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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/106

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

Gascon et un Auvergnat de l’autre… Il y a eu des coups de manche de fouet, des bouteilles cassées sur les têtes… Le sang a coulé…

— Ils m’ont tué M. Bordelais ! s’écria Jean.

— Bordelais ? Oui, c’est ce nom-là. Ça vous intéresse donc, mon enfant ? C’est un rude gaillard que ce Bordelais !… malgré qu’il eût affaire à une espèce d’hercule. Il en a reçu, c’est certain, mais il en a donné !

— Et on a laissé frapper mon pauvre ami par les deux « Allemands » ? s’écria Jean.

— L’autre ne tapait pas… Il se contentait d’exciter… tout en riant sous cape ; les mains dans les poches, de crainte peut-être de céder à la tentation. L’ami du Bordelais a « écopé », lui aussi ; il réclamait de l’argent… il a eu des « torgnoles ». Les gendarmes sont arrivés avant l’extermination générale, et on les a emmenés tous les quatre en prison. Une heure après, lorsqu’on a voulu les acheminer vers Mauriac, qui est le chef-lieu de l’arrondissement, on a dû se contenter de Bordelais et de son adversaire.

— Et l’autre Allemand ? demanda Jean qui n’en revenait pas.

— Plus personne dans son cachot ! Il avait pris de la poudre d’escampette. Long et maigre comme il est, il a dû passer à travers les barreaux de la cage ; mais il est connu dans le pays. Il paraît même qu’il n’est pas méchant, malgré son vilain air. Ça a amélioré les affaires de l’ami du Bordelais… on n’en a plus voulu ; et il a rapporté à Aurillac son œil poché.

— Eh bien ! que vas-tu faire maintenant, mon petit ? demanda le buronnier à Jean.

— J’irai à Mauriac ; j’irai retrouver Bordelais la Rose dans sa prison ; je demanderai à être enfermé avec lui.

— Ça ne se fait pas comme ça ! observa le vicariant. Nous en causerons. Mais d’abord un escabeau, un peu d’ombre et une écuelle de lait ! Je me suis mis en route de très bonne heure ce matin…

On entra dans le buron, et le maître de musique eut promptement ce qu’il désirait. Le buronnier y ajouta un énorme morceau d’excellent pain bis. Quand il vit son hôte bien en train de faire honneur à ce festin champêtre :

— Vous devez, dit-il, connaître tout le pays ?

— Assez bien… On est en train de construire la huitième merveille du monde, pas loin d’ici, près de Saint-Flour.

— Et qu’est-ce donc ?

— C’est le viaduc de Garabit.

— Je sais. J’en ai entendu parler.