Aller au contenu

Les deux testaments/08

La bibliothèque libre.
Imprimerie de l'Indépendance (p. 39-40).

CHAPITRE VIII

Un jour, Maria Renaud était assise près de la fenêtre, absorbée par un ouvrage de broderie.

Sa mère lui jetait de temps en temps des regards à la dérobée et un pli profond se creusait alors entre ses sourcils noirs et épais.

C’eut qu’elle n’était pas contente de sa fille, la mère Renaud.

Le veuf avait beau devenir de plus ou plus aimable et galant ; il avait beau faire de beaux cadeaux à la jeune fille, celle-ci s’obstinait à ne pas lui donner d’encouragement. Elle ne répondait que par de» monosyllabes aux questions qu’il lui adressait, et son visage prenait un air ennuyé chaque fois qu’il entrait dans la maison.

Pourtant, il ne se décourageait pas.

Au contraire, il redoublait d’attention et de prévenances.

Cependant, ses parents, qui tenaient toujours à avoir Edmond Barnier pour gendre, commençaient à craindre que celui ci ne finisse par se décourager et se décider à porter ses attentions ailleurs.

La mère s’était donc promis d’avoir, à ce sujet, une conversation sérieuse avec sa fille, et cette après-midi là, elle trouvait l’occasion favorable.

— À quoi penses-tu donc. Maria ? lui dit-elle, tout à coup. Tu as l’air bien sérieuse.

— À rien, maman.

— C’est peu profitable, ma chère enfant. Tu ferais mieux de songer à quelque chose de plus sérieux que cela.

Voyant que sa fille gardait le silence, elle continua, après une pause.

— Écoute, Maria, il y a quelque chose dont je voudrais te parler, depuis quelque temps.

C’est à propos du veuf Barnier.

Je voudrais savoir pourquoi tu es si désagréable avec lui ?

— Mais, maman, comment puis-je être désagréable avec lui ? Je ne lui dis jamais un mot.

— C’est justement cela. Tu le traites avec un mépris sans pareil.

— Je ne le méprise pas, mais il m’ennuie, quand il vient ici.

— Ne fais pas l’hypocrite ! dit la mère qui commençait à s’exciter. Tu le détestes le pauvre homme, et cela ne te gêna pas de le lui montrer.

Quel mal t’a-t-il donc fait pour mériter que tu le traites avec une pareille insolence ? Il faut qu’il ait un caractère d’une douceur extraordinaire pour endurer tes dédains sans se plaindre, lui qui est si bon et si généreux, lui t’a fait tant de jolis cadeaux.

C’est qu’il t’aime à la folie, le pauvre homme, et tu es trop sotte pour t’en apercevoir. Et je sais bien pourquoi. Tu aimes encore ce misérable Xavier LeClerc, cet ivrogne, ce vaurien qui fait mourir sa vieille mère de chagrin.

Hélas ! les épithètes que Mde Renaud appliquait au pauvre Xavier LeCIerc n’étaient que trop méritées.

Depuis cette sombre et froide soirée d’automne où, cédant à la tentation, il avait cherché dans la dissipation un remède à ses chagrins, il était tombé de plus en plus bas, et Mde Renaud ne mentait pas en disant qu’il faisait mourir sa vieille mère de chagrin.

Le seul nom de celui qu’elle aimait encore, malgré les efforts qu’elle faisait pour l’oublier, fit monter la rougeur au front de Maria. Cependant elle se sentit humiliée par le reproche que sa mère lui adressait, et elle répondit fièrement, bien que d’une voix tremblante d’émotion.

— Je n’aime plus Xavier, maman.

— Oui, tu l’aimes encore, hypocrite ! Si tu ne l’aimais pas, tu ne refuserais pas de voir les qualités de ce pauvre M. Bernier, tu ne te fâcherais pas, chaque fois que ton père te parle de l’accepter pour mari ; enfin, si tu ne l’aimais pas encore, tu aimerais M. Bernier, car une fille dans son bon sens ne pourrait pas s’empêcher de l’aimer, cet excellent homme, surtout une fille aimée de lui, comme tu l’es, toi.

Elle parla longtemps sur ce ton, la mère Renaud, et avec d’autant plus d’énergie qu’elle était convaincue que le mariage du veuf avec Maria serait le plus grand des bonheurs pour cette dernière.

Cependant, son sermon de ce jour là, n’eut d’autre résultat que de faire pleurer Maria qui avait un caractère doux et pacifique, et pour qui les reproches et les discussions semblaient les pires des maux.

Mais la pauvre enfant était destinée à ne plus goûter les douceurs de la paix.

Cette conversation fut suivie d’un grand nombre d’autres, du même genre, et pendant tout l’hiver, ses parents ne cessèrent de la prêcher et de la gronder, de la prier et de la menacer, et enfin, de faire tout en leur pouvoir pour la décider à épouser l’homme qu’elle détestait.