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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

Jean repassa par Frenouville, Moult et Argences, Mézidon, Mesnil-Mauger, Lisieux, Saint-Mards-de-Fresne ; puis il se retrouva à Bernay, à Serquigny, à Beaumont-le-Roger, Romilly, Conches, la Bonneville, ces dernières localités vaguement aperçues par lui quelques jours auparavant au moment où la nuit venait. À midi, il passait à Évreux, et se rappelait comment il y était venu de Louviers dans la carriole du défiant Dardouillet.

Il jeta un dernier regard sur Évreux et la vallée de l’Iton. Un moment après, le train s’engageait dans le tunnel de Martainville, et débouchait dans le parc du château du même nom. Un peu plus loin, des deux côtés de la voie, s’ouvraient des vallons ayant la forme de vastes amphithéâtres demi-circulaires ; on touchait à Boisset-les-Prévanches et son château aux toits d’ardoise et aux tourelles pointues. Près de Mérey, où un château en ruine est entouré d’un parc dont les murs sont flanqués de tours, on franchit l’Eure. Jean vit encore plusieurs autres châteaux, celui de Lorey, celui de Neuilly ; puis ce fut, à Bueil, le tour des moulins et des usines alimentés par l’Eure ; Bueil est sur la rive droite de cette rivière.

La voie pénétrait dans le département d’Eure-et-Loir, et les châteaux se multipliaient, — châteaux du dix-huitième siècle comme celui de Primard, châteaux du seizième comme celui de Gilles. À une heure, il passait devant Mantes-la-Jolie, ville pour ainsi dire moderne, sortie des ruines accumulées par les guerres dont elle eut à souffrir. Mantes c’était pour Jean la banlieue de Paris.

Paris ! il y arrivait une heure après, sans oser relever la tête, envisageant l’avenir avec effroi. Comme il se sentait seul dans la grande ville ! enveloppé dans la réprobation qui atteignait son père ! impuissant à souffleter de leur mensonge les plus vils des calomniateurs ! réduit à cacher son nom et à dévorer un outrage immérité !

Avec l’élan d’un voyageur qui revient de Bordeaux par le Havre et Caen, après avoir fait naufrage à Barfleur, il se rendit à pied jusqu’au faubourg, chez l’oncle Blaisot.

— Te voilà enfin ! s’écria l’ébéniste. Il semble que tu as grandi. Mais tu as l’air tout… drôle : on dirait que tu sais la nouvelle…

— Quelle nouvelle ? murmura Jean en pâlissant.

— Tu ne le sais donc pas… que ta sœur est morte ?

— Morte ? Pauline ?

— Oui, morte des mauvais traitements de cette Allemande… Tu n’as donc pas vu M. Modeste Vidal ?