ſi. & est no. per doct. C. de impu. & aliis subst. l. vlt. & 1. legitimæ, ff. de stat. hom. gl. in l. quod si nolit. ff. de edil. ed. l. quis, C. ad le. Iul. maiest. Excipio filios à moniali ſuſceptos ex monacho[311], per gl. in c. Impudicas. xxvii. q. 1. Et ſe nommoit en ſes tiltres, L’apoincteur des procés. En ceſtuy negoce tant eſtoit actif & vigilant. Car vigilantibus iura ſubueniunt[312], ex. l. pupillus. ff. quæ in fraud. cred. & ibid. l. non enim. & inſtit. in proœmio : que incontinent qu’il ſentoit. vt. ff. ſi quad. pau. ſec. l. Agaſo. gl. in verbo. olfecit. i. naſum ad culum poſuit[313], & entendoit par pays eſtre meu procés ou debat, il ſe ingeroit d’apoincter les parties. Il eſt eſcript. Qui non laborat, non manige ducat[314], & le dict gl. ff. de dam. infect. l. quamuis. & Currere plus que le pas vetullam compellit egeſtas.[315] vetulam compellit egeſtas. gl. ff. de lib. agnos. l. Si quis. pro qua facit. l. ſi plures C. de cond. incer. Mais en tel affaire il feut tant malheureux, que iamais n’apoincta different quelconcques, tant petit feuſt il que ſçauriez dire. En lieu de les apoincter, il les irritoit & aigriſſoit d’aduentaige. Vous ſçauez, meſſieurs, que,

Sermo datur cunctis, animi ſapientia paucis.[316]

gl. ff. de alie. iu. mu. caus, ſa. l. ij. Et diſoient les tauerniers de Semarue, que ſoubs luy en vn an ilz n’auoient tant vendu de vin d’apoinctation, (ainſi nommoient ilz le bon vin de Legugé) comme ilz faiſoient ſoubz ſon pere en demie heure. Aduint qu’il s’en plaignit à ſon pere, & referoit les cauſes de ce meſhaing en la peruerſité des homes de ſon temps, franchement luy obiectant : que ſi on temps iadis le monde euſt eſté ainſi peruers, playdoiart, detraué, & inapoinctable, il ſon pere, n’euſt acquis l’honneur & tiltre d’Apoincteur tant irrefragable, comme il auoit. En quoy faiſoit Tenot contre le droict, par lequel eſt es enfans defendu reprocher leurs propres peres per gl. & Bar. l. iij. §. Si quis. ff. de condi. ob cauſ. & autent. de nup. §. Sed quod sancitum coll. iiij. Il fault (reſpondit Perrin) faire aultrement, Dendin mon filz. Or quand oportet[317] vient en place, il conuient qu’ainſi ſe face. gl. C. de appell. l. eos etiam. Ce n’eſt là que giſt le Lieure. Tu n’apoincte iamais les differens. Pour quoy ? Tu les prens des le commencement eſtans encores verds & cruds. le les apoincte tous. Pourquoy ? Ie les prens ſur leur fin bien meurs & digerez. Ainſi dict gl.

Dulcior eſt fructus poſt multa pericula ductus.[318]

l. non moricurus. C. de contrah. & comit. ſtip. Ne ſçaiz tu qu’on dict en prouerbe commun, Heureux eſtre le medicin, qui eſt appellé ſus la declination de la maladie ? La maladie de ſoy criticquoit, & tendoit à fin encores que le medicin n’y ſuruint. Mes plaidoieurs ſemblablement de ſoy meſmes declinoient on dernier but de playdoirie : car leurs bourſes eſtoient vuides : de ſoy ceſſoient pourſuyure & ſolliciter : plus d’aubert n’eſtoit en fouillouſe pour ſolliciter & pourſuyure.

Deficiente pecu, deficit omne, nia.[319]

Manquoit ſeulement quelqu’vn qui feuſt comme paranymphe & mediateur, qui premier parlaſt d’apoinctement, pour ſoy ſauluer l’vne & l’aultre partie de ceſte pernicieuſe honte, qu’on euſt dict, ceſtuy cy premier s’eſt rendu : il a premier parlé d’apoinctement : il a eſté las le premier : il n’auoit le meilleur droict : il ſentoit que le baſt le bleſſoit. Là (Dendin) ie me trouue à propous[320], comme lard en poys. C’eſt mon heur. C’eſt mon guaing. C’eſt ma bonne fortune. Et te diz (Dendin mon filz iolly) que par ceſte methode, ie pourrois paix mettre[321], ou treues pour le moins, entre le grand Roy & les Venitiens : entre l’empereur & les Suiſſes, entre les Anglois & les Eſcoſſois : entre le Pape & les Ferrarois. Iray ie plus loing ? Ce m’aiſt Dieu, entre le Turc & le Sophy : entre les Tartres & les Moſcouites. Entends bien. Ie les prendrois ſus l’inſtant que les vns & les aultres ſeroient las de guerroier : qu’ilz auroient vuidé leurs coffres : expuiſé les bourſes de leurs ſubiectz : vendu leur dommaine : hypothequé leurs terres : conſumé leurs viures & munitions. Là de par Dieu ou de par ſa mere force forcée leurs eſt reſpirer, & leurs felonnies moderer. C’eſt la doctrine in gl. xxxvii. d. c. Si quando.

Odero ſi potero, ſi non, inuitus amabo.[322]


Comment naiſſent les procés, & comment
ilz viennent à perfection.


Chapitre XLII.


C’est pourquoy (diſt Bridoye continuant) comme vous aultres meſſieurs, ie temporize attendant la maturité du procés, & ſa perfection en tous membres : ce ſont eſcriptures & ſacs. Arg. in l. ſi maior. C. commu. diui. & de conf. d. 1. c. Solennitates. & ibi gl. Vn procés à ſa naiſſance premiere me ſemble, comme à vous aultres meſſieurs, informe & imperfaict. Comme vn Ours naiſſant n’a pieds ne mains, peau, poil, ne teſte : ce n’eſt qu’vne piece de chair rude & informe. L’ourſe à force de leicher[323] la mect en perfection des membres, vt no. doct. ff. ad leg. Aquil. l. ii. in ſi. Ainſi voy ie, comme vous aultres meſſieurs, naiſtre les procés à leurs commencemens informes & ſans membres. Ilz n’ont qu’vne piece ou deux : c’eſt pour lors vne laide beſte. Mais lors qu’ilz ſont bien entaſſés, enchaſſés, & enſachez, on les peut vrayement dire membruz & formez. Car forma dat eſſe rei.[324] l. ſi is qui. ff. ad leg. falci. in c. cum dilecta extra de reſcrip. Barbatia conſil. 12. lib. 2. & dauant luy Bald. in c. vlti. extra de conſue. & l. Iulianus. ff. ad exib. & l. quæſitum. ff. de lega iii. La maniere eſt telle que dict gl. p. q. j. c. Paulus. Debile principium melior fortuna ſequetur.[325] Comme vous aultres meſſieurs, ſemblablement les ſergens, huiſſiers, appariteurs, chiquaneurs, procureurs, commiſſaires, aduocatz, enqueſteurs, tabellions, notaires, grephiers, & iuges pedanées, de quibus tit. ell lib. iij. Cod, ſugſans bien fort & continuellement les bourſes des parties, engendrent à leurs procés teſte, pieds, gryphes, bec, dents, mains, venes, arteres, nerfz, muſcles, humeurs. Ce ſont les ſacs. gl. de conf. d. iiij. c. accepiſti. Qualis veſtis erit, talia corda gerit.[326] Hic no. qu’en ceſte qualité plus heureux ſont les plaidoyans que les miniſtres de Iuſtice. Car, beatius eſt dare, quàm accipere.[327] ff. comm. l. iij. & extra de celebra, miſs. c. cùm Marthæ. Et 24. q. j. c. Odi. gl. Affectum dantis penſat cenſura tonantis.[328] Ainſi rendent le procés perfaict gualant & bien formé : comme dict gl. can. Accipe, ſume, cape, ſunt Verba placentia Papæ.[329] Ce que plus apertement a dict Alber. de Rof. in verb. Roma.

Roma manus rodit, quas rodere non valet odit.
Dantes cuſtodit, non dantes ſpernit & odit.
[330]

Raiſon pourquoy ? Ad præſens oua cras pullis ſunt meliora.[331] vt eſt glo. in. l. quum hi. ff. de tranſac. L’inconuenient du contraire ell mis in gl. C. de allu. l. ſi. Cum labor in damno eſt, creſcit mortalis egeſtas.[332] La vraye etymologie de Procés eſt en ce qu’il doibt auoir en ſes prochatz prou ſacs. Et en auons brocards deificques. Litigando iura creſcunt. Litigando ius acquiritur.[333] Item gl. in c. Illud ext. de præſumpt. &. C. de prob. l. inſtrumenta. l. non epiſtolis. l. non nudis.

Et cum non proſunt ſingula, multa iuuant.[334]

Voyre mais (demandoit Trinquamelle) mon amy, comment procedez vous en action criminelle, la partie coulpable prinſe flagrante crimine[335] ? Comme vous aultres meſſieurs, (reſpondit Bridoye) ie laiſſe & commende au demandeur dormir bien fort pour l’entrée du procés : puys dauant moy conuenir, me apportant bonne & iuridicque atteſtation de ſon dormir ſcelon la gl. 32. q. vij. c. Si quis cum. Quandoque bonus dormitat Homerus.[336] Ceſtuy acte engendre quelque aultre membre, de celluy là naiſt vn aultre, comme maille à maille eſt faict le aubergeon. En fin ie trouue le procés bien par informations formé & perfaict en ſes membres. Adoncques ie retourne à mes dez. Et n’eſt par moy telle interpollation ſans raiſon faicte & experience notable.

Il me ſouuient que on camp de Stokolm[337], vn Guaſcon nommé Gratianauld natif de Sainſeuer, ayant perdu au ieu tout ſon argent : & de ce grandement faſché : comme vous ſçauez que, pecunia eſt alter ſanguis, vt ait Anto. de Butrio in. c. accedens. ij. extra vt lit. non conteſt. & Bald. in. l. ſi tuis. C. de op. li. per no. &. l. aduocati. C. de aduo. diu. iud. Pecunia eſt vita hominis, & optimus fideiuſſor in neceſſitatibus[338] : à l’iſſue du berland dauant tous ſes compaignons diſoit à haulte voix. Pao cap de bious, hillotz, que mau de pippe bous treſbyre : ares que pergudes ſont les mies bingt & quouatte baguettes, ta pla donnerien picz, trucz, & patactz. Sey degun de bous aulx, qui boille truquar ambe iou à belz embiz[339] ? Ne reſpondent perſone, il paſſe on camp des Hondreſpondres, & reïteroit ces meſmes parolles, les inuitant à combatre auecques luy. Mais les ſuſdictz diſoient. Der Guaſcongner thut ſchich vſz mite eim iedem ze ſchlagen, aber er iſt geneigter zu ſtaelen : darumb, lieben frauuen, hend ſerg zu inuerm haufraut.[340] Et ne ſe offrir au combat perſone de leur ligue. Pourtant paſſe le Guaſcon au camp des auenturiers François, diſant ce que deſſus, & les inuitant au combat guaillardement auecques petites gambades Guaſconicques. Mais perſone ne luy reſpondit. Lors le Guaſcon au bout du camp ſe coucha pres les tentes du gros Chriſtian cheuallier de Griſſé, & s’endormit. Sus l’heure vn aduenturier ayant pareillement perdu tout ſon argent, ſortit auecques ſon eſpée, en ferme deliberation de combatre auecques le Guaſcon : veu qu’il auoit perdu comme luy.

Ploratur lachrymis amiſſa pecunia veris,[341]

dict gloſ. de pœnitent. diſt. 3. c. Sunt plures. De faict l’ayant cherché par my le camp, finablement le trouua endormy. Adoncques luy diſt, Sus ho, Hillot de tous les Diables, leue toy : i’ay perdu mon argent, auſſi bien que toy. Allons nous battre guaillard, & bien à poinct frotter noſtre lard. Aduiſe que mon verdun ne ſoit poinct plus long que ton eſpade. Le Guaſcon tout eſblouy luy reſpondit. Cap de sainſi Arnault, quau feys tu, qui me rebelliez ? Que mau de taouerne te gyre. Ho ſainct Siobe cap de Guaſcoigne, ta pla dormie iou, quand aquoeſt taquain me bingut eſtée.[342] L’aduenturier le inuitoit derechef au combat, mais le Guaſcon luy diſt. Hé paouret, ïou te eſquinerie ares que ſon pla repoſat. Vayne vn pauc qui te poſar com ïou, pueſſe truqueren.[343] Auecques l’oubliance de ſa perte il auoit perdu l’enuie de combatre. Somme, en lieu de ſe batre, & ſoy par aduenture entretuer, ilz allerent boyre enſemble, chaſcun ſus ſon eſpée. Le ſommeil auoit faict ce bien, & pacifié la flagrante fureur des deux bons champions. Là compete le mot doré de Ioan. And. in. c. vit. de ſent. & re iudic. libro ſexto. Sedendo & quieſcendo fit anima prudens.[344]


Comment Pantagruel excuſe Bridoye ſus les iugemens
faictz au ſort des dez.


Chapitre XLIII.


A tant ſe teut Bridoye. Trinquanielle luy commenda iſſir hors la chambre du parquet. Ce que feut faict. Allors diſt à Pantagruel. Raiſon veult, Prince treſauguſte, non par l’obligation ſeulement, en laquelle vous tenez par infinis biensfaictz ceſtuy parlement, & tout le marquiſat de Myrelingues : mais auſſi par le bon ſens, diſcret iugement, & admirable doctrine, que le grand Dieu dateur de tous biens a en vous poſé, que vous præſentons la deciſion de ceſte matiere tant nouuelle, tant paradoxe, & extrange de Bridoye, qui vous præſent, voyant, & entendent, a confeſſé iuger au ſort des dez. Si vous prions que en veueillez ſententier comme vous ſemblera iuridicque & æquitable.

A ce reſpondit Pantagruel. Meſſieurs, mon eſtat n’eſt en profeſſion de decider procés, comme bien ſçauez. Mais puys que vous plaiſt me faire tant d’honneur, en lieu de faire office de luge, ie tiendray lieu de Suppliant. En Bridoye ie recongnois pluſieurs qualitez, par les quelles me ſembleroit pardon du cas aduenu meriter. Premierement vieilleſſe, ſecondement ſimpleſſe : es quelles deux vous entendez trop mieulx quelle facilité de pardon, & excuſe de mesfaict, nos droictz & nos loix oultroyent. Tiercement ie recongnois vn aultre cas pareillement en nos droictz deduict à la faueur de Bridoye, c’eſt que ceſte vnique faulte doibt eſtre abolie, extainde, & abſorbée en la mer immenſe de tant d’equitables ſentences qu’il a donné par le paſſé : & que par quarante ans & plus on n’a en ay trouué acte digne de reprehenſion : comme ſi en la riuiere de Loyre ie ieſtois vne goutte d’eaue de mer, pour ceſte vnique goutte perſone ne la ſentiroit, perſone ne la diroit ſallée. Et me ſemble qu’il y a ie ne ſçay quoy de Dieu, qui a faict & diſpenſé, qu’à ces iugemens de ſort toutes les præcedentes ſentences ayent eſté trouuées bonnes en ceſte voſtre venerable & ſouueraine court : lequel comme ſçauez veult ſouuent ſa gloire apparoiſtre en l’hebetation des ſaiges, en la depreſſion des puiſſans, & en l’erection des ſimples & humbles. Ie mettray en obmiſſion toutes ces choſes : ſeulement vous priray, non par celle obligation que pretendez à ma maiſon, laquelle ie ne recongnois, mais par l’affection ſyncere que de toute ancienneté auez en nous congneue tant deçà que delà Loire en la mainctenue de voſtre eſtat & dignitez, que pour celle fois luy veueillez pardon oultroyer. Et ce en deux conditions. Premierement ayant ſatisfaict ou proteſtant ſatisfaire à la partie condemnée par la ientence dont eſt queſtion. A ceſtuy article ie donneray bon ordre & contentement. Secondement qu’en ſubſide de ſon office vous luy bailliez quelqu’vn plus ieune docte, prudent, perit, & vertueux conſeiller : à l’aduis duquel dorenauant fera ſes procedures iudiciaires. En cas que le vouluſſiez totalement de ſon office depoſer, ie vous priray bien fort me en faire vn præſent & pur don. Ie trouueray par mes royaulmes lieux aſſés & eſtatz pour l’employer & me en ſeruir. A tant ſuppliray le bon Dieu createur, ſeruateur, & dateur de tous biens, en ſa faincte grace perpetuellement vous maintenir.

Ces motz dictz, Pantagruel feiſt reuerence à toute la court, & ſortit hors le parquet. A la porte trouua Panurge, Epiſtemon, frere Ian, & aultres. Là monterent à cheual pour s’en retourner vers Gargantua. Par le chemin Pantagruel leurs comptoit de poinct en poinct l’hiſtoire du iugement de Bridoye. Frere Ian diſt qu’il auoit congneu Perrin Dendin on temps qu’il demouroit à la Fontaine le Conte ſoubs le noble abbé Ardillon. Gymnaſte diſt qu’il eſtoit en la tente du gros Chriſtian cheuallier de Criſſé, lors que le Guaſcon reſpondit à l’aduenturier. Panurge faiſoit quelque difficulté de croire l’heur des iugemens par ſort, meſmement par ſi long temps. Epiſtemon diſt à Pantagruel. Hiſtoire parallele nous compte lon d’vn Præuoſt de Monſlehery. Mais que diriez vous de ceſtuy heur des dez continué en ſuccés de tant d’années ? Pour vn ou deux iugemens ainſi donnez à l’aduenture ie ne me eſbahirois, meſmement en matieres de foy ambigues, intrinquées, perplexes, & obſcures.


Comment Pantagruel racompte vne eſtrange hiſtoire
des perplexitez du iugement humain.


Chapitre XLIIII.


Comme feut (diſt Pantagruel) la controuerſe debatue dauant Cn. Dolabella[345], proconſul en Aſie. Le cas eſt tel. Vne femme en Smyrne de ſon premier mary eut vn enfant nommé Abecé. Le mary defunct, apres certain temps elle ſe remaria : & de ſon ſecond mary eut vn filz nomme Effege. Aduint (comme vous ſçauez que rare eſt l’affection des peratres, vitrices, nouerces, & meratres enuers les enfans des defuncts premiers peres & meres) que ceſtuy mary & ſon filz occultement, en trahiſon, de guet à pens, tuerent Abecé. La femme entendent la trahiſon & meſchanſeté ne voulut le forfaict reſter impuny : & les feiſt mourir tous deux, vengeante la mort de ſon filz premier. Elle feut par la iuſtice apprehendée & menée dauant Cn. Dolabella. En ſa præſence elle confeſſa le cas, ſans rien diſſimuler, ſeulement alleguoit que de droict & par raiſon elle les auoit occis. C’eſtoit l’eſtat du procés. Il trouua l’affaire tant ambigu, qu’il ne ſçauoit en quelle partie incliner. Le crime de la femme eſtoit grand, laquelle auoit occis ſes mary ſecond & enfant. Mais la cauſe du meurtre luy ſembloit tant naturelle, & comme fondée en droict des peuples, veu qu’ilz auoient tué ſon filz premier, eulx enſemble, en trahiſon, de guet à pens, non par luy oultragez ne iniuriez, ſeulement par auarice de occuper le total heritage : que pour la deciſion il enuoya es Areopagites en Athenes, entendre quel ſeroit ſur ce leur aduis & iugement. Les Areopagites feirent reſponſe, que cent ans apres perſonellement on leur enuoiaſt les parties contendentes, affin de reſpondre à certains interroguatoires, qui n’eſtoient on procés verbal contenuz. C’eſtoit à dire que tant grande leurs ſembloit la perplexité & obſcurité de la matiere, qu’ilz ne ſçauoient qu’en dire ne iuger. Qui euſt decidé le cas au ſort des dez, il n’euſt erré, aduint ce que pourroit. Si contre la femme, elle meritoit punition, veu qu’elle auoit faict la vengence de ſoy, laquelle apartenoit à Iuſtice : Si pour la femme, elle ſembloit auoir eu cauſe de douleur atroce. Mais en Bridoye la continuation de tant d’années me eſtonne.

Ie ne ſçaurois (reſpondit Epiſtemon) à voſtre demande categoricquement reſpondre. Force eſt que le confeſſe. Coniecturallement ie refererois ceſtuy heur de iugement en l’aſpect beneuole des cieulx, & faueur des Intelligences motrices. Les quelles en contemplation de la ſimplicité & affection ſyncere du iuge Bridoye : qui ſoy deſſiant de ſon ſçauoir & capacité : congnoiſſant les antinomies & contrarietez des loix, des edictz, des couſtumes & ordonnances : entendent la fraulde du Calumniateur infernal, lequel ſouuent ſe transfigure en meſſagier de lumiere, par ſes miniſtres les peruers aduocatz, Conſeilliers, Procureurs, & aultres telz ſuppoz, tourne le noir en blanc, faict phantaſticquement ſembler à l’vne & l’aultre partie, qu’elle a bon droict, comme vous ſçauez qu’il n’eſt ſi mauluaiſe cauſe qui ne trouue ſon aduocat, ſans cela iamais ne ſeroit procés on monde : ſe recommenderoit humblement à Dieu le iuſte iuge : inuocqueroit à ſon ayde la grace celeſte : ſe deporteroit en l’eſprit ſacroſainct, du hazard & perplexité de ſentence definitiue : & par ce ſort exploreroit ſon decret & bon plaiſir, que nous appelions Arreſt : remueroient & tourneroient les dez pour tomber en chanſe de celluy qui muny de iuſte complaincte requeroit ſon bon droict eſtre par Iuſtice maintenu. Comme diſent les Talmudiſtes, en ſort n’eſtre mal aulcun contenu : ſeulement par ſort eſtre en anxieté & doubte des humains manifeſtée la volunté diuine.

Ie ne vouldrois penſer ne dire, auſſi certes ne croy ie, tant anomale eſtre l’iniquité, & corruptele tant euidente de ceulx qui de droict reſpondent en icelluy parlement Myrelinguois en Myrelingues, que pirement ne ſeroit vn procés decidé par iect des dez, aduint ce que pourroit, qu’il eſt paſſant par leurs mains pleines de ſang & de peruerſe affection. Attendu meſmement, que tout leur directoire en iudicature vſuale a eſté baillé par vn Tribunian home meſcreant, infidele, barbare, tant maling, tant peruers, tant auare & inique, qu’il vendoit les loix, les edictz, les reſcriptz, les conſtitutions & ordonnances en purs deniers, à la partie plus offrante. Et ainſi leurs a taillé leurs morſeaulx par ces petitz boutz & eſchantillons des loix qu’ilz ont en vſaige : la reſte ſupprimant & aboliſſant qui faiſoit pour la loy totale : de paour que la loy entiere reſtante & les liures des antiques Iuriſconſultes veux ſus l’expoſition des douze tables, & edictz des Præteurs, feuſt du monde apertement ſa merchanceté congneue. Pourtant ſeroit ce ſouuent meilleur (c’eſt à dire moins de mal en aduiendroit) es parties controuerſes, marcher ſus chauſſes trapes, que de ſon droict ſoy deporter en leurs reſponſes & iugemens : Comme ſoubhaitoit Caton[346] de ſon temps, & conſeilloit que la court iudiciaire feuſt de chauſſes trappes pauée.


Comment Panurge ſe conſeille à Triboullet.

Chapitre XLV.


Av ſixieme iour ſubſequent Pantagruel feut de retour, en l’heure que par eaue de Bloys eſtoit arriué Triboullet. Panurge à ſa venue luy donna vne veſſie de porc bien enflée, & reſonante à cauſe des poys qui dedans eſtoient : plus vne eſpée de boys bien dorée : plus, vne petite gibbeſſiere faicte d’vne coque de Tortue : plus vne bouteille cliſſée pleine de vin Breton : & vn quarteron de pommes Blandureau. Comment, (diſt Carpalim) eſt il fol, comme vn chou, à pommes ? Triboullet ceignit l’eſpée & la gibbeſſiere, print la veſſie en main : mangea part des pommes : beut tout le vin. Panurge le reguardoit curieuſement : & diſt. Encores ne veids ie oncques fol, & ſi en ay veu pour plus de dix mille francs, qui ne beuſt voluntiers & à longs traictz. Depuys luy expoſa ſon affaire en parolles rhetoriques & eleguantes. Dauant qu’il euſt acheué, Triboullet luy bailla vn grand coup de poing entre les deux eſpaules, luy rendit en main la bouteille : le nazardoit auecques la veſſie de porc[347], & pour toute reſponce luy diſt, branſlant bien fort la teſte. Par Dieu, Dieu, fol enraigé, guare moine, cornemuſe de Buzançay. Ces parolles acheuées, s’eſquarta de la compaignie, & iouoic de la veſſie, ſe delectant au melodieux ſon des poys. Depuys ne feut poſſible tirer de luy mot queconques. Et le voulant Panurge d’aduentaige interroger, Triboullet tira ſon eſpée de boys, & l’en voulut ferir.

Nous en ſommes bien vrayement (diſt Panurge). Voyla belle reſolution. Bien fol eſt il, cela ne ſe peult nier : mais plus fol eſt celluy qui me l’amena : & ie tresfol, qui luy ay communicqué mes penſées. C’eſt (reſpondit Carpalim) droict viſé à ma viſiere. Sans nous eſmouuoir, (diſt Pantagruel) conſiderons ſes geſtes & ſes dictz. En iceulx i’ay noté myſteres inſignes, & plus tant que ie ſouloys ne m’eſbahys de ce que les Turcs reuerent telz folz comme Muſaphiz & Prophetes. Auez vous conſideré, comment ſa teſte s’eſt auant qu’il ouuriſt la bouche pour parler, crouſlée & eſbranſlée ? Par la doctrine des antiques Philoſophes, par les ceremonies des Mages, & obſeruations des Iuriſconſultes pouez iuger que ce mouuement eſtoit ſuſcité à la venue & inſpiration de l’eſprit fatidicque, lequel brusquement entrant en debile & petite ſubſtance, (comme vous ſçauez que en petite teſte ne peut eſtre grande ceruelle contenue) l’a en telle maniere eſbranſlée, que diſent les Medicins tremblement aduenir es membres du corps humain, ſçauoir eſt, part pour la peſanteur & violente impetuoſité du fays porté, part pour l’imbecillité de la vertus & organe portant. Exemple manifeſte eſt en ceulx qui à ieun ne peuuent en main porter vn grand hanat plein de vin ſans trembler des mains. Cecy iadis nous præfiguroit la diuinatrice Pythie, quand auant reſpondre par l’oracle eſcroulloit ſon laurier domeſticque. Ainſi dict Lampridius[348] que l’empereur Heliogaballus pour eſtre reputé diuinateur, par pluſieurs feſtes de ſon grand Idole, entre les retaillatz fanaticques branſloit publicquement la teſte. Ainſi declare Plaute en ſon Aſnerie[349], que Saurias cheminoit branſlant la teſte, comme furieux & hors du ſens, faiſant paour à ceulx qui le rencontroient. Et ailleurs[350] expoſant pourquoy Charmides branſloit la teſte, dict qu’il eſtoit en ecſtaſe. Ainſi narre Catulle en Berecynthia & Atys du lieu, on quel les Mænades femmes Bacchicques, prebſtreſſes de Bacchus, forcenées, diuinatrices, portantes rameaulx de Lierre, branſloient les teſtes. Comme en cas pareil faiſoient les Gals eſcouillez prebſtres de Cybele, celebrans leurs offices. Dont ainſi eſt dicte ſcelon les antiques Theologiens : car Κυϐιστᾶν ſignifie, rouer, tortre, branſler la teſte, & faire le torti colli. Ainſi eſcript T. Liue[351], que es Bacchanales de Rome, les homes & femmes ſembloient vaticiner à cauſe de certain branſlement & iectigation du corps par eulx contrefaicte. Car la voix commune des Philoſophes, & l’opinion du peuple eſtoit, vaticination ne elire iamais des cieulx donnée ſans fureur & branſlement du corps tremblant & branſlant, non ſeulement lors qu’il la receuoit, mais lors auſſi qu’il la manifeſtoit & declairoit. De faict Iulian[352] Iuriſconſulte inſigne quelques foys interrogé, ſi le ſerf ſeroit tenu pour ſain, lequel en compaignie de gens fanaticques & furieux, auroit conuerſé, & par aduenture vaticiné, ſans toutesfoys tel branſlement de teſte, reſpondit eſtre pour ſain tenu. Ainſi voyons nous de præſent les precepteurs & Pædagoges eſbranſler les teſtes de leurs diſciples (comme on faict vn pot par les anſes) par vellication & erection des aureilles (qui eſt (ſcelon la doctrine des ſaiges Ægyptiens) membre conſacré à Memoire) affin de remettre leurs ſens, lors par aduenture eſguarez en penſemens eſtranges, & comme effarouchez par affections abhorrentes, en bonne & philoſophicque diſcipline : Ce que de ſoy confeſſe Virgile en l’eſbranlement de Apollo Cynthius[353].


Comment Pantagruel & Panurge diuerſement
interpretent les parolles de Triboullet.


Chapitre XLVI.


Il diſt que vous eſtes fol. Et quel fol ? Fol enragé, qui ſus vos vieulx iours voulez en mariage vous lier, & aſſeruir. Il vous dict, Guare moine. Sus mon honneur, que par quelque moine vous ſerez faict coqu. Ie enguaige mon honneur, choſe plus grande ne ſçaurois, fuſſe ie dominateur vnicque & pacificque en Europe, Africque, & Aſie. Notez combien ie defere à noſtre Moroſophe Triboullet. Les aultres oracles & reſponſes vous ont reſolu pacificquement coqu, mais n’auoient encores apertement exprimé, par qui ſeroit voſtre femme adultere, & vous coqu. Ce noble Triboullet le dict. Et ſera le Coqüage infame, & grandement ſcandaleux. Faudra il que voſtre lict coniugal ſoit inceſté & contaminé par Moynerie ? Dict oultre, que ſerez la cornemuſe de Buzançay, c’eſt à dire, bien corné, cornard, & cornu. Et ainſi comme il voulant au roy Loys douzieme demander pour vn ſien frere le contrerolle du ſel à Buzançay, demanda vne Cornemuſe : vous pareillement, cuydant quelque femme de bien & d’honneur eſpouſer, eſpouſerez vne femme vuyde de prudence, pleine de vent d’oultrecuydance, criarde & mal plaiſante, comme vne cornemuſe. Notez oultre, que de la veſſie il vous nazardoit, & vous donna vn coup de poing ſus l’eſchine. Cela præſagiſt que d’elle ſerez battu, nazardé, & deſrobbé, comme deſrobbé auiez la veſſie de porc aux petitz enfans de Vaubreton.

Au rebours (reſpondit Panurge). Non que ie me vueille impudentement exempter du territoire de follie. I’en tiens & en ſuys, ie le confeſſe. Tout le monde eſt fol. En Lorraine Fou eſt prés Tou[354] par bonne diſcretion. Tout eſt fol. Solomon dict[355] que infiny eſt des folz le nombre. A infinité rien ne peut decheoir, rien ne peut eſtre adioinct, comme prouue Ariſtoteles. Et fol enragé ſerois, ſi fol eſtant, fol ne me reputois. C’eſt ce que pareillement faict le nombre des maniacques & enraigez infiny. Auicenne[356] dict, que de manie infinies ſont les eſpeces. Mais le reſte de ſes dictz & geſtes faict pour moy. Il dict à ma femme, guare moyne. C’eſt vn moyneau qu’elle aura en delices, comme auoit la Leſbie de Catulle : lequel volera pour mouſches, & y paſſera ſon temps autant ioyeuſement que feiſt oncques Domitian le croquemouſche. Plus dict qu’elle ſera villaticque & plaiſante comme vne belle cornemuſe de Saulieu ou de Buzançay. Le veridicque Triboullet bien a congneu mon naturel, & mes internes affections. Car ie vous affie que plus me plaiſent les guayes bergerottes eſcheuelées, es quelles le cul ſent le Serpoullet, que les dames des grandes cours auecques leurs riches atours, & odorans perfums de maulioinct[357] : plus me plaiſt le ſon de la ruſticque cornemuſe, que les fredonnemens des lucz, rebecz, & violons auliques. Il m’a donné vn coup de poing ſus ma bonne femme d’eſchine. Pour l’amour de Dieu ſoit, & en deduction de tant moins des poines de Purgatoire. Il ne le faiſoit par mal. Il penſoit frapper quelque paige. Il eſt fol de bien. Innocent, ie vous affie, & peche qui de luy mal penſe. Ie luy pardonne de bien bon cœur. Il me nazardoit. Ce ſeront petites follaſtries entre ma femme & moy, comme aduient à tous nouueaulx mariez.


Comment Pantagruel & Panurge deliberent
viſiter l’Oracle de la Diue Bouteille.


Chapitre XLVII.


Voycy bien vn aultre poinct, lequel ne conſyderez. Eſt toutesfoys le neu de la matiere. Il m’a rendu en main la bouteille. Cela que ſignifie ? Qu’eſt ce à dire ? Par aduenture (reſpondit Pantagruel) ſignifie que voſtre femme ſera yuroigne. Au rebours, (diſt Panurge) car elle eſtoit vuide. Ie vous iure l’eſpine de ſainct Fiacre en Brye, que noſtre Moroſophe l’vnicque non Lunaticque Triboullet me remect à la Bouteille. Et ie refraiſchiz de nouueau mon veu premier, & iure Stix & Acheron en voſtre præſence, lunettes au bonnet porter, ne porter braguette à mes chauſſes, que ſus mon entreprinſe ie n’aye eu le mot de la Diue Bouteille. Ie ſçay home prudent & amy mien, qui ſçait le lieu, le pays, & la contrée en laquelle eſt ſon temple & oracle. Il nous y conduira ſceurement. Allons y enſemble, je vous ſupply ne me eſconduire. Ie vous ſeray vn Achates, vn Damis, & compaignon en tout le voyage. Ie vous ay de longtemps congneu amateur de peregrinité & deſyrant tous iours veoir, & tous iours apprendre. Nous voirons choſes admirables, & m’en croyez.

Voluntiers, (reſpondit Pantagruel) mais auant nous mettre en ceſte longue peregrination, plene de azard, plene de dangiers euidens. Quelz dangiers ? diſt Panurge interrompant le propous. Les dangiers ſe refuyent de moy, quelque part que ie ſoys, ſept lieues à la ronde : comme aduenent le prince, ceſſe le magiſtrat : aduenent le Soleil, eſuanouiſſent les tenebres : & comme les maladies fuyoient à la venue du corps ſainct Martin à Quande. A propous, diſt Pantagruel, auant nous mettre en voye, de certains poinds nous fault expedier. Premierement renuoyons Triboullet à Bloys (Ce que feut faict à l’heure : & luy donna Pantagruel vne robbe de drap d’or frizé). Secondement nous fault auoir l’aduis & congié du Roy mon pere. Plus nous eſt beſoing trouuer quelque Sibylle pour guyde & truchement. Panurge reſpondit que ſon amy Xenomanes leurs ſuffiroit, & d’abondant deliberoit paſſer par le pays de Lanternoys, & là prendre quelque docte & vtile Lanterne, laquelle leurs ſeroit pour ce voyage, ce que feut la Sibylle à Æneas deſcendent es champs Eliſiens. Carpalim paſſant pour la conduicte de Triboullet, entendit ce propous, & s’eſcria diſant, Panurge, ho, monſieur le quitte[358], pren Millort Debitis à Calais, car il eſt goud fallot, & n’oublie debitoribus, ce ſont lanternes. Ainſi auras & fallot & lanternes.

Mon pronoſtic eſt (diſt Pantagruel) que par le chemin nous ne engendrerons melancholie. Ia clairement ie l’apperçois. Seulement me deſplaiſt que ne parle bon Lanternoys[359]. Ie (reſpondit Panurge) le parleray pour vous tous, ie l’entends comme le maternel, il m’eſt vſité comme le vulgaire.

Briſzmarg d’algotbric nubſtzne zos
Iſquebfz pruſq ; alborz crinqs zacbac.
Miſbe dilbarlkz morp nipp ſtancz bos.
Strombtz Panrge vvalmap quoſt grufz bac.

Or deuine, Epiſtemon, que c’eſt ?

Ce ſont (reſpondit Epiſtemon) noms de Diables errans, diables paſſans, diables rampans. Tes parolles ſont brayes[360] (diſt Panurge) bel amy. C’eſt le courtiſan languaige[361] Lanternoys. Par le chemin ie t’en feray vn beau petit dictionaire, lequel ne durera gueres plus qu’vne paire de ſouliers neufz. Tu l’auras plus touſt aprins, que iour leuant ſentir. Ce que i’ay dict tranſlaté de Lancernoys en vulgaire, chante ainſi.

Tout malheur eſtant amoureux,
M’accompaignoit : oncq n’y eu bien.
Gens mariez plus ſont heureux,
Panurge l’eſt, & le ſçait bien.

Reſte doncques (diſt Pantagruel) le vouloir du Roy mon pere entendre, & licence de luy auoir.


Comment Gargantua remonſtre n’eſtre licite es
enfans ſoy marier, ſans le ſceu & adueu
de leurs peres & meres.
[362]

Chapitre XLVIII.


Entrant Pantagruel en la ſalle grande du chaſteau, trouua le bon Gargantua iſſant du conſeil : luy feiſt narré ſommaire de leurs aduentures : expoſa leur entreprinſe : & le ſupplia, que par ſon vouloir & congié la peuſſent mettre à execution. Le bon home Gargantua tenoit en ſes mains deux gros pacquetz de requeſtes reſpondues : & memoires de reſpondre : les bailla à Vlrich Gallet ſon antique maiſtre des libelles & requeſtes : tira à part Pantagruel, & en face plus ioyeuſe que de couſtume luy diſt. Ie loue Dieu, filz treſcher, qui vous conſerue en deſirs vertueux, & me plaiſt treſbien que par vous ſoit le voyage perfaict. Mais ie vouldroys que pareillement vous vint en vouloir & deſir vous marier. Me ſemble que dorenauant venez en aage à ce competent. Panurge s’eſt aſſés efforcé rompre les difficultez, qui luy pouuoient eſtre en empeſchement. Parlez pour vous. Père treſdebonnaire (reſpondit Pantagruel) encores n’y auoys ie penſé, de tout ce negoce : ie m’en deportoys ſus voſtre bonne volunté & paternel commendement. Plus toſt prie Dieu eſtre à vos piedz veu roydde mort en voſtre deſplailir, que ſans voſtre plaiſir eſtre veu vif marié. Ie n’ay iamais entendu que par loy aulcune, feuſt ſacre, feuſt prophane, & barbare, ayt eſté en arbitre des enfans ſoy marier, non conſentans voulens & promouens leurs peres, meres, & parens prochains. Tous Legiſlateurs ont es enfans ceſte liberté tollue, es parens l’ont reſeruée.

Filz treſcher (diſt Gargantua[363]) ie vous en croy, & loue Dieu de ce que à voſtre notice ne viennent que choſes bonnes & louables, & que par les feneſtres de vos ſens rien n’eſt on domicile de voſtre eſprit entré fors liberal ſçauoir. Car de mon temps a eſté par le continent trouué pays on quel ne ſçay quelz paſtophores Taulpetiers, autant abhorrens de nopces, comme les pontifes de Cybele en Phrygie, ſi chappons feuſſent, & non galls pleins de ſalacité & laſciuie : les quelz ont dict loix es gens mariez ſus le faict de mariage. Et ne ſçay que plus doibue abhominer, ou la tyrannicque præſumption d’iceulx redoubtez Taulpetiers qui ne ſe contiennent dedans les treillis de leurs myſterieux temples, & ſe entremettent des negoces contraires par Diametre entier à leurs eſtatz : ou la ſuperſtitieuſe ſtupidité des gens mariez, qui ont ſanxi & preſté obeiſſance à telles tant malignes & barbaricques loigs. Et ne voyent (ce que plus clair eſt que l’eſtoille Matute) comment telles ſanxions connubiales toutes ſont à l’aduentaige de leurs Myſtes, nul au bien & profict des mariez. Qui eſt cauſe ſuffiſante pour les rendre ſuſpectes comme iniques & fraudulentes. Par reciprocque temerité pourroient ilz loigs eſtablir à leurs Myſtes ſus le faict de leurs ceremonies & ſacrifices, attendu que leurs biens ilz deciment & roignent du guaing prouenant de leurs labeurs & ſueur de leurs mains, pour en abondance les nourrir, & entretenir. Et ne feroient (ſcelon mon iugement) tant peruerſes & impertinentes, comme celles ſont les quelles d’eulx ilz ont receup. Car (comme treſbien auez dict) loy on monde n’eſtoit, qui es enfans liberté de foy marier donnoit, ſans le ſceu, l’adueu, & conſentement de leurs peres. Moyenantes les loigs dont ie vous parle, n’eſt ruffien, forfant, ſcelerat, pendart, puant, punais, ladre, briguant, voleur, meſchant, en leurs contrées, qui violentement ne rauiſſe quelque fille il vouldra choiſir, tant ſoit noble, belle, riche, honeſte, pudicque, que ſçauriez dire, de la maiſon de ſon pere, d’entre les bras de ſa mere, maulgré tous ſes parens : ſi le ruffien ſe y ha vne foys aſſocié quelque Myſte, qui quelque iour participera de la praye. Feroient pis & acte plus cruel les Gothz, les Scythes, les Maſſagettes en place ennemie, par long temps aſſiegée, à grands frays oppugnée, prinſe par force ? Et voyent les dolens peres & meres hors leurs maiſons enleuer & tirer par vn incongneu, eſtrangier, barbare, maſtin tout pourry, chancreux, cadauereux, paouure, malheureux, leurs tant belles, delicates, riches, & ſaines filles, les quelles tant cherement auoient nourriez en tout exercice vertueux, auoient diſciplinées en toute honeſteté : eſperans en temps oportun les colloquer par mariage auecques les enfans de leurs voiſins & antiques amis nourriz & inſtituez de meſme ſoing, pour paruenir à ceſte felicité de mariage, que d’eulx ilz veiſſent naiſtre lignaige raportant & hæreditant non moins aux meurs de leurs peres & meres, que à leurs biens meubles & hæritaiges. Quel ſpectacle penſez vous que ce leurs ſoit ? Ne croyez, que plus enorme feuſt la deſolation du peuple Romain & ſes confœderez entendens le deces de Germanicus Druſus. Ne croyez que plus pitoyable feuſt le deſconfort des Lacedæmoniens, quand de leurs pays veirent par l’adultere Troian furtiuement enleuée Helene Grecque. Ne croyez leur dueil & lamentations eſtre moindres, que de Ceres, quand luy feuſt rauie Proſerpine ſa fille : que de Iſis, à la perte de Oſyris : de Venus, à la mort de Adonis : de Hercules, à l’eſguarement de Hylas : de Hecuba, à la ſubſtraction de Polyxene. Ilz toutesfois tant ſont de craincte du Dæmon & ſuperſtiſioſité eſpris, que contredire ilz n’auſent, puisque le Taulpetier y a eſté præſent & contractant. Et reſtent en leurs maiſons priuez de leurs filles tant aimées, le pere mauldiſſant le iour & heure de ſes nopces : la mere regrettant que n’eſtoit auortée en tel tant triſte & malheureux enfantement : & en pleurs & lamentations finent leurs vie, laquelle eſtoit de raiſon finir en ioye & bon tractement de icelles. Aultres tant ont eſté ecſtaticques & comme maniacques, que eulx meſmes de dueil & regret ſe ſont noyez, penduz, tuez, impatiens de telle indignité.

Aultres ont eu l’eſprit plus Heroïcque, & à l’exemple des enfans de Iacob vengeans le rapt de Dina leur ſœur, ont trouué le ruffien aſſocié de ſon Taulpetier clandeſtinement parlementans & ſubornans leurs filles : les ont ſus l’inſtant mis en pieces & occis felonnement, leurs corps apres iectans es loups & corbeaux parmy les champs. Au quel acte tant viril & cheualereux ont les Symmyſtes Taulpetiers fremy & lamenté miſerablement, ont formé complainctes horribles, & en toute importunité requis & imploré le bras ſeculier, & Iuſtice politicque, inſtans fierement & contendens eſtre de tel cas faicte exemplaire punition. Mais ne en æquité naturelle, ne en droict des gens, ne en loy Imperiale quelconques, n’a eſté trouuée rubricque, paragraphe, poinct, ne tiltre, par lequel fut poine ou torture à tel faict interminée : Raiſon obſiſtante, Nature repugnante. Car home vertueux on monde n’eſt, qui naturellement & par raiſon plus ne ſoit en ſon ſens perturbé, oyant les nouuelles du rapt, diffame, & deſhonneur de ſa fille, que de ſa mort. Ores eſt qu’vn chaſcun trouuant le meurtrier ſus le faict de homicide en la perſone de ſa fille iniquement & de guet à pens, le peut par raiſon, le doibt par nature occire ſus l’inſtant, & n’en ſera par iuſtice apprehendé. Merueilles doncques n’eſt, ſi trouuant le ruffien, à la promotion du Taulpetier, ſa fille ſubornant, & hors ſa maiſon rauiſſant, quoy qu’elle en feuſt conſentente, les peut, les doibt à mort ignominieuſement mettre, & leurs corps iecter en direction des beſtes brutes, comme indignes de recepuoir le doulx, le deſyré, le dernier embraſſement de l’alme & grande mere, la Terre, lequel nous appelions Sepulture.

Filz treſcher, apres mon decés, guardez que telles loigs ne ſoient en ceſtuy Royaulme receues : tant que ſeray en ce corps ſpirant & viuent, ie y donneray ordre treſbon auec l’ayde de mon Dieu. Puis doncques que de voſtre mariage ſus moy vous deportez, i’en ſuis d’opinion. Ie y pouruoiray. Apreſtez vous au voyage de Panurge. Prenez auecques vous Epiſtemon, frere Ian, & aultres que choiſirez. De mes theſaurs faictez à voſtre plein arbitre. Tout ce que ferez, ne pourra ne me plaire. En mon arcenac de Thalaſſe prenez equippage tel que vouldrez : telz pillotz, nauchiers, truſchemens, que vouldrez : & à vent oportun faictez voile on nom & protection du Dieu ſeruateur. Pendent voſtre abſence, ie feray les appreſtz & d’vne femme voſtre, & d’vn feſtin, que ie veulx à vos nopces faire celebre, ſi oncques en feut.


Comment Pantagruel feiſt ſes apreſtz pour monter
ſus mer. Et de l’herbe nommée Pantagruelion.[364]


Chapitre XLIX.


Pev de iours apres Pantagruel auoir prins congié du bon Gargantua, luy bien priant pour le voyage de ſon filz, arriua au port de Thalaſſe pres Sammalo, acompaigné de Panurge, Epiſtemon, frere Ian des entommeures abbé de Theleme, & aultres de la noble maiſon, notamment de Xenomanes le grand vovagier & trauerſeur des voyes perilleuſes[365], lequel eſtoit venu au mandement de Panurge, par ce qu’il tenoit ie ne ſçay quoy en arriere fief de la chaſtellenie de Salmiguondin. Là arriuez, Pantagruel dreſſa equippage de nauires, à nombre de celles que Aiax de Salamine auoit iadis menées en conuoy des Gregoys à Troie. Nauchiers, pilotz, heſpaliers, truſchemens, artiſans, gens de guerre, viures, artillerie, munitions, robbes, deniers, & aultres hardes print & chargea, comme eſtoit beſoing pour long & hazardeux voyage. Entre aultres choſes ie veids qu’il feiſt charger grande foiſon de ſon herbe Pantagruelion, tant verde & crude, que conficte & præparée.

L’herbe Pantagruelion a racine petite, durette, rondelette, finante en poincte obtuſe, blanche, à peu de fillamens, & ne profonde en terre plus d’vne coubtée. De la racine procede vn tige vnicque, rond, ferulacée, verd au dehors, blanchiſſant au dedans : concaue, comme le tige de Smyrnium, Olus atrum, Febues, & Gentiane : ligneux, droict, friable, crenelé quelque peu à forme de columnes legierement ſtriées : plein de fibres, es quelles conſiſte toute la dignité de l’herbe, meſmement en la partie dicte Meſa, comme moyene, & celle qui eſt dicte Mylaſea. Haulteur d’icelluy communement eſt de cinq à ſix pieds. Aulcunes foys excede la haulteur d’vne lance. Sçauoir eſt, quand il rencontre terrouoir doulx, vligineux, legier, humide ſans froydure : comme eſt Olone & celluy de Roſea pres Præneſte en Sabinie, & que pluye ne luy deſſault enuiron les Feries des peſcheurs, & Solſtice æſtiual. Et ſurpaſſe la haulteur des arbres, comme vous dictez Dendromalache par l’authorité de Theophraſte[366] : quoy que herbe ſoit par chaſcun an deperiſſante : non arbre en racine, tronc, caudice, & rameaux perdurante. Et du tige ſortent gros & fors rameaux. Les feueilles a longues trois foys plus que larges, verdes tous iours : aſprettes, comme l’Orcanette : durettes, inciſées au tour comme vne faulcille & comme la Betoine : finiſantes en poinctes de Sariſſe Macedonicque, & comme vne lancette dont vſent les Chirurgiens. La figure d’icelle peu eſt differente des feueilles de Freſne & Aigremoine : & tant ſemblable à Eupatoire, que pluſieurs herbiers l’ayant dicte domeſticque, ont dict Eupatoire eſtre Pantagruelion ſauluaginé. Et ſont par rancs en eguale diſtance eſparſes au tour du tige en rotondité par nombre en chaſcun ordre ou de cinq, ou de ſept. Tant l’a cherie nature, qu’elle l’a douée en ſes feueilles de ces deux nombres impars tant diuins & myſterieux. L’odeur d’icelles eſt fort, & peu plaiſant aux nez delicatz. La ſemence prouient vers le chef du tige, & peu au deſſoubs. Elle eſt numereuſe autant que d’herbe qui ſoit, ſphæricque, oblongue, rhomboïde, noire claire, & comme tannée, durette, couuerte de robbe fragile : delicieuſe à tous oyſeaulx canores, comme Linottes, Chardriers, Alouettes, Serins, Tarins, & aultres. Mais eſtainct en l’home la ſemence generatiue, qui en mangeroit beaucoup & ſouuent. Et quoy que iadis encre les Grecs d’icelle l’on feiſt certaines eſpeces de fricaſſees, tartres, & beuignetz, les quelz ilz mangeoient apres ſoupper par friandiſe & pour trouuer le vin meilleur : ſi eſt ce qu’elle eſt de difficile concoction, offenſe l’eſtomach, engendre mauuais ſang, & par ſon exceſſiue chaleur feriſt le cerueau, & rempliſt la teſte de faſcheuſes & douloreuſes vapeurs. Et comme en pluſieurs plantes ſont deux ſexes : maſle, & femelle : ce que voyons es Lauriers, Palmes, Cheſnes, Heouſes, Aſphodele, Mandragore, Fougere, Agaric, Ariſtolochie, Cypres, Terebinthe, Pouliot, Pæone, & aultres : auſſi en ceſte herbe y a maſle, qui ne porte fleur aulcune, mais abonde en ſemence : & femelle, qui foiſonne en petites fleurs, blanchaſtres, inutiles : & ne porte ſemence qui vaille : & comme eſt des aultres ſemblables, ha la feuille plus large, moins dure que le maſle, & ne croiſt en pareille haulteur. On ſeme ceſtuy Pantagruelion à la nouuelle venue des hyrondelles, on le tire de terre lors que les Cigalles commencent s’enrouer.


Comment doibt eſtre preparé & mis en œuure
le celebre Pantagruelion.


Chapitre L.


On pare le Pantagruelion ſoubs l’æquinocte automnal en diuerſes manieres, ſcelon la phantaſie des peuples, & diuerſité des pays. L’enſeignement premier de Pantagruel feut, le tige d’icelle deueſtir de feueilles & ſemence : le macerer en Eaue ſtagnante non courante par cinq iours, ſi le temps eſt ſec, & l’eaue chaulde, par neuf ou douze, ſi le temps eſt nubileux, & l’eaue froyde : puys au Soleil le ſeicher : puys à l’vmbre le excorticquer, & ſeparer les fibres (es quelles, comme auons dict, conſiſte tout ſon pris & valeur) de la partie ligneuſe, laquelle eſt inutile, fors qu’à faire flambe lumineuſe, allumer le feu, & pour l’eſbat des petitz enfans enfler les veſſies de porc. D’elle vſent aulcunesfoys les frians à cachetes, comme de Syphons, pour ſugſer & auecques l’haleine attirer le vin nouueau par le bondon. Quelques Pantagrueliſtes modernes euitans le labeur des mains qui ſeroit à faire tel depart, vſent de certains inſtrumens catharactes compoſez à la forme que Iuno la faſcheuſe tenoit les doigts de ſes mains liez pour empeſcher l’enfantement de Alcmene[367] mere de Hercules, & à trauers icelluy contundent & briſent la partie ligneuſe, & la rendent inutile, pour en ſauluer les fibres. En ceſte ſeule præparation acquieſcent ceulx qui contre l’opinion de tout le monde, & en maniere paradoxe à tous Philoſophes, guaingnent leur vie à recullons[368]. Ceulx qui à profict plus euident la voulent aualluer, font ce que l’on nous compte du paſſetemps des troys ſœurs Parces : de l’eſbatement nocturne de la noble Circe : & de la longue excuſe de Penelope enuers ſes muguetz amoureux, pendent l’abſence de ſon mary Vlyxes. Ainſi eſt elle miſe en ſes ineſtimables vertus, des quelles vous expouſeray partie, (car le tout eſt à moy vous expouſer impoſſible) ſi dauant, vous interprete la denomination d’icelle.

Ie trouue que les plantes ſont nommées en diuerſes manieres. Les vnes ont prins le nom de celluy qui premier les inuenta, congneut, monſtra, cultiua, apriuoiſa, & appropria, comme Mercuriale de Mercure : Panacea de Panace, fille de Æſculapius : Armoiſe, de Artemis, qui eſt Diane : Eupatoire, du roy Eupator : Telephium, de Telephus : Euphorbium, de Euphorbus Medicin du roy Iuba : Clymenos, de Clymenus : Alcibiadion, de Alcibiades : Gentiane, de Gentius roy de Sclauonie. Et tant a eſté iadis eſtimée ceſte prærogatiue de impoſer ſon nom aux herbes inuentées, que comme feut controuerſe meue entre Neptune & Pallas de qui prendroit nom la terre par eulx deux enſemblement trouuée : qui depuys feut Athenes dicte, de Athene c’eſt à dire Minerue : pareillement Lyncus roy de Scythie ſe miſt en effort de occire en trahiſon le ieune Triptoleme enuoyé par Ceres pour es homes monſtrer le froment lors encores incongneu : affin que par la mort d’icelluy il impoſaſt ſon nom, & feuſt en honneur & gloire immortelle dict inuenteur de ce grain tant vtile & neceſſaire à la vie humaine. Pour laquelle trahiſon feut par Ceres transformé en Oince, ou Loupceruier. Pareillement grandes & longues guerres feurent iadis meues entre certains Roys de ſeiour en Cappadoce, pour ce ſeul different, du nom des quelz ſeroit vne herbe nommée : laquelle pour tel debat feut dicte Polemonia, comme Guerroyere.

Les aultres ont retenu le nom des regions des quelles feurent ailleurs tranſportées, comme pommes Medices, ce ſont Poncires de Medie, en laquelle feurent premierement trouuées : pommes Punicques, ce ſont Grenades, apportées de Punicie, c’eſt Carthage. Liguſticum, c’eſt Liueſche, apportée de Ligurie, c’eſt la couſte de Genes. Rhabarbe, du fleuue Barbare nommé Rha, comme atteſte Ammianus[369] : Santonicque, fœnu Grec : Caſtanes, Perſicques, Sabine, Stœchas, de mes iſles Hieres anticquement dictez Stœchades, Spica Celtica, & aultres.

Les aultres ont leur nom par Antiphraſe & contrariété : comme Abſynthe, au contraire de pynthe, car il eſt faſcheux à boyre : Holoſteon, c’eſt tout de os : au contraire, car herbe n’eſt en nature plus fragile & plus tendre, qu’il eſt.

Aultres ſont nommées par leurs vertus & operations, comme Ariſtolochia, qui ayde les femmes en mal d’enfant. Lichen qui guerit les maladies de ſon nom. Maulue qui mollifie. Callithrichum, qui faict les cheueulx beaulx. Alyſſum, Ephemerum, Bechium, Naſturtium, qui eſt Creſſon Alenoys : Hyoſcyame, hanebanes, & aultres.

Les aultres par les admirables qualitez qu’on a veu en elles, comme Heliotrope, c’eſt Soulcil, qui ſuyt le Soleil. Car le Soleil leuant, il s’eſpanouiſt : montant, il monte : declinant, il decline : ſoy cachant, il ſe clouſt. Adiantum : car iamais ne retient humidité, quoy qu’il naiſſe pres les eaues, & quoy qu’on le plongeaſt en eaue par bien long temps : Hieracia, Eryngion, & aultres.

Aultres par Metamorphoſe d’homes & femmes de nom ſemblable : comme Daphne, c’eſt Laurier, de Daphne : Myrte, de Myrſine : Pytis, de Pytis : Cynara, c’eſt Artichault : Narciſſe, Saphran, Smilax, & aultres.

Aultres par ſimilitude, comme Hippuris (c’eſt Prelle) car elle reſemble à queue de Cheual : Alopecuros, qui ſemble à la queue de Renard : Pſylion, qui ſemble à la Puſſe : Delphinium, au Daulphin : Bugloſſe, à langue de Beuf : Iris, à l’arc en ciel, en ſes fleurs : Myoſota, à l’aureille de Souriz : Coronopous, au pied de Corneille. Et aultres. Par reciprocque denomination ſont dictz les Fabies, des Febues : les Piſons, des Poys : les Lentules, des Lentiles : les Cicerons, des poys Chices. Comme encores par plus haulte reſemblance eſt dict le nombril de Venus, les cheueulx de Venus, la cuue de Venus, la barbe de Iuppiter, l’œil de Iuppiter, le ſang de Mars, les doigtz de Mercure : Hermodactyles : & aultres.

Les aultres de leurs formes : comme Trefeueil, qui ha trois feueilles : Pentaphyllon, qui a cinq feueilles : Serpoullet, qui herpe concre terre : Helxine, Petaſites, Myrobalans, que les Arabes appellent Béen, car ilz ſemblent à gland, & ſont vnctueux.


Pourquoy eſt dicte Pantagruelion, & des
admirables vertus d’icelle.


Chapitre LI.


Par ces manieres (exceptez la fabuleuſe, car de fable ia Dieu ne plaiſe que vſions en ceſte tant veritable hiſtoire) eſt dicte l’herbe Pantagruelion. Car Pantagruel feut d’icelle inuenteur : ie ne diz pas quant à la plante, mais quant à vn certain vſaige, lequel plus eſt abhorré & hay des larrons : plus leurs eſt contraire & ennemy, que ne eſt la Teigne & Cuſcute au Lin, que le Rouſeau à la Fougere : que le Preſle aux Fauſcheurs : que Orobanche aux poys Chices : Ægilops à l’Orge : Securidaca aux Lentilles : Antranium aux Febues : l’Yuraye au Froment : le Lierre aux Murailles : que le Nenufar & Nymphæa Heraclia aux ribaux Moines, que n’eſt la Ferule & le Boulas aux eſcholiers de Nauarre, que n’eſt le Chou, à la Vigne : le Ail, à l’Aymant : l’Oignon, à la veue : la graine de Fougere, aux femmes enceinctes : la ſemence de Saule, aux Nonnains vitieuſes : l’vmbre de If, aux dormans deſſoubs : le Aconite, aux Pards & Loups : le flair du Figuier, aux Taureaux indignez : la Cigüe, aux Oiſons : le Poupié, aux Dents : l’Huille, aux Arbres. Car maintz d’iceux auons veu par tel vſaige finer leur vie hault & court : à l’exemple de Phyllis royne des Thraces : de Bonoſus, Empereur de Rome : de Amate, femme du roy Latin : de Iphis, Auctolia, Licambe, Arachne, Phæda, Leda, Acheus roy de Lydie, & aultres : de ce ſeulement indignez, que ſans eſtre aultrement mallades, par le Pantagruelion on leurs oppiloit les conduictz, par les quelz ſortent les bons motz, & encrent les bons morſeaulx, plus villainemcnt que ne feroit la male Angine & mortelle Squinanche.

Aultres auons ouy ſus l’inſtant que Atropos leurs couppoit le fillet de vie, ſoy griefuement complaignans & lamentans de ce que Pantagruel les tenoit à la guorge[370]. Mais (las) ce n’eſtoit mie Pantagruel. Il ne feut oncques rouart, c’eſtoit Pantagruelion, faiſant office de hart, & leurs ſeruant de cornette. Et parloient improprement & en Solœciſme. Si non qu’on les excuſaſt par figure Synecdochique, prenens l’inuention pour l’inuenteur. Comme on prent Ceres pour pain, Bacchus pour vin. Ie vous iure icy par les bons motz qui ſont dedans ceſte bouteille là qui refraichiſt dedans ce bac, que le noble Pantagruel ne print oncques à la guorge ſi non ceulx qui ſont negligens de obuier à la ſoif imminente.

Aultrement eſt dicte Pantagruelion par ſimilitude. Car Pantagruel naiſſant on monde eſtoit autant grand que l’herbe dont ie vous parle : & en feut prinſe la meſure aiſement : veu qu’il naſquit on temps de alteration, lors qu’on cuille ladiſte herbe, & que le chien de Icarus par les aboys qu’il faict au Soleil, rend tout le monde Troglodyte, & conſtrainct habiter es caues & lieux ſubterrains.

Aultrement eſt dicte Pantagruelion par ſes vertus & ſingularitez. Car comme Pantagruel a eſté l’Idée & exemplaire de toute ioyeuſe perfection, (ie croy que perſone de vous aultres Beuueurs n’en doubte) auſſi en Pantagruelion ie recongnoys tant de vertus, tant d’energie, tant de perfection, tant d’effectz admirables, que ſi elle euſt eſté en ſes qualitez congneue lors que les arbres (par la relation du Prophete[371]) feirent election d’vn Roy de boys pour les regir & dominer, elle ſans doubte euſt emporté la pluralité des voix & ſuffrages. Diray ie plus ? Si Oxylus filz de Orius l’euſt de ſa ſœur Hamadryas engendrée, plus en la ſeule valeur d’icelle ſe feuſt delecté, qu’en tous ſes huyct enfans tant celebrez par nos Mythologes, qui ont leurs noms mis en memoire eternelle. La fille aiſnée eut nom Vigne, le filz puyſné eut nom Figuier : l’autre Noyer, l’aultre Cheſne, l’autre Cormier, l’autre Fenabregue, l’autre Peuplier, le dernier eut nom Vlmeau, & feut grand Chirurgien en ſon temps.

Ie laiſſe à vous dire comment le ius d’icelle exprimé & inſtillé dedans les aureilles tue toute eſpece de vermine, qui y ſeroit née par putrefaction, & tout aultre animal qui dedans ſeroit entré. Si d’icelluy ius vous mettez dedans vn ſeilleau de eaue, ſoubdain vous voirez l’eaue prinſe, comme ſi feuſſent caillebotes, tant eſt grande ſa vertus. Et eſt l’eaue ainſi caillée remede præſent aux cheuaulx coliqueux, & qui tirent des flans. La racine d’icelle cuicte en eaue, remolliſt les nerfz retirez, les ioinctures contractes, les podagres ſclirrhotiques, & les gouttes nouées. Si promptement voulez guerir vne bruſlure, ſoit d’eaue, ſoit de feu, applicquez y du Pantagruelion crud, c’eſt à dire tel qui naiſt de terre, ſans aultre appareil ne compoſition. Et ayez eſguard de le changer ainſi que le voirez deſeichant ſus le mal. Sans elle ſeroient les cuiſines infames, les tables deteſtables, quoy que couuertes feuſſent de toutes viandes exquiſes : les lictz ſans delices, quoy que y ſeult en abondance Or, Argent, Electre, Iuoyre, & Porphyre. Sans elle ne porteroient les Meuſniers bled au moulin, n’en rapporteroient farine. Sans elle comment ſeroient portez les playdoiers des Aduocatz à l’auditoire ? Comment ſeroit ſans elle porté le plaſtre à l’haſtellier ? Sans elle comment ſeroit tirée l’eaue du puyz ? Sans elle que feroient les Tabellions, les Copiſtes, les Secretaires, & Eſcriuains ? Ne periroient les Pantarques & papiers rantiers ? Ne periroit le noble art d’Imprimerie ? De quoy feroit on chaſſis ? Comment ſonneroit on les cloches ? D’elle ſont les Iſiacques ornez, les Paſtophores reueſtuz, toute humaine nature couuerte en premiere poſition. Toutes les arbres lanificques des Seres, les Goſſampines de Tyle en la mer Perſicque, les Cynes des Arabes, les vignes de Malthe, ne veſtiſſent tant de perſones, que faict ceſte herbe ſeulette. Couure les armées contre le froid & la pluye, plus certes commodement que iadis ne faiſoient les peaulx. Couure les Theatres & Amphitheatres contre la chaleur, ceinct les boys & taillis au plaiſir des chaſſeurs, deſcend en eaue tant doulce que marine au profict des peſcheurs. Par elle ſont bottes, botines, botaſſes, houzeaulx, brodequins, ſouliers, eſcarpins, pantofles, ſauattes miſes en forme & vſaige. Par elle ſont les arcs tendus, les arbeleſtes bandées, les fondes faictes. Et comme ſi feuſt herbe ſacre, Verbenicque, & reuerée des Manes & Lemures les corps humains mors ſans elle ne ſont inhumez.

Ie diray plus. Icelle herbe moyenante les ſubſtances inuiſibles viſiblement ſont arreſtées, prinſes detenues, & comme en priſon miſes. A leur prinſe & arreſt ſont les groſſes & peſantes moles tournées agilement à inſigne profict de la vie humaine. Et m’eſbahys comment l’inuention de tel vſaige a eſté par tant de ſiecles celé aux antiques Philoſophes, veue l’vtilité impréciable qui en prouient : veu le labeur intolerable, que ſans elle ilz ſupportoient en leurs piſtrines. Icelle moyenant, par la retention des flots aërez ſont les groſſes Orchades, les amples Thalameges, les fors Guallions, les Naufz Chiliandres & Myriandres de leurs ſtations enleuées, & pouſſées à l’arbitre de leurs gouuerneurs. Icelle moyenant, ſont les nations, que Nature ſembloit tenir abſconſes, impermeables, & incongneues : à nous venues, nous à elles. Choſe que ne feroient les oyſeaulx, quelque legiereté de pennaige qu’ilz ayent, & quelque liberté de nager en l’aër, que leurs ſoit baillée par Nature. Taprobrana a veu Lappia : Iaua a veu les mons Riphées : Phebol voyra Theleme : Les Iſlandoys & Engronelands boyront Euphrates. Par elle Boreas a veu le manoir de Auſter : Eurus a viſité Zephire. De mode que les Intelligences celeſtes, les Dieux tant marins que terreſtres en ont eſté tous effrayez, voyans par l’vſaige de ceſtuy benedict Pantagruelion, les peuples Arcticques en plein aſpect des Antarctiques, franchir la mer Athlanticque, paſſer les deux Tropicques, volter ſoubs la Zone torride, meſurer tout le Zodiacque, s’eſbatre ſoubs l’Æquinoctial, auoir l’vn & l’aultre Pole en veue à fleur de leur Orizon. Les Dieux Olympicques ont en pareil effroy dict. Pantagruel nous a mis en penſement nouueau & tedieux, plus que oncques ne feirent les Aloïdes, par l’vſaige & vertus de ſon herbe. Il ſera de brief marié, de ſa femme aura enfans. A ceſte deſtinée ne pouons nous contreuenir : car elle eſt paſſée par les mains & fuſeaulx des ſœurs fatales, filles de Neceſſité. Par ſes enfans (peut eſtre) ſera inuentée herbe de ſemblable energie : moyenant laquelle pourront les humains viſiter les fources des greſles, les bondes des pluyes, & l’officine des fouldres : pourront enuahir les regions de la Lune, entrer le territoire des ſignes celeſtes, & là prendre logis, les vns à l’Aigle d’or, les aultres au Mouton, les aultres à la Couronne, les aultres à la Herpe, les aultres au Lion d’argent : s’aſſeoir à table auecques nous, & nos Déeſſes prendre à femmes, qui ſont les ſeulx moyens d’eſtre deifiez. En fin ont mis le remede de y obuier en deliberation, & au conſeil.


Comment certaine eſpece de Pantagruelion ne peut
eſtre par feu conſommée.


Chapitre LII.


<span style="display:block;position:relative;float:left;margin:0;margin-left:0;margin-right:.25em;top:0;left:0;min-width:Erreur d’expression : caractère de ponctuation « ¬ » non reconnu.em;height:Erreur d’expression : caractère de ponctuation « ¬ » non reconnu.em;overflow:hidden;background:transparent;"><span style="display:block;position:absolute;margin:0 auto;top:;left:0;min-width:1.25em;height:1.25em;overflow:hidden;font-family:serif;font-style:normal;font-weight:bold;font-variant:normal;font-size:Erreur d’expression : caractère de ponctuation « ¬ » non reconnu.em;line-height:1.25;text-indent:0;vertical-align:top;text-align:center;">Ce que ie vous ay dict, eſt grand & admirable. Mais ſi vouliez vous hazarder de croire quelque aultre diuinité de ce ſacre Pantagruelion, ie la vous dirois. Croyez la ou non, ce m’eſt tout vn : me ſuffiſt vous auoir dict verité. Verité vous diray. Mais pour y entrer, car elle eſt d’accés aſſés ſcabreux & difficile, ie vous demande. Si i’auoys en ceſte bouteille mis deux cotyles de vin, & vne d’eau enſemble bien fort meſlez, comment les demeſleriez vous ? comment les ſepareriez vous ? de maniere que vous me rendriez l’eau à part ſans le vin, le vin ſans l’eau, en meſure pareille que les y auroys mis. Aultrement. Si vos chartiers & nautonniers amenans pour la prouiſion de vos maiſons certain nombre de tonneaulx, pippes, & buſſars de vin de Graue, d’Orleans, de Beaulne, de Myreuaulx, les auoient buffetez & beuz à demy, le reſte empliſſans d’eau, comme font les Limoſins à belz eſclotz[372], charroyans les vins d’Argenton, & Sangaultier : comment en houſteriez vous l’eau entièrement ? Comment les purifieriez vous ? I’entends bien, vous me parlez d’vn entonnoir de Lierre. Cela eſt eſcript[373]. Il eſt vray & aueré par mille experiences, vous le ſçauiez deſia. Mais ceulx qui ne l’ont ſceu & ne le veirent oncques, ne le croyroient poſſible. Paſſons oultre.

Si nous eſtions du temps de Sylla, Marius, Cæſar & aultres Romains empereurs, ou du temps de nos antiques Druydes, qui faiſoient bruſler les corps mors de leurs parens & ſeigneurs, & vouluſſiez les cendres de vos femmes, ou peres boyre en infuſion de quelque bon vin blanc, comme feiſt Artemiſia les cendres de Mauſolus ſon mary, ou aultrement les reſeruer entieres en quelque vrne, & reliquaire : comment ſaulueriez vous icelles cendres à part, & ſeparées des cendres du buſt & feu funeral ? Reſpondez. Par ma figue, vous ſeriez bien empeſchez. Ie vous en deſpeſche. Et vous diz, que prenent de ce celeſte Pantagruelion autant qu’en fauldroit pour couurir le corps du defunct, & ledict corps ayant bien à poinct enclous dedans, lié & couſu de meſmes matiere, iectez le on feu tant grand, tant ardent que vouldrez : le feu à trauers le Pantagruelion bruſlera & redigera en cendres le corps & les oz : le Pantagruelion non ſeulement ne ſera conſumé ne ards, & ne deperdera vn ſeul atome des cendres dedans encloſes, ne recepura vn ſeul atome des cendres buſtuaires, mais ſera en fin du feu extraict plus beau, plus blanc, & plus net que ne l’y auiez iecté. Pourtant eſt il appellé Aſbeſton[374]. Vous en trouuerez foiſon en Carpaſie, & ſoubs le climat Dia Cyenes[375], à bon marché. O choſe grande ! choſe admirable ? Le feu qui tout deuore, tout deguaſte, & conſume : nettoye, purge, & blanchiſt ce ſeul Pantagruelion Carpaſien Aſbeſtin. Si de ce vous defiez, & en demandez aſſertion & ſigne vſual comme Iuifz & incredules : prenez vn œuf fraiz & le liez circulairement auecques ce diuin Pantagruelion. Ainſi lié mettez le dedans le braſier tant grand & ardent que vouldrez. Laiſſez le ſi long temps que vouldrez. En fin vous tirerez l’œuf cuyt, dur, & bruſlé, ſans alteration, immutation, ne eſchauffement du ſacre Pantagruelion. Pour moins de cinquante mille eſcuz Bourdeloys, amoderez à la douzieme partie d’vne Pithe, vous en aurez faict l’experience. Ne me parragonnez poinct icy la Salamandre, c’eſt abus. Ie confeſſe bien que petit feu de paille la vegete & reſiouiſt. Mais ie vous aſceure que en grande fournaiſe elle eſt comme tout aultre animant, ſuffoquée, & conſumée. Nous en auons veu l’experience. Galen l’auoit long temps a confermé & demonſtré lib. 3. de temperamentis, & le maintient Dioſcorides lib. 2. Icy ne me alleguez l’alum de plume, ne la tour de boys en Pyrée, laquelle L. Sylla ne peut oncques faire bruſler, pource que Archelaus gouuerneur de la ville pour le roy Mithridates, l’auoit toute enduicte d’alum. Ne me comparez icy celle arbre que Alexander Cornelius nommoit Eonem[376], & la diſoit eſtre ſemblable au Cheſne qui porte le Guy : & ne pouoir eſtr ne par eau, ne par feu conſommée ou endommagée, non plus que le Guy de cheſne, & d’icelle auoir eſté faicte & baſtie la tant celebre nauire Argos. Cherchez qui le croye. Ie m’en excuſe. Ne me parragonnez auſſi, quoy que mirificque ſoit celle eſpece d’arbre que voyez par les montaignes de Briançon, & Ambrun, laquelle de ſa racine nous produit le bon Agaric, de ſon corps nous rend la reſine tant excellente que Galen l’auſe æquiparer à la Terebinthine : ſus ſes feueilles delicates nous retient le fin miel du ciel, c’eſt la Manne : & quoy que gommeuſe & vnctueuſe ſoit, eſt inconſumptible par feu. Vous la nommez Larrix en Grec & Latin : les Alpinois la nomment Melze : les Antenorides & Venetians, Larege. Dont feut dict Larignum le chaſteau en Piedmont : lequel trompa Iule Cæſar venent es Gaules. Iule Cæſar auoit faict commendement à tous les manens & habitans des Alpes & Piedmont, qu’ilz euſſent à porter viures & munitions es eſtappes dreſſées ſus la voie militaire, pour ſon ouſt paſſant oultre. Au quel tous furent obeiſſans, exceptez ceulx qui eſtoient dedans Larigno, les quelz ſoy confians en la force naturelle du lieu, refuſerent à la contribution. Pour les chaſtier de ce refus, l’Empereur feiſt droict au lieu acheminer ſon armée. Dauant la porte du chaſteau eſtoit vne tour baſtie de gros cheurons de Larix laſſés l’vn ſus l’autre alternatiuement comme vne pyle de boys, continuans en telle hauteur, que des machicoulis facilement on pouoit auecques pierres & liuiers debouter ceulx qui approcheroient. Quand Cæſar entendit que ceulx du dedans n’auoient aultres defenſes que pierres & liuiers, & que à poine les pouoient ilz darder iusques aux approches, commenda à ſes foubdars iecter au tour force fagotz, & y mettre le feu. Ce que feut incontinent faict. Le feu mis es fagotz, la flambe feut ſi grande & ſi haulte, qu’elle couurit tout le chaſteau. Dont penſerent que bien toſt apres la tour ſeroit arſe & demollie. Mais ceſſant la flambe, & les fagotz confumez, la tour apparut entiere, ſans en rien eſtre endommagée. Ce que conſyderant Cæſar, commenda que hors le iect des pierres tout au tour l’on feiſt vne ſeine de foſſez & bouclus. Adoncques les Larignans ſe rendirent à compoſition. Et par leur recit congneut Cæſar l’admirable nature de ce boys[377], lequel de ſoy ne faict feu, flambe, ne charbon : & ſeroit digne en ceſte qualité d’eſtre on degré mis de vray Pantagruelion, & d’autant plus que Pantagruel d’icelluy voulut eſtre faictz tous les huys, portes, feneſtres, gouſtieres, larmiers, & l’ambrun de Theleme : pareillement d’icelluy feiſt couurir les pouppes, prores, ſougons, tillacs, courſies, & rambades de ſes carracons, nauires, gualeres, gualions, brigantins, fuſtes, & aultres vaiſſeaulx de ſon arſenac de Thalaſſe : ne feuſt que Larix en grande fournaiſe de feu prouenent d’aultres eſpeces de boys, eſt en fin corrumpu & diſſipé, comme ſont les pierres en fourneau de chaulx. Pantagruelion Aſbeſte plus toſt y eſt renouuelé & nettoyé, que corrumpu ou altéré. Pourtant

Indes, ceſſez, Arabes, Sabiens,
Tant collauder vos Myrrhe, Encent, Ebene,
Venez icy recongoiſtre nos biens,
Et emportez de noſtre herbe la grene.
Puys ſi chez vous peut croiſtre, en bonne eſtrene,
Graces rendez es cieulx vn million :
Et affermez de France heureux le regne,
On quel prouient Pantagruelion.

Fin du troisiesme liure des faicts
& dicts Heroïcques du
bon Pantagruel
.

  1. Compoſé par M. Fran. Rabelais, docteur en Medicine. C’est dans la première édition du Tiers liure, publiée en 1546, que le nom de Rabelais paraît pour la première fois sur les titres de son ouvrage. Après les mots : docteur en Medicine, on y lit : & Calloïer des Iſles Hieres, c’est-à-dire moine des îles d’Hyères, que, plus loin (t. ii, p. 232), dans un passage où il parle de botanique, Rabelais appelle : « Mes iſles Hieres anticquement dictez Stœchades ». — « Pour des élèves de Montpellier, dit M. Eugène Noël (Rabelais et son œuvre, p. 69), ce voyage était un complément d’études : ces îles sont et étaient alors encore plus renommées par leurs plantes médicinales. » Jean de Nostre-dame, frère de l’astrologue, prenait aussi le titre de moine des isles d’Hyères.
  2. L’autheur ſuſdict ſupplie les Lecteurs beneuoles, ſoy reſeruer a rire… C’est la parodie d’une formule qui se trouve en tête de certains ouvrages du XVIe siècle. Par exemple Joachim du Bellay s’exprime ainsi au commencement de La deffence & illuſtration de la langue françoyſe : « L’autheur prye les Lecteurs differer leur iugement iuſques à la fin du Liure… » (Œuvrest. I, p. 3, dans la Pléiade francoiſe.)
  3. Auec priuilege du Roy. L’édition de 1546 porte en plus : pour dix ans. Pour le texte de ce premier privilège voyez tome III, p. 387-389, et, pour la description des diverses éditions du Tiers livre, notre Bibliographie.
  4. François Rabelais à l’eſprit de la royne de Nauarre. Ce dizain figure dans la première édition. Ménage en explique ainsi fort nettement l’intention : « Marguerite de Valois, Reine de Navarre, ſœur de François Ier, aimoit, comme on fait, les beaux eſprits de ſon tems, eſtimoit Marot, Rabelais, & compoſoit elle même en vers & en proſe, témoin le volume que nous avons de ſes poëſies, & ſon Heptaméron. Les dernieres années de ſa vie elle devint fort ſérieuſe, méditant beaucoup, & s’occupant des choſes du Ciel. C’eſt ce qui donna lieu à Rabelais lors qu’en 1546, il fit pour la premiere fois imprimer in 16 à Paris ſon troiſiéme livre, de mettre à la tête ce dizain adreſſé à l’eſprit de cette Reine… Ces édits de l’eſprit ſur le corps, cette apathie, cette vie pérégrine, tout cela ſignifie poëtiquement que cette Princeſſe détachée entiérement de ſes ſens, avoit rendu ſon eſprit maître de ſon corps, en ſorte que tandis que celui-ci demeuroit ſur terre, l’autre s’élevoit au Ciel. Cet eſprit donc eſt ici invité à vouloir bien pendant quelques momens deſcendre de cette haute région pour voir en cette baſſe & terreſtre la troiſiéme partie d’un ouvrage dont il y avoit autrefois vu favorablement les deux premieres. » (Ménagiana, 3e édit., t. III, p. 113) À ce dizain Le Duchat ajoute le suivant, dont il n’indique pas la source :
    Iean Favre av lectevr.

    Ia n’eſt beſoing, amy Lecteur, t’eſcrire
    Par le menu le prouffit & plaiſir
    Que receuras ſi ce liure veux lire,
    Et d’iceluy le ſens prendre as deſir ;
    Vueille donc prendre à le lire loiſir,
    Et que ce ſoit auec intelligence.
    Si tu le fays, propos de grand’ plaiſance
    Tu y verras, & moult prouffiteras,
    Et ſi tiendras en grand reſiouyſſance
    Le tien Eſprit, & ton temps paſſeras.

  5. Beuueurs treſillustres, & vous Goutteux treſprecieux. Voyez ci-dessus, p. 59 la note sur la l. 2 de la p. 3 de Gargantua.*

    * Page 3, l. 2 : Beuueurs tresillustres ; & vous Verolez tresprecieux. De même, en tête du Prologue du Tiers liure : Beuueurs trefilluftres, & vous Goutteux tresprecieux. Ces épithètes : illustres, précieux, sont destinées à parodier les termes pompeux que les auteurs prodiguent à ceux à qui ils adressent des dédicaces ; mais, en même temps, le mot précieux, appliqué aux goutteux et aux vérolés, paraît faire allusion aux remèdes rares et chers employés pour les guérir, et surtout aux métaux qui servaient au traitement de la maladie vénérienne. C’est du moins ce qui semble ressortir de ce passage où Noël du Fail emploie la même expression que Rabelais : « C’est le vif argent, dont on a frotté les panures verolez precieux, lequel… pert, mange, & confomme tout ce qu’il approche. » (édit. de la Bibl. elzév. t. i, p.  273)

  6. L’aueugle né tant renommé par les treſſacrés bibles. S. Matthieu, XX, 30-34 ; S. Marc, X, 46-52 ; S. Luc, XVIII, 35-42 ; S. Jean, IX.
  7. En lopinant opiner. Ce jeu de mots sur lopiner, prendre un lopin, un morceau, et opiner, donner son opinion, se retrouve dans le premier des Deux Dialogues du nouueau langage François, italianizé (Enuers, G. Niergue, 1579, p. 230) :

    « Celtophile… Quand ceux qui ſont aupres d’vn roy opinent diuerſement, il aduient ſouuent que le mauuais conſeil est ſuiui, le bon eſt laiſſe.

    « Philavsone. Mais ce mauuais conſeil vient ſouuent de ce que ceux qui opinent, lopinent, ou pour le moins veulent lopiner. Et à fin que demeurans en la bonne grace, ils emportent vn iour le lopin auquel ils bayent, ils accommodent leur harangue à cela à quoy le prince encline deſia plus. »

  8. Du ſang de Phrygie extraictz. À en croire nos anciennes chroniques, la France aurait été peuplée par des Troyens fugitifs guidés par Francus, fils d’Hector.
  9. Philippe roy de Macedonie entreprint aſſieger & ruiner Corinthe… Tout ce qui suit, jusqu’à la fin de la page 8, est une imitation et un développement d’un passage du traité de Lucien, intitulé : Comment on doit écrire l’histoire.
  10. Au combat couraigeuſes. Rabelais ne songe pas ici aux combats guerriers. Il ne faut pas oublier que Corinthe était avant tout célèbre par son temple de Vénus et ses courtisanes, d’où le proverbe : « Non licet omnibus adire Corinthum, » que nous trouvons ainsi traduit quelques lignes plus loin : « A chaſcun n’eſt oultroyé entrer & habiter Corinthe. »
  11. Belle, non par Antiphraſe. L’opinion dont Rabelais se moque ici est celle de Priscien.
  12. L’ordonnance d’vne armée en camp. Terribilis ut castrorum acies ordinata. (Cantique des cantiques, VI, 9.)
  13. Par la vierge qui ſe rebraſſe. On ne sait pas à quoi Rabelais fait ici allusion. Burgaud des Marets à énuméré diverses suppositions des commentateurs, mais aucune ne paraît digne d’être adoptée.
  14. Æſchylus (ſi à Plutarche foy auez in Sympoſiacis). « Le poëte Æſchylus compoſoit ſes tragædies en beuuant, quand il eſtoit bien eſchauffé du vin. » (Propos de table, liv. I, question 5.)
  15. N’eſcriuit à ieun. Voyez ci-dessus, p. 65, la note sur la l. 19 de la p. 6 du t. i.*

    *

  16. Que apres boyre.

    Narratur et prisci Catonis
    Sæpe mero caluisse virtus.

    (Horace, Odes III, 21, II.)
  17. Renaud de Montaulban. Voyez Les quatre fils Aymon, ch. XXXV.
  18. Lapathium acutum. « La patience aiguë, » la patience à feuilles pointues, puis, par un jeu de mots, la vertu de patience. On dit encore populairement dans le même sens : « Prenez de la racine de patience. » Comme lapathium se prononçait alors la pation, cela forme encore une autre mauvaise équivoque avec la passion, et c’est ce qui amène le complément : de dieu.
  19. Auoir leu. Voyez Lucien, Contre quelqu’un qui l’avait appelé Prométhée.
  20. Philoſophe Tyanien. Voyez Philostrate, III, 1.
  21. Plaute en ſa Marmite. — Aulularia, III, 4.
  22. Auſone en ſon Gryphon. Voyez la XIe idylle d’Ausone, qui est une énigme intitulée Gryphus.
  23. Couppe guorgée pour gorge couppée. Voyez plus haut p. 212 la note sur la l. 1 de la p. 362 : coupe teſtée pour teſte coupée.*

    *

  24. Celebré par Virgile.

    …Primo avulso, non deficit aller
    Aureus, et simili frondescit virga metallo.

    (Énéide, VI, 143)
  25. A l’exemple de Lucillius. « Nec vero ut noster Lucilius, recusabo, quo minus omnes mea legant… Tarentinis ait se et Consentinis et Siculis scribere. » (Cicéron, De finibus, I, 3.)
  26. Au cul paſſions. Jeu de mots.
    povr garder vos filles de n'estre oisives.

    Si vos filles mal aduerties
    N’ont aucune occupation,
    Frottez-leur [bien] le cul d’orties :
    Elles auront au cul paſſion.

    (La vraye medecine qui guarit de tous maulx & de pluſieurs autres. — Anc. poés. françaises, t. I, p. 167. Bibl. Elzév.)
  27. Cerueaulx à bourlet. Docteurs, à cause du bourrelet qui bordait les bonnets de docteur.
  28. G22. g222. g222222. Ainsi dans les éditions originales, probablement pour Gzz. Peut-être les 2 remplacent-ils des z qui n’étaient pas suffisamment nombreux dans les casses de l’imprimeur.
  29. Femmes & petitz enfans. Voyez ci-dessus, p. 107, la note sur la l. 25 de la p. 65 du t. I.*

    *

  30. Demouore, Éd. de 1546 : Δεμοϐορον C’est Achille qui nomme Agamemnon : Δημοϐόρος βασιλεὺς. (Iliade. I. 231.)
  31. Ainſi Oſiris. Voyez Plutarque, Isis et Osiris.
  32. Heſiode en ſa Hierarchie. « C’est la ThéogonieHésiode traite de la généalogie des dieux, » dit Burgaud des Marets ; mais, en réalité, le passage auquel Rabelais fait allusion se trouve dans Les Travaux et les jours, v. 124.
  33. Par Ciceron. « Athenensiumque renovavi vetus exemplum, Græcum etiam verbum usurpavi, quo tum in sedandis discordiis erat usa civitas illa. » (Philippique, I., 1)
  34. Le noble poëte Maro.

    …Victorque volentes
    Per populos dat jura.

    (Géorgiques, iv, 561)
  35. Homere en ſon Iliade. Voyez I, 375, et III, 236.
  36. Les choſes mal acquiſes, mal deperiſſent. « Ut est apud poetam nescio quem : male parta male dilabuntur. » (Cicéron, Philippiques, II, 27.)
  37. Le tiers hoir ne iouira. De male quæsitis non gaudet tertius hæres.
  38. Royaulx. « Ici nous voyons paraître, pour la première fois, des royaux ou francs à pied, belle monnaie d’or qui datait de Charles V et a fini avec Charles VII ; elle vaudrait 13 à 14 francs, et des seraph ou séraphins, monnaie d’or appelée en Égypte Scherafi et en Perse Scherefi. Elle représentait à peu près le besant. (V. Recueil des monnaies, par Salzade). » (Cartier, Numismatique, p. 346)
  39. Mignonnes gualoiſes. Voyez ci-dessus p. 217, note sur la l. 16 de la p. 381.*

    *

  40. Prenent argent d’auance. Voyez Molière, l’Avare, II, 1.
  41. Qui mord, ne qui rue. Équivoque pour : « qui meurt, ni qui vit. »
  42. Viure au lendemain.

    Nemo tam Divos habuit faventes
    Crastinum ut possit sibi polliceri.

    (Sénèque, Thyeste, v. 619)
  43. Le perefamiles ſoit vendeur perpetuel. « Vendat oleum… vendat boves, vitulos… Patremfamilias vendacem, non emacem esse oportet. » (De re rustica, c. 2)
  44. Font plaiſir à gens de bien.

    Et par sainct Iacques, ie feray
    A gens de bien, ainsi l’entens,
    Plaisir tant qui seront contens.

    (Farce de deux hommes & leurs deux femmes. Anc. Théât. Franc., t. I, p. 155)

    … une de ces femmes
    Qui ſont plaiſir aux enfans ſans ſoucy.

  45. Iouant des haulx boys. Équivoque sur ceux qui coupent des bois de haute futaie.
  46. Theſtilis Virgiliane.

    Thestylis et rapido fessis messoribus æstu
    Allia serpyllumque herbas contundit olentes
    .

    (Églogues, ii, v. 10)
  47. Loix cœnaires & ſumptuaires des Romains. Voyez Macrobe, III, 17.
  48. Sainct Thomas Dacquin. Michel Scot raconte dans sa Menſa philoſophica que Thomas d’Aquin, invité à la table du roi saint Louis, mangea seul une lamproie destinée au monarque, tout en composant son hymne sur le saint sacrement. La lamproie et l’hymne achevés, il s’écria Consummatum est ! Ce qui scandalisa ceux qui croyaient qu’il appliquait les dernières paroles du Sauveur à un trait de gloutonnerie, tandis qu’il ne songeait qu’à la pièce de vers édifiante qu’il venait de terminer.
  49. Dis. Pluton. Voyez la Table des noms.
  50. Plus ayment la manche que le braz. Jeu de mots sur manche, pris au sens de mancia, italien, pour épingles, paragante, présent. Ailleurs (t. II, p. 301) Rabelais parle de « la grande manche que demandent les courtiſanes Romaines. »
  51. Les bleds & vins raualler en pris. Il y avait eu en 1531 une terrible famine, pendant laquelle le roi avait pris les mesures qu’on croyait alors les meilleures pour faire baisser le prix des grains. « Le Roy citant à Compienne, pour ſubuenir à ſon paouure peuple, qui auoyt faulte de bleds, & aduerty que les marchans de bleds, & aultres, les vendoyent en leurs greniers, à qui bon leur ſembloyt, en ſorte que les paouures n’en pouoyent auoyr, qu’apres les riches… decreta lettres patentes on moys d’Octobre mil cinq cents trente vng… portans inhibitions & defenſes de vendre… leurs bleds en leurs greniers… & ailleurs qu’aux publics marchés. » (Bouchet, les Annales d’Aquitaine. 1545, fol. 260, V).
  52. Xenocrates. « Il faiſoit monter à 100200000 le nombre des ſyllabes que les lettres de l’Alphabet Grec pouvoient former par leurs mélanges & tranſpoſitions. Voiez les Additions de l’interpréte François à la vie de Xénocrate dans Diogéne Laërce. » (Le Duchat)
  53. La paſſion de Saulmur. Cette représentation de la Passion a eu lieu en 1534. Jean Bouchet, l’ami de Rabelais, donne à ce sujet de curieux détails, dans son Epiſtre LXXXIX. Voyez Histoire du théâtre en France : les mystères, par L. Petit de Julleville, t. II, p. 125-127. — Ailleurs (t. II, p. 318), Rabelais cite avec éloge « la diablerie de Saulmur. »
  54. Deſcripte par Heſiode. Voyez Travaux et Jours, v. 289.
  55. Chaine Homericque. Voyez Iliade, VIII, 18, et XV, 18.
  56. Aër. Lisez aer.
  57. Aloides. Virgile (Énéide, VI, 582) parle ainsi de ces géants :

    Hic et Aloidas geminos immania vidi
    Corpora, qui manibus magnum rescindere cœlum
    Aggressi, superisque Jovem detrudere regnis.

  58. Ieuz de Doué. Cette « diablerie » de Doué, petite ville de Maine-et-Loire, à vingt kilomètres de Saumur, faisait partie d’une représentation de la Passion. « Plus hideux & villains que les Diableteaux de la paſſion de Doué, » dit Rabelais dans le Quart livre. (t. II, p. 454)
  59. Euſt Pandora verſé ſa bouteille. Il a déjà été question plus haut (t. II, p. 2}}) de « la bouteille de Pandora. » — « Les poëtes nous parlent de la boîte (πυξίς) de Pandore. C’est par une fantaisie toute rabelaisienne que cette boîte est ici transformée en bouteille. » (Burgaud des Marets.) — Rabelais aurait pu invoquer le témoignage d’Hésiode, qui emploie (Travaux et Jours, v. 94) le mot πίθος, tonneau, amphore.
  60. Μισάνθρωπος. « Misanthrope. »
  61. Æſope en ſon Apologue. Celui des Membres et l’Estomac, dont l’invention est attribuée à Ménénius Agrippa.
  62. Feuſt ce Æſculapius meſmes. Le Duchat donne la variante suivante, tirée des éditions collectives de 1573 et 1626 : « Eſculape meſme, qui eſt le Dieu de la medecine, euſt-il entrepris de les guerir, l’ame… » C’est là une sorte de commentaire qui s’est introduit dans le texte, et en fausse le sens. Rabelais ne veut pas dire : « Quand Esculape entreprendrait de guérir le malade, » mais : « Quand le malade serait Esculape, » ce qui est bien plus énergique.
  63. Que feit oncques Platon. il est question dans le cinquieſme liure (t. III, p. 67) d’une « harmonie peu moindre que celle des aſtres rotans, laquelle dit Platon auoir par quelques nuicts ouye dormant. »
  64. Et ſi preſtoit…Farce de Pathelin, p. 13.
  65. Preſchez & patrocinez d’icy à la Pentecoſte.

    Preſchez, patrocinez iusqu’à la Pentecoſte,
    Vous ſerez ébahy, quand vous ſerez au bout,
    Que vous ne m’aurez rien perſuadé du tout.

  66. Le ſainct Enuoyé. Voyez saint Paul, Épître aux Romains, 13.
  67. Le Philoſophe Tyanien. Voyez Philostrate, Vie d’Apollonius de Tyanes, liv. IV, c. 3. Le costume de peste, qu’on ne se représente guère, était un travestissement en usage au XVIIe siècle, comme l’indiquent des vers de P. Corneille adressés à une dame qui le portait. Voyez Poésies diverses, LIV, Stances :

    J’ai vu la peſte en raccourci.

  68. Platon en ſes loix. Voyez liv. VIII.
  69. Miles d’Illiers eueſque de Chartres. La réponse de cet évêque était devenue proverbiale. On la retrouve, avec quelques variantes, chez nos principaux conteurs : « Quand l’eueſque veid que ſes proces s’en alloyent ainſi à neant, il s’en vint au roy, le ſuppliant à iointes mains qu’il ne les luy oſtaſt pas tous, & qu’il luy pleuſt au moins luy en laiſſer vne douzaine des plus beaux & des meilleurs pour s’eſbatre. » (Bonaventure des Periers, Nouvelle 34). « Ce roy le voulant depeſtrer d’vne infinité de proces, il le ſupplia fort affectueuſement de luy en laiſſer au moins vingt cinq ou trente pour ſes menus plaiſirs. » (Henri Eſtienne, Apologie pour Hérodote, c. 17, t. I, p. 362)
  70. Moſes. Voyez Deutéronome, c. 20, v. 5, 6 et 7.
  71. Depuceller cent filles. « A Tivoli prêchait un frère de peu de réflexion, qui, dans un beau mouvement contre l’adultère, s’écria : « C’est un péché si horrible, que j’aimerais mieux connaître dix vierges qu’une seule femme mariée. » (Les Contes de Pogge, XXIV, éd. Lemerre)
  72. En nos maiſons. Il eſt encores cherchant la ſienne.

    … S’il trouue mon logis
    Plus fort ſera que le deuin.

    (Villon, Grand teſtament, XCIII, p. 62)
  73. L’aureille dextre. La mode de porter un anneau à l’une des deux oreilles est constatée par ces vers de Mellin de Saint-Gelais, cités par Le Duchat :

    Ne tenez point, eſtrangers, à merueille,
    Qu’en ceſte cour chaſcun maintenant porte
    Bague ou anneau en l’vne ou l’autre oreille.

  74. Ie n’en vouldrois pas tenir… Il doit y avoir ici une plaisanterie, tirée, comme il arrive souvent, d’une attente trompée ; on croit qu’il va dire : « une bonne somme, » ou quelque chose d’équivalent, pour exprimer qu’il ne renoncerait pas volontiers à ce qu’il a vu, puis, au lieu de quelque chose d’agréable à toucher, il nomme : vn fer chaud.
  75. Aſpre aux potz, à propos. Équivoque empruntée à Guillaume Crétin (Epiſtre à Honorat de La Iaille) :

    .... Vn quidam aſpre aux pots à propos
    A fort blamé ſes tours peruers par vers.

  76. C’est mon bureau. Autre équivoque. Il a été question jusqu’ici d’une robe, pour laquelle Panurge a pris « quatre aulnes de bureau, » c’est-à-dire de bure ; maintenant il s’agit d’un bureau dans le sens actuel de ce mot, c’est-à-dire d’une table où l’on travaille et qui est encore souvent couverte de bure ou de serge. Un peu plus loin, c’est le sens de robe de bure qui revient ; et à peine endossée, cette robe fait à Panurge le même effet que le froc produit à frère Jean. Voyez ci-dessus, p. 134, la note sur la l. 11 de la p. 145.*

    *

  77. Las des ſages. Des saies. Rabelais tire la forme sage plus directement du latin sagum et la préfère parce qu’elle donne lieu à une équivoque.
  78. Excluſiuement entendez. Voyez, ci-dessus, p. 160, la note sur la l. 5 de la p. 217.*

    *

  79. Premiere piece de harnais. Voyez ci-dessus, p. 61, la note sur la l. 17 de la p. 4.* Le Houx est du même avis que Rabelais :

    C’est vn chaffeur ſans ſa trompe,
    Sans braguette vn lanſquenet.

    (Vaux de vire, 1er recueil, LXXIV, p. 89)

    *

  80. Comment nature… Ce qui suit est imité de l’Histoire naturelle de Pline (liv. VII).
  81. Et le bon meſſer Priapus, quand eut faict ne la pria plus. Il y a là deux vers de huit syllabes, qui rimaient assez exactement parce qu’on ne prononçait ni l’s finale de Priapus, ni l’l de plus, ainsi du reste qu’il arrive encore dans le langage populaire. Il y a dans le Ve livre (t. III, p. 151) une sorte de jeu de mots du même genre : « quant Priapus… la vouloit… Priapiſer ſans la prier. »
  82. Couilles de Lorraine. Voyez ci-dessus, p. 163, la note sur la l. 21 de la p. 221.*

    *

  83. Le pot au vin. Voyez ci-dessus, p. 92, la note sur la ligne 26 de la p. 38.*

    *

  84. Le gualant… Galen. Jeu de mots.
  85. Lib. I. de ſpermate. « Liv. I, sur le sperme. »
  86. De cagotis tollendis. Voyez ci-dessus, p. 186, la note sur la ligne 34 de la p. 250.*

    *

  87. Summum… braguetis. « Le souverain bien dans les braies et braguettes. »
  88. Chiabrena des pucelles. Voyez ci-dessus, p. 182, la note sur la l. 10 de la p. 248.*

    *

  89. Comment Panurge ſe conſeille à Pantagruel. Parmi les ouvrages qui ont fourni à Rabelais des matériaux et des arguments pour ce chapitre et ceux qui suivent, on a cité avec raison le traité de Tiraqueau, De legibus connubialibus (1513) et la réponse qu’y fit Bouchard qui se déclara l’avocat des femmes dans son Τῆς γυναιϰείας φύτλης, id est Feminei sexus apologia (1522). Rabelais s’est encore inspiré du troisième sermon de Raulin, De viduitate, et probablement de beaucoup d’autres écrits théologiques et juridiques, qui n’avaient pas alors la gravité que de telles matières nous paraissent aujourd’hui comporter. Les imitations sont nombreuses aussi ; nous nous contenterons de rappeler le Propos de marier Eutrapel (Noel du Fail, t. II, p. 231-261) et Le Mariage forcé de Molière. Il faut remarquer que le premier mot de la réponse de Pantagruel fait toujours écho avec le dernier de la demande de Panurge. Cette disposition produit un effet comique en nous montrant l’assentiment absolu de Pantagruel, qui ne cherche même pas sa réponse et s’empare du mot qu’il vient d’entendre.
  90. Veh ſoli. « Malheur à l’homme seul ! » (Ecclésiaste, IV, 10)
  91. Vn poinct qui trop me poingt. Me pique. Jeu de mots.
  92. La ſentence de Senecque. « Ab alio exspectes alteri quod feceris. » Elle est de Publius Syrus ; mais Sénèque la cite dans sa 94e Épitre.
  93. Là où n’eſt femme… « Ubi non est mulier ingemiscit egens. » (Ecclésiaste, XXXVI, 27)
  94. Mon nom & armes perpetuer. « En demeurant comme ie ſuis, ie laiſſe périr dans le Monde la Race des Sganarelles. » (Molière, Le Mariage forcé, sc. I)
  95. Des ſors Homeriques & Virgilianes. Rabelais a tiré de Lampride, de Spartianus, de Trebellius Pollio et de Capitolinus, la plupart des anecdotes qu’il raconte dans ce chapitre.
  96. Teſmoing Brutus. Voyez Valère Maxime, I, 5.
  97. La bataille Pharſalicque, en laquelle il feut occis. C’est une inexactitude : Brutus se tua après la bataille de Philippes.
  98. Que feit Tibere. Voyez Suétone, Vie de Tibère, c. 14.
  99. De patria Diabolorum. Voyez ci-dessus, p. 186, la note sur la l. 2 de la p. 251.*

    *

  100. Vauldra quinze. C’est au jeu de paume que l’on compte ainsi les fautes.
  101. Oncques ne feut faict ſolœciſme.

    Sæpe ſoleciſmum mentula noſtra facit.

    (Martial, Épigrammes, XI, 20)

    Molière a employé solécisme en parlant d’une faute morale :

    Le moindre ſoléciſme en parlant vous irrite :
    Mais vous en faites, vous, d’étranges en conduite.

  102. Nec Deus Virgile, Églogue, IV, 63.
  103. Seurent. Lisez feurent.
  104. Ne eceruelée & extraicte de ceruelle. Jeu de mots sur la naissance de Pallas, sortie du cerveau de Jupiter qui, pour cette raison, est appelé (p. 62, l. 1) « ſon pere capital. »
  105. Ne ſaulſera ſon pain en ma ſouppe.

    La Femme eſt en effet le potage de l’Homme ;
    Et quand vn Homme voit d’autres Hommes par fois,
    Qui veulent dans ſa ſoupe aller tremper leurs doigts,
    Il en montre auſſi-toſt vne colere extrême.

    Cette comparaison, un peu gauloise, avait été mal prise par les Précieuses, et Climène dit dans La Critique (s. III) : « I’ay penſé vomir au potage. »

  106. Cor, ie diz Bordelier. Panurge va d’abord pour dire cordelier, mais il s’arrête et se reprend.
  107. Si Agathocles Babylonien ne ment. Voyez Athénée, IX, 5.
  108. Magiſtronoſtralement. Voyez ci-dessus, p. 183-184, la note sur la l. 31 de la p. 248.*

    *

  109. Teſticulos non habet. « Il n’a point de testicules. »
  110. Membra quatit Virg., Énéide, III, 30.
  111. Martin baſton.

    Si elle te triche, voicy
    Martin baton qui en fera
    La raiſon.

    (Farce du badin. Anc. Théât. Franc., t. I, p. 278)

    … Hola, Martin bâton !
    Martin bâton accourt.

  112. Le Ian en vault deux. Jeu de mots. Jean se disait d’un mari trompé, et est encore un terme de jeu. « Au jeu de l’ourche et du trictrac, le grand Jan ou le petit Jan, qui aujourd’hui valent quatre points, n’en valaient probablement que deux du temps de Rabelais. » (Burgaud des Marets)
  113. FæmineoVirgile, Énéide, XI, 782.
  114. Le Satyricque.

    Ardeat ipsa licet, tormentis gaudet amantis,
    Et spoliis.

    (Juvénal, Sat. VI, 210)
  115. L. vlt. C. de leg. Il y a une petite confusion : ce n’est pas au titre De legibus, mais dans celui qui précède, De episc. audien., qu’il est question de cas où l’on ne peut appeler. Quant à la loi Ait prætor (l. 15), elle est citée à propos.
  116. περί ένπνίων. « Sur les Songes. »
  117. Le centre de laquelle eſt en chaſcun lieu de l’vniuers ; la circunference poinct. On retrouve la même définition à la fin du cinquieſme livre (t. III, p. 178) : « Ceſte ſphere intellectuale, de laquelle en tous lieux eſt le centre, & n’a en lieu aucun circonferance, que nous appelions dieu. » C’est peut-être de ce dernier endroit que Pascal a tiré jusqu’à la forme de cette fameuse pensée qui lui a fait tant d’honneur : « C’eſt une ſphere infinie dont le centre eſt partout, la circonférence nulle part. » (Pensées, collection Lemerre, t. I, p. 26, et Notes, t. II, p. 226-227.) Il y a un indice qui permet de croire qu’au moment où l’illustre philosophe recueillait les matériaux de l’ouvrage qu’il n’a pu faire, il venait de lire le cinquieſme livre. En effet, dans le titre du chapitre XXV (t. III, p. 99), il est question de « l’Iſle d’Odes, en laquelle les chemins cheminent. » et dans le recueil de Pascal on trouve cette pensée bizarre, étrangère a l’objet de ses études, et qui semble n’être que la transcription, sous une forme plus générale, du passage que nous venons de citer : « Les rivières ſont des chemins qui marchent & qui portent où l’on veut aller. » (Pensées, collect. Lemerre, t. II, p. 152)
  118. Scelon la doctrine de Hermes. Voyez Mercurius Trismegistus, Pimander, c. 2.
  119. Heraclitus diſoit… Rabelais tire cela du traité de Plutarque : Pourquoi la Pythienne ne rendait plus d’oracles en vers (XXI) : Τὸ ὃναρ οὗ τὸ μαντεῖόν ὲστι τὸ ὲν Δελφοῖς οὔτε λέγει, οὔτε ϰρύπτει, ὰλλὰ σημαίνει. Ce texte n’est pas du reste le plus généralement suivi.
  120. Quand la faim ſe declaira. Voyez Iliade, XIII, 20.
  121. Couſte & vaille.

    .... Il ne m’en chault, couſte & vaille.
    Encor ay-ie denier & maille
    Qu’oncques ne virent pere ne mere.

  122. a et b Aux deux portes de Homere, et, à la page suivante, l. 18 : Deux portes de ſonge. Voyez Odyssée, XIX, 562, et Énéide, VI, 894.
  123. Voyez cy noſtre ſongeur. « Voici notre songeur qui vient, tuons-le, » disent les frères de Joseph. (Genèse, c. 37, v. 19 et 20)
  124. Poſition des cornes bouines. Aristote (liv. III, c. 2, Parties des animaux) cite l’opinion du Momus d’Ésope, qui aurait voulu que les cornes des bœufs fussent placées au-dessous de leurs yeux.
  125. Amen, amen, fiat. « Ainsi soit-il, ainsi soit-il, qu’il soit fait ! » Après avoir dit fiat, terme de bonne latinité, en usage dans la chancellerie romaine, Panurge se reprend pour se servir de la forme macaronique fiatur, et ajoute : « à la différence du Pape, » qui ne l’employait pas dans ses bulles.
  126. De frigidis & maleficiatis. Voyez ci-dessus, p.  142, la note sur la l. 4 de la p. 156.*

    *

  127. Noel nouuelet. Ces mots sont le refrain d’un noël, auquel appartient le vers qui les précède.
  128. Ennius. Voyez Cicéron, De divinatione, I, 20 et 21.
  129. En Æneas. Pour les passages de l’Énéide auxquels il est fait allusion ici et un peu plus loin, voyez les livres II, III et VII.
  130. Que preallablement il n’euſt congneu. Voyez Cicéron, De divinatione, I.
  131. Lors l’heure eſtoit

    Tempus erat quo prima quies mortalibus ægris
    Incipit, et dono divum gratissima serpit.

    (Virgile, Énéide, II, 268)
  132. Ὲχθρῶν ἄδωρα δῶρα. « Les dons des ennemis ne sont pas des dons. » (Sophocle, Ajax, 665)
  133. Congnoiſtre la verité des apparitions angelicques.

    .... Viſion venant de part mauluaiſe
    Au commencer donne ſemblance d’ayſe,
    Et, au partir, triſtes & deſolez
    Rend ceulx qu’auoit à l’entrée conſolez ;
    Mais au contraire, & tout à l’oppoſite,
    Faict le bon ange enuers ceulx que viſite.
    Car au venir il leur donne terreur,
    Et au depart les iecte hors d’erreur.

    (Guillaume Crétin, Apparition du maréchal ſans reproche, Paris, Coustelier, p. 114)
  134. Bien n’oyt. Lisez : bien & n’oyt.
  135. Sera. Lisez fera.
  136. Le bon Pape premier inſtituteur des ieuſnes. Voyez Polidore Virgile, De inventoribus rerum, VI, 3.
  137. Cene comme cæne. Cette étymologie est tirée de Plutarque, Probl. sympos., VIII, 6.
  138. La Sibylle enuers Cerberus. — Énéide, VI, 9.
  139. Vne Sibylle de Panzouſt. « C’eſtoit vne dame de Panzouſt, proche Chinon, qui ne fut point mariée & ne vouloit point l’eſtre, laquelle neantmoins eſtoit conviée de le faire par ſes amis pendant qu’elle fut en aage de cela : elle mourut fort aagée. » (Alphabet de l’auteur François, au mot Sibylle)
  140. En la loy de Moſes. — Deutéronome, XVIII, 11.
  141. Non Maunettes, mais Monettes. Jeu de mots. Maunette, mal nette, malpropre ; plus loin (t. II, p. 411), Rabelais appelle Maunet un des cuisiniers qui entrent dans la truie. Monette, qui avertit.
  142. Aurinie, & la bonne mere Vellede. Voyez Tacite, Germanie, 8.
  143. Soubeline : ie vouloys dire Sibylline. Jeu de mots. Voyez Soubelin au Glossaire.
  144. Heraclitus grand Scotiſte. Regis a fort ingénieusement remarqué que Rabelais se rappelle ici ce passage du De finibus de Cicéron (II, 5) : « Heraclitus cognomento qui σχοτεινός perhibetur, quia de natura nimis obscure memoravit. » Il traduit malignement σχοτεινός, obscur, par Scotiste, s’amusant ainsi aux dépens de Duns Scot, sans même mettre son lecteur dans la confidence de cette plaisanterie érudite que le savant allemand a fort à propos restituée.
  145. Τῇ ϰαμινοῖ. « A l’enfumée. » Dans l’Odyssée (XVIII, 27) Irus dit qu’Ulysse est semblable à une vieille enfumée γρηἶ ϰαμινοῖ ἶσος.
  146. Le rameau d’or. Comparez la visite de Panurge à la sibylle de Panzoust à celle qu’Énée fait dans le VIe livre de l’Énéide à la sibylle de Cumes.
  147. Elle ne parle poinct Chriſtian.

    Nec mortale sonans… (Énéide, VI, 50)

  148. Le trou de la Sibylle.

    … horrendæ… secreta Sibyllæ,
    Antrum immane…
    (Énéide, VI, 10)

  149. Le petit picotin.

    En entrant en vn Iardin
    Ie trouuay Guillot Martin
    Auecque s’amye Heleine
    Qui vouloit pour ſon butin
    Son beau petit picotin,
    Non pas d’orge ne d’aueyne.

  150. Λοξίας. De λοξός, oblique.
  151. Ce qu’eſcript Herodote. Voyez liv. II, c. 2.
  152. Barthole. Lib. XLV, Digest. Tit. I, De verborum obligationibus, lex I, 7. Barthole examine si un homme qui comprend les autres et se fait comprendre lui-même, comme Nella de Gabriellis, peut être admis à stipuler, et il se prononce pour l’affirmative.
  153. En autheur docte & eleguant. « C’est Lucien en son Dialogue de la danse. Il est vrai que Tiridate n’y est pas nommé ; mais Suétone, Pline & Tacite parlent du voyage que ce Prince entreprit pour voir Néron. » (Le Duchat)
  154. Ce que aduint. « Guevare, chap. 37 de l’Original Espagnol de la vie fabuleuse qu’il a publiée de l’empereur Marc Auréle. » (Le Duchat)
  155. Croquignoles. Certaines éditions collectives, suivies par Le Duchat, donnent Brignoles. Dans une Notice sur Brignoles (Brignoles, 1829, in-12), attribuée à Raynouard, né dans cette ville, on remarque que « lorsque Rabelais… écrivait, le couvent des Ursulines de Brignoles n’existait pas encore. »
  156. Seur Feſſue. Ce nom n’est point de l’invention de Rabelais. Il y a une farce du Recueil La Vallière, intitulée : Farce nouuelle à cinq perſonnages… l’abeſſe… & seur Feſue.
  157. Ne auſoit crier on dortouoir. Dans l’ίχθυοφαγία d’Érasme, une religieuse fait la même réponse. Du reste ce conte remonte très loin : « Ne ſoyes pas comme ceſte nonnain de laquelle on dit que quant elle fut deſpucelée… & quelle nauoit point cryé… elle reſpondit… quil eſtoit apres leure de complie quant ſelon la reule, elle deuoit garder ſilence. » (Le chaſteau de Virginité, par Georges d’Eſclavonie, mort en 1416. Paris, Verard, 1505, 4o)
  158. Leurs faiſois ſignes du cul.

    Martin dit lors : « S’il venoit par derriere
    Quelque lourdault, ce ſeroit grand vergongne.
    — Du cul (dit-ell’) vous ferez ſigne : « Arriere :
    Paſſez chemin, laiſſez faire beſongne. »

    (Clém. Marot, Épigrammes, CLXXIV)
  159. Nombre nuptial. Plutarque, Questions romaines, II.
  160. Le dæmon Socraticque. « I’ai entendu… d’vn certain Megarien, qui l’auoit auſſi ouy dire à Terpſion que cet eſprit n’eſtoit autre choſe qu’vn eſternuement. » (Plutarque, Du Demon familier de Socrate)
  161. Vn aultre Dauus.

    Itane vero obturbat ?

    (Térence, Andrienne, V, 1)
  162. On ſecond liure de diuination. Cicéron y blâme en ces termes (ch. 40) ce genre d’observations : « quæ si suscipiamus… et sternutamenta erunt observanda. »
  163. Da iurandi. Voyez ci-dessus, p. 167, la note sur la l. 30 de la p. 231.*

    *

  164. Tout vray à tout vray conſone. Traduction de cet axiome scolastique :

    Omne verum omni vero consonat.

  165. Mouuons toute pierre. C’est la transcription du proverbe latin : « Omnem movere lapidera, » que Pline le Jeune, dans une de ses lettres (I, 20), cite sous sa forme grecque : « πάντα denique λίθον ϰινῶ. »
  166. Ὁ δὲ γέρων σίϐυλλιᾷ. « Le vieillard prophétise comme une sibylle. » (Chevaliers, I, 1, 61)
  167. De Iſaac, de Iacob. — Genèse, 27, 28 et 29.
  168. De Patroclus enuers Hector, de Hector enuers Achilles. — Iliade, II, 843, et X, 355.
  169. De Polyneſtor. — Euripide, Hécube, V, 1270.
  170. Du Rhodien celebré par Poſidonius. « Divinare autem morientes, etiam illo exemplo confirmat Posidonius quo affert Rhodium quemdam morieutem sex æquales nominasse, et dixisse qui primus eorum, qui secundus, qui deinde deinceps moriturus esset. » (Cicéron, De Divinatione, I, 30)
  171. De Calanus Indian. — Plutarque, Vie d’Alexandre, LXX.
  172. De Orodes. — Virgile, Énéide, X, 139.
  173. Prenez la, ne la prenez pas. Ce rondeau est de Guillaume Crétin ; on le trouve avec quelques variantes dans ses œuvres. Ce qui a fait penser à la plupart des commentateurs de Rabelais que Raminagrobis n’est autre que Guillaume Crétin.
  174. Ce que ie diray, aduiendra, ou ne aduiendra poinct. C’est à Ulysse que Tirésias parle ainsi :

    quidquid dicam, aut erit, aut non.

    (Horace, Satires, II, V, 60)
  175. Son ame s’en va à trente mille panerées de diables. On lit encore à la fin de la page suivante : « ſon ame s’en va à trente mille charrettées de Diables, » et au commencement du chapitre suivant : « qu’il ne damne ſon ame. » Dans tous ces passages l’édition de 1552 donne bien ame, mais il y avait aſne dans celle de 1546. Dans son épitre adressée, le 28 de janvier 1552, à monseigneur Odet, en tête du quart livre (t. II, p. 251), Rabelais ne se reconnaît point responsable de cette facétie, qui avait été prise au tragique, et il dit que François Ier « auoit eu en horreur quelque mangeur de ſerpens, qui fondoit mortelle hæreſie ſus vn N. mis pour vn M. par la faulte & negligence des imprimeurs. »

    Il faut reconnaître que Rabelais était le vrai coupable. Ses imitateurs ne s’y sont pas trompés et ont renouvelé cette dangereuse plaisanterie : « Il ne voulut pas ſe donner au diable apres ſon aſne. » (Moyen de parvenir, p. 67.) — Le Mondain. « Ie ne m’ébahi plus maintenant ſi tu n’as dit gueres de bien de ceus qui conſeruent la ſanté du cors, que meſme tu fais tant peu de comte des autres qui gardent celle de l’ame. Le Democritic. Comment la ſelle de l’aſne, dis-tu ? Quant eſt de moy ie n’ay aſne ni aſneſſe. Le Cosmophile. Ie di celle de l’ame, c’eſt à dire la ſanté de noſtre ame. » (Jacques Tahureau, Premier dialogue du Democritic, p. 93, édit. Lemerre)

  176. Hæreticque clauelé. Les éditions collectives donnent clarelé, et l’Alphabet de l’auteur français explique ainsi ce passage : « Il ſe moque d’vne condamnation de mort qui fut donnée contre vn des premiers huguenots qui embraſſa la Religion Reformée à la Rochelle, lequel eſtoit horloger & auoit fait vne horloge toute de bois qui eſtoit vn ouurage admirable. Mais à cauſe qu’elle auoit eſté faite par les mains d’vn pretendu heretique, les iuges ordonnerent par la meſme ſentence que cette horloge ſeroit brullée par la main du bourreau : ce qui fut executé. Il faut encore remarquer que cet adiectif de clarelé eſt fait du nom de cet horloger, qui auoit nom Clarelé & s’eſtoit rendu fort conſiderable par ſon zele. »
  177. Comme les Farfadetz feirent de la præuoſte d’Orleans. On lit præuoſté dans l’édition de 1552, mais j’ai cru devoir me ranger à l’opinion de Burgaud des Marets et imprimer præuoſte. Louise de Mareau, femme de François de Saint-Mesmin prévôt d’Orléans, ayant été enterrée dans l’église des Cordeliers, ces religieux contrefirent les farfadets et prétendirent que l’âme de la prévote revenait les tourmenter dans leur couvent. Le 1er février 1533, ils commencèrent à conjurer cet esprit, et ce manège continua longtemps. La fourberie ayant été découverte, ils furent condamnés à être brûlés ; mais ils firent amende honorable et furent seulement bannis par arrêt du 18 février 1534. C’est ce qui fait qu’Henri Estienne, parlant dans son Apologie pour Hérodote (c. XXI, t. I, p. 520) de l’impunité des gens d’église, s’exprime ainsi : « Dequoy entr’autres teſmoignages nous en auons vn fort bon es cordeliers d’Orleans, aprés auoir vſé de l’horrible & execrable impoſture qui depuis par tous les coins du monde fut diulguee. » Il revient souvent sur cette affaire (c. XV, t. I, p. 286 ; c. XXIII, t. I, p. 546), mais se contente de la rappeler au lecteur : « eſtimant n’eſtre beſoin de luy en faire le recit, veu que ces hiſtoires ont eſté imprimées, & outre cela ſont en la bouche d’vn chacun. » (c. XXXIX, t. II, p. 247). En effet Sleidars les a racontées tout au long (liv. IX, année 1534). Voyez aussi Lottin, Recherches historiques sur Orléans, t. I, p. 381. L’histoire des farfadetz qui figure dans la bibliothèque Saint-Victor, est très probablement, dans l’intention de Rabelais, celle de cet événement.
  178. Trente mille charretées de Diables t’emportent. Ces imprécations assez fréquentes chez Rabelais ( « ie me donne à cent mille panerees de beaulx diables, » t. I, p. 218, etc.) ne sont point de son invention et s’employaient habituellement de son temps :

    Or, va, que mille charretées
    De dyables te puiſſent emporter.

    (Farce d’vng mary ialoux, Anc. Théât. Franc, I, p. 144)

    « Ce que nous voyons que les preſcheurs que i’ay alleguez ci-deſſus diſent quelques fois, Ad omnes diabolos, ad triginta mille diabolos, c’eſt vu certain Latin dont le patron a eſté pris ſur noſtre François lequel bien ſouuent pour exagerer conte les diables par tant de mille chartées : diſant, ie le donne à trente mille chartées de diables, ou quarante, &c. » (Henri Estienne, Apologie pour Hérodote, ch. XIV, t. I, p. 197)

  179. Baille moy ta bourſe. Il la demande en apparence pour se préserver des diables au moyen des croix que portaient les pièces de monnaie.
  180. Ce que nagueres aduint à Ian Dodin. La Monnoye a rapporté dans le Ménagiana. (t. I, p. 368) l’original de ce conte :

    De quodam Minoritano & alio.

    Franciſcanus in alteram profundi
    Ripam fluminis excipit ferendum
    Quempiam nitidum comatulumque
    (Parco huic Domine, rem minus ſilebo
    Dignam publica quæ lit, atque fiat),
    Impoſtumque humeris rogavit ipſe,
    Cum ventum ad medium prope eſſet amnem
    Franciſcanus, an is pecuniarum
    Quicquam forſan haberet ? Ille habere
    Se dixit, quibus hunc juvaret, amplas,
    Affatim quoque aſymbolum cibaret.
    Promiſſis nihil excitus vadator :
    Neſcis ordinis, inquit, eſſe noſtri
    Nos deferre pecunias vetari ?
    Defertor minime hujus ipſe fiam.
    Excuſſum ſimul hunc in amne liquit
    Novi utrumque, & id audii ex utroque.

    (Nic. Bartholomæi Lochienſis Epigrammata & Eidyllia, Parisiis, Cyaneus, 1532, 8°, liv. II, ft 22, vo.)

    Ce Nicolas Barthélémy, né à Loches, est mort prieur de Notre-Dame de Bonne-Nouvelle d’Orléans. On voit qu’il connaissait les deux personnages, mais il juge à propos de ne les point nommer. Il est curieux de voir Rabelais compléter ce récit ; et ceci semble un indice de plus que tout ce qu’il nous conte sur les habitants du Chinonnais et des environs n’est pas, comme on l’a trop cru, purement imaginaire.

  181. Aue maris ſtella. « Salut, étoile de la mer, » Prose de l’office de la Vierge.
  182. Tu auras du Miſerere iuſques à Vitulos. « Tu auras une longue pénitence. » Miſerere est le premier mot d’un des sept psaumes de la pénitence, et vitulos le dernier. Cette locution était fort usitée : « ſe ſaiſirent du cordelier luy baillant le chapitre tout au long du dos depuis miſerere iuſques à vitulos. » (Henri Eſtienne, Apologie pour Hérodote, c. XXI, t. I, p. 501). « Le maiſtre d’hoſtel dit… qu’il ſe haſtaſt de deloger, ſur peine non qu’il auroit le fouet, mais vn autre qui le feroit dancer depuis miſerere iuſques à vitulos. » (Noël du Fail, Œuvres, t. II, p. 95)
  183. Triuolſe mourant à Chartres. Ainsi dans les anciennes éditions et aussi dans Brantôme (Œuvres, t. II, p. 222, Société de l’histoire de France). Ce n’en est pas moins une erreur. Il est mort à Châtres (Arpajon) le 5 décembre 1518. Brantôme, d’accord avec Rabelais, cite dans son récit le passage de Virgile (Énéide, VII, 260) auquel celui-ci fait allusion : « Il avoit ouy dire à quelques philoſophes que les diables hayſſoient fort les eſpées & en auoient grand frayeur, & s’enfuyoient quand ilz les voyoient blanches en l’air & flamboyer. Tel fut l’avis de la Sibille quand elle mena Æneas aux enfers, & qu’elle le viſt à l’entrée de la porte avoir peur de meſſieurs les diables : « Non, non, diſt-elle, n’aye point de peur ; tire ſeulement ton eſpée : Vaginaque eripe ferrum. » Auſſi ledidt ſeigneur Iehan-Iacques, fondé ſur telle opinion, lors qu’il voulut mourir, il ſe fiſt mettre ſon eſpée ſur le lict toute nue près de luy, & tant qu’il peut il la tint en lieu de croix comme les autres ; & de vray, l’eſpée portoit la croix ſur elle & luy ſeruoit d’autant ; & auſſi que, cependant qu’elle renuoyeroit les diables, luy voyant ainſi en la main, euſſent peur & ne s’approchaſſent de luy pour luy enleuer & emporter ſon ame auecqu’eux ; & par ainſi, ne s’en oſans approcher de luy, ell’euſt loiſir de s’eſchapper & paſſer par la porte de derrière, & s’enuoller viſte en paradis. »
  184. Homère dict. — Iliade, v. 559.
  185. Plus rouillé, que la claueure d’vn vieil charnier. Voyez ci-dessus, p. 160, la note sur la l. 22 de la p. 216.*

    *

  186. Veu des Argiues. Voyez Hérodote, I, 82.
  187. Enguerrant. Enguerrant de Monstrelet, liv. I, c. 2.
  188. Le philoſophe Samoſatoys. Lucien de Samosate, qui a écrit un traité : De la manière d’écrire l’histoire.
  189. Qu’vne petite ſouriz.

    Parturiunt montes, nascetur ridiculus mus.

  190. Ie m’en ſoubrys. Jeu de mots renouvelé de Marot (Épiſtre à ſon amy Lyon) :

    Sire lyon (dit le filz de ſouris)
    De ton propos certes ie me ſoubris.

  191. Ivgement difficile.Voyez Aphorismes, liv. I, aph. 1.
  192. En bons & antiques autheurs. Voyez Plutarque, De la face qu’on voit dans la lune, 67 et 68.
  193. Her Trippa. Cette dénomination burlesque semble signifier « Monsieur la Trippe, » mais les deux dernières syllabes rappellent le nom d’Henri Corneille Agrippa, qui, suivant tous les commentateurs, est désigné dans ce chapitre.
  194. Aſtrologie, Geomantie, Chiromantie, Metopomancie. Pancrace, dans Le Mariage forcé (sc. VI) s’attribue la connaissance de toutes ces prétendues sciences : « Homme qui poſſede ſuperlative, aſtrologie, phyſionomie, metopoſcopie, chiromancie, géomancie. »
  195. Angelotz. « L’angelot était une monnaie anglaise courant en France sous les règnes de Charles VI et de Charles VII ; il valait environ 8 francs. » (Cartier, Numismatique de Rabelais, p. 347)
  196. Tu porteras la baniere. « Rabelais pensait-il, dit Burgaud des Marets, à un usage qui s’est maintenu dans le pays messin, et qui a pu être plus général autrefois ? Le 23 juin, veille de la Saint-Jean, s’il faut eu croire un écrivain du Jura, on y fait une procession de maris trompés ; le plus recommandable de la confrérie y porte une bannière jaune, surmontée d’un bois de cerf. » (V. Mémoires de la Sociécé des Antiquaires, t. IV, p. 378). M. Puymaigre, dans le compte rendu, d’ailleurs très favorable, de la 2e édition de ce commentaire, a fait bonne justice de cette fable. Cet usage, dit-il, est « tout à fait inconnu dans le pays messin, et nous n’en retrouvons nulle part trace dans le passé de cette contrée. » (Revue critique, 1874, 2e sem., p. 263)
  197. Ce pendent ſa femme tenoit le brelant.

    Uxor mœcha ubi est : hoc ad te pertinet, Ole.

    (Martial, Épigrammes, VII, 9. In Olum)
  198. Πτωχαλάζων. Mot employé par Athénée (VI) pour désigner un pauvre arrogant.
  199. Congnois toy. Voyez t. II, p. 441, l. 7-9.
  200. C’eſt vn tel Polypragmon, que deſcript Plutarche. C’est-à-dire un tel curieux. Voyez le traité de Plutarque Περὶ πολυπραγμοσύνης, De la curiosité.
  201. Nicander. Voyez Mémorables, c. 26.
  202. Theocrite en ſa Pharmaceutrie.

    Ἅλφιτά τοι πρᾶτον πυρὶ τάϰεται.

    (Idylles, II, 18)
  203. Iacoba Rhodogine. Voyez ci-après, p. 302, note sur la l. 2 de la p. 474.*

    *

  204. Apollonius de Tyane. — Philostrate, IV, 16.
  205. En præſence de Saul. — Les Rois, I, 28.
  206. Cent nobles. On croit d’abord qu’il s’agit de nobles à la rose, puis Panurge ajoute pour faire une équivoque : « & quatorze roturiers. »
  207. Couillon mignon. L’espèce de litanie, ou plutôt de blason, qui commence ici n’est pas sans analogie avec le blason de Triboulet fait par Pantagruel et Panurge (t. II, p. 181). Burgaud des Marets a cru qu’il existait de grandes différences, quant à l’ordre des mots do cette liste, entre la première édition où elle est imprimée sur trois colonnes, et celle de 1552, que nous avons suivie et où elle l’est sur deux. Cet ordre est cependant absolument le même ; mais il faut avoir soin de lire ligne à ligne et non colonne à colonne, de sorte que si l’on réimprimait ceci en un texte suivi il faudrait mettre : Couillon mignon, Couillon moignon, c. de renom, c. pâté, c. naté, etc.
  208. Faiz en crier les bancs. Jeu de mots : « fais publier les bans. » L’allusion libre est très nettement déterminée par l’orthographe bancs et par le complément : « & le challit. »
  209. Creſcite. Nos qui viuimus (benedicemus Domino). Multiplicamini. « Croissez. Nous qui vivons (nous bénissons le Seigneur. — Ps. CXIII, 18). Multipliez. »
  210. Dum venerit iudicare. « Tandis qu’il viendra juger. »
  211. Peu au retour me chault d’eſtre noyé.

    Parcite, dum propero ; mergite, dum redeo.

    (Martial, De Spectaculis, épigr. 25)
  212. Ne l’auoient faict quand le pouoient. « Quando potui non volui, & quando volui non potui, » dit un vieux brocard qu’on attribue à Saint Basile, De nugis curialium, VII, 17.
  213. Sans rien faire. Cette idée revient souvent dans nos auteurs comiques : « Foi de demoiselle ! diſoit ma mere panſant ſes pourceaux, mon mari eſt auſſi noble que le roi ; il aime bien à ne rien faire, & ſe donner du plaiſir. » (Moyen de parvenir, p. 359)

    Je t’ay ja dit que j’eſtois gentilhomme,
    Né pour chommer, & pour ne rien ſçavoir.

    Chacun d’eux reſolut de vivre en Gentilhomme,
    Sans rien faire.

    « Ton état ? — Gentilhomme. — Que fais-tu ? — Rien. » (Chamfort, Le Marchand de Smyrne)

  214. Ne dea. Comme nê diâ. Voyez ci-dessus, p. 108, note sur la l. 4 de la p. 66.*

    *

  215. L’oracle des cloches de Varenes. Dans l’Itinerarium paradiſi de Jean Raulin (Pariſiis, 1524, Sermo de viduitate, fol. 148 vo) on trouve le récit suivant : « Certaine veuve vint demander à son curé si elle devait se remarier. Elle alléguait qu’elle était sans aide et qu’elle avait un très bon valet, habile dans l’art de son mari. Alors le curé lui dit : Bien ! prenez-le. Elle répondit : mais il y a danger à le prendre, de mon valet je ferai un maître. Alors le curé dit : Bien, ne le prenez pas. Mais elle : Que ferai-je ? Je ne puis soutenir ce poids que soutenait mon mari, si je n’en ai un. Alors, le curé dit : Bien, ayez-le. Et elle : Mais s’il était méchant et voulait perdre et usurper mon bien ? Alors le curé : Ne le prenez donc pas. Et ainsi, selon ses arguments, le curé se rangeait toujours à son avis. Mais voyant qu’elle voulait avoir ce valet et était à sa dévotion, il l’engagea à bien comprendre ce que lui diraient les cloches de l’église et à faire selon leur conseil. Les cloches sonnant, elle comprit, suivant son vouloir, qu’elles disaient : Prens ton varlet, prens ton varlet. L’ayant pris, le valet la battit de son mieux ; et elle devint servante, de maîtresse qu’elle était. Alors elle se plaignit au curé de son conseil, maudissant l’heure où elle l’avait cru. Mais celui-ci lui dit : Vous n’avez pas bien entendu ce que disent les cloches. Le curé les sonna, et elle comprit alors ce qu’elles disaient, car le tourment lui en avait facilité l’intelligence. »
  216. Comme vne muraille de bronze.

    Hic murus alieneæus esto.

    (Horace, Épitres, I, 1, 60)
  217. Que Solomon dict. « Tria sunt insaturabilia… infernus, et os vulvæ, et terra. » — Proverbes, XXX, 15, 16.
  218. Ariſtoteles. Ἄπληστοι ὤςπερ αί γυναῖϰες. (Problèmes, IV, 26. Collect. Didot, t. IV, p. 141)
  219. Hercules, Proculus Cæſar. « Proculus imperator… (ut testatur ejus ad Metianum epistola) ex captis centum Sarmaticis virginibus decem prima nocte inivit, omnes autem intra quindecim dies constupravit. Sed majus illo est quod poetæ narrant de Hercule, illum quinquaginta virgines (v. Diodor. Sic. V, 2) una nocte omnes mulieres reddidisse. (Henrici Cornelii Agrippæ… De incertitudine & vanitate omnium scientiarum. cap. LXIII. De arte meretricia)
  220. Par Theophraſte, Pline, & Athenæus. Voyez Théophraste, III, 5 ; Pline, XXVI, 10 ; Athénée, I, 12.
  221. Le prime del monde. « Le premier du monde. » Locution italienne dont l’emploi, alors fréquent dans notre langue, est blâmé par Henri Estienne dans ses Dialogues du nouueau langage françois italianizé, A Envers., 1579, p. 76 et 85.
  222. Le froc du moine de Caſtres. Sur les effets du froc, voyez ci-dessus, p. 134, la note sur la l. 11 de la p. 145.*

    *

  223. A la paſſion qu’on iouoit à ſainct Maixent. Voyez t. II, p. 315.
  224. A l’exemple de Caton le Cenſorin. « Eodem ludos florales, quos Messius ædilis faciebat, spectante, populus ut mimæ nudarentur postulare erubuit : quod cum ex Favonio, amicissimo sibi, cognovisset, discessit e theatro, ne præsentia sua spectaculi consuetudinem impediret. » (Valère Maxime, II, 10)
  225. Il n’eſt… coqu, qui veult. Des Périers (Nouvelle 5), citant ce discours de mémoire, l’attribue à Pantagruel : « Et bien, s’elle vous fait cocu après, le plaiſir vous demeure touſiours, ie ne dis pas d’eſtre cocu, ie dis de l’auoir depucelée. Et puis vous auez mille faueurs, mille auantages, à cauſe d’elle. » — La Fontaine a énuméré ces nombreux avantages dans son conte de La Coupe enchantée.
  226. Couillon flatry. Dans l’édition de 1546, cette liste est sur trois colonnes. Voyez ce que nous avons dit, p. 246, note sur la l. 12 de la p. 128.* La liste de 1546 contient un certain nombre d’épithètes qui ne figurent pas ici, mais que nous aurons soin de recueillir dans le Glossaire.

    * Couillon mignon. L’espèce de litanie, ou plutôt de blason, qui commence ici n’est pas sans analogie avec le blason de Triboulet fait par Pantagruel et Panurge (t. II, p. 181). Burgaud des Marets a cru qu’il existait de grandes différences, quant à l’ordre des mots do cette liste, entre la première édition où elle est imprimée sur trois colonnes, et celle de 1552, que nous avons suivie et où elle l’est sur deux. Cet ordre est cependant absolument le même ; mais il faut avoir soin de lire ligne à ligne et non colonne à colonne, de sorte que si l’on réimprimait ceci en un texte suivi il faudrait mettre : Couillon mignon, Couillon moignon, c. de renom, c. pâté, c. naté, etc.

  227. L'anneau de Hans Carüel. « Voici la généalogie exacte du Conte de l’Anneau de Hans Carvel. L’invention en eſt due à Poge… Qu’on liſe la 133 de ſes facéties, intitulée Viſio Franciſci Philelphi, on reconnoîtra que Rabelais… n’a fait que mettre le nom de Hans Carvel à la place de celui de Philelphe. On trouve enſuite ce conte dans la onzième des Cent nouuelles nouuelles… L’Arioſte eſt le troiſiéme qui l’a mis en œuvre à la fin de la cinquième de ſes Satires… Un anonyme qui fit imprimer in-16, à Lyon, en 1555, un recueil de plaiſantes Nouvelles, a employé ce conte dans la XI. Celio Maleſpini l’a auſſi employé, p. 288, de la ſeconde partie de ſes Ducento Novelle, imprimées in-4, à Veniſe l’an 1609… La Fontaine, en 1665, habilla joliment en vers la proſe de Rabelais… Enfin, pour couronnement de l’œuvre, on a eſſayé de le mettre en petits vers Anacréontiques Latins dont les connoiſſeurs jugeront. » (La Monnoye, Ménagiana, t. I, p. 369). La pièce en vers latins qui suit ce morceau est évidemment de La Monnoye lui-même.
  228. La legende des preudes femmes.

    Carvel craignant de ſa nature
    Le cocuage & les railleurs,
    Alleguoit à la creature,
    Et la legende, & l’écriture,
    Et tous les Liures les meilleurs.

    dit La Fontaine. Au moyen âge il y avait une littérature morale destinée à faire bien comprendre aux femmes l’étendue de leurs devoirs. On peut voir la bibliothèque spéciale fort curieuse du Ménagier de Paris à ce sujet : l’histoire de Griselidis tient le premier rang, et le chien de Montargis lui-même est cité comme un exemple de fidélité à son maître que les femmes doivent s’efforcer d’imiter. On se rappelle avec quelle chaleur Gorgibus vante (Molière, Sganarelle, acte I, sc. I) :

    Les Quatrains de Pibrac, & les doctes Tablettes
    Du Conseiller Mathieu…

    et aussi La Guide des Pecheurs. Un peu plus tard, Arnolphe compose pour Agnès Les Maximes du mariage, comme Carvel avait fait pour sa femme Les louanges de fidélité conjugale.

  229. Icy feut fin & du propous & du chemin.

    Brundusium longæ finis chartæque viæque.

    (Horace, Satires, I, 5, v. 104)
  230. Rondibilis. Il est fort probable que Rabelais veut designer Guillaume Rondellet, médecin de Montpellier.
  231. Inſolubilia de Alliaco. « Les insolubles de Pierre d’Ailli. » Voici une de ces questions insolubles : « An porcus qui ad venalitium agitur ab homine an a funiculo teneatur ? » Voyez p. 298, l. 31 du t. I.
  232. Meilleur eſt ſoy marier, que ardre. « Melius est nubere quam uri. » (S. Paul, Première aux Corinthiens, VII, 9)
  233. Mangerons de l’oye, cor beuf, que ma femme ne rouſtira poinct. C’est-à-dire : nous mangerons réellement de l’oie, je ne vous amuserai pas de vaines promesses, comme Pathelin, lorsqu’il dit au drapier (p. 21) :

    Et ſi mangerez de mon oye,
    Par Dieu ! que ma femme rotit.

  234. Le teſtament. Jeu de mots : teſta, tête ; ment, mens, esprit.
  235. Ferez. Lisez ſerez.
  236. Comme le mirouoir. Voyez Plutarque, Préceptes du mariage, 13.
  237. Deſcripte par Salomon. — Ecclésiastique, 26.
  238. Ceres & Bacchus.

    ...sine Cerere et Libero friget Venus.

  239. Diodore Sicilien. Voyez V, 6.
  240. Pauſanias. Voyez IX, 31.
  241. Les Caſtres, comme caſtes. — Castres, les camps. « Castra sunt ubi miles steterit ; dicta autem castra, quasi casta, eo quod ibi castraretur libido. » (Isidore, Origines, IX)
  242. Parquoy Ægiſtus deuint adultere ?

    Quæritur Ægysthus quare sit factus adulter ?
    In promptu causa est : desidiosus erat.

  243. Et me ſoubuient auoir leu. Dans le 2e dialogue de Vénus et de l’Amour de Lucien.
  244. S. P. Q. R. Le sens de ces initiales, que Rabelais explique par : « Si peu que rien, » est : Senatus populusque romanus.
  245. Vnes letres. Cette lettre, qui se trouve dans les anciennes éditions d’Hippocrate, est considérée comme supposée.
  246. Sont toutes femmes femmes.

    Mais, Sire, il faut penſer que c’eſt aux grandes ames
    A ſouffrir les grands maux & que femmes ſont femmes.

    (Mairet, Sophoniſbe, I, 2)

    La femme eſt touſiours femme.

  247. Comme eſcript Ariſtoteles. — De communi animalium motu.
  248. Platon. — Timée.
  249. Cl. Galen. — VI, De locis affectis, c. 5.
  250. La balance de Critolaus. Critolaüs, philosophe péripatéticien, pesait, comparait les biens moraux aux biens physiques, et donnait l’avantage aux premiers. Voyez Cicéron, Tusculanes, V, 17.
  251. Entre Noël & l’Epiphanie. 1546 : entre Noel & la Tiphaine (ainſi nommait il la mere de troys Roys).
  252. Comme la fouldre. Plutarque, Propos de table, IV, 2.
  253. Hippothadée. Dans 1546, il est toujours appelé : Parathadée.
  254. Hérodote & Strabo. Hérodote, II, 46 ; Strabon, XVII.
  255. I’ay ouy compter. Ce conte, souvent reproduit et modifié, remonte assez haut. On le trouve déjà, en 1476, dans les Sermones diſcipuli de tempore serm. 50 ; puis en 1536 dans les Controuerſes des ſexes maſculin & feminin de Gratien Dupont.
  256. L’abbaye de Coingnaufond. 1545 : Fonſheurauld.
  257. Vne femme mute (Voyez notre Biographie de Rabelais). On a représenté le dimanche 11 mars 1877, à la Porte-Saint-Martin, dans une « matinée gauloise, » La farce de la femme muette par M. Albert Millaud, d’après le scénario de Rabelais.
  258. N’en auoir pour les faire taire. « Monſieur, ie vous prie de la faire redeuenir müette. — C’eſt vne choſe qui m’eſt impoſſible. Tout ce que ie puis faire pour voſtre ſeruice, eſt de vous rendre sourd, ſi vous voulez. » (Molière, Le Médecin malgré-luy, III, 6)
  259. Retournons à nos moutons. Voyez ci-dessus, p. 66, la note sur la l. 24 de la p. 10.*

    *

  260. Treufles. 1546 : Piques.
  261. Stercus… grana. « Les excréments et l’urine sont les premiers mets des médecins. Du reste vient la paille, de ceci le grain. » Le second dicton est un brocard de droit que Rabelais a rapproché plaisamment du premier. Quant à la réponse de Rondibilis, en voici le sens : « Pour nous ce sont signes, pour vous ce sont mets dignes. »
  262. De ventre inſpiciendo. « Custodiendoque partu. » (Pandectes XXV, 4). « De l’inspection du ventre, et de la conservation de l’enfant. »
  263. Il ne failloit rien.

    Dire en ſerrant la main, Dame il n’en falloit point.

    (Regnier, Satires, IV, 60)

    Voyez Molière, Le Médecin malgré-luy, II, 4.

  264. Vous eſt la lampe baillée. Allusion aux courses de flambeaux, où celui qui se retirait remettait à un autre la torche, à laquelle Lucrèce, dans un passage célèbre de son poème (II, 78), a comparé la vie :

    Et, quasi cursores, vitaï lampada tradunt.

  265. Kyne. On est tenté de croire qu’il y a ici une raillerie contre quelque ignorant interprète de la Bible, qui traduisait ϰύων, ϰυνος ; « chien, » par Kyne, et croyait que c’était le nom du chien de Tobie, qui n’est pas indiqué dans l’Ancien Testament.
  266. Vn ancien philoſophe. Il s’agit d’Aristippe et de Laïs.
  267. Vne fanteſque de Sparte. Voyez Plutarque, Apophtegmes des Lacédémoniens et Préceptes du mariage.
  268. Le ſainct Enuoyé. Saint Paul, Première aux Corinthiens, 7, 29.
  269. Diſoit Heraclytus. Voyez ci-dessus, p. 205, la note sur la l. 33 de la p. 308.*

    *

  270. Dido en ſes lamentations.

    Non licuit thalami expertem sine crimine vitam
    Degere, more feræ.

    (Virgile, Énéide, IV, 550)
  271. Par aduenture. « Ie vous demande, ſi ie feray bien d’épouſer la Fille, dont ie vous parle. — Selon la rencontre. — Feray-ie mal ? — Par-avanture. « (Molière, Mariage forcé, sc. 5)
  272. En cappe. 1546 : En robbe.
  273. Va… iurer vne petite demie heure pour moy. Henri Estienne, dans son Apologie pour Hérodote (c. XIV, t. I, p. 168), raconte l’histoire suivante d’un joueur : « Ce vilain eſtant laſſé de maugréer, renier, deſpiter Dieu & le blaſphemer en toutes ſortes, commanda à ſon valet de luy aider. » D’ordinaire, dans nos comiques, quand on prie quelqu’un de jurer pour soi, cela s’applique plutôt au serment à taire devant un tribunal qu’à des jurons : « Ie prieray mon voiſin deiurer pour moy, ainſi que fit le ſire Guillaume, qui, preſſé du iuge de iurer, luy dit ainſi : « Monſieur, ie ne fais point iurer, parce que ie n’ay pas étudié, ny eſté à la guerre, & ne ſuis docteur, ny gendarme, ny gentilhomme ; mais i’ay vn frere qui iurera pour moy. » (Moyen de parvenir, p. 2)

    Un grand homme ſec, là qui me ſert de témoin,
    Et qui jure pour moy lors que j’en ay beſoin.

  274. Si ie ne boucle ma femme. Allusion aux ceintures de chasteté ou cadenas. Voyez dans les Poésies diverses de Voltaire la pièce qui porte ce titre. Un de ces instruments est exposé au musée de Cluny.
  275. Chien chié chanté. Voyez ci-dessus, p. 78, la note sur la l. 26 de la p. 22.*

    *

  276. La gibbeſſiere de mon entendement. Voyez ci-dessus, p. 99, la note sur la l. 13 de la p. 54.*

    *

  277. Par leurs parolles. Allusion au proverbe : « On prend les taureaux par les cornes et les hommes par des paroles. »
  278. Appellé Fatuel. De fatum destin. Voyez Servius sur le v. 47 du liv. VII de l’Énéide.
  279. Seigny Ioan. Voyez la Table des noms. Le conte qui suit forme la 9e nouvelle des Cento nouelle antiche, qui a pour titre : Qui ſi ditermina vna quiſtione e ſentenzia che fu data in Aleſſandria. Il a été reproduit sous bien des formes différentes depuis Rabelais. Du Fail (t. II, p. 268) le résume ainsi en quelques lignes : « Payez moy, diſoit le rotiſſeur au gueu, qui mettoit ſon pain ſur la fumée du roſt : ouy vrayement, reſpond il, faiſant tinter & ſonner vn douzain : c’eſt du vent que i’ay prins, duquel meſme ie vous en paye. »
  280. Comment… eſt Triboullet blaſonné. Les litanies burlesques qui suivent semblent empruntées aux usages de nos anciennes sociétés bouffonnes. Le Cry du Ieu du prince des Sotz de Gringore (Bibl. elzév., t. I, p. 201) commence ainsi :

    Sotz lunatiques, Sotz eſtourdis, Sotz ſages,
    Sotz de villes, de chaſteaulx, de villages,
    Sotz raſſotez, Sotz nyais, Sotz ſubtilz,
    Sotz amoureux, Sotz priuez, Sotz ſauuages.

    Voyez aussi : Roger de Collerye, Bibl. elzév., p. 271-275 ; Anciennes poëſies françoiſes, Bibl. elz,, t. I, p. 11, et t. III, p. 11.

  281. F. ſolennel. C’est la qualité que Corneille attribue à Mairet :

    Chacun connoît ſon jaloux naturel,
    Le montre au doigt comme un fou ſolennel.

    (Corneille, t. X, p. 79, Collection des grands écrivains)
  282. F. de haulte game.

    Et Fol iuſque à la haute Game.

    (Clém. Marot, Epitaphe VI, De Iouan Fol de ma Dame)
  283. La diue Fatue. « La divine folie. » Série de jeux de mots et de coqs à l’âne. Bona dies, bonjour. Bonedée, la bonne déesse.
  284. Comment Pantagruel aſſiſte au iugement du iuge Bridoye. Ce chapitre et les suivants sont remplis de citations du Corpus juris Justiniani et des Décretales. Il serait inutile de les reproduire toutes in extenso et de les expliquer. Il suffit de constater qu’en général elles sont justes, mais facétieusement appliquées, pour montrer l’emploi inconsidéré que Bridoye en faisait.
  285. Court centumuirale. 1546 : biſcentumuirale. Le Parlement de Paris, composé de cent personnes sous Louis XI, avait été augmenté sous François Ier, et réduit en 1547 sous Henri II.
  286. Iacob pour Eſaü. Voyez Genèse, XXVII.
  287. Alea iudiciorum. « Le hasard, l’aléa des jugerments. » Bridoye, au lieu de comprendre l’expression au sens figuré, l’explique judaïquement par « les dez des jugements »
  288. Gaudent breuitate moderni. « Les modernes aiment la brièveté. »
  289. Cum… actori. « Quand les droits des parties sont obscurs, il faut se montrer favorable à l’accusé plutôt qu’à l’accusateur. »
  290. Oppoſita… eluceſcunt. « Les choses opposées, étant juxtaposées, deviennent plus claires. »
  291. La loy verſale verſifiéeq. C’est-à-dire : « la loi en vers et versifiée. » Le q qui termine « versifiée » est l’abréviation de la conjonction latine que, ajoutée maladroitement par Bridoye à un mot français. Cette loi, qui est la 9e du titre qui vient d’être cité, est appelée versifiée par Rabelais parce qu’elle forme un vers pentamètre, ce qui est un défaut dans la prose. (Voyez Ménagiana, t. I, p. 76-77)
  292. Semper… ſequimur. « Dans les cas obscurs nous inclinons toujours pour le minimum. »
  293. Qui… iure. « Le premier en date, est le préféré en droit. »
  294. Forma… ſubſtantia. « La forme changée, la substance est changée. » On voit que Bridoye a donné à son successeur Bridoison l’exemple du respect pour « la fo… orme. »
  295. Quia… principalis. « Parce que l’accessoire suit la nature du principal. »
  296. Interpone… curis. « Mêle parfois quelques joies à tes soucis. »
  297. Pecuniæ… omnia. « Tout obéit à l’argent. »
  298. Hic no. Hic notetis, « vous remarquiez ici. »
  299. A Muſco. Il y a dans la loi ſi poſt motam a Muſœo, nom du plaideur Muſæus dont il est question dans cette constitution impériale. Rabelais met plaisamment Muſco afin de faire concorder ce texte avec son sujet.
  300. Mufcarii. Lisez Muſcarii. L’abréviation i. est pour id est, « c’est-à-dire. »
  301. Reſolutoriè loquendo. « En parlant résolutivement. »
  302. Fortatur… libenter. « Ce qu’on porte volontiers, est porté légèrement. »
  303. Quod… negotiis. « Ce que les médicaments effectuent pour les maladies, les jugements le font pour les affaires. »
  304. Iam… Virginitas. « Déjà la virginité, mûre pour le lit nuptial, avait pris son développement par le nombre d’années voulu. »
  305. Soubs Brocadium iuris. On appelait brocard, brocardium, un axiome familier, un proverbe juridique. Les maximes de ce genre, réunies sous le titre de brocardia juris et fréquemment alléguées devant Bridoye, lui avaient donné une haute idée du savant Brocardium ou Brocadium juris auquel il les attribuait, et il tenait à passer pour son élève, comme le singe de la fable voulait se faire croire ami du Pirée.
  306. Perrin Dendin. Racine, qui a pris ce nom pour le donner à son juge, dans Les Plaideurs, n’a rien conservé du caractère de « l’apoincteur de procés. » On en retrouverait plutôt quelque chose dans le Juge arbitre de La Fontaine.
  307. La bonne dame Pragmaticque Sanction. « Dieu ayt l’ame de maiſtre Iean Frigidi, & ſa voiſine la Pragmatique Sanction, c’eſtoient d’honneſtes gens. » (Du Fail, t. II, p. 193)
  308. Sed ſi vnius. Cette loi n’existe pas.
  309. Sæpe… iter. « Souvent le fils est semblable au père, et la fille suit aisément le chemin de la mère. »
  310. Excipio… monacho. « J’excepte les fils nés d’une nonne du fait d’un moine. »
  311. Vigilantibus iura ſubueniunt. « Aux vigilants les droits subviennent. »
  312. Olfecit… poſuit. « Il a senti, c’est-à-dire : il a posé le nez au c… »
  313. Qui non laborat, non manige ducat. Le texte du proverbe devrait être non manducat : « Qui ne travaille ne mange ; » mais Rabelais, pour amener une équivoque, met : « manige ducat » c’est-à-dire : « ne manie ducat. »
  314. Currere… egeſtas. « Le besoin force la vieille à courir plus que le pas. »
  315. Sermo… paucis. « La parole est donnée à tous, la sagesse à peu. »
  316. Oportet. « Il faut. » Le sens de ce dicton est qu’on doit se rendre à la nécessité.
  317. Dulcior… ductus. « Le fruit recueilli après de nombreux périls est plus doux. »
  318. Deficiente… nia. « L’argent manquant, tout manque. » Vers d’Ennius, fréquemment cité, à cause de la tmèse du mot pecunia.
  319. Ie me trouue à propous. « Je ne ſuis bon, non plus que Perrin Dandin, que quand les parties ſont laſſes de conteſter. » (La Fontaine, Lettres, À Mme de Bouillon, nov. 1687)
  320. Ie pourrais paix mettre, ou treues pour le moins, entre le grand Roy & les Venitiens. « Ie croy, ſi ie me l’eſtois mis en teſte, que ie marierois le Grand Turc auec la Republique de Venise. » (Molière, L’Avare, II, 5)
  321. Odero… amabo. « Je haïrai si je puis ; sinon, j’aimerai malgré moi. »
  322. L’ourſe à force de leicher.

    Il eſt temps deſormais que le juge ſe haſte :
    N’a-t-il point aſſez leché l’Ours ?

  323. Forma… rei. « La forme donne l’être à la chose. » Voy. ci-dessus, p. 257, la note sur la l. 22 de la p. 190.*

    * Forma… ſubſtantia. « La forme changée, la substance est changée. » On voit que Bridoye a donné à son successeur Bridoison l’exemple du respect pour « la fo… orme. »

  324. Debile… ſequetur. « Une meilleure fortune suivra un faible commencement. »
  325. Qualis… gerit. « Tel sera l’habit, tel est le cœur. »
  326. Beatius… accipere. « Il est plus heureux de donner que de recevoir. » (Actes des apôtres, XX, 35)
  327. Affectum… tonantis. « La censure de celui qui tonne pèse la disposition de celui qui donne. »
  328. Accipe… Papæ. « Reçois, enlève, prends, sont paroles qui plaisent au Pape. »
  329. Roma… odit. « Rome ronge les mains, hait celles qu’elle ne peut ronger, protège qui donne, méprise et hait qui ne donne point. »
  330. Ad… meliora. « À présent œufs, demain sont meilleurs que poulets. »
  331. Cum… egeſtas. « Quand le travail périclite, la disette mortelle grandit. »
  332. Litigando… acquiritur. « Par litige croissent les droits. Par litige le droit s’acquiert. »
  333. Et… iuuant. « Quand les tentatives isolées ne servent de rien, les efforts multipliés sont utiles. »
  334. Flagrante crimine. « En flagrant délit. »
  335. Quandoque… Homerus. « Le bon Homère sommeille quelquefois. » (Horace, Art poétique, v. 359)
  336. On camp de Stokolm. En 1518, lorsque cette ville était assiégée par Christiern II, Roi de Danemarck. Le conte qui suit est tiré du Dialogo del giuoco de Pierre Arétin. Mellin de S. Gelais y a fait allusion dans sa Reſponse au cartel des ennemis d’Amour. Voyez Ménagiana, t. II, p. 194.
  337. Pecunia… neceſſitatibus. « L’argent est la vie de l’homme et son meilleur garant dans les nécessités. »
  338. Pao… embiz ? « Par la tête de bœuf, garçons que le mal de pipe vous fasse trébucher ! (Voyez ci-dessus, p. 96, la note sur la l. 1 de la p. 46.*) Maintenant que sont perdues mes vingt quatre vachettes (petites pièces de monnaie) tant plus je donnerai de bourrades, de chocs et de coups. Est-il quelqu’un de vous autres qui veuille se battre avec moi, à l’envi ? »

    *

  339. Der… hauſraut. Vieil allemand : « Le Gascon se flatte de se battre avec n’importe qui, mais il est plus enclin à voler : donc, chères femmes, veillez aux bagages. »
  340. Ploratur… veris. « L’argent perdu est pleuré par de vraies larmes. » (Juvénal, Satires, XIII, 134)
  341. Cap… eſtée. « Par le chef de Saint Arnaud, qui es-tu, toi qui me réveilles ? Quel mal de taverne te tourne ? Ho ! Saint Sever, patron de Gascogne, je dormais si bien, quand ce taquin m’est venu réveiller ! »
  342. Hé paouret… truqueren. « Hé pauvret, je t’échinerais maintenant que je suis bien reposé. Va-t’en un peu te reposer comme moi, puis nous nous battrons. »
  343. Sedendo… prudens. « L’arrêt et le repos rendent l’âme prudente. »
  344. La controuerſe debatue dauant Cn. Dolabella. Ce fait est raconté par Valère Maxime, VIII, 4, Ammien Marcellin, XXIX, et Aulu-Gelle, XII, 7. Comme aucun d’eux ne nomme les personnages et que Rabelais craindrait, en agissant de même, de rendre son récit obscur, il désigne simplement, à la façon des mathématiciens, le premier fils par les lettres a b c, le second par les lettres e f g, comme s’il s’agissait de comparer deux triangles.
  345. Comme ſoubhaitoit Caton. Voyez Pline, XXIX, 1.
  346. Auecques la veſſie de porc. Ce traitement, dont on usait autrefois envers ceux dont on voulait se moquer, n’était pas encore oublié au XVIIe siècle. Madame de Sévigné écrit à sa fille (7 août 1675) : « Je vous avoue qu’il y a ici de petits meſſieurs à la meſſe, à qui l’on voudroit bien donner d’une veſſie de cochon par le nez. »
  347. Lampridius. « Jactavit… caput inter præcisos phanaticos. » (Vie d’Héliogabale, 7)
  348. En ſon Aſnerie. — Aſinaria, II, 3 :

    Quassanti capite incidit.

  349. Et ailleurs. — Trinummus, sc. dern. :

    Quid cassas caput ?

  350. Ainſi eſcript T. Liue. « Viros veluti mente capta cum jactitatione fanatica corporis vaticinari. » (Liv. XXXIX)
  351. Iulian. Ainsi dans toutes les éditions, mais c’est Vivian qu’il faut lire. Voyez Pandectes, liv. XXI, tit. I, De ædilitio edicto.
  352. Apollo Cynthius.

    Cum canerem reges et prœlia Cynthius aurem
    Vellit, & admonuit…

    (Virgile, Églogues, VI, v. 3)
  353. Fou eſt prés Tou. Jeu de mots géographique. Fou est un village à trois lieues de la ville de Toul, dont au seizième siècle on ne prononçait pas l’l' finale. Les plaisanteries de ce genre sont demeurées longtemps populaires. On disait encore à Paris, dans ma jeunesse : « Je t’aime à la Folie, je te quitterai à Vaugirard. »
  354. Solomon dict. — « Stultorum numerus est infinitus. » (Ecclésiaste, I.)
  355. Auicenne. Voyez le prologue du Ve livre, t. III, p. 5.
  356. Perfums de maulioinct. « Ruſtici prouerbium peruulgatum habent : ſuccosiores eſſe virgines, quæ ſerpillum, quam quæ moſchum olent. » (Jean de la Bruière Champier, De re cibaria, VII, 35). La traduction naturelle de moſchus serait benjoin ; mais comme ce mot semble signifier bien joint, benè junctus, il est tout simple qu’un amateur de pointes y substitue maulioinct (mal joint), malè junctus.
  357. Panurge, ho, monſieur le quitte… Ici commence un passage, rempli de jeux de mots et d’allusions, qui a tort embarrassé tous les commentateurs, et que nous sommes loin d’avoir la prétention d’éclaircir complètement. Carpalim veut dire qu’en suivant ses prescriptions on aura un fallot et des lanternes. Il s’adresse à Panurge qu’il appelle monsieur le quitte, rappelant ainsi les plaisanteries qu’il a faites contre ceux qui ont payé leurs dettes. Cette idée le conduit à lui conseiller de prendre à Calais Millort Debitis. « Débyté Débitaï, selon Burgaud des Marets, se disaient en vieil anglais, et Debitis se dit encore à Guernesey pour député : il est donc probable que milord Debitis à Calais désigne le lord député de cette ville qui appartenait alors à l’Angleterre… » Ce lord, dit Carpalim, est good fellow, bon compagnon, ce qu’il prononce à la française goud fallot, bon fallot. Debitis rappelle à Carpalim le mot debitoribus, qui lui est opposé dans le pater ; mais ce précepte de remettre aux autres ce qu’ils doivent, que Rabelais a déjà remarqué qu’on observe souvent à gauche (voyez ci-dessus, p. 162, note sur la l. 8 de la p. 220*), pour Carpalim ce ſont lanternes ; c’est ainsi qu’il a fallot & lanternes.

    *

  358. Bon Lanternoys. Voyez ci-dessus, p. 190, note sur la l. 29 de la p. 261.*

    *

  359. Tes paroles ſont vrayes. Prononciation gasconne qui fournit un jeu de mots entre vraies et braies.
  360. Le courtiſan languaige. À la cour le langage changeait à chaque instant suivant la mode du moment et se surchargeait surtout de termes italiens. Henri Estienne dans la préface de la Conformité a soin de dire : « ie veulx bien aduertir les lecteurs que mon intention n’eſt pas de parler de ce language François bigarré, & qui change tous les iours de liuree, ſelon que la fantaſie prend ou à monſieur le courtiſan, ou à monſieur du palais, de l’accouſtrer. » C’est à cause de ces changements si prompts que Panurge prévient Épistémon que le dictionnaire qu’il lui promet « ne durera gueres plus qu’vne paire de ſouliers neufz. »
  361. Comment Gargantua remonſtre n’eſtre licite es enfans ſoy marier, ſans le ſceu & adueu de leurs peres & meres. Érasme s’était déjà élevé contre les abus signalés ici, dans un passage de son dialogue Virgo μισόναμὸς, ainsi traduit par Marot :

    A ce propos pluſieurs le trouuent
    Qui les mariages approuuent
    Des ieunes gens, leſquelz s’attachent
    Sans que pere & mere le ſçachent,
    Voyre malgré eulx pluſieurs fois.

    Il est remarquable de voir les auteurs comiques et les poètes prendre avec tant d’autorité et d’éloquence la défense du pouvoir paternel, dont le clergé, s’appuyant sur le droit canonique, ne vouloit tenir aucun compte. Ce beau chapitre, d’une si haute moralité, gêne fort les biographes de fantaisie d’un Rabelais égrillard ; aussi est-il toujours demeuré dans l’ombre : on semble s’être entendu pour ne le point citer.

  362. Gargantua. Les premières éditions portent à tort Pantagruel.
  363. Pantagruelion. L’herbe ainsi appelée parce que « Pantagruel feut d’icelle inueuteur » (t. II, p. 234), n’est autre que le chanvre (cannabis sativa, Linnée). À propos des trois chapitres qui suivent, l’ardent panégyriste de Rabelais, Antoine Leroy, a fait l’éloge de son héros, considéré comme botaniste. Depuis, des savants spéciaux sont venus confirmer cet hommage. De Candolle, dans une note de sa Théorie élémentaire, a constaté que Rabelais avait devancé tous les autres écrivains dans sa dissertation sur l’origine des noms des plantes ; et M. Léon Faye oppose à la définition exacte, mais froide, que ce savant donne du chanvre dans sa Flore française, le tableau qu’en trace Rabelais. Voyez : Rabelais botaniste, par Léon Faye, Angers, 1854, et le Discours prononcé à Montpellier le 8 juin 1856, à la session de la Société botanique de France, par M. le comte Jaubert.
  364. Trauerſeur des voyes perilleuſes. C’est le nom que Jean Bouchet, ami de Rabelais, avait pris, depuis longtemps déjà, sur le titre de ses ouvrages. Peut-être est-ce lui que notre auteur veut désigner ici.
  365. Par l’authorité de Theophraſte. Voyez Histoire des plantes, I, 5. C’est de cet auteur et de Pline que Rabelais tire la plus grande partie de ce qu’il dit dans ce chapitre et dans les suivants.
  366. Pour empeſcher l’enfantement de Alcmene. « Adsidere gravidis… digitis pectinatim inter se implexis, veneficium est ; idque compertum tradunt Alcmena Herculem pariente. » (Pline, XXVIII, 6).
  367. Ceulx qui… guaingnent leur vie à recullons. Les cordiers.
  368. Comme atteſte Ammianus. Liv. XXII.
  369. Pantagruel les tenait à la guorge. Voyez ci-dessus, p. 157-160, la note sur la p. 213.*

    *

  370. Par la relation du Prophète. — Les Juges, c. 9.
  371. Le reſte empliſſans d’eau, comme font les Limoſins à belz eſclotz. « Aux beaux sabots, » dit Éloi Johanneau, qui évidemment croit voir là une parodie de cette expression de l’Iliade : « les Achaiens aux belles cnémides. » Burgaud des Marets combat avec raison cette explication et dit fort justement que les charretiers « remplissaient d’eau à pleins sabots le vide qu’ils avaient fait, » Cette locution est analogue à celle de « mordre à belles dents, » qui est encore en usage.
  372. Cela eſt eſcript. — Pline, XVI, 35.
  373. Aſbeſton. Voyez ci-dessus, p. 81, la note sur la l. 28 de la p. 23.*

    *

  374. Le climat Dia Cyenes. — Dia est la préposition grecque διά « à travers. »
  375. Que Alexander Cornelius nommoit Eonem. « Alexander Cornelius arborem eonem appellavit, ex qua facta esset Argo, similem robore viscum ferenti, quæ nec aqua, nec igni posset corrumpi, sicut nec viscum. » (Pline, XIII, 22). Eonem est l’accusatif d’eone.
  376. Congneut Cæſar l’admirable nature de ce boys. Voyez Vitruve, II, 9.