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LE SYMBOLISME

La syntaxe et le vocabulaire de René Ghil sont en rapport avec sa théorie de l’instrumentation verbale. Dès l’instant que le poète doit rechercher les phrases et les mots qui multiplient les voyelles instrumentalement désirées, il doit avoir toute liberté de triturer à son gré et le style et la langue. D’ailleurs, René Ghil est sincèrement persuadé que l’idiome des lettrés s’éloigne de plus en plus de l’idiome des foules. Il a donc pieusement recueilli et fertilisé les hardiesses syntaxiques et linguistiques de Mallarmé, « employé adverbialement l’adjectif en l’accolant au verbe, préféré souvent le verbe neutre au pronominal, déplacé sujets et attributs à la guise latine et germanique » et mis en œuvre « la splendeur formiste de ce merveilleux artiste, Rabelais ». Cette esthétique compliquée, traduite par une technique ennemie de la simplicité, ne va pas sans répandre dans l’œuvre du poète une obscurité souvent inextricable. Après une étude consciencieuse et avec le désir de trouver dans cette poésie scientifique autre chose qu’un vain mirage de mots grandiloquents et de pensées hétéroclites, le rôle de René Ghil dans le mouvement symboliste semble, par certain côté, celui d’un contre-révolutionnaire. En dehors d’un système philosophique dont les principes sont discutables et de théories scientifiques très contestées par les physiciens modernes, il a essayé :

1o Au point de vue du fond, de ramener dans la poésie la méthode scientifique que les décadents en avaient exclue et de montrer que la science pouvait être objet de poésie ;

2o Au point de vue de la forme, de faire dans l’expression la part la plus considérable à l’harmonie initiative.

La musique étant un art mathématique, l’évolution de la poésie vers la musique équivaut pour lui à rendre la poésie scientifique et à renforcer la précision de l’expression par la magie de l’onomatopée.

2. Édouard Dubus. — Les innovations préconisées par le Traité du Verbe ne manquent pas d’analogie avec les théo-