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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

— Messieurs, leur dit-il, vous avez mal choisi votre temps… si vous êtes venus pour visiter le champ de bataille.

— C’est vrai ! fit l’artiste ; mais, je crois, ajouta-t-il en consultant Jean du regard, que notre visite à Bazeilles et un coup d’œil jeté sur les collines qui enferment Sedan, nous suffiront pour comprendre la rencontre des deux armées…

— N’est-ce pas ? Il est clair qu’une armée qui occupait toutes les hauteurs, et faisait avancer deux cent quarante mille hommes contre quatre-vingt mille, harassés, n’ayant ni vivres, ni munitions, c’est-à-dire trois contre un, une armée qui était en mesure de mettre en batterie cinq cents canons et qui en possédait bien davantage, ne pouvait que vaincre ; et que l’autre armée, quelque invincible résistance qu’elle opposât, ne pouvait que lui faire payer cher sa victoire. Et il en a été ainsi. L’honneur est sauf du côté des plus faibles, du côté du petit nombre, et ceux qui ont parlé de honte après la capitulation ne savaient pas ce qu’ils disaient. Faites-moi l’amitié, messieurs, de venir un moment vous reposer chez moi — et vous réchauffer. En buvant un verre de cidre, je vous donnerai une idée de ce qui s’est passé dans notre Bazeilles, — dont nous sommes fiers à juste titre.

Ce bon patriote, vieux garçon d’une quarantaine d’années, grand, sec, hâlé, avec une figure militaire, une forte moustache, des yeux expressifs, était propriétaire associé d’une fabrique de drap située entre Sedan et Balan. Il avait fait le coup de feu à Bazeilles, le 31 août et le Ier septembre ; mais il ne s’en vantait pas trop. Il aimait mieux rappeler que l’ambulance de l’infanterie de marine, établie pendant les deux jours de combat dans le grand château de M. Matharel de Fiennes, — tout en haut du pays, — l’avait requis comme auxiliaire au plus chaud de l’action.

— J’étais bien placé pour tout voir, ici, dit-il à ses hôtes tout en les conduisant à sa maison. Entre deux paquets de cartouches, j’aidais à ramasser les blessés ; mais à mon dernier voyage, comme je rapportais à l’ambulance un jeune officier mourant, mes nouveaux camarades insistèrent pour que je prisse le brassard d’ambulancier ; ils voulaient, disaient-ils, me préserver d’être collé à la muraille. Ils avaient raison, et j’acceptai avec reconnaissance.

On arriva à la maison de l’ancien ambulancier. Il fit asseoir les deux jeunes gens auprès d’un bon feu, et pria sa sœur de tirer un pot de cidre — du meilleur.

— Voyez-vous, dit-il, le bourg fut défendu principalement par l’infanterie