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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/266

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

Henry Esmond félicitait la jeune Anglaise sur le sérieux de ses occupations, lorsqu’on entendit un grand bruit sur le pont. C’était Alfred Tavistock qui ramenait sa mère et le petit Parisien, et qui « rapportait » le père Vent-Debout. Celui-ci, après avoir bu copieusement en compagnie d’anciens camarades, s’était pris de querelle avec de mauvais garçons, avait été rossé, conduit au poste, et finalement délivré sur l’intervention du fils du baronnet.

Quand il se sentit sur le pont du yacht, le vieux marin retrouva subitement toute son énergie. Oubliant ses souffrances, il entreprit une ardente apologie de sa conduite.

— C’était au bal, disait-il. Du côté des dames, il y en avait une à la taille fine comme une flèche d’artimon et cambrée comme la guibre d’une frégate ; des cheveux noirs mieux cirés qu’une giberne de la ligne ; des yeux… Avez-vous jamais vu le phare d’Ouessant ? Il ne brille pas moitié de même. C’était ma danseuse. Très heureux de ma soirée, je m’en allais, ma foi, vent dessus, vent dedans, tout en portant la voile comme pas un vieux de la cale, et je louvoyais au milieu des quadrilles en donnant le signal d’un galop général : Tout le monde sur le pont ! Tremblement de Brest ! voilà-t-il pas trois malotrus qui viennent me tomber dessus par le travers ! Je pique un nez dans la lame, mais en me relevant, non d’un patara ! je te vous les ai arrimés de la belle façon ! Et maintenant je vais rester ici en panne, mon lieutenant, jusqu’à ce que vous me rendiez votre estime. Faut que le petit Parisien voie bien qu’on respecte un vieux Breton qui a bourlingué sur toutes les mers…

En parlant ainsi le père Vent-Debout se donnait de terribles coups de poing dans le creux de l’estomac.

Il fallut que le jeune Tavistock l’assura de sa plus parfaite considération, et le pria instamment d’aller se coucher.

Quand on fut en mer, le lendemain, de cette belle équipée il ne restait plus même le souvenir. Le père Vent-Debout était à son poste, très sérieux, très attentif : le vent d’aval, comme les marins appellent les vents qui soufflent de la plaine mer vers la terre, arrivait du large avec furie, et les vagues se suivaient de si près, qu’elles faisaient plus pour porter le yacht en avant que le mouvement de propulsion de la roue à hélice du petit bateau à vapeur.

— Combien nous faudra-t-il d’heures pour atteindre le Havre ? demanda le baronnet au pilote.

— En temps ordinaire, huit heures, répondit le vieux marin. Mais il vente