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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

le théâtre, ce chef-d’œuvre de l’architecte Louis. Il est entièrement isolé et occupe l’un des côtés d’une belle place. Sa façade principale est formée de deux colonnes corinthiennes, auxquelles correspondent douze statues colossales décorant la balustrade qui en couronne la frise. Ce beau théâtre peut contenir quatre mille spectateurs.

Sans s’arrêter aux autres monuments et édifices, Jean monta dans une petite voiture qui faisait un service entre Bordeaux et Mérignac, et trois quarts d’heure après il tombait dans les bras de Bordelais la Rose.

Quelle surprise pour l’excellent homme ! quelle joie de revoir si grandi son petit ami le Parisien !

Bordelais la Rose se faisait vieux et les rhumatismes gagnés dans les tranchées au siège de Sébastopol lui rendaient la vie dure, sac et giberne mais il retrouva soudain toute sa vigueur.

— Demain ? Tu comptes t’en retourner demain ? Et tu crois que je vais te laisser partir comme cela ? Pour aller faire guignole à Saintes ? Ah ! tu es venu pour me rapporter mes cents francs ! Ils te pesaient peut-être ? Il fallait changer les cinq louis en un billet de banque… tu aurais eu le cœur plus léger. Ah ! ça, mais tu oublies, malheureux, que j’ai été sur le point de t’adopter après la guerre ? Si je ne l’ai pas fait, sac et giberne ! c’est que tu avais un oncle à Paris. À propos, a-t-il trouvé le fond de sa bouteille, cet oncle Blaisot ? Non ? Toujours vivant ?… et trinquant ?… Ça te profite au moins ce mauvais exemple… c’est toujours quelque chose !

« Tu es venu par Libourne ? ajouta le Gascon ; mais tu n’as pas vu les curiosités du pays ? Saint-Émilion, par exemple : voilà qui est curieux ! Tu n’en connais que les bons vins, bien sûr, comme neveu du père Blaisot ; il faudrait voir la ville dans son ravin et sur le penchant de deux collines. Il y a là d’immenses carrières sous le sol, des habitations creusées dans le roc, des ruines, des vieilles murailles, des tours, le château du Roi — je ne sais plus quel roi de France. Et, sac et giberne ! puisque nous parlons des vins de Saint-Émilion, qui sont les meilleurs vins des Côtes, il y a bien d’autres vins dans le département ! Ah ! nous en avons des grands crus, et fameux malgré le phylloxéra ! C’est le Château-Margaux, le Château-Laffite, le Château-Latour, dans le Médoc, et encore les crus moins estimés de Paulliac, Saint-Estèphe, Saint-Julien, mais qui apparaissent honorablement au rôti sur les grandes tables ; nous avons dans le Bordelais, — où nous sommes — le Château-de-Haut-Brion qui rivalise avec les premiers crus du Médoc ; nous avons les crus de Graves, ceux des plaines ou palus qui sont de l’autre côté de la Garonne,