Mécanique analytique/Notes du volume 2/Note 5

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Gauthier-Villars et Fils (Œuvres de Lagrange. Tome XIIp. 356-358).
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Note du tome II

NOTE V.

Sur la plus courte distance entre deux points d’une surface.


Lorsqu’un point matériel se meut sur une surface fixe, et que, soumis à la seule influence d’une vitesse initiale, il n’est sollicité par aucune force, Lagrange démontre (p. 181) que la vitesse est constante et la ligne qu’il décrit la plus courte que l’on puisse mener entre deux de ses points. Pour prouver cette proposition, l’illustre auteur se borne à montrer que la variation de l’arc est nulle et que, par conséquent, il y a maximum ou minimum ; or, dit-il, il ne peut y avoir maximum, donc il y a minimum. Cette manière de raisonner n’est pas admissible ; on sait, en effet, qu’une intégrale dont la variation est nulle peut fort bien n’être ni maximum ni minimum ; dans le cas particulier dont il s’agit, l’assertion de Lagrange est cependant exacte, comme on peut le démontrer en quelques mots.

L’équation différentielle qui exprime que la variation de l’intégrale est nulle prouve, comme on sait, que le plan osculateur de la courbe est, en chaque point, normal à la surface. Or, en supposant les deux extrémités de l’arc considéré infiniment voisines l’une de l’autre, parmi tous les arcs qui peuvent les réunir sur la surface, le plus petit, celui qui différera le moins de la corde, sera évidemment l’arc dont la courbure est la plus petite, c’est-à-dire dont le rayon de courbure est le plus grand. Or les arcs qui réunissent deux points infiniment voisins d’une surface peuvent être considérés comme ayant même tangente, et, par conséquent, d’après un théorème bien connu de Meusnier, celui dont le plan osculateur est normal à la surface a le rayon de courbure maximum et est, par conséquent, le plus court.

La proposition énoncée par Lagrange est exacte, comme on vient de le voir, pour un arc infiniment petit quelconque ; mais elle cesserait de l’être si l’on considérait un arc d’une grandeur finie. Il existe sur ce sujet un théorème curieux, énoncé sans démonstration par Jacobi, qui donne un moyen général de déterminer, pour chaque ligne tracée sur une surface et satisfaisant aux conditions de minimum, les limites entre lesquelles elle est réellement la plus courte.

Soit une telle ligne : avançons-nous sur cette ligne à partir du point considéré comme limite fixe, en marchant vers les points suivants de la courbe. Si l’on prend l’un de ces points comme seconde limite il pourra arriver qu’entre ce point et le premier il passe une autre courbe pour laquelle la condition analytique du minimum soit également remplie ; eh bien, la ligne considérée cessera d’être minimum entre le point et la seconde extrémité considérée, en un point pour lequel cette seconde ligne se confond avec la première.

Ce théorème n’a pas été démontré par les géomètres qui ont commenté la célèbre Lettre dans laquelle il est énoncé[1]. Nous croyons faire une chose utile en indiquant rapidement comment il résulte de l’Analyse de Jacobi.

L’intégrale considérée étant, en général,

la variation peut prendre la forme

étant la fonction qui, égalée à zéro, fournit l’équation que l’on doit intégrer pour résoudre le problème.

Pour qu’il y ait minimum, il faut que la fonction reste constamment positive entre les limites de l’intégration. Or cette condition ne peut manquer d’être remplie, quelles que soient ces limites, puisque nous avons vu qu’il y a toujours minimum entre deux limites quelconques qui sont suffisamment rapprochées. Il faut en outre, d’après l’Analyse de Jacobi, qu’en désignant par l’expression déduite de l’équation

et qui renferme deux constantes arbitraires et on puisse déterminer deux constantes ets telles qu’en posant

l’expression

ne devienne pas infinie entre les limites de l’intégration, ou, ce qui revient au même en général, de telle sorte que puisse ne pas devenir nul entre les mêmes limites. Il est clair, d’après cela, que, pour chaque valeur de s’il arrive que l’expression s’annule en deux points de la ligne minimum fournie par le calcul des variations, entre ces deux points extrêmes, on pourra affirmer que l’intégrale est un minimum. Or je dis qu’ils jouiront précisément de la propriété signalée par Jacobi, c’est-à-dire que l’on pourra mener de l’un à l’autre deux lignes infiniment voisines présentant également la propriété de minimum. Remarquons, en effet, que l’expression

est l’intégrale générale de l’équation linéaire

dans laquelle on considère comme inconnue (voir le Mémoire de Jacobi). Si donc on attribue à la valeur

et étant choisis, ce qui est permis, de telle manière que soit infiniment petit, l’expression s’annulera, puisque la valeur de s’annule par hypothèse, et que l’accroissement infiniment petit rend sa variation égale à zéro.

On aura donc deux lignes infiniment voisines réunissant les deux mêmes points, et pour lesquelles la condition

sera remplie, c’est-à-dire qui satisferont également aux conditions de minimum.

Remarquons, avant de terminer cette Note, que le Mémoire de Jacobi contient l’énoncé d’un autre théorème bien remarquable :

Si les deux courbures d’une surface sont opposées en chaque point, la ligne qui satisfait aux conditions analytiques clu minimum est toujours réellement la plus courte.

Nous nous bornerons à rappeler cet énoncé aux géomètres ; la discussion plus détaillée du problème de Géométrie qui fait l’objet de cette Note ne serait pas ici à sa place.

(Note de M. J. Bertrand.)

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  1. Journal de Crelle, t. XVII ; et Journal de Liouville, Ire série, t. III.