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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

Comme s’il lui était possible, par un violent effort de sa volonté, de sortir de cette enfance qui lui pesait, il ne se mêlait plus guère aux jeux des gamins de son âge. Le temps que les autres dissipaient, il l’employait à l’étude. Une page de sa géographie était noire et illisible à force d’avoir été lue. Quelle fascination exerçait-elle sur cet esprit ardent, sur cette nature précoce ? Qui eût pu s’en rendre compte en y lisant qu’Aurillac est le chef-lieu du département du Cantal, formé de la haute Auvergne, qu’on y fabrique des dentelles, de l’orfèvrerie, des chaudrons, et qu’on y fait un commerce actif de sabots, de fromages, de bœufs, de mulets et de chevaux…

En Auvergne ! Alors ces porteurs d’eau, ces marchands de marrons, ces commissionnaires, ces charbonniers, qu’on traitait d’Auvergnats, non sans une nuance de dédain, ils étaient de ce pays-là ? Le jeune garçon ne laissait pas échapper une occasion de questionner l’un de ces hommes, dont la bonhomie n’exclut pas une certaine ruse à l’endroit de leurs intérêts. L’oncle Antoine s’étonnait du goût nouveau de son neveu pour les marrons grillés. Les deux sous du dimanche étaient immédiatement employés à l’achat de cette friandise.

Mais Jean ne demeurait pas fidèle à son marchand. Il allait d’une « rôtisserie » à l’autre, et apprenait à connaître tous ceux qui les tenaient. Le marchand du coin de la rue Saint-Bernard était des environs de Mauriac ; dans la rue Saint-Antoine, il y en avait un de Saint-Flour, un autre de Murat, un autre de Chaudesaigues, un quatrième venait de Pierrefort. Le père Villamus, dont l’établissement figurait avantageusement sur le pas de la porte d’un marchand de vin de la place de la Bastille, était natif de Salers ; devant son fourneau, Jean rencontrait les externes paresseux de quelques institutions du quartier de l’Arsenal qui venaient jusque-là consulter le rôtisseur sur la version à faire, et le rôtisseur, fouchtra ! expliquait la version ; chose surprenante, grâce à son patois, il traduisait Cornélius Népos à livre ouvert, ni plus ni moins qu’un bachelier. Cela faisait aller son commerce.

Tout à coup Pierre Villamus céda son fonds, « après fortune faite », fortune modeste et dont se contentait le brave homme, — ce fut un événement douloureux pour les potaches et autres cancres, réduits désormais à faire leurs versions eux-mêmes. Villamus fut remplacé par un grand garçon du nom de Mathurin, passablement sournois, mais ayant l’immense mérite aux yeux de Jean de venir en ligne droite d’Aurillac… Enfin !

Jean eut des nouvelles de son oncle Risler, — un malin, disait le successeur du père Villamus. Jean offrit de faire la correspondance de Mathurin,