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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

À cela Jean haussait les épaules, lorsque son oncle lui dit brusquement :

— Tu ne sais pas ? il porte la croix de ton père…

Jean bondit. — Oui, reprit Antoine Blaisot ; cela lui est bien facile, avec son « toupet », puisqu’il s’appelle Jacob comme ton père, qu’il a été soldat comme ton père… La tante Grédel soutient que la croix appartient légitimement à son mari ; qu’elle lui était due, que ça a été une injustice ou une erreur. Elle le disait du moins à qui voulait l’entendre ; mais maintenant le Risler est en baisse ; c’est qu’avant de partir il lui a rompu les côtes ; je l’ai su…

— Et où est-il ? où est-il ce misérable ? répétait Jean, hors de lui, en tournant comme un fauve tout autour de la chambre voisine de l’atelier et qui servait à la fois de chambre à coucher, de salle à manger et de cuisine.

— Il écrit au pays… malgré la roulée, répondit l’oncle Antoine.

— Mais où est-il ? répétait Jean. Je veux le savoir.

Antoine Blaisot se mit à fouiller ses poches ; ce fut en vain ; puis levant son chapeau melon il chercha au milieu de quelques papiers qui en occupaient le fond et avaient pris des formes arrondies. Il trouva ce qu’il cherchait : l’enveloppe d’une lettre de Jacob Risler à sa femme, timbrée d’Aurillac.

— Oh ! s’écria Jean, si j’avais quinze ans, comme j’irais le souffleter ! Mais je suis assez fort pour lui sauter à la poitrine et lui arracher cette croix qu’il a volée à mon père, comme il lui a volé son honneur. Vous ne ressentez donc pas cette insulte, mon oncle ? ajouta le généreux enfant.

— Mais si… puisque je t’en parle comme d’une chose qui m’a révolté, dit l’oncle Antoine très calme. Ce qui me fait plaisir dans tout cela, c’est que l’Allemande a reçu une roulée d’importance. Il paraît qu’elle en a gardé le lit trois jours.

— Et pendant ce temps-là, Pauline, qui la soignait ?

— Ah ! tu m’en demandes trop, mon petit ! Tu dois comprendre que ta sœur ne peut pas être chez ces tristes gens comme auprès d’une mère !

— Pauvre Pauline ! murmura Jean.

— Quand elle aura deux ou trois ans de plus, nous verrons, mon garçon ! Je ne veux pas me remarier ; mais en fait de marmots, c’est assez de toi ici, — sans t’en faire reproche. Chaque jour Pauline grandit… dans quelque temps nous aviserons.

Jean accepta les encouragements de son oncle Antoine en ce qui concernait la fillette ; mais rien ne put le détourner de la pensée que son indigne parent usurpait la personnalité de son père.