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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

seulement la tête au-dessus des rochers qui les cachaient, et tenaient la main sur la gâchette de leurs carabines. Sir William vint prendre position non loin d’eux — à une centaine de mètres — et fut rejoint par Jean, puis par Maurice.

Les isards se trouvaient bien en vue.

Ils se montraient là, beaux, hardis, nobles, vigoureux. Dans leurs bonds il y avait autant de force que de souplesse.

Le guide du petit troupeau paissait à quelque distance, très attentif, flairant devant lui, dressant les oreilles, se retournant, regardant partout. Il entendit quelque bruit et se mit à siffler comme le fait la marmotte, à frapper le sol de ses pieds de devant.

Tous prirent peur ; mais ne pouvant distinguer d’où venait le danger, les pauvres bêtes se démenaient angoissées, indécises sur la route à choisir pour la fuite, tendant le cou et cherchant à découvrir l’ennemi.

De l’endroit où il était, Jean apercevait Méloir au loin, bien au-dessous de lui, contournant les hautes roches où une saillie faisait un étroit sentier, audacieusement suivi par le gars. Les autres rabatteurs avaient fini leur besogne et poussé les isards entrevus dans le demi-cercle formé par les glaciers ; sachant par expérience que les chamois ne s’aventurent pas volontiers sur les glaciers, ils se dirigeaient vers Méloir pour, de là, entreprendre un mouvement destiné à une nouvelle opération au cas où la première n’aurait pas réussi : pousser les chamois dans un de ces endroits où la piste cesse d’être possible : ils ignoraient encore que sur le revers d’un sommet et en face des glaciers mêmes les chasseurs tenaient un groupe d’isards au bout du canon de leurs armes.

Soudain, ils entendirent la décharge d’une carabine — c’était le baronnet qui ouvrait le feu. Elle fut suivie d’une formidable détonation : les trois chasseurs venaient de tirer à la fois. Maurice et Jean ne trouvèrent pas l’occasion de placer leur coup : les isards fixés enfin, demeurèrent un seul instant immobiles, regardant avec inquiétude la fumée des carabines qui s’élevait dans l’air, puis, bondissant sur leurs jambes nerveuses, détalaient au galop, chef en tête ; mais ils laissaient l’un des leurs sur le terrain — un jeune faon.

D’un saut, ils franchirent un abîme, retombèrent sur leurs quatre pattes à la pointe d’une roche et sans se concerter davantage se dispersèrent au hasard.