Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome III.djvu/397

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ni avec indifférence, c’est plutôt avec résistance et avec effort qu’elle se porte à la partie blessée dont elle sent avec peine que les douleurs menacent de détruire l’unité et l’intégrité de son corps. Sans ces souffrances des bêtes on ne verrait pas combien les dernières créatures animales recherchent l’unité, et- si on ne le voyait pas, nous ne comprendrions pas suffisamment comme tout est fait par cette souveraine, sublime et ineffable unité du Créateur. 70. Réellement, si on y prête une attention pieuse et vigilante, toutes les beautés et tous les mouvements des créatures que peut considérer l’esprit humain, sont un enseignement pour nous ; les actes et les modifications qui se produisent en elles sont comme autant de langues qui crient partout et nous rappellent à la connaissance du Créateur. En effet, parmi les êtres qui ne sont sensibles ni à la douleur ni au plaisir, il n’en est aucun qui ne trouve dans l’unité une beauté propre à son espèce, ou au moins la stabilité qui convient à sa nature. Et parmi ceux qui sentent les impressions de la douleur et les charmes du plaisir, il n’en est aucun qui ne fasse entendre en fuyant la peine et en recherchant la joie, qu’il a horreur de la dissolution et qu’il aime l’unité : pourquoi enfin les âmes raisonnables cherchent-elles les connaissances qui leur procurent tant de joies, sinon pour faire briller en elles l’unité d’une même lumière ? et qu’évitent-elles en évitant l’erreur, sinon l’obscure confusion que produit le doute, doute insupportable parce que ne brille pas sur lui l’unité de la science et de la certitude ? Ainsi donc, qu’ils causent la peine ou qu’ils réprouvent, qu’ils donnent la joie ou le plaisir, tous les êtres font connaître et proclament (unité du Créateur ; et si l’ignorance et la difficulté, par où commence nécessairement cette vie, ne sont pas naturelles à l’âme ; il s’ensuit qu’elles sont un sujet d’exercice ou un châtiment. Mais je crois que nous avons suffisamment examiné cette question.



CHAPITRE XXIV. LE PREMIER HOMME N’A PAS ÉTÉ INSENSÉ, MAIS CAPABLE DE DEVENIR SAGE. — QU’EST-CE QUE LA FOLIE ?

71. Il est donc mieux d’examiner en quel état le premier homme a été créé que de chercher comment sa postérité s’est propagée. On se croit fort habile quand on présente la question de la manière suivante : si le premier homme a été créé sage, pourquoi s’est-il laissé séduire ? et s’il a été créé insensé, comment Dieu n’est-il pas l’auteur des vices puisque la folie est le plus grand de tous ? Mais entre la sagesse et la folie, la nature humaine ne connaît-elle pas un milieu qui n’est ni folie ni sagesse ? Quand est-ce qu’un homme commence à mériter d’être appelé nécessairement ou sage ou insensé ? N’est-ce pas quand il pourrait posséder la sagesse, s’il n’y mettait pas de négligence et que sa volonté devient responsable du défaut de la folie ? Personne n’est assez dépourvu de sens pour appeler un enfant insensé ; on serait moins raisonnable encore de vouloir l’appeler sage Si donc un enfant, tout homme qu’il soit, n’est ni fou ni sage ; si par conséquent la nature humaine est susceptible d’un certain milieu qu’on ne peut nommer ni folie ni sagesse ; évidemment, on ne pourrait appeler insensé un homme qui serait disposé comme le sont ceux qui ont négligé d’acquérir la sagesse, s’il était ainsi non par sa faute, mais naturellement. La folie, en effet, n’est pas une ignorance quelconque de ce que l’on doit rechercher ou éviter, c’est une ignorance vicieuse. De là vient que nous n’appelons pas fou un animal sans raison : il ne lui a pas été donné de pouvoir acquérir la sagesse. Et pourtant nous prenons souvent les termes dans un sens figuré. Ainsi en est-il de la cécité : elle est certainement le plus grand défaut dont puissent être affectés les yeux, mais elle n’en est pas un dans les petits chiens qui viennent de naître, et à proprement parler, on ne peut alors la nommer cécité. . 72. Si donc, sans être encore sage, l’homme a été créé capable d’accepter le commandement qu’il devait accomplir, il n’est ni étonnant qu’il ait pu être séduit, ni injuste qu’il ait été châtié pour n’avoir pas obéi, ni vrai que son Créateur soit l’auteur de ses vices, puisque la privation de la sagesse n’en était pas un pour l’homme, à qui il n’avait pas été donné de pouvoir la posséder encore. Il avait néanmoins reçu le moyen de monter plus haut s’il en voulait faire bon usage. Autre chose en effet est d’être raisonnable et autre chose d’être sage. La raison permet d’entendre le précepte que l’on doit croire pour l’accomplir. Mais comme la