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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

éclairé, très animé, très bruyant, plein d’un grand bruit de dominos remués, de conversations d’une table à l’autre, débordant de consommateurs au dehors : endroit bien choisi — si on l’eût choisi — pour se faire une idée de ces populations méridionales au milieu desquelles on se trouvait : — bourgeois, négociants, ouvriers, étudiants et commis voyageurs mêlés et confondus, ce dont personne ne s’étonne. Notons que Toulouse appartient bien plus à la Gascogne qu’au Languedoc.

Les Gascons ont de l’esprit et de la gaieté dont ils font montre dans un langage coloré, pittoresque, plein de vives saillies. On leur a reproché de se laisser aller trop facilement à l’exagération, à la hâblerie, comme on dit d’après un mot espagnol. Cela tient sans aucun doute à la vivacité de conception et à une chaude façon de parler particulière à la plupart des peuples méridionaux et qu’il ne faut pas prendre au pied de la lettre. On a signalé aussi une autre cause, sociale et historique celle-là ; l’habitude prise par les cadets de Gascogne d’aller chercher fortune loin de leur province. Dans un pays sans commerce, sans industrie et purement agricole, la fortune ne peut s’augmenter que par l’économie domestique, établie qu’elle est sur des propriétés foncières. Ces propriétés, avant la Révolution, passaient presque en entier dans les mains de l’aîné de la famille. Force était aux autres garçons de se créer au dehors une existence indépendante.

Ils allaient au loin, dans des pays où l’on ne connaissait ni leur famille ni leur position, et quand il parlaient avec emphase — et respect — du château paternel qu’ils venaient de quitter, quand ils dénombraient les serviteurs, les chiens et les chevaux, quand ils racontaient le train de vie mené par eux jusque-là, la pauvreté de leur accoutrement, leur misère trop accusée semblait donner un démenti à leurs paroles ; et on leur riait au nez ; et ils se fâchaient ; et ils mettaient hors du fourreau la longue rapière rouillée reçue au moment du départ comme un digne présent. On croisait le fer ; et s’ils n’étaient pas de force, au grief de vantardise s’ajoutait celui de forfanterie.

Il leur fallait, à ces aventuriers que les romanciers ont su nous rendre si sympathiques, une extrême confiance en eux-mêmes et dans l’avenir pour braver le froid dédain ; confiance robuste qui leur permettait de s’imposer dans les milieux les plus ingrats. On sait le mot d’Henri IV à l’un de ses jardiniers qui se plaignait d’un terrain où rien ne pouvait venir à bien : « Sèmes-y des Gascons, ils prennent partout. »

Grâce au penchant naturel qui nous porte à charger les ridicules pour les