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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

Parisien. — Notre domination en Algérie et l’ouverture du canal de Suez ont fait de Toulon notre premier port militaire. Ouvrez un journal au hasard : vous y trouverez le nom de Toulon aussi sûrement que celui de Paris. Mais l’exubérance de la marine de l’État paralyse dans ce port, si bien situé, la navigation marchande et le commerce.

De Toulon, Jean et son oncle se rendirent à Marseille par le chemin de fer.

En arrivant dans cette dernière ville, Jacob Risler déclara à Jean qu’il désirait le voir se consacrer tout entier à ses études, et cela, jusqu’au moment de son départ pour l’expédition en pays lointain dont il ambitionnait de faire partie. Il se chargeait de faire aller à lui tout seul leur petit commerce, — qui lui plaisait maintenant, et qu’il voulait continuer après l’éloignement de son neveu, avec l’arrière-pensée de pousser jusqu’en Corse. Il ne demandait à Jean que de le guider, le conseiller et préparer la maison de Paris qui lui fournissait des livres à l’accepter comme son remplaçant.

L’offre était tentante ; Jean possédait encore une partie de l’argent offert par Maurice du Vergier. Bordelais la Rose insistait pour lui venir en aide pécuniairement, — en attendant qu’on lui offrît quatre-vingt-dix mille francs de sa vigne : il en avait refusé quatre-vingt mille. Marseille présentait de nombreuses facilités pour l’étude. Tout cela fit que Jean céda ; et Jacob ayant avisé sur les vieux quais de la ville, entre la Loge (l’hôtel de ville) et le fort Saint-Jean, l’étalage d’un humble bouquiniste dont les livres à tranches rouges, produits de siècles écoulés, faisaient au soleil de l’amadou de leurs reliures, proposa au pauvre diable de lui céder quelques-unes de ses étagères, où il rangea ce que la dernière balle arrivée de Paris offrait de plus séduisant. L’endroit était favorable : entre deux boutiques de marchands d’oiseaux des colonies, de perroquets et de singes. — Ils font la parade à mon profit, disait à son neveu Jacob, assez tôt familiarisé avec les cris perçants et le ramage de toutes ces bestioles.

Le fait est que les curieux, arrêtés à droite et à gauche devant les cages et les perchoirs, d’un seul pas transportaient leur flânerie devant l’étalage de librairie et, campés pour résister au mistral qui les prenait en flanc, le chapeau bien enfoncé sur la nuque, pour ne pas être décoiffés par le vent, ils feuilletaient, ils coupaient du doigt, — délicatement, — et souvent ils achetaient.

Jacob, assis, sur sa chaise de paille, un peu affaissé dans une atmosphère lourde, saturée de goudron, d’épices, et de ces émanations que dégagent les dépouilles des grands troupeaux de bœufs de l’Amérique du Sud, — peaux et