Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome III.djvu/398

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raison conduit à l’intelligence du précepte, l’observation du précepte conduit à la sagesse ; la volonté est à l’observation ce que la nature est à la l’intelligence de ce même précepte ; et comme la nature raisonnable mérite en quelque sorte de recevoir le commandement, ainsi la fidélité au commandement mérite la sagesse. Or on devient capable de commettre le péché dès qu’on devient capable d’entendre le commandement. Avant d’être sage on peut pécher de deux manières, soit en ne voulant pas entendre la loi, soit en ne l’observant pas après l’avoir reçue ; et quand on est sage, on pèche si l’on renonce à la sagesse. De même en effet qu’il ne faut pas attribuer l’ordre à qui le reçoit, mais à qui le donne ; ainsi la sagesse ne vient pas de qui est éclairé, mais de Celui qui éclaire. De quoi donc ne pas bénir le Créateur de l’homme ? Dès que l’homme est capable d’en. tendre la loi, il est bon, il est supérieur à la bête. Il vaut mieux encore après avoir reçu le commandement ; encore mieux lorsqu’il ya obéi ; bien mieux encore lorsque l’éternelle contemplation de la sagesse le rend bienheureux. Par contre, le mal du péché vient de la négligence soit à entendre, soit à observer le précepte, soit à persévérer dans la contemplation de la sagesse. Ne s’ensuit-il pas que le premier homme pouvait se laisser séduire, même après avoir été créé sage ? Ce péché ayant été commis librement a été justement puni, d’après la loi divine. C’est pourquoi l’Apôtre saint Paul s’exprime ainsi : « En se disant sages ils sont devenus fous. » L’orgueil en effet éloigne de la sagesse, et cet éloignement est suivi de la folie. Qu’est-ce en effet que la folie, sinon un certain aveuglement, comme dit le même Apôtre : « Leur cœur insensé s’est obscurci (1). » D’où vient cet obscurcissement, sinon de ce qu’on est éloigné de la lumière de la sagesse ? D’où vient enfin cet éloignement, sinon de ce que l’homme dont Dieu est le bien suprême, veut être son propre bien comme Dieu l’est à lui-même ? Aussi « mon âme est troublée en moi » dit un prophète (2) ; il est dit encore « Goûtez et vous serez comme des dieux (3). » 73. Ce qui trouble les auditeurs, c’est qu’on pose ainsi la question : Est-ce la folie qui a éloigné le premier homme de Dieu ? ou bien est-ce cet éloignement qui l’a rendu insensé ? Si tu réponds que la folie l’a éloigné de la

1. Rom. I, 22, 22.— 2. Ps. XLI, 7. — 3. Gen. III, 5

sagesse, il semblera que la folle a précédé et déterminé cette séparation. Et si tu dis que cette séparation l’a rendu fou, ils demandent si en la faisant il s’est conduit avec folie ou avec sagesse. S’il s’est conduit avec sagesse, il a bien fait, il n’a pas péché ; s’il s’est conduit avec folie, déjà donc concluront-ils, il était fou, puisque la folie lui a fait quitter la sagesse car il ne pouvait agir avec folie sans être fou. Ceci montre que pour passer de la sagesse à la folie il y a un milieu qui n’est ni folie ni sagesse et dont les hommes ne peuvent en cette vie juger que par le contraire. En effet aucun mortel ne devient sage qu’en passant de la folie à la sagesse. Or si ce passage se fait avec folie, on ne peut l’approuver, ce qui est entièrement opposé au sens commun ; et s’il se fait avec sagesse, c’est que l’homme était sage avant de le devenir, ce qui n’est pas moins absurde. On comprend donc qu’il y a un milieu qui n’est ni sagesse ni folie ; et c’est ainsi que, pour passer du sanctuaire de la sagesse à la folie, le premier homme n’était ni fou ni sage. Dans un autre ordre d’idées l’assoupissement n’est pas non plus le sommeil ; le réveil n’est pas la veille, c’est une transition. Il y a toutefois cette différence que ces derniers actes sont souvent involontaires, tandis que le premier ne l’est jamais ; aussi mérite-t-il toujours un juste salaire.



CHAPITRE XXV. QUELLES IDÉES FRAPPENT LA NATURE RAISONNABLE LORSQU’ELLE SE TOURNE AU MAL.

74. Mais la volonté ne se porte à rien faire sans y être attirée par quelque idée, et si elle est libre de l’adopter ou de la repousser, elle ne l’est point d’en être ou de n’en être pas frappée. Or il vient à l’esprit deux sortes d’idées, des idées d’en-haut et des idées d’en-bas, afin que la volonté puisse choisir ce qui lui plaît et mériter par là le bonheur ou le ; malheur. Ainsi, au paradis terrestre, le commandement divin était l’idée d’en-haut, et la suggestion du serpent l’idée d’en-bas. De l’homme en effet ne dépendait ni ce commandement ni cette suggestion. Mais une fois acquise la vigueur que donne la sagesse, combien il est possible, combien il est facile de ne point céder aux idées qui entraînent en bas ! On peut le comprendre en considérant que les insensés mêmes