Les Œuvres de François Rabelais (Éditions Marty-Laveaux)/PantagruelinePrognostication/7
Des quatre ſaiſons de l’année. Et premierement
du printemps.
Chapitre VII[1].
n toute ceſte année ne ſera qu’vne Lune, encores ne ſera elle point nouuelle. Vous en eſtes bien
marriz vous autres qui ne croyez
mie en Dieu, qui perſecutez ſa
ſaincte & diuine parolle, enſemble
ceulx qui la maintiennent. Mais
allez vous pandre, ia ne ſera autre lune que celle
laquelle Dieu crea au commencement du monde,
& laquelle par l’effect de ſadicte ſacre parolle a
eſté eſtablie au firmament pour luyre, & guider
les humains de nuid. Ma Dia ie ne veulx par ce
inferer qu’elle ne monſtre à la terre & gens terreſtres
diminution, ou accroiſſement de ſa clarté,
ſelon qu’elle approchera ou s’eſloignera du Soleil.
Car, Pourquoy ? Pour autant que &c[2]. Et plus pour
elle ne priez que Dieu la garde des loups, car ilz
n’y toucheront de ceſt an, ie vous affie. A propos :
vous verrez ceſte ſaiſon à moytié plus de fleurs,
qu’en toutes les trois autres. Et ne ſera reputé fol cil qui en ce temps ſera ſa prouiſion d’argent mieulx
que de Aranes toute l’année. Les gryphons, & marrons[3]
des montaignes de Sauoie, Daulphiné, & Hyperborées
qui ont neiges ſempiternelles, ſeront fruſtrez
de ceſte ſaiſon, & n’en auront point, ſelon l’opinion
d’Auicenne qui dict que le printemps eſt lours que
les neiges tombent des mons. Croyez ce porteur.
De mon temps lon contoit, Ver[4], quand le Soleil
entroit au premier degré de Aries. Si maintenant on
le compte autrement, ie paſſe condemnation. Et iou
mot[5].
- ↑ Chapitre vii. Ce chapitre et les trois suivants ne se trouvent pas dans les premières éditions.
- ↑ Pour autant que &c. Il feint de commencer à donner une explication scientifique, puis s’arrête brusquement.
- ↑ Les gryphons, & marrons. Rabelais appelle en plaisantant les guides ou porteurs gryphons, non, comme le dit Le Duchat, parce qu’ils montent « comme de vrais gryphons, » mais parce qu’ils ont les jambes garnies de crampons de fer appelés griffes. — Quant au mot marron, il est d’origine italienne : « Marrone, dit Oudin, maron, homme qui ſert à paſſer les montaignes & principalement au mont Cenis. » Montaigne a dit dans ses Voyages, à l’article Novaleſe : « Locai li otto marronii quali mi portaſſero in ſedia fin alla cima di Mon Senis. » C’est de l’un d’eux que Rabelais parle quand il dit un peu plus loin : « Croyez ce porteur. »
- ↑ Ver. Nom latin du printemps.
- ↑ Et iou mot. Littéralement : « et je (moi) mot, » c’est-à-dire : « moi je ne dis mot ; motus. »