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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

— Singulier pays que ce coin de la France ! s’écria Maurice. Je savais comme tout le monde que les paysans des Landes marchent avec des échasses ; mais je n’aurais jamais imaginé rien d’aussi différent que tout ce que j’ai pu rencontrer jusqu’ici, et vous aussi sans doute, mon ami. En chemin de fer nous avons regardé sans voir, ou plutôt nos yeux s’étaient vite fatigués de ce défilé rapide de forêts sombres, de landes grisâtres avec la ligne des dunes faiblement marquée à l’occident. Eh bien ! je vous assure que c’est une des curiosités de la France, que l’on néglige ; c’est un monde à part : le désert succédant à nos villes populeuses, à nos campagnes cultivées partout ; le désert auquel l’Océan apporte sans fin ses sables, avec les Pyrénées au sud dressant à l’horizon leur grande masse bleue.

» D’après ce que j’ai vu et ce qu’on m’a appris, les Grandes Landes constituent un vaste plateau qui a dû être autrefois recouvert par la mer. En hiver, ce sol sablonneux est noyé par les pluies ; en été les sables y sont brûlants. Et que c’est triste ! Rien pour fixer le regard ; partout la plaine sans borne ; et comme pour mieux en montrer le vide, quelques pâtres montés sur des échasses, — des hommes-compas, ainsi qu’on l’a dit. Le silence n’est interrompu que par le cornet des bergers qui rassemblent leurs moutons, et la chanson flottant ça et là de la cigale, qui se réveille pour vous endormir. Au sein de cette sécheresse, parmi les bruyères, les moutons trouvent une herbe courte, très nourrissante.

» Le Marensin possède des forêts de pins qui vont jusqu’aux dunes ; il a aussi des étangs nombreux, des lacs pour mieux dire, arrêtés au pied des falaises de sable qui font obstacle à l’écoulement de leurs eaux.

» C’est une succession de collines de sable, au pied desquelles coulent de petits ruisseaux. Les étangs donnent asile à des champs de roseaux ; les bouquets de pins que les colons des Landes — je n’ai pas dit les naturels — appellent «pignadas », alternent avec les chênes-lièges ; les pins fournissent leur résine, et c’est une fortune au milieu de cette indigence de la nature ; les chênes-lièges donnent leur écorce. Entre les collines s’ouvrent des vallées parallèles, — des « lèdes » ou « lettes ». Ces vallées, qui séparent deux séries de dunes, ressemblent sur une longueur de plusieurs lieues aux lits desséchés de larges fleuves entourant de grands îlots boisés.

» Les dunes occupent, du sud au nord de la Gascogne, une étendue de plusieurs lieues avec huit ou dix kilomètres de largeur : leur élévation varie entre cent et cent cinquante pieds ; la pente la plus douce se trouve toujours du côté de la mer.