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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/48

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

Et il jeta sur les prisonniers un regard qui les fit trembler. Ils avaient à peu près tout compris ; ils crurent leur dernière heure arrivée.

— Ce n’est pas tout, reprit le villageois. Ils ont arrêté le maire, le chef de gare, et le curé de Gondreville qui était accouru pour s’interposer.

» Et maintenant les femmes et les enfants sont là qui bivouaquent en plein air, dans la neige ; les hommes, réfugiés dans les bois, sont traqués par les uhlans et les Bavarois qui veulent à toute force s’emparer d’eux, comme s’ils avaient travaillé à la destruction du pont… Ils ont réussi à mettre la main sur l’instituteur, et ils l’ont ramené ; mais dans quel état ! — Je viens vous demander un fusil, mon commandant, conclut le gars de Fontenoy.

Les landwehrs de Düsseldorf jetaient sur le capitaine des regards suppliants. Pour toucher plus sûrement sa sensibilité, deux d’entre eux tirèrent de leur poitrine des photographies d’enfants — de leurs enfants sans doute — et y collèrent bruyamment leurs lèvres. Heureusement pour ces pauvres diables, le capitaine avait moins de dureté de cœur qu’un Moltke ou un Bismarck… Il ne leur fut fait aucun mal, et ils s’éloignèrent l’instant d’après sous bonne escorte.

— Quel est cet enfant ? demanda le capitaine en avisant le petit Jean. Ton frère ?

— Non, mon commandant, un pauvre enfant abandonné que j’ai trouvé sur mon chemin. Son père est dans les compagnies franches ; peut-être dans les vôtres…

En ce moment Bordelais la Rose apparut, cheminant d’un pas ferme, avec armes et bagages.

— Ah ! voilà mon petit ! s’écria-t-il, en faisant au capitaine un salut militaire. Comme je l’ai cherché !… Il a fait le coup de feu avec moi, mon capitaine, et je ne suis pas surpris de le retrouver au camp.

— Bordelais, dit assez sévèrement le capitaine, vous êtes le dernier à rentrer…

— C’est possible, mon capitaine, c’est possible ; mais j’en ai démoli deux. Le père de ce mioche va être content de le retrouver : c’est ce soldat de l’armée d’Italie, décoré, qui nous a rejoints à Vannes-le-Châtel.

Un sergent s’approcha du capitaine et lui dit à demi-voix :

— Il a été tué hier, à l’arrière-garde.

— Tué ? fit l’ancien zouave.

— Pauvre enfant ! murmura le capitaine en posant une main caressante sur la tête du petit Jean.