Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/60

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
52
LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

Le train avait atteint le plateau du Causse. Jean ne regardait plus et demeurait absorbé par ses réflexions.

— Je te croyais plus curieux, lui dit à la fin Bordelais la Rose avec l’accent du reproche. Le Causse, vois-tu, ajouta-t-il, c’est la partie du Lot où l’on sème le blé ; il y a d’autres plateaux où l’on ne cultive que le seigle, d’où leur nom de Ségalas. Ce qui fait l’originalité du Causse, mon Jean, c’est qu’il s’y trouve en quantité des gouffres profonds où se précipitent les eaux des ruisseaux ; elles vont reparaître dans les vallées de la Dordogne et du Lot, où elles jaillissent de terre en belles sources. Ici, la voie passe à quelques mètres du gouffre de la Roque de Corn ; c’est un entonnoir dont on n’a jamais trouvé le fond ; les eaux du Miers s’y engloutissent : nous y voilà !

Jean eut un imperceptible haussement d’épaules. Mais Bordelais la Rose était si bon pour lui qu’il craignit de l’affliger, et il jeta un vague coup d’œil sur l’abîme béant.

— Quand arriverons-nous ? dit-il avec un soupir.

— C’est tout ça ton émerveillement ! fit l’ex-zouave désappointé. Sûrement nous arriverons bientôt, car voilà le village de Rocamadour accroché aux flancs de son rocher à pic ; dans une heure nous serons à Figeac, et j’en suis bien aise, car tu commences à m’impatienter. Enfin qu’as-tu ?

— Rien, dit Jean.

— Rien ?

— Une crainte, un soupçon ; mais je ne peux pas m’expliquer.

Une heure après, comme l’avait annoncé Bordelais la Rose, le train passait le Drauzon sur le viaduc du Ceindreau, composé de vingt arches largement ouvertes, puis il franchissait le Celé sur un pont en tôle, et un moment après il entrait en gare de Figeac.

C’est à Figeac que s’arrêtait la dame victime de l’agression. Déjà, le télégraphe avait signalé le dramatique événement. Un gendarme bruni par le soleil d’été s’approcha du compartiment occupé par la dame, et vers lequel se portaient tous les voyageurs qui n’allaient pas à une gare plus éloignée. On devine que Jean se montrait parmi eux au premier rang.

La pauvre dame encore mal remise de son émotion descendait de voiture assez péniblement. Elle était mince, blonde, avec des traits fins et une tournure aristocratique, et pouvait avoir une quarantaine d’années. Le gendarme l’aida et, en quelques mots, elle mit au courant de ce qui s’était passé, ce premier représentant de l’autorité qui se présentait à elle.