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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

rendre plus comiques, on devait se plaire à exagérer la jactance des Gascons. Et les anecdotes et les gasconnades de voler de bouche en bouche.

Un Gascon appelé en duel s’étant rendu de très bonne heure au lieu choisi pour la rencontre, y avait trouvé deux spadassins plus matineux encore, gisant sur le pré, après s’être enferrés l’un l’autre. Il se fit un siège des deux corps morts et attendit tranquillement son adversaire. Celui-ci arrive enfin, s’étonne, s’alarme, demande des explications. « C’est, dit le Gascon qui comptait bien recevoir des excuses, que je me suis amusé à peloter avec ces deux messieurs, en attendant partie. »

Un autre Gascon disait : « Qu’en quelqu’endroit de son corps qu’on le blessât, le coup était mortel, car il était tout cœur.

Un autre encore : « Dès que le duel fut défendu (sous Louis XIII) il poussa du poil dans la paume de la main de mon père. »

On formerait des recueils entiers des gasconnades du même genre.

De nos jours, l’originalité des caractères provinciaux s’effaçant et tout étant ramené sans cesse chez nous à l’unité par excès de centralisation, il ne reste plus aux habitants de la Guienne, de la Gascogne et du haut Languedoc que cet amour excessif de leur pays, qui les porte à le placer toujours au-dessus de tous les autres. Le mal n’est pas grand, et la contagion du chauvinisme n’est plus à craindre chez nous.

C’est toujours une grande surprise pour un Parisien de trouver au dehors de l’enceinte de la capitale une ville grande, belle et populeuse. À Paris, on s’accoutume de bonne heure à considérer le reste de la France comme un éloignement des horizons champêtres où l’on va se promener le dimanche. On sait bien qu’il existe de grands centres, mais on ne veut pas le croire ; l’esprit se refuse avec une singulière obstination à accepter avec résignation cette réalité de l’existence de grandes villes, et la cécité volontaire l’emporte sur l’évidence. De là cette tendance à généraliser certaines expressions, telles que ruraux, provinciaux, qui sonnent assez mal à bien des oreilles françaises.

Jean sentait donc se renouveler en lui des étonnements déjà éprouvés à Nantes, à Bordeaux, à Lille, au Havre, à Rouen… Il en parlait à sir William avec abondance, — pour dissimuler le mouvement opéré par Maurice vers les bureaux du télégraphe, ouverts sur cette même place Lafayette.

Au retour de son ami, il le pria de se joindre à lui pour obtenir du baronnet qu’avant de rentrer à l’hôtel pour la nuit, on parcourût la ville, si séduisante aux lumières, avec toute cette foule, vive, joyeuse, délivrée enfin des soucis de la journée et se répandant par les rues et les promenades, des re-