Mémoires d’un vieillard de vingt-cinq ans/T2-09

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Auguste Brancart (I et IIp. 145-177).

Rochemond - Mémoires d’un vieillard de vingt-cinq ans, bandeau de début de chapitre
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CHAPITRE IX.

LE BALCON, ET LE NOUVEL ORAGE.



LETTRE XXII.

Philippe d’Oransai à Maxime de Verseuil


S ans doute, hier soir, Maxime, après un léger repas, tu fus dans un lit bien moelleux, bien chaud, reposer ton précieux individu, tandis que moi, jouet du destin, courant, non les champs, mais presque les gouttières, mourant de froid, mouillé jusqu’aux os, maudissant parfois l’amour, j’étais dans une des plus pénibles situations où puisse jamais se rencontrer un homme à bonne fortune. Ce préambule pique peut-être ta curiosité. Allons, il ne faut point retarder plus longtemps à la satisfaire. Je t’ai parlé dans mes dernières lettres de la jolie et aimable mademoiselle de Norcé ; tu sais aussi que je n’ai point tardé à être proclamé par elle son vainqueur ; et quelle plus charmante victoire ai-je jamais rencontrée ! le doucereux et bucolique Gabriel soupirait toujours pour elle ; il avait rimé l’histoire assez plaisante de notre ridicule matinée, qu’il appelait un combat de grandeur d’âme ; il s’occupait alors à rassembler ses poésies diverses ; ce travail lui prenant un certain temps, il nous laissait en repos ; mais les jours ne nous semblaient point assez longs pour satisfaire à l’infatigable envie de bavarder qui nous tracassait sans relâche, Apollonie et moi, cette belle personne ayant une foule de choses fort importantes à me communiquer. Il fut résolu que la première fois que le cher oncle découcherait, je me rapprocherais de sa nièce. Mademoiselle Apollonie a une petite sœur, âgée de neuf ans, appelée Céleste, et qui, non seulement fait chambre commune avec elle, mais encore partage son lit ; lorsque M. de Norcé est en voyage, madame sa tendre épouse, dévorée de la crainte des revenants, ne veut pas rester dans une couche solitaire ; alors Céleste remplace son tuteur, de sorte qu’Apollonie est abandonnée aux visites des lutins qui n’osent parvenir jusqu’à madame de Norcé. Comme de tous les lutins, je suis le plus réel, Apollonie se décida à affronter mes visites nocturnes. Ce jour tant souhaité arriva ; le maire de M.... monté sur une respectable jument poulinière, partit pour une foire voisine en jurant ses grands dieux de ne revenir que le lendemain ; sur cette assurance, les arrangements se prennent ; en conséquence, la petite Céleste va rejoindre sa tante, et le soir, chez madame de Clarmonde, Apollonie, en me serrant la main, me dit : À dix heures, trouvez-vous devant la porte de notre maison. » Je compris l’importance de ce peu de mots ; alors, le cœur tout joyeux, je cherchai à réjouir quelque peu un cercle auquel présidait le somnifère génie du wist ou du reversi.

Neuf heures sonnent ; madame de Norcé, suivie de sa nièce Apollonie, se retire ; j’allais m’éloigner aussi, quand madame de Clarmonde m’arrêtant, où donc allez-vous, vicomte ? me dit-elle.

PHILIPPE.

Tourmenté d’une affreuse migraine, mourant de sommeil, je cours me jeter dans les bras de Morphée, comme le dit si poétiquement M. Bastier.

MADAME DE CLARMONDE.

Non, non, je ne vous laisserai point partir ainsi ; nous allons souper en petit, très petit comité : l’abbé Larteau qui fait des chansons comme un ange, et qui prêche comme Fénelon ; madame de Besplas qui chante comme Todi. Nous serons gais, nous conterons quelques histoires, et sagement, avant cinq heures du matin, nous nous séparerons pour ne pas faire jaser le quartier.

PHILIPPE.

Y songez-vous, madame ? une telle débauche, elle nous perdrait dans M..... ; de vingt ans on ne parlerait pas d’autre chose.

MADAME DE CLARMONDE.

Vous voulez m’échapper, je le vois ; mais vous n’en viendrez pas à bout, on saura vous retenir.

Elle disait, et déjà franchissant les escaliers, balbutiant en fuyant un compliment inintelligible, poursuivi par une gracieuse colère, j’étais dans la rue. Après m’être promené pendant quelque temps, je vis s’ouvrir, avec précaution, une porte discrète ; crac, je m’élance pour serrer dans mes bras la tremblante Apollonie ; elle cherchait le silence, ainsi elle ne trouva pas mauvais que ma bouche s’approchant de la sienne, lui enlevât l’usage de la parole. Comme la nuit ne devait point se passer dans un corridor, nous montâmes vers la chambre préparée pour nous recevoir ; là, ayant l’assurance que nul importun ne viendrait faire un détestable trio du duo le plus joli du monde, nous nous mîmes dans l’état, que les peintres nomment de pure nature : tout mon costume plié, roulé, fut jeté sur le ciel du lit, et moi, voluptueusement étendu dedans, je passai trois heures comme on en passe rarement en ce bas monde.

Une heure du matin venait de sonner quand de forts vilains coups de marteau viennent ébranler la porte de la maison, réveiller les dormeurs et nous plonger dans une mortelle inquiétude. Qui ce peut-être ? Pourquoi vient-on ainsi troubler le plus doux sommeil ? Hélas ! notre incertitude disparut, bientôt le bruit des voix parvenant jusqu’à nous, nous apprit que M. de Norcé, faussant la promesse qu’il avait faite de ne reparaître que le lendemain, arrivait à l’instant même ; il nous fallut prendre une prompte décision, car Apollonie ne doutait pas que Céleste reviendrait passer le reste de la nuit avec elle.

PHILIPPE.

Où donc irai-je ?

APOLLONIE.

Sur ce balcon, je vais t’y enfermer un moment, et dès que ma sœur se sera endormie, je te rendrai la liberté, tu sortiras par le petit escalier.

PHILIPPE.

Soit ; mais que je ne reste pas longtemps à humer ainsi le grand air !

Cependant la maison était déjà en rumeur, on s’approchait de la chambre où j’étais, il n’y avait pas une minute à perdre, la fenêtre s’ouvre, je passe sur le balcon et me voilà en chemise, exposé à un vent très froid, qui soufflait à outrance, tandis que les nuages laissaient échapper une fine pluie qui me mouillait jusqu’aux os ; la position n’était guère agréable, aussi ce n’étaient pas des politesses dont je régalais le destin ; dans le temps que je souffrais ainsi, le maussade M. de Norcé contait longuement le sujet de son fâcheux retour. Le bourreau ne manquait aucun détail, il ne passait rien ; enfin il se couche, Céleste rejoint sa sœur, mais ne voilà-t-il pas que cette enfant, loin de vouloir s’endormir, prétend babiller avec Apollonie, et bon gré mal gré, entame une conversation à m’épouvanter !

Tremblant de froid, désespéré de la situation dans laquelle je me suis mis, redoutant que quelqu’un en passant dans la rue, n’aille trouver étrange qu’on prenne le frais en chemise sur un balcon, pendant qu’il pleut, je pris la résolution désespérée de tenter une retraite sans attendre celle que doit me procurer Apollonie ; ce dessein arrêté, je me mis à songer à son exécution. Je commençai d’abord par examiner l’assiette des lieux : le balcon sur lequel je me trouvais, était élevé d’environ vingt-cinq pieds au-dessus de la rue ; ainsi, nul espoir de franchir cette hauteur sans un secours quelconque ; la galerie régnait extérieurement dans toute la façade de la maison, elle se prolongeait ensuite du côté de l’aile qui faisait face à un grand jardin, dans le coin duquel se trouvait un immense cabinet, formé de treillages, de chèvrefeuille, de vignes, etc., etc. Ce fut par-là que je décidai d’entreprendre ma délivrance. Passant mes jambes par-dessus la balustrade de fer, je fus chercher mon point d’appui sur la cime du dôme du cabinet ; alors j’ôte mes mains encore attachées aux balustres, je veux les conduire vers un des côtés du treillage, quand, faisant un faux mouvement, je perds l’équilibre : mon corps pesant de tout son poids, entraîne avec lui et le chèvrefeuille, et les roses, et les bois ; nous tombons pêle-mêle, je m’écorche, je me déchire, tout mon corps saigne, et le cabinet est entièrement écrasé. Étourdi par ma chute, je fus quelques instants sans pouvoir me remuer ; enfin, la douleur, le besoin de mon lit me firent faire quelques efforts après plus d’une tentative infructueuse, je parvins à m’arracher à ce tombeau de verdure ; mais, mon cher Maxime, je n’étais pas au bout de mes peines. J’avais franchi, enjambé les débris dont la terre était couverte, je me préparais à aller ouvrir une porte qui donnait dans un corridor, quand un gros vilain chien de chasse fort mon ami, au grand jour, mais ne me reconnaissant point à cette heure comme à mon grotesque équipage, vient à moi en toute hâte, grognant presque et ayant de fortes envies de me mordre ; je connus l’étendue de ce nouveau péril, me voilà me jetant à genoux, mon visage à la hauteur du museau de l’animal, le haranguant de mon mieux, lui faisant des civilités, lui parlant d’une manière toute gentille pour m’en faire reconnaître ; au bout de dix minutes, j’en vins à bout ; n’ayant plus rien à redouter, je gagne la porte de la rue, je l’ouvre, non sans quelques efforts, et me voilà chez moi. Ce n’était rien encore, mon impatience ne me permet point de m’apercevoir de la bizarrerie de mon équipage, je heurte à renverser le portail, le concierge longtemps endormi, me fit encore attendre, il paraît, il ouvre, je m’élance, je le pousse, il me voit, il me prend pour un voleur, pour un fantôme ; il se met à pousser des cris sans pareils, il me poursuit ; plus leste que lui, je lui échappe et parviens dans mon lit. L’alarme était néanmoins donnée, tout le château accourt aux clameurs du concierge, on écoute son rapport : il a vu, dit-il, passer un spectre qui avait trente toises de hauteur, il courait comme un lièvre. On va, on vient, on ne le trouve pas, on n’ose point m’éveiller pour me raconter une histoire pareille ; mais le jour d’après, mon valet de chambre, Robert, ne me laissa rien ignorer de cette merveilleuse apparition.




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LETTRE XXIII.



Paul à Émilien.


Q ue viens-je d’apprendre ? qu’ai-je lu ? et que me faut-il croire ? Ô ! Émilien, faut-il que parmi nous il se trouve des traîtres ! j’ai de la peine à me faire à ce qu’il faut cependant que je te redise : quelle est la personne que tu penses être la plus acharnée à ta perte ? c’est Philippe, vas-tu me répondre ; non, ce n’est point lui. Léopold ? encore moins ; qui donc ce peut-il être ? tu ne devines pas, tu ne pourrais le faire : apprends donc que la tendre, la sensible, la philosophe Clotilde, est celle qui a résolu ta mort. Tu vas te récrier, me dire que la chose est impossible, que je me trompe. Eh bien, pour t’ôter les doutes qui pourraient s’élever dans ton âme, à la nouvelle de cette perfidie sans exemple, je t’envoie par un émissaire sûr, la lettre que madame Derfeil a écrite à son amie Justine R., et que j’ai par hasard surprise chez cette dernière.

Tu sais que depuis quelque temps Justine m’a offert un asile, c’est le seul qui puisse me soustraire au vigilant Léopold. Revenons à ma découverte ; que dis-tu, que faut-il faire ? Ne laisse point Clotilde t’approcher, repousse les mets qu’elle pourrait t’envoyer ; surtout de la dissimulation ; je n’imagine pas que tu doives encore éclater avec elle ; ménage-la, elle pourrait encore te perdre. Veux-tu te venger sur l’heure ? mon bras est prêt.

Adieu ; je suis à toi, à la mort comme à la vie.




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LETTRE XXIV.



Émilien à Paul.


O rage ! ô damnation ! Paul, que m’as-tu appris ? non, je doute encore, quoique je sois convaincu ; misérable femme ! elle ne sait donc pas combien il est redoutable de nous trahir ! Sans défiance, j’aurais reçu tout ce qu’elle m’eût envoyé ; déjà par son abominable adresse, elle a su si bien m’enlacer, que j’ai remis entre ses mains tout ce qui eût pu la perdre, et tout ce qui me perdait moi-même, si elle voulait le divulguer. Non ! il ne sera pas dit qu’Émilien soit mort sans vengeance ; accours, Paul, toi le seul ami qui me reste, accours m’arracher de cet infernal cachot : une fois libre, tremblez tous, malheureux que je déteste ! toi surtout maintenant, Clotilde, toi surtout, tu dois me craindre cent fois davantage !… Oui ! tu ne survivras pas à ce d’Oransai qu’adore toujours ton âme parjure. Tu veux ma mort, tu crois qu’elle t’est nécessaire, la tienne me devient un besoin.

Paul, mon procès continue à s’instruire ; je dois tout redouter de son issue, un incident le retarde, on a eu besoin des dépositions de Léopold, on ne l’a trouvé nulle part, on croit même qu’il a quitté Nantes pour très longtemps. Saurais-tu vers quel lieu il a dirigé sa course ? son absence nous laissera-t-elle les maîtres de la vie de ceux que Léopold protège ? Instruis-moi de tout, surtout délivre-moi d’ici ; je tremble d’être la victime d’une justice secrète ; je suis du nombre de ces hommes qu’il est dangereux d’immoler avec trop d’éclat : ainsi je dois frémir chaque fois que s’ouvre la porte de la sombre demeure, j’y vois des choses qui me font horreur. D’où vient, Paul, que nous, qui ne croyons à rien de ce que croit le vulgaire, nous conservons cependant de puériles idées, qui viennent souvent nous désespérer ? Pourquoi mon imagination affaiblie donne-t-elle naissance à ces fantômes affreux que je vois errer dans la nuit ? le sang coule de leur blessure, leur visage me retrace les mille victimes que j’ai immolées à la constitution !… Ces apparitions sinistres ne sont que l’ouvrage d’un cerveau fatigué ; car, n’est-il pas vrai, Paul, que notre âme n’est point immortelle ? que cet esprit qui nous anime meurt avec nous ? s’il meurt, il ne peut donc point se reproduire sous des formes effrayantes, nos sens sont fascinés ; oui, le néant nous a donné l’être, le néant nous reprend quand la machine est épuisée. Oui, oui, tout le reste n’est que fable, que puérilité !… Paul, que deviendrions-nous, si l’âme était immortelle !…




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LETTRE XXV.



Charles de Mercourt à Philippe d’Oransai.


U n crime a sauvé un coupable. Émilien s’est évadé des prisons de Nantes ; le malheureux geôlier a été trouvé percé de coups. Hâte-toi, mon Philippe, de quitter M.... ta présence est nécessaire à Nantes ; viens rassurer tes amis qui ne peuvent te voir loin d’eux exposé aux nouveaux forfaits d’un monstre aigri, sans doute, par ses fers ; qu’une bravoure malentendue ne te retienne point. Viens, Philippe ; ne balance pas à te rendre auprès d’un ami auquel tu es plus cher que la vie. Oui, d’Oransai, Charles te croit nécessaire à son bonheur ; trop longtemps tu l’as privé du plaisir de te voir ; accorde-le-lui lorsqu’il te le demande. Quelques changements se sont effectués pendant ton absence ; la céleste Laure de Montalbain a pris un époux par raison ; ta petite Euphrosine s’est enfuie avec son amant, au grand scandale public, et l’a épousé. Ce qui me semble plus sot, Eudoxie de Norris a serré pareillement les nœuds du plus tendre hymen, et monsieur Adelphe de Melclar roucoule toujours auprès de madame Derfeil, qui, à mon grand étonnement, lui tient la bride haute, et qui de plus mène une conduite exemplaire, dont tout le monde est édifié. Reviens donc pour rire avec nous ; sans toi les cercles sont insipides. Philippe, on ne peut plus se passer de toi lorsqu’on t’a une fois connu.




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LETTRE XXVI.



Philippe d’Oransai à Maxime de Verseuil


O ui, Maxime, j’ai rempli mon devoir, mon père est vengé, et ma vie désormais doit être la récompense de l’action que je viens de faire ; que dorénavant Émilien cherche encore ma perte, je le braverai, car je ne puis pas croire que le ciel veuille ma perte ; il est, je pense, nécessaire de te détailler les scènes dont j’ai été le premier comme le plus terrible acteur.

Une lettre alarmante de mon bon Charles de Mercourt m’avait annoncé que, par quelque machination infâme, on m’exhortait à revenir à Nantes, on m’en suppliait au nom de l’amitié, on me faisait craindre quelque nouvelle tentative de mon lâche ennemi ; que te dirai-je ? poussé du désir de revoir des amis qui me sont chers, frappé surtout de l’aventure surnaturelle dont je t’ai entretenu dans ma dernière lettre, tout me décida ; après avoir fait de tendres adieux à Apollonie, ainsi qu’à ses rivales Pauline, Héloïse, Cyprienne, Anastasie[1], après leur avoir donné l’assurance d’un prompt retour, je m’éloignai avec un vif regret d’un lieu où j’avais passé des moments bien agréables.

Par une bizarrerie qui m’étonne moi-même, je ne voulus point faire la route dans ma berline, quoique je l’eusse fait venir à dessein de Nantes ; j’enfourchai un cheval d’humeur assez pacifique. Je me fais escorter de Robert, et nous voilà courant les grands chemins, et cherchant les aventures.

La chaleur de la journée avait été excessive, l’air était lourd, de gros nuages le couvraient, ils avaient fort mauvaise mine, j’espérais pourtant que ce ne serait qu’une menace d’orage, quand un éclair rapide, suivi d’un coup de tonnerre, fit crever les nuées en peu de minutes ; la pluie commença à tomber par torrents ; fort peu jaloux d’essuyer une pareille averse, nous pressâmes le pas de nos chevaux en les dirigeant vers un château que nous apercevions sur notre gauche ; la vitesse de nos destriers, secondant notre impatience, nous eûmes bientôt atteint le but. Je voulais garder l’incognito ; mais Robert prétendant qu’une telle mesure pourrait bien nous faire prendre pour des aventuriers, qu’alors nous courrions deux chances : d’abord, et la plus désagréable, celle d’essuyer un refus ; la seconde, si l’on nous accordait un asile, d’être, peut-être, relégués sans souper, dans un grenier ; ces justes craintes m’ayant ouvert les yeux, je laissai faire Robert qui, s’avançant près de la loge du concierge, lui parla ainsi :

« Mon ami, allez dire à vos maîtres que M. le vicomte d’Oransai envoie son valet de chambre pour demander un refuge pendant l’orage qui éclate en ce moment. »

Comme le nom de d’Oransai est quelque peu connu dans ces contrées, dès que le domestique eut fait son message, je vis accourir vers moi un cavalier d’environ cinquante ans, possesseur d’un air noble et prévenant ; ce personnage m’accueillit avec toute la politesse imaginable, et me dit que M. de Montaigle était trop heureux de recevoir, dans son château, celui qui l’avait si vaillamment défendu dans les guerres de la Vendée. Je répondis à ce compliment flatteur du mieux qu’il me fut possible. Cependant M. de Montaigle me prenant par la main, me conduisit dans son salon ; du premier coup d’œil je remarquai une jeune personne revêtue de ces attraits qui font tourner mille têtes et d’un tempérament qui rend bien faible pour ceux que l’on a blessés ; la taille de mademoiselle Anaïs était parfaite, un peu trop forte, peut-être, mais n’en ayant que plus de charme ; son œil noir possédait une expression inconcevable, c’était plus que du feu qui l’embrasait ; la bouche d’Anaïs toujours entr’ouverte, annonçait l’étendue de ses désirs ; l’émotion active de son sein, le coloris de ses joues, la blancheur de son teint, la noirceur de ses cheveux, une petite moustache bien légère qui sillonnait sa lèvre supérieure, tout se réunissait pour en faire l’un des plus agaçants minois qu’il fût possible de rencontrer.

Mon arrivée avait dérangé mademoiselle de Montaigle du piano qu’elle occupait ; les premières cérémonies terminées, après que réciproquement nous nous fûmes examinés, je priai instamment la belle châtelaine de continuer son gracieux exercice.

« Je serais, ajoutai-je, au désespoir si ma présence apportait quelque privation à la société qui se trouve ici réunie. »

Car tu sauras, Maxime, qu’outre monsieur, madame, mademoiselle Montaigle, le salon renfermait de plus une quinzaine d’individus de l’un et de l’autre sexe. Sans faire les minauderies à la mode parmi les jeunes personnes qui ont des talents, la séduisante Anaïs se replaça, elle préluda quelque temps, bientôt après mariant sa voix à l’instrument sonore, elle chanta un morceau charmant, un peu trop étourdi pour une jeune personne, mais qui joué avec un talent rare, électrisa toute l’assemblée ; de longs, d’unanimes applaudissements apprirent à mademoiselle de Montaigle combien elle avait su nous plaire, et malgré qu’elle prêchât l’inconstance, c’était un sentiment qu’on ne savait point avoir auprès d’elle.

Pendant le temps qu’elle avait chanté, le ciel s’était découvert, la lune luisait doucement au travers des nuages passagers qui, quelquefois, interceptaient sa vaporeuse lumière ; comme la pluie avait abattu la chaleur, on proposa une promenade dans le jardin, je saisis ce moment pour remercier M. de Montaigle sur sa généreuse hospitalité, et pour faire ma retraite ; mais on ne voulut point me le permettre. Nous ne souffrirons pas, me dit-on, que vous nous quittiez aussi vite, restez avec nous ; si votre voyage est si pressé, vous vous éloignerez demain matin ; mais pour aujourd’hui vous ne pouvez parler de retraite. » Vaincu par ces instances réitérées, surtout retenu par le regard d’Anaïs, je consentis à prendre part à la promenade qui allait se faire ; et, sans m’en apercevoir, j’offris ma main à mademoiselle de Montaigle. En vérité, me dit-elle, je ne devrais point la prendre.

PHILIPPE.

Par quel crime aurais-je mérité une pareille défaveur ?

ANAÏS.

N’avez-vous point voulu nous quitter aussi brusquement ?

PHILIPPE.

J’ai eu sans doute un grand tort ; mais la faute ne vous appartient-elle pas un peu ?

ANAÏS.

Expliquez-vous ?

PHILIPPE.

Vous avez mis tant de chaleur à célébrer l’inconstance, qu’il faut croire que vous la chérissez beaucoup, et ceux que pourraient éblouir vos charmes, s’il leur reste encore un peu de raison, doivent s’enfuir après vous avoir entendue, puisqu’ils perdent à jamais la douce espérance de pouvoir vous fixer.

ANAÏS.

Le bruit de la galanterie du vicomte d’Oransai était parvenu jusqu’à moi, ainsi je ne puis être surprise de l’adresse avec laquelle il veut colorer son tort.

PHILIPPE.

Vous ne protestez cependant pas contre le reproche que j’ai osé vous faire.

ANAÏS.

Lorsqu’on est franche on s’avoue coupable.

PHILIPPE.

Vous êtes donc inconstante ?

ANAÏS.

Mais, dites-moi, êtes-vous plus fidèle ?

PHILIPPE.

Vous récriminez vos erreurs ; quoi ! parce que j’ai pu être volage, pensez-vous qu’il ne fût point facile de m’enchaîner ? Si j’ai changé quelquefois, c’était dans le dessein de chercher la femme qui doit m’attacher sans retour à son char.

ANAÏS.

Voilà les propos de tous ceux qui nous ressemblent : j’ai vingt ans, j’ai aimé plusieurs fois, j’ai connu tout le danger d’une constante tendresse ; j’ai vu parjurer des serments qu’on avait promis de tenir jusqu’à la mort ; j’ai vu les êtres fidèles fort à plaindre ; j’ai vu les inconstants toujours joyeux ; je me suis alors rangée sous leurs bannières, et je ne les abandonnerai plus.

PHILIPPE.

Vous serez constante à l’inconstance ; ainsi il faut perdre le doux espoir de vous inspirer une flamme durable.

ANAÏS.

Qui voudrait s’en charger ?

PHILIPPE.

Le mortel que vous refuseriez peut-être.

ANAÏS.

Il faudrait au moins le connaître ; serait-ce vous, par hasard, M. Philippe ? Un amour aussi subit est sujet à s’évanouir de même.

PHILIPPE.

Vous cherchez à vous jouer de moi.

ANAÏS.

Vous a-t-on dit qu’on vous refusât ?

PHILIPPE.

Si l’on me faisait entendre autre chose…

ANAÏS.

Votre innocence vous empêcherait-elle de devenir…

PHILIPPE.

Ah ! charmante Anaïs !

Je disais, et protégé par un énorme myrte, derrière lequel nous nous étions assis, j’approchai ma bouche de celle de la jolie volage ; elles se caressèrent pendant quelques minutes : l’ombre nous favorisait, les groupes de promeneurs n’étaient point assez rapprochés pour nous donner des craintes ; un banc se présente à moi… Anaïs n’en était point à sa première folie ; je dois le dire, elle m’a fait goûter des plaisirs que j’ignorais.

Je ne te communiquerai point les sévères réflexions que m’a fait naître sa prodigieuse facilité ; j’ai reconnu dans cette personne le danger d’une vie de campagne, celui d’une fausse éducation, et par-dessus tout, l’effervescence inimaginable du plus emporté tempérament. Anaïs n’a point voulu que le jardin fût le seul théâtre de nos transports ; elle a su, après souper, me donner une chambre voisine de la sienne ; quand le commode Morphée est venu réunir sous son empire les habitants de ce château, à pas de loup je me suis rendu vers le lieu où j’étais attendu avec quelque impatience. Quelle nuit, Maxime ! j’en conserverai longtemps le souvenir. Après mille et mille sacrifices au plus enivrant des dieux, Anaïs et moi nous nous sommes livrés à un sommeil nécessaire. Des songes voluptueux sont d’abord venus m’assaillir : j’ai vu m’apparaître l’une après l’autre toutes les beautés qui ont paré mon front d’une guirlande amoureuse ; je souriais à mon bonheur passé, j’errais au milieu des bocages de roses quand, insensiblement, ces brillantes rêveries se sont affaiblies ; d’autres objets ont pris leur place, objets incertains, mais tristes présages de quelque événement sinistre : j’ai vu des piques, des bonnets rouges, des instruments de mort ; j’ai vu le sang couler ; une fumée épaisse est venue m’environner ; alors j’ai senti une main glacée se poser sur mon front ; le froid qu’elle m’a occasionné a été si grand, que je me suis réveillé en sursaut. Qu’ai-je vu, Maxime ! est-ce une illusion ! Debout auprès du lit dans lequel je reposais avec Anaïs, j’ai aperçu avec effroi une ombre silencieuse, et dont les traits… Maxime, c’était mon père !!! À son aspect, un cri épouvantable m’est échappé ; je me suis précipité de la couche vers le fantôme ; mais lui s’est évanoui en me disant, d’une voix lugubre : Vengeance !! Éveillé par le cri que j’avais poussé, Anaïs est accourue ; elle m’a demandé la cause de la terreur qui respirait dans mes yeux : je n’ai su que lui dire. J’ai parlé d’un songe, elle a voulu me le faire oublier dans ses bras. Je n’ai pu m’y résoudre, j’ai promptement regagné ma chambre ; le jour commençait à luire, j’ai ouvert ma fenêtre et me suis mis profondément à réfléchir.

Voilà la troisième fois que cette ombre chérie se présente à moi, ses apparitions se sont trop multipliées pour n’être que le jeu de mon imagination ; il est donc des causes qui font franchir aux âmes les barrières qui les séparent de ce monde, elles errent donc quelquefois autour de nous… Grand Dieu ! pourquoi ne sommes-nous point plus vertueux, quand de tels prodiges frappent notre vue. C’est au moment où je trahissais les droits de l’hospitalité, que j’ai revu mon père… Était-ce ainsi qu’il devait me retrouver ? Ah ! Maxime, pourquoi n’ai-je jamais tenu les solides promesses que je me suis faites à moi-même ? quel penchant irrésistible me pousse dans une route qui ne peut que me conduire à ma perte ? Philippe ne changeras-tu pas, ne veux-tu pas te rendre digne d’Honorée ? Oui, il faut que sans retour, je renonce à de faciles plaisirs qui tôt ou tard me précipiteront dans une épouvantable série de malheurs. Reviens vers moi, sagesse que j’ai trop longtemps méprisée, viens me conduire au bonheur, il n’existe point dans les passions.

Tandis que je faisais ces réflexions morales, il m’est venu dans la pensée d’aller parcourir le jardin au moment où l’aurore l’éclairait de ses premiers rayons. J’ai pris mon épée qui ne me quitte point, et pour cause ; franchissant les degrés du grand escalier, je me suis rendu sur la terrasse ; insensiblement j’ai porté mes pas plus loin ; je suis entré dans le parc, et suivant le cours d’un ruisseau qui le baigne, je me suis trouvé devant une petite porte qui conduisait dans la campagne ; poussé par je ne sais quel sentiment, je l’ai ouverte, et me voilà courant les champs ; non loin du bois il était une grosse touffe de jeunes chênes, vers lesquels je me suis dirigé : de loin j’ai aperçu deux hommes vêtus en militaires : craignant de les déranger, ne voulant pas leur faire un salut qui me contrariait, j’allais prendre à gauche, quand un de ces individus se relevant, j’ai reconnu Émilien, je n’ai plus voulu me retirer : oubliant le danger que je courais en m’approchant de mon ennemi, je me suis précipité vers lui. À mon aspect le lâche s’est enfui, a sauté sur son cheval, et m’a laissé ainsi que son compagnon singulièrement étonnés de sa disparition soudaine. Je m’avançais toujours mais mon étonnement a fait place à un sentiment plus impétueux, lorsque dans l’ami d’Émilien, j’ai pu contempler un homme que depuis bien des années j’ai cherché sans succès, un vil scélérat, celui auquel je ne pardonnerai jamais, en un mot, le président du tribunal révolutionnaire qui prononça la condamnation de mon père !… Ô ! Maxime ! quelle rage, quelle satisfaction me saisirent tout à la fois ! je compris alors pourquoi l’ombre paternelle m’était naguère apparue ; je vis qu’elle m’avait conduit au lieu qui devait être le témoin de la vengeance ; je remerciai le ciel d’avoir armé mon ennemi. Pour lui, surpris de mon immobilité, de la fureur qui étincelait dans mon regard, il ne savait que penser et que faire ; il avait alors quarante-quatre ans, la pâleur de la réprobation siégeait sur ses joues flétries, son œil égaré peignit encore les forfaits ; je ne laissai pas longtemps ce monstre dans son incertitude ; mais m’avançant vers lui :

— Assassin, lui dis-je, me reconnais-tu ?

LE PRÉSIDENT.

Non, j’ignore qui vous pouvez être.

PHILIPPE.

Il est vrai ; tu as tant immolé de victimes, que tu ne peux pas te rappeler la figure de tous les orphelins qui le sont devenus par tes atrocités.

LE PRÉSIDENT.

Ce langage…

PHILIPPE.

Te consterne, je le vois ; tu commences à comprendre que ton dernier jour a lui.

LE PRÉSIDENT.

Que voulez-vous dire ?

PHILIPPE.

Que je suis Philippe d’Oransai, que tu as égorgé mon père, et qu’il faut que ta mort venge la sienne.

LE PRÉSIDENT.

Monsieur Philippe !… Il est donc une justice éternelle ?

PHILIPPE.

Oui, une justice terrible, inflexible aux méchants tels que toi ; mais, prépare-toi à te défendre.

LE PRÉSIDENT.

J’accepte le combat, il est temps que je m’affranchisse d’une crainte qui m’a toujours poursuivi ; péris sous mes coups, jeune insensé ; et si je succombe, je te dévoue au fer des amis qui ont juré ta perte.

PHILIPPE.

Ah ! ne perdons point le temps en de vains discours, je tremble qu’on ne vienne m’arracher ma proie. À ces mots, je sors mon épée et fonce avec précipitation sur le scélérat, qui se défend avec la force que donne le crime provoqué. Plus nerveux que moi, plus adroit, peut-être il eût décidé ma perte ; mais ce n’était pas moi qui alors combattais, je n’étais que l’aveugle instrument d’un pouvoir supérieur au mien. Tous les coups de mon adversaire étaient parés, tous ceux que je lui portais le frappaient, la furie hurlait dans son âme ; il s’abandonnait pour mieux m’atteindre, notre assaut dura plus d’une demi-heure avec un avantage assez égal, quoique le brigand fût blessé et que je ne le fusse pas : enfin, je crus apercevoir auprès de moi le fantôme irrité, sa vue me donna une nouvelle vigueur.

— Que vois-je ! s’écria mon adversaire.

— Ta victime, lui répondis-je, qui vient être témoin de ton châtiment. J’achevais, et trois fois mon glaive enfoncé dans sa gorge lui coupa la parole et lui arracha la vie. Je n’éprouvais point après cette action le frémissement qui suit toujours un duel, je sentis au contraire que j’étais moins coupable, puisque j’avais vengé mon père.

Ne voulant point cependant être surpris auprès du corps du monstre, je m’éloignai sans retard, et je regagnai le château. Tout le monde y dormait encore ; ainsi je pus sans être aperçu me rendre dans ma chambre. Je n’y fus pas longtemps M. de Montaigle vint me rejoindre, bientôt toute la compagnie se rassembla. Anaïs parut les yeux baissés, encore humides ; elle me sourit, moi-même je cherchai à causer avec quelque gaîté, voulant déguiser mon trouble, je parvins à réussir. Enfin après avoir renouvelé mes remercîments, je partis d’un lieu qui me laissera des pensées bien profondes. J’arrivai à Nantes, je fus reçu avec transport par l’amitié, et dans ma première lettre, je me propose de te raconter ce qui m’a frappé davantage dans tout ce que j’ai revu.




Rochemond - Mémoires d’un vieillard de vingt-cinq ans, bandeau de début de chapitre
Rochemond - Mémoires d’un vieillard de vingt-cinq ans, bandeau de début de chapitre

LETTRE XXVII



Émilien à Paul.


A rme-toi de courage, prépare de nouvelles embûches pour exterminer d’Oransai ; nous avons une nouvelle attaque à lui faire expier : apprends, ami, que ton ami, le vigoureux républicain D… est tombé sous les coups de notre éternel ennemi ; Philippe l’a rencontré, l’a immolé avant que j’aie pu venir à son secours. Immédiatement après mon évasion, nous nous séparâmes comme tu le sais ; tu revins chez Justine R...., et moi je fus ailleurs chercher une retraite, qui ne permît pas que nous fussions découverts ensemble. L’ancien président du tribunal révolutionnaire m’accueillit à bras ouverts ; il me promit sûreté, protection ; bientôt même faisant plus, se rappelant les menaces de Philippe contre lui, il se résolut à entrer dans nos projets. Charmé d’avoir pu nous lier un personnage d’une telle importance, je lui communiquai le plan que j’avais formé pour nous défaire de celui dont la vie nous est odieuse. Il s’agissait d’aller se placer sur le chemin de Nantes, lorsque Philippe y passerait, suivi d’un seul domestique ; je ne doutais pas que nous deux escortés de la douzaine de braves que nous avons sous nos ordres, nous ne vinssions à bout du fanatique Vendéen : D… accepte. Nous nous rassemblons à l’endroit désigné ; mais un orage épouvantable nous disperse. Philippe suspend sa marche, s’arrête même au château de monsieur de Montaigle, tandis que nous, nous sommes contraints de passer la nuit sous des arbres. Sur le matin nous nous éloignons de nos gens, nous allons auprès du château pour épier la sortie de Philippe ; fatale résolution ! Depuis longtemps nous nous reposions sous quelques arbres, lorsque d’Oransai a paru ; il m’a si fort épouvanté, que, regagnant mon cheval, je me suis enfui en toute hâte vers nos amis ; D… n’a point pu me suivre, j’ignore ce qui s’est passé ; mais à mon retour, lorsque nous sommes arrivés en force, D… était couché sur la terre, percé de plusieurs coups d’épée, et mort depuis quelque temps. Quelle puissance, quelle cause inexplicable soutient ce jeune homme ! Léopold pourtant n’était pas auprès de lui ; il a donc vaincu seul. Ô Paul ! qu’il est nécessaire pour nous que ce jeune homme disparaisse du monde ! s’il vit, nous périssons. Qu’une vaine pitié ne nous arrête pas ; que dis-je ? nous ne sommes pas des femmes timides. Les Clotilde peuvent retenir leurs bras prêts à frapper leurs amants ; mais nous, nous sommes des hommes, et des hommes redoutables, ainsi que vindicatifs. Crois-tu qu’il faille se hâter de porter les derniers coups ? ne devons-nous pas attendre afin de nous assurer de la disparition certaine de Léopold ? Si, comme tu le crois, il a péri, notre succès est certain ; mais peut-il cesser de vivre ? ce mystérieux personnage n’est-il pas aussi vieux… Allons, me voilà reprenant les contes dont j’ai ri tant de fois ; Léopold est tout simplement un fourbe plus adroit et plus puissant que nous.




  1. Les lettres dans lesquelles il était question des aventures du vicomte Philippe, avec ces demoiselles, ne se sont pas retrouvées.