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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

et ceux de l’Entre-deux-Mers : c’est le nom qu’on donne aux vignobles situés entre la Garonne et la Dordogne.

» Et le Sauterne donc, et le Barsac, parmi les vins blancs ! Sac et giberne ! Il fallait venir, mon garçon, dans la saison des huîtres ; je t’en aurais fait boire du Sauterne… Mais je t’en ferai goûter tout de même ; c’est encore celui qui me réussit le mieux pour mes rhumatismes. Je ne te parle pas du Château-Yquem : celui-là c’est l’extravagance du parfait, c’est l’idéal, c’est le sublime ! Ils n’en ont point à lui comparer les Allemands du Rhin ! Mais il est trop cher pour ma bourse. Sache donc qu’il se vend jusqu’à dix-mille francs le tonneau de 900 litres. On aurait une vigne pour ce prix.

» Il faut aller visiter les chais du quai des Chartrons pour se faire une idée de la richesse de nos vins pour le pays. Il y a là des celliers qui renferment jusqu’à cent mille tonneaux. Tu as traversé Bordeaux, mais tu n’as rien vu…

— J’ai vu le pont, j’ai vu les quais, j’ai vu le théâtre, dit Jean.

— Tu as vu le pont, tu as vu les quais, tu as vu le théâtre… je te dis que tu n’as rien vu, sac et giberne ! Tu ne sais rien de Bordeaux… C’est que nous avons des hommes, nous autres, à pouvoir citer ! poursuivit l’aimable Gascon, nous les remuons à la pelle, les grands hommes ! Bordeaux c’est le pays des conventionnels Gensonné, Roger-Ducos et Boyer-Fonfrède. Tu ne connais pas Boyer-Fonfrède ? Il était jeune, beau, riche, charitable, aimant… Il est mort sur l’échafaud de la révolution avec Gensonné, Guadet, Ducos et Grangeneuve qui sont du département : les Girondins, mon bon ! Sac et giberne ! comme vous êtes ignorants vous autres, à Paris ! À Bordeaux, nous avons eu aussi des hommes d’État, et nous en aurons encore : c’est Lainé, c’est Peyronnet, c’est M. de Martignac, c’est M. Dufaure ! Le défenseur de Louis XVI… Aide-moi donc ! Aï ! Chose !… De Sèze !

— Eh bien ?

— Bordeaux l’a vu naître, mon garçon. Et le chanteur Garat ? le fameux Garat, avec sa cravate empesée et sa guitare… Tu ne connais peut-être pas Garat ?

— Non, avoua timidement Jean qui regrettait fort de ne pas s’être donné avant de venir, une teinture des illustrations bordelaises.

— Eh bien ! le chanteur Garat, c’est Bordeaux qui lui a donné le jour ! Et Berquin, l’ami des enfants ?… Et je ne te dis rien de ceux qui sont vivants : Paris en regorge.

Jean remarqua alors pour la première fois depuis qu’il le connaissait, que son ami, pénétré de l’amour de son pays en parlait avec cette exagération