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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

Je me plaignais de la fatigue, et parlais de mes craintes de l’herbe à cause des serpents et d’autres « animaux féroces ».

Le père est réservé, la fille aussi. S’il n’y avait pas sa sœur la princesse, Michel et l’autre, ce serait mille fois plus convenable.

Il me fit asseoir près de lui pour voir les tours d’adresse et de gymnastique de Michel qui a appris le « métier » dans un cirque, qu’il a suivi jusqu’au Caucase, à cause d’une petite écuyère.

À peine chez moi, je me suis souvenue d’une phrase de mon père, dite au hasard ou exprès, et, la grossissant dans mon imagination, je m’assis dans un coin et pleurai longtemps, sans bouger et sans cligner des yeux, mais les tenant attachés à une fleur sur le papier du mur ; — abîmée, inquiète, et tantôt désespérée jusqu’à en être indifférente.

Voici de quoi il s’agit. On parla d’A… et on m’en demanda toutes sortes de choses. Contre mon habitude, je répondis avec réserve et ne m’étendis pas sur le sujet de mes conquêtes, laissant deviner ou supposer, et alors mon père dit ceci avec une grande indifférence :

— J’ai entendu dire qu’A… s’est marié il y a trois mois.

Et une fois chez moi je ne raisonnai pas, je me souvins de cette phrase, je me couchai par terre et je restai là abrutie et misérable.

Je regardai sa lettre : « J’ai besoin de la consolation d’une parole de vous », m’a bouleversé le cœur et je me suis presque mise à m’accuser, moi !

Et puis… : Ô quelle horreur de croire aimer et de ne pouvoir pas ! Car je ne peux pas aimer un homme comme lui : un être presque ignorant, un être faible,