Les Œuvres de François Rabelais (Éditions Marty-Laveaux)/PantagruelinePrognostication/6
De l’eſtat d’aucuns pays.
Chapitre VI.
e noble royaulme de France proſperera, & triumphera ceſte année
en tous plaiſirs, & delices : tellement
que les nations eſtranges
voluntiers ſe y retireront. Petitz
bancquetz, petitz eſbatemens, mille
ioyeuſetez ſe y ſeront, où vn cheſcun
prendra plaiſir, on n’y veit oncques tant de vins,
ny plus frians, force raues en Lymouſin, force chaſtaignes
en Perigot, & Daulphiné, force olyues en
Languegoth, force ſables en Olone, force poiſſons en
la Mer, force eſtoilles au ciel, force ſel en Brouage,
Planté de bledz, legumaiges, fruitages, iardinaiges,
beurres, laictaiges. Nulle peſte, nulle guerre, nul
ennuy, bren de pouureté, bren de ſoucy, bren de
melancholie, & ces vieulx doubles ducatz, nobles
à la roſe, angelotz, aigrefins, royaulx, & moutons
à la grand laine, retourneront en vſance, auecques
planté de Serapz, & eſcuz au ſoleil. Toutesfois ſur
le millieu de L’eſté, ſera à redoubter quelque venue de
puſſes noires, & cheuſſons de la Deuiniere : Adeo nihil eſt ex omni parte beatum[1]. Mais il les fauldra
brider à force de collations veſpertines.
Italie, Romanie, Naples, Cecile, demourront où elles eſtoient l’an paſſé. Ilz longeront bien profondement vers la fin du Careſme, & reſueront quelques fois vers le hault du iour.
Alemaigne, Souiſſes, Saxe, Straſbourg, Anuers &c. profiteront s’ilz ne faillent : les porteurs de rogatons les doibuent redoubter, & ceſte année ne ſe y fonderont pas beaucoup de anniuerſaires.
Heſpaigne, Caſtille, Portugal, Arragon, ſeront bien ſubiectz à ſoubdaines alterations, & craindront de mourir bien fort autant les ieunes que les vieulx : & pourtant ſe tiendront chaudement, & ſouuent compteront leurs eſcutz, s’ilz en ont.
Angleterre, Eſcoſſe, les Eſtrilins, ſeront aſſés mauuais Pantagrueliſtes. Autant ſain leurs ſeroit le vin que la biere, pourueu qu’il fuſt bon, & friant. A toutes tables leur eſpoir ſera en l’arriere ieu. Sainct Treignant d’Eſcoſſe fera de miracles tant & plus. Mais des chandelles qu’on luy portera, il ne verra goutte plus clair ſi Aries[2] aſcendant de ſa buſche ne trebuſche, & n’eſt de ſa corne eſcorné. Moſcouites, Indiens, Perſes, & Troglodytes, ſouuent auront la cacqueſangue, par ce qu’ilz ne vouldront eſtre par les Romaniſtes belinez, attendu le bal de Sagittarius aſcendant. Boeſmes, Iuifz, Egiptiens, ne ſeront pas ceſte année reduictz en plate forme de leur attente. Venus les menaſſe aigrement des eſcrouelles gorgerines, mais ilz condeſcendront au vueil du Roy des Parpaillons.
Eſcargotz, Sarabouytes, Cauquemarres, Canibales, ſeront fort moleſtez des mouches bouines, & peu ioueront des cymbales, & manequins, ſi le Guaiac n’eſt de requeſte. Auſtriche, Hongrie, Turquie, par ma foy, mes bons hillotz, ie ne ſçay comment ilz ſe porteront, & bien peu m’en ſoucie veu la braue entrée du Soleil en Capricornus, & ſi plus en ſçauez n’en dictes mot, mais attendez la venue du boyteux[3].
- ↑ Adeo… beatum. Voyez ci-dessus, p. 293, la note sur la l. 13 de la p. 422.*
* Rien n’eſt beat de toutes parts.
... Nihil est ab omni
Parte beatum. - ↑ Aries. Nom latin de la constellation du Bélier.
- ↑ Attendez la venue du boyteux. C’est le temps qui est ainsi désigné proverbialement :
Attendant le boiteux, je conſolois Lucrèce.