Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/430

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
422
LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

Sud, les cornes de buffles, les ossements de diverses provenances se dressaient en pyramides, les bois de construction s’élevaient comme d’immenses bûchers ; et de même les merrains, les bordages de sapin gras, les billes de bois des îles pour l’ébénisterie.

Et c’étaient plus loin des déchargements de guano et de nitrate de soude réclamés par les besoins agricoles de nos départements du nord, un échange de charbons de terre français et de charbon de terre anglais ; toutes les marchandises de l’importation, sel, vins, etc ; le plomb envoyé par l’Espagne et le Portugal, les soufres de Sicile, les bois de mâture de la Suède et de la Norvège, tandis que l’on chargeait en même temps des huiles, des graines de colza, des tourteaux, du lin et ce qui s’exporte quotidiennement en légumes, en fruits, en beurre à destination de l’Angleterre. Pour l’Angleterre aussi ces cargaisons de viande sur pied, bêlant, meuglant, et que l’on poussait vers les chalands et les transports.

Les matelots en vareuses, coiffés du chapeau de toile cirée ou du bonnet plat à houppe, bronzés, couturés, se dandinant, les pieds largement posés à terre, se mêlaient sans se confondre ; le Hollandais court et trapu, l’Espagnol et l’Italien nerveux et susceptibles, le Portugais alerte, le Norvégien calme et silencieux, l’Anglais flegmatique et gai, roux de poil, le Russe bon enfant et rêveur ; et de même les idiomes gutturaux du Nord se croisaient, demeurant distincts, avec les langues musicales du midi.

Quelques-uns de ces matelots procédaient au chargement ou au déchargement des navires dont ils formaient l’équipage ; d’autres, fatigués d’une longue navigation s’entraînaient du côté des tavernes du quartier de la citadelle, et abandonnaient la tâche complémentaire aux gens du port : tout un peuple de portefaix circulant lentement, le dos ployé sous la charge, la tête couverte d’une sorte de capuchon de toile goudronnée, ou d’un bourrelet en couronne, les mains appuyées aux hanches dans des attitudes de cariatides soudain douées de vie et de force.

Les lourds camions s’avançaient jusqu’à la limite extrême des quais, attelés de chevaux grands et vigoureux pour recevoir des caisses ou des ballots. Les haquets chargeaient les tonneaux ; les brouettes même avaient leur emploi, et des hommes de peine les poussaient sur d’étroites planches joignant les navires aux chalands où l’on versait leur contenu.

Sur les chantiers de radoub, dans les bassins mis à sec, les bâtiments réfugiés dans le port avec des avaries, étançonnés aux parois des bassins, étaient réparés par des nuées d’ouvriers qui les attaquaient de toute part : char-