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L’ARROSEUR

— Un ratichon qui s’est payé ta poire ! Quel ratichon ?

— C’est un apprenti curé qu’on a dans la compagnie et qu’on appelle le ratichon. Y a pas plus rosse que lui ! Et tout le temps un air de se f… du monde !

— Et comment qu’il a fait pour se payer ta poire ?

— Je le commandais de corvée, ce matin, et lui ne voulait rien savoir. Il me donnait des explications qui n’en finissaient pas. Mais moi non plus, je ne voulais rien savoir. C’était à son tour de marcher, je voulais qu’il marche ! Je n’connais que ça, moi ! À la fin, impatienté, je lui dis : « Et puis, en v’là assez, vous pouvez romper ! »

(Explication pour les jeunes gens qui n’ont jamais fichu les pieds sous un drapeau : l’expression : Rompez ! est employée militairement pour désigner à un inférieur qu’on l’a assez vu et qu’il n’a plus qu’à se retirer.)

En prononçant : Vous pouvez romper ! le jeune caporal considéra attentivement son camarade pour juger de l’effet que produisaient ces mots sur lui.

Mais le camarade ne broncha pas.

— Et alors ? demanda-t-il.

— Alors, reprit l’autre, le ratichon s’est mis à rigoler comme une baleine. Je lui ai demandé ce qu’il avait à rigoler, et il m’a dit : « Caporal, on ne dit pas : Vous pouvez romper ! on dit : Vous pouvez rompre ! »

— Rompre ? s’étonna l’autre caporal. Qu’est-ce que ça veut dire ça, rompre ?

— C’est ce que je me suis demandé. As-tu jamais entendu parler de ça, toi, rompre ? Ça veut rien dire.

— Eh ben ! tu peux être tranquille : ton ratichon s’est payé ta bobine !

Les caporaux se versèrent un nouveau verre de vin, qu’ils burent à la santé des bonnes amies du pays, et la conversation