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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

Ils avaient revêtu la chaude veste de laine grise des chasseurs pyrénéens et portaient des guêtres. La carabine en bandoulière, ils se servaient adroitement du bâton alpestre muni d’un crochet. Le sac aux munitions et aux vivres que tout chasseur de chamois porte ordinairement sur le dos, et qui contient avec la poudre et le plomb, du pain bis, du fromage, du lard, une gourde d’eau-de-vie, avait été abandonné cette fois, et les rabatteurs laissés en arrière, au nombre de quatre — plus Méloir — avançaient seuls avec ce surcroît de charge. On les voyait apparaître et disparaître tour à tour, se rapprochant toujours du terrain de chasse. Méloir sans se lasser courait de l’un à l’autre.

Les chasseurs embauchés connaissaient à fond les passages, les pâturages préférés, les retraites, les roches salées que viennent lécher les isards. Chacun d’eux possédait une provision de renseignements fournis par des pâtres dans des tournées préparatoires. Tenant compte de la direction du vent, ils marchaient en silence.

Un d’eux possédait une bonne longue vue ; il s’en servit pour explorer le terrain et il eut la joie de découvrir quatre isards dans un pâturage frais que le soleil n’atteignait pas encore. Il fit des signes convenus à ses deux camarades, et dès lors la chasse ne fut plus livrée au hasard.

Les trois chasseurs prirent bientôt position derrière des roches et des buissons, et ils attendirent, pour attaquer, d’être rejoints par « l’Anglais et ses compagnons. »

Le baronnet avançait lentement s’aidant du bâton à crochet ; Maurice et Jean par convenance réglaient leur marche sur la sienne, bien qu’il en coûtât à leur ardeur ; car ils avaient compris que la poudre allait parler : il fallait donc se hâter si on voulait placer son coup de carabine.

Sir William avait quelque peine à garder le mutisme qu’on lui avait recommandé. Il s’encourageait malgré tout par des « hip ! hip ! » très joyeux, et il y avait bien de quoi : cette belle journée serait racontée à milady : elle serait bien forcée de croire à autre chose qu’à un simple spleen. Dans son contentement, il n’hésita pas, pour rejoindre plus vite les trois chasseurs apostés, à suivre une corniche de deux pieds, surgissant du flanc d’une roche que bordait un précipice d’une centaine de pieds. Maurice et Jean, moins téméraires, arrivèrent en même temps que lui à l’endroit où l’on devait s’arrêter ; mais par un chemin moins dangereux, très émus l’un et l’autre de cette preuve de démence que venait de donner le père de miss Kate.

Les guides s’étaient agenouillés. Ayant ôté leurs chapeaux, ils hasardaient