Mémoires extraits des recueils de l’Académie royale de Berlin/Sur une méthode particulière d’approximation et d’interpolation

La bibliothèque libre.


SUR UNE
MÉTHODE PARTICULIÈRE D’APPROXIMATION
ET
D’INTERPOLATION.


(Nouveaux Mémoires de l’Académie royale des Sciences et Belles-Lettres
de Berlin
, année 1783.)


Séparateur


Lorsque l’inconnue qu’on cherche est donnée par une équation d’une forme déterminée, on peut toujours la trouver, soit rigoureusement, soit par différentes méthodes d’approximation. Mais il peut arriver que la forme de l’équation soit elle-même indéterminée ; en ce cas aucune des méthodes connues ne peut servir ; c’est pourquoi je me flatte que les Géomètres me sauront quelque gré de leur en communiquer une qui a l’avantage de pouvoir être pratiquée, non-seulement en employant des opérations analytiques, mais aussi à l’aide de simples opérations mécaniques, et qui renferme d’ailleurs une méthode d’interpolation applicable à un grand nombre de questions.

1. Soit une fonction inconnue de pour la détermination de laquelle on ait une équation quelconque entre et en supposant donnée en d’une manière quelconque. On suppose que pour une valeur donnée de on connaisse celle de et l’on demande la valeur de correspondante à une autre valeur donnée de .

2. Soit

on aura donc une équation entre et et une autre entre et et l’on pourra représenter ces équations par deux courbes, dans l’une desquelles sera l’abscisse, l’ordonpée, et dans l’autre sera l’abscisse et l’ordonnée.

3. Si l’on fait il est clair qu’on aura aussi alors l’équation entre et se changera en une équation en seul, par laquelle on déterminera et de même l’équation entre et se réduira en une équation en seul, laquelle servira à déterminer Nous dénoterons par et les valeurs de et trouvées par ces deux équations.

4. Si la relation entre et au lieu d’être donnée par une équation algébrique, était simplement représentée par une courbe dont et fussent les deux coordonnées, alors, pour avoir la valeur de il faudra chercher mécaniquement le point de la courbe dont l’abscisse et l’ordonnée seront égales. On trouvera de même la valeur de dans la courbe dont et seront les coordonnées.

5. Donc, puisque donne il s’ensuit que (en supposant une quantité assez petite) donnera

et, prenant assez petite pour que puissent être négligées, on aura simplement

Ainsi, pour

on aura

en supposant si petite que les puissances puissent être censées nulles, eu égard au degré de précision auquel on veut porter le calcul. Mais il faudra déterminer le coefficient et pour cela il est nécessaire

de supposer connue une valeur de correspondante à une valeur quelconque donnée de Voici donc comment on parviendra à cette détermination.

6. Soient et les valeurs connues et données de et en sorte que

donne

Qu’on cherche la valeur de répondante à et qu’on la désigne par qu’on fasse ensuite

et qu’on cherche la valeur correspondante de laquelle soit qu’on fasse de nouveau

et qu’on désigne par la valeur correspondante de qu’on continue à faire

et ainsi de suite.

Qu’on fasse les mêmes opérations par rapport à et c’est-à-dire que donne

qu’ensuite donne

que de plus donne et ainsi de suite.

et ainsi de suite.

On aura de cette manière deux suites correspondantes

telles que, si est supposé égal à un terme quelconque de la première, le terme correspondant de la seconde sera la valeur correspondante de .

7. Or je remarque que, si les termes de la série

approchent peu à peu de l’égalité, ils doivent approcher en même temps de la quantité trouvée ci-dessus (3) ; car, puisque est la valeur de qui rend il s’ensuit que si par exemple on aura aussi par conséquent et vice versâ.

Et comme, lorsque on a aussi il s’ensuit encore que les termes de la série

approcheront aussi en même temps de l’égalité et de la quantité

En poussant donc les deux séries assez loin pour qu’on parvienne à des termes peu différents de et de on pourra supposer (5)

De là on aura

d’où l’on tire

Ainsi l’on connaîtra la valeur du coefficient

8. Si la série

était divergente, alors elle serait convergente de l’autre côté ; il faudrait donc continuer cette série en sens contraire suivant la même loi, c’est-àdire en sorte que chaque terme soit une fonction de celui qui le précédera à gauche, telle que l’est de .

Ainsi l’on fera dans ce cas

et l’on cherchera la valeur de qui en résulte et qu’on nommera on fera ensuite

et l’on cherchera la valeur résultante de qu’on nommera et ainsi de suite. On fera de même

ensuite

et ainsi du reste.

On aura ainsi les deux séries

qui seront convergentes vers les quantités et et serviront par conséquent à déterminer la valeur de en faisant

d’où

9. Au reste, lorsque les relations entre et et entre et sont données algébriquement, on pourra trouver les valeurs arithmétiques des termes des séries proposées aussi exactement qu’on voudra par les règles connues. Mais, si ces relations ne sont représentées que par des courbes, il faudra alors chercher mécaniquement les termes dont il s’agit, en prenant les ordonnées correspondantes aux abscisses données, ou les abscisses correspondantes aux ordonnées données ; opération qui n’a aucune difficulté lorsque les courbes sont tracées avec exactitude.

10. Cela posé, qu’on cherche maintenant la valeur de correspondante à une valeur quelconque donnée de .

Soit la valeur donnée de qu’on fasse

et qu’on cherche la valeur correspondante de qu’on nommera qu’on fasse ensuite

et que soit la valeur correspondante de qu’on fasse encore

et que soit la valeur de et ainsi de suite.

On aura de cette manière la série

laquelle, si elle tend vers l’égalité, sera nécessairement convergente vers la quantité par la même raison que nous avons vue plus haut (7). On parviendra donc dans ce cas à un terme tel que lequel sera peu différent de en sorte qu’on pourra faire

et alors, ce terme étant pris pour la valeur correspondante de sera (5). Ainsi lorsque sera presque égal à on aura, pour

Supposons que soit la valeur cherchée de correspondante à que de même soit la valeur qui en résulte pour et que

donne

qu’ensuite

donne

et ainsi de suite. Il est clair que les termes de la série

seront les valeurs de répondantes aux valeurs

de Donc aussi sera la valeur de qui répond à par conséquent on aura

Cette valeur de sera donc connue, et de là, en remontant par des opérations contraires, on trouvera tous les termes précédents de la série

et l’on parviendra ainsi à la valeur cherchée .

11. Si la série

ne tend pas vers l’égalité, et par conséquent ne converge pas vers la valeur de il faudra alors la continuer en sens contraire, c’est-à-dire former la série

en faisant, comme dans le no 8 ci-dessus,

et de là

ensuite

et de là

et ainsi de suite. La série

étant convergente vers on la poussera jusqu’à un terme peu différent de et, faisant

on aura

c’est le terme correspondant dans la série

formée suivant cette loi, que

donne

ensuite

donne

et ainsi de suite. Ainsi, en remontant de ce terme connu vers le précédent, on trouvera la valeur cherchée de .

12. Nous avons supposé que l’équation donnée entre et c’est-à-dire entre et (2), était indépendante de mais il n’est pas difficile de voir que la même méthode peut servir également lorsque cette équation contiendra aussi d’une manière quelconque seulement on ne pourra pas dans ce cas représenter la relation entre et par une courbe ; mais il faudra nécessairement que cette relation soit exprimée algébriquement. Il ne s’agira alors que de substituer, à chaque opération, dans l’équation entre et la valeur de déjà trouvée dans l’opération correspondante et relative à ainsi, après avoir trouvé la valeur de laquelle rend =X, on mettra cette valeur pour dans l’équation en et et, faisant on en tirera la valeur de et ainsi du reste.

Enfin il pourrait arriver que se trouvât alors pour

on aurait (5)

et le Problème serait toujours résoluble par les mêmes principes.

13. La méthode que nous venons d’exposer n’est autre chose dans le fond qu’une généralisation de celle qui a été employée par Briggs dans la construction de sa Table des logarithmes. (Voyez son Ouvrage intitulé : Arithmetica logarithmica.) Cette méthode de Briggs est peu connue, et dans la foule des Auteurs qui, dans ce siècle-ci, ont traité des logarithmes, il n’y en a peut-être pas un qui en ait fait usage, ou même mention ils ont presque tous suivi la méthode indirecte et de tâtonnement, qui est à la vérité préférable lorsqu’il s’agit de construire des Tables ; mais celle de Briggs a l’avantage d’être tout à fait directe et de donner immédiatement le logarithme de chaque nombre sans le faire dépendre d’aucun autre logarithme. Comme elle est applicable à plusieurs questions qui pourraient échapper aux méthodes connues, j’ai cru devoir en enrichir l’Analyse, en la généralisant et la présentant, ainsi que je viens de le faire, avec toute l’étendue dont elle est susceptible.

Application aux logarithmes.

14. Pour donner un exemple de cette méthode, nous choisirons la question même des logarithmes, comme renfermant l’application la plus simple qu’on en puisse faire ; et nous partirons aussi de la propriété la plus simple des logarithmes, celle que le logarithme d’un carré est égal au double du logarithme de sa racine.

On aura donc dans ce cas (1)

et, comme la propriété donnée consiste en ce que

l’équation entre et sera

donc


et, faisant (2)

on aura

Ainsi le lieu de l’équation entre et est une parabole, et celui de l’équation entre et est une simple ligne droite.

Faisant maintenant on a

et, faisant on a (3)

15. À l’égard des valeurs de et qu’on doit supposer connues et que nous avons désignées par et (6), elles dépendent du système de logarithmes qu’on veut adopter. Dans celui de Briggs, qui est le système reçu généralement, on fait donc donne par

Ainsi la série

deviendra

et la série correspondante

sera

Et réciproquement la série

sera

et la correspondante

sera

On voit ici que la série

est divergente, mais qu’au contraire la série

est convergente et approche de plus en plus de la valeur de Ainsi il faudra employer cette dernière série pour trouver la valeur de (8).

16. On extraira donc la racine carrée de ensuite la racine carrée de cette racine, et puis la racine carrée de celle-ci, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’on parvienne à une racine très-peu différente de l’unité. On formera ensuite les termes correspondants de la série

par une continuelle bissection de l’unité. On poussera ces séries jusqu’aux termes et tels que et soient des fractions assez petites pour que leurs carrés soient comme nuls. Ainsi, en employant le calcul décimal, si l’on a fixé le nombre des décimales auquel on veut porter la précision, il faudra que les quantités dont il s’agit se trouvent exprimées par des nombres qui aient avant les chiffres ou notes significatives autant de zéros qu’il y aura de ces chiffres, afin que les carrés de ces nombres tombent hors des limites, fixées.

Briggs, ayant employé décimales, a poussé le nombre des extractions successives jusqu’à et il a eu pour dernière racine le nombre

c’est le terme de notre série

Il a trouvé ensuite par bissections continuelles de l’unité le nombre

qui est par conséquent le terme de la série

Ainsi, puisque

on aura

savoir

ce qui se réduit à

17. Cette valeur de étant ainsi trouvée servira pour déterminer les logarithmes de tous les nombres. Car, si le nombre donné dont on cherche le logarithme est il n’y aura qu’à former la série par de semblables extractions de la racine carrée, en sorte que

et, dès qu’on sera parvenu ainsi a une racine ou terme qui aura avant les notes décimales significatives autant de zéros qu’on veut avoir de ces notes significatives, on aura sur-le-champ le terme correspondant de la série

des logarithmes par la formule (11)

Or les termes de cette dernière série sont formés comme ceux de la série

par une bissection continuelle du premier terme en sorte que, nommant l’exposant du terme on aura

et par conséquent

Donc, puisque

on aura

Ce sera le logarithme du nombre .

18. Briggs a déterminé ainsi les logarithmes de de et de plusieurs nombres premiers ; mais, pour faciliter le calcul des extractions des racines carrées, au lieu d’opérer sur le nombre il opère sur la puissance de qui est et qui étant divisée par donne le nombre dont l’extraction des racines carrées est beaucoup plus facile. Prenant donc pour le nombre proposé, il trouve par extractions successives le nombre

qui a les conditions demandées ; ainsi, mettant ce nombre la place de dans la formule précédente et faisant on a, pour le logarithme du nombre

c’est-à-dire en substituant la valeur de trouvée ci-dessus (16)

et de là on aura enfin

Ajoutant maintenant à ce logarithme celui de qui est on aura

donc, divisant par on aura

19. Nous avons vu que la valeur du coefficient constant y dépend du système de logarithmes qu’on veut employer, c’est-à-dire du logarithme qu’on veut assigner à un nombre donné (15) ; il peut donc y avoir tel système de logarithmes dans lequel la valeur de sera l’unité ; et il est clair que ce système sera le plus simple, du moins par rapport à la recherche des logarithmes par la méthode présente. Dans ce système donc le logarithme d’un nombre très-peu différent de l’unité, sera simplement (17), c’est-à-dire qu’on aura

lorsque est une quantité infiniment petite. C’est la propriété connue des logarithmes hyperboliques. Et de là on voit en même temps comment ces sortes de logarithmes, qu’on appelle aussi naturels, ont pu se présenter les premiers à leur inventeur Neper, quoique d’ailleurs notre système décimal paraisse indiquer naturellement les logarithmes tabulaires ou de Briggs, dans lesquels l’unité est le logarithme de

Ainsi, dans les formules du no 16, sera le logarithme hyperbolique de et si l’on nomme le logarithme hyperbolique de ou de le terme de la série

des logarithmes correspondants aux nombres

sera évidemment puisque ces termes procèdent par une bissection continuelle. On aura donc

et de là

de sorte que le nombre réciproque du nombre du système tabulaire sera le logarithme hyperbolique de et l’on aura par ce moyen

20. Au reste cette méthode de trouver les logarithmes peut être facilement traduite en formule au moyen du Théorème de Newton pour la formation des puissances des binômes. Car, suivant le no 17, on a

lorsque est un très-grand nombre. Donc, si l’on fait

en sorte que soit une fraction fort petite, on aura

Soit

on aura par le Théorème cité

et lorsque est un nombre très-petit, on a, en rejetant les termes affectés de

donc

et si l’on fait on a

comme on le trouve par le Calcul intégral.

21. Réciproquement donc, puisque

on aura

et de là

donc, développant cette puissance par la même formule et faisant en même temps infiniment petit, on aura

ce qui s’accorde avec ce que l’on sait d’ailleurs.

Halley est, je crois, le premier qui ait donné cette manière également simple et ingénieuse de parvenir aux expressions analytiques des logarithmes par les nombres, et des nombres par les logarithmes. (Voyez les Transactions philosophiques, no 216.)

22. Je finirai par faire remarquer que si l’on élève la quantité à une puissance quelconque et qu’on veuille avoir la série qui exprime cette puissance, ordonnée par rapport aux puissances mêmes de l’exposant on aura

étant le logarithme hyperbolique de

Car, faisant dans la série du numéro précédent

on aura

donc, etc.


Séparateur