Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome III.djvu/597

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rer intact, mais l’âme a perdu sa chasteté. Celui qui fixe le regard sur une femme et qui provoque le sien, ne doit pas croire qu’alors il n’est vu de personne ; il est vu certainement et de ceux mêmes qu’il ne soupçonne pas. Mais fût-il dans l’ombre, et inaperçu d’aucun homme, oublie-t-il au-dessus de lui cet œil vigilant à qui rien ne peut échapper ? Peut-il croire qu’il ne voit point, parce que sa patience qui tolère est infinie comme sa sagesse qui découvre ? Qu’un homme consacré à Dieu craigne donc de lui défaire, plutôt que de vouloir plaire criminellement à une femme. Qu’il se rappelle que Dieu voit tout, plutôt que de chercher à voir criminellement une femme. Ici particulièrement la crainte de Dieu nous est recommandée, car il est écrit : « Celui qui fixe ses regards est une abomination au Seigneur[1]. » Quand donc vous êtes réunis à l’église et partout où sont des femmes, gardez mutuellement votre pudeur, car Dieu qui habite en vous vous préservera ainsi de vous-mêmes.


CORRECTION FRATERNELLE.

7. Et si dans quelqu’un de vos frères vous remarquez ce regard immodeste dont je parle, avertissez-le de suite, afin que sa faute ne se prolonge point, mais qu’il s’en corrige au plus tôt. Si, après votre avis, et en quelque jour que ce soit, vous le voyez retomber, celui qui aura pu l’observer doit le découvrir comme un blessé qu’il faut guérir. Auparavant néanmoins, on doit le faire remarquer à un autre, et même à un troisième, afin qu’il puisse être convaincu par la déposition de deux ou trois témoins[2] et retenu par une crainte salutaire. Mais ne croyez pas être malveillants eu le faisant connaître ; vous êtes coupables au contraire quand vous laissez périr par votre silence des frères que vous pouvez corriger en parlant.

Si votre frère avait au corps une blessure qu’il voulût cacher dans la crainte qu’on n’y portât le fer, ne serait-ce pas cruauté de vous taire, et bonté de parler ? Combien plus encore ne devez-vous pas le découvrir pour empêcher dans son cœur des ravages plus redoutables ! Toutefois si, après avoir été averti, il néglige de se corriger, on doit, avant de le faire comparaître devant ceux qui doivent le convaincre s’il nie, le signaler au supérieur, dans la crainte qu’une correction trop secrète ne lui permette de dissimuler devant les antres. S’il nie alors, appelez avec vous d’autres témoins, afin que devant tous il puisse non pas être accusé par un seul, mais être convaincu par deux ou trois. Convaincu, il subira pour son salut une pénitence imposée par le supérieur ou même par le prêtre qui en est chargé. S’il la refuse, encore que de lui-même il ne sorte pas, qu’il soit chassé du milieu de vous. Agir ainsi n’est pas cruauté, c’est charité ; c’est empêcher la contagion de se répandre et de faire de nombreuses victimes. Or ce que j’ai dit du regard immodeste, vous l’observerez, lorsqu’il s’agira de toute autre faute à découvrir, à empêcher, à révéler, à prouver et à punir, avec soin et fidélité, avec affection pour l’homme et haine contre le vice. Celui qui serait perverti au point de recevoir secrètement des lettres ou des présents d’une femme, qu’on lui pardonne et qu’on prie pour lui, s’il confesse spontanément sa faute ; mais s’il est surpris et convaincu, qu’il soit corrigé plus sévèrement par le prêtre ou le supérieur.


N’AVOIR RIEN EN PROPRE.

8. Que vos vêtements soient en commun, gardés par un ou deux, ou autant d’entre vous qu’il sera besoin, pour les secouer et les préserver de la teigne ; comme un même cellier vous donne la nourriture, qu’un même vestiaire conserve vos vêtements, s’il est possible. Ne vous inquiétez point aux diverses saisons de savoir quel vêtement on vous donne, si vous recevez celui que vous avez déposé ou celui qui a été porté par un autre, pourvu toutefois qu’on accorde à chacun ce qui lui est nécessaire. Mais si à ce sujet, il s’élève entre vous des disputes et des murmures, si l’un se plaint de recevoir moins qu’il n’avait porté et d’être mis au-dessous d’un autre frère mieux vêtu, jugez par là combien vous manquent les ornements intérieurs de la sainteté, puisque votre cœur dispute pour les vêtements du corps. Si cependant on tolère votre faiblesse au point de vous rendre ce que vous aviez quitté, déposez toutefois vos vêtements dans un même lieu et sous une garde commune. De même, que personne ne fasse rien pour soi ; en tout travaillez pour la communauté avec un zèle plus ardent et une joie plus vive, que si

  1. Prov. XXVII, 20, selon les Septante.
  2. Matth, xviii, 16.