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La langue et l’Armée française


À la terrasse du mastroquet départemental où j’étanchais ma soif, vinrent s’asseoir près de moi deux caporaux de ligne. Deux caporaux blonds avec des taches de rousseur, comme on les a toujours dépeints dans les récits dits naturalistes.

La bouteille de vin blanc entamée, ils s’informèrent gentiment des nouvelles du pays, des familles respectives, et du bien-être qu’ils éprouvaient chacun dans leur compagnie.

Je constatai avec joie, bien que les affaires de ces guerriers ne me concernassent en rien, que tout allait au gré de leurs vœux.

Seulement, l’un éprouvait nonobstant un visible petit souci.

L’autre s’en aperçut :

— Qu’est-ce que t’as ? T’as l’air un peu embêté ?

— Non, je t’assure, j’ai rien.

— Mais si ! T’as quéq’chose.

— Eh ben, oui, j’ai quéq’chose ! j’ai qu’il y a le ratichon qui s’est payé ma poire ce matin, et que j’voudrais bien en être sûr, parce qu’il n’y couperait pas, c’t’enfant de salaud-là !