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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

pas l’émotion douloureuse du brave garde forestier en reconnaissant dans le paysan menacé d’être passé par les armes… son cousin Louis, le sabotier du Niderhoff.

Il allait se porter à son secours ; mais la confusion le retint. Si c’était un espion, comme on le disait ?… Depuis plusieurs mois Louis avait disparu du Niderhoff et le bruit avait couru, malgré les dénégations furieuses de son frère, que c’était pour suivre les Prussiens et trafiquer avec eux de ce qu’ils volaient. Quelle chose horrible qu’un traître dans sa famille ! Non, ce n’était pas possible ! Pourtant c’était un si méchant gueux que ce Louis Risler, qu’il était bien capable de s’être joint aux ennemis… Mais si son cousin se trouvait faussement accusé, tout ne lui faisait-il pas un devoir d’intervenir ? même la brouille qui existait entre eux ? Sans se montrer, il dit au sergent, à voix basse,

— Sergent, permettez… Encore faudrait-il être sûr…

— Qu’on le fouille ! cria le sergent.

Déjà la chose était en train de s’exécuter, et les francs-tireurs remettaient bientôt à leur sergent un livret et quelques papiers.

Une porte s’était entre-bâillée. Il s’en échappait un rayon de lumière. Le sergent s’en approcha et fit un examen rapide des papiers et du livret. Il revint brusquement :

— C’est un espion, dit-il. Et il est Lorrain encore ! Il avait dans sa poche une longue liste des fermiers du pays, soupçonnés de tenir des armes cachées… Les espions allemands sont d’honnêtes gens auprès de ce misérable ! Logez-lui une balle dans la tête comme à un chien enragé !… Je prends la chose sur moi.

— Plus loin ! plus loin ! crièrent des voix de femmes, effrayées d’assister de leur fenêtre à ce drame militaire.

En ce moment brilla l’éclair d’un coup de feu : c’était le cousin de Jacob qui, renonçant à se justifier, se défendait en déchargeant son pistolet sur l’un des chasseurs des Vosges. Il l’atteignit à l’épaule.

Mais l’autre chasseur, doué d’une force peu commune, désarma le gredin : et d’une balle de son revolver il lui laboura le front.

Le sabotier tomba sur ses genoux. Le franc-tireur allait l’achever d’un deuxième coup :

— Non, non, commanda le sergent, pas comme cela. Il faut le fusiller.

Une jeune fille accourut apportant une lanterne allumée. — Que devient la pitié en temps de guerre ?… — Elle la posa devant l’homme condamné à mourir, et qui poussait des hurlements.