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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

— Eh bien ! fit-il après un court moment de réflexion, viens toujours avec moi. Nous verrons après.

— Est-ce loin ? demanda Jean lorsqu’ils eurent fait dix pas.

— C’est encore loin. Nous arriverons demain, en nous cachant cette nuit à Beaufremont. Laisse-moi faire !

Le jeune homme prit une allure rapide ; l’enfant courait à côté de lui afin de pouvoir le suivre, — ce qui ne l’empêchait pas de raconter à son compagnon, qu’il s’appelait Jean Risler, et aussi comment il avait fait la connaissance de « M. Bordelais », et encore de quelle façon le franc-tireur, tout seul, avait tenu tête à tout un « régiment ». Il finit par le questionner sur le contenu de son mouchoir.

— C’est une miche de pain, répondit l’autre ; je l’ai achetée en route ; tu vas en avoir ta part tout à l’heure.

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Ils arrivèrent en effet le lendemain à la forêt de Boëne. Comme ils passaient à Sauville, village voisin du camp, l’un des lieutenants du commandant Bernard prenait des dispositions pour diriger, sur Langres, les prisonniers faits à Fontenoy.

Le jeune paysan demanda à lui parler.

— Mon commandant, dit-il, je viens pour être soldat avec vous. J’ai mes raisons. Et puis, nous n’avons plus rien là-bas ; notre maison est brûlée.

— Comment, ta maison est brûlée ? Où cela ?

— À Fontenoy, mon commandant… Quand j’ai quitté le village, tout flambait comme de la paille. À dix heures du soir, on y voyait comme en plein jour. À la tombée de la nuit, ils avaient envahi le village. Ils nous chassaient de nos maisons à coups de crosse de fusil, sans nous permettre de rien emporter. Les maisons ont été brûlées l’une après l’autre, après avoir été enduites de pétrole. Tout a été anéanti, tout ; les récoltes, les provisions, les meubles, les hardes de chacun ; les chevaux, les vaches, les moutons, les porcs ont brûlé, étouffés dans les étables. Nous sommes tous ruinés !… On tirait sur ceux qui cherchaient à sauver quelque chose des flammes ; c’est comme ça qu’un vieux de quatre-vingts ans, le père Christian, a reçu une balle dans le ventre ; une pauvre vieille infirme a été brûlée dans son lit ; la femme du maire a été battue, traînée par les cheveux, ainsi que d’autres qui se sont échappées au milieu des balles.

Le capitaine à qui parlait le jeune paysan pâlit.

— Les misérables ! murmura-t-il.